Cher Journal,
Aujourd'hui, je me tourne vers toi car je crois que tu es en droit de savoir ce qu'il m'arrive. Pour être honnête, il me semble juste que tu sois le premier auquel j'en parle.
Voilà ce qu'il s'est passé...
Tu n'es pas sans savoir que, avant de te rencontrer, je suivais une thérapie. J'étais suivi par la psychologue que tu connais, Diane.
Ce matin, j'avais rendez-vous pour une de nos séances hebdomadaires.
J'arrivai à son cabinet comme à mon habitude, avec quelques minutes d'avance. À ma connaissance, Diane était toujours à l'heure lorsque je venais la voir, parfois même en avance.
Cette fois-ci fit cependant exception. Un quart d'heure après mon arrivée, j'attendais encore sur un siège de la salle d'attente.
Sentant que quelque chose n'allait pas, je décidai de frapper à la porte afin de vérifier si Diane n'était pas absente. Personne n'est à l'abri d'un imprévu, j'en étais bien conscient. Il n'était pourtant pas normal que je n'aie pas été prévenu.
N'obtenant pas de réponse, je choisis d'entrer.
Diane, assise derrière son bureau, me regardait comme si je pouvais disparaître d'une seconde à l'autre.
Son calme habituel s'était envolé pour laisser place à une tristesse évidente. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait le moins du monde mais, lorsque j'aperçus les larmes perlant de ses yeux, je me fis un devoir d'en découvrir davantage.
Je fermai la porte derrière moi puis m'approchai. Une fois assis, je me préparai à la réconforter.
Je ne pouvais pas décemment la laisser dans une telle détresse.
Je n'eus pas le temps de prononcer un mot.
Diane retrouva sa contenance en quelques secondes et me posa cette question si troublante :
« "Que feriez-vous si vous deviez mourir demain ? »
Je fus frappé par cette interrogation à laquelle je n'avais, à priori, aucune réponse. Pourquoi y aurais-je réfléchi, après tout ? J'étais censé avoir toute la vie devant moi.
Le silence s'empara de la pièce. Pendant quelques minutes, aucun de nous ne sut quoi dire. Elle finit par me tendre des documents qui ressemblaient fortement à...
À cet instant, je saisis toute l'ampleur de sa dernière phrase. Je dois te l'avouer mon ami, je n'avais jamais été confronté à une révélation aussi bouleversante.
L'avenir m’avait toujours souri. Il n'avait jamais été une simple hypothèse à mes yeux. J'avais sans cesse fait tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre mes rêves réels. Je ne m'étais pas vraiment rendu compte à quel point il ne tenait qu'à un fil.
Je ne voulais pas mourir. J'avais encore tant de choses à découvrir, tant de pays à visiter, tant d'activités à essayer. Une poignée d'heures ne serait certainement pas suffisante pour accomplir la moitié des aventures qui m'attendaient.
Je ne voyais pas d'autre solution que de rester dans la simplicité.
Mourir dans le mensonge me serait insupportable. Il me semblait nécessaire de révéler la vérité à tous ceux qui m'aimaient.
Avant de quitter le cabinet, pour finir l'infinissable, je me devais de lever le voile sur un secret que je gardais depuis bien trop longtemps.
Diane n'était pas qu'une thérapeute à mes yeux et je savais que ce sentiment était mutuel. Bien sûr, rien ne se passerait jamais mais notre relation platonique me plaisait.
Jusqu'à aujourd’hui.
À présent que demain n'existait plus, je ne pouvais m'empêcher de penser que j'avais laissé passer ma chance. Je regrettais sincèrement de ne pas avoir essayé plus tôt.
Je lui devais cette confession.
De nouveau cependant, Diane fut plus rapide :
« Vous avez raison, je vais rester simple. Merci pour ces quelques mots, je crois que j'avais besoin de les entendre. Avant de partir, j'aimerais que vous entendiez mes dernières volontés vous concernant. Mon cher Sébastien, je vous en conjure, cessez de vivre dans l'avenir. Vous êtes certainement mon patient le plus atteint à ce sujet. J'aimerais pouvoir vous aider davantage, vous savez à quel point je tenais à nos discussions, et à vous... Le temps m'est désormais compté. La vie s'échappe peu à peu de mon corps, mon présent s'effondre, mon passé me condamne et mon futur s'efface. J’ai besoin que vous me promettiez. Contentez-vous de ce que vous avez. Le bonheur réside dans la simplicité de chaque instant, pas dans la complexité de l'avenir. Prenez la vie telle qu'elle se donne à vous. Offrez-lui votre plus beau sourire, et elle vous aimera comme je vous aimais.
— Vous... ?
— Promettez-moi.
— Je... Je le ferai.
— Vous me semblez hésitant.
— C’est juste que... Vous savez... C'est si soudain.
— Oui, ça l'était pour moi aussi. Les infirmiers voulaient me préserver mais… il fallait bien que je le découvre à un moment ou un autre.
— Je suis désolé.
— Ne le soyez pas. Vous n'y êtes pour rien.
— Je vous le promets...
— Pardon ? — Je vous le promets. Je ne vous laisserai pas vous évaporer dans les limbes du passé ni vous noyer dans les flots incertains des temps à venir. Votre souvenir est immortel dans le coeur de ceux qui vous aiment.
— Ce n'est donc qu'un au revoir.
— Faites-moi signe lorsque vous serez arrivée. Quelque chose de chaleureux, que je sois sûr que vous êtes entre de bonnes mains.
— Je vous le promets. »
Lorsque je retournai la voir, chez elle cette fois-ci, dans la soirée, la porte était ouverte et le feu dans l'âtre de la cheminée réchauffait son appartement. Les volets n'étant pas fermés, je pouvais voir les étoiles qui apparaissaient progressivement. Puis je te vis. Tu étais là, sur la table, près de la fenêtre, m'invitant à t'écrire de toute la force des derniers mots de ta précédente propriétaire.
Mon cher Sébastien,
Je vous confie mon avenir. Continuez à écrire mon histoire pour moi entre les pages de ce journal. Je sais que je vous en demande beaucoup. Pour me donner bonne conscience, je vous tiendrai compagnie chaque soir, lorsque vous me raconterez votre journée. Je brillerai davantage que toutes les autres, vous gardant bien au chaud, comme je vous l'avais promis.
Diane
Mon très cher journal, Diane s'est envolée. Elle est partie en voyage dans des contrées vers lesquelles je ne peux pas la suivre.
Pas maintenant.
Je dois tenir parole.
Plus tard.