Ewen - Réunion de couloir

Samedi à 13:04 : @Juju_paillette a aimé votre publication.

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Samedi à 13:08 : @Juju_paillette a aimé votre publication.

Samedi à 13:10 : @Juju_paillette a aimé votre publication.

On est lundi. Lundi de la première véritable semaine de l’année. Le début de la routine. Le premier lundi où je peux profiter de mon casier. Dans les films américains, les élèves pourraient incruster leur maison entière dans ces boîtes en métal. Moi, c’est à peine si je peux atteindre le cube jaune moutarde que la vie scolaire a eu la bonne idée de m’attribuer. On est si nombreux que les murs sont tapissés de ces énormes rangées, évidemment distribuées au hasard. Et cette année, je me retrouve à devoir me hisser sur la pointe des pieds pour y déposer mes manuels.
Je prends soin de retirer les petits dessins d’entre le livre de français. Hop, dans mon carnet de créations. Avec un peu de chance, ils me donneront un peu d’inspiration pour mes poèmes. Je n’ai rien écrit depuis mercredi dernier… ça ne m’était pas arrivé depuis un moment de bloquer aussi longtemps.
Il m’arrive de poster certains portraits sur mon compte Pictogram. Ceux que je trouve les plus réussis. Ceux que je reprends parfois avec le logiciel pro piraté sur mon ordinateur. Mais depuis l’avalanche de cœurs provoqués par notre nouvelle recrue, je ressens un peu d’appréhension.


@Juju_paillette samedi à 13:33
< Salut :D J’ai vu tes dessins, ils sont magnifiques !


Je voulais répondre. Vraiment. Mais quand j’ai reçu son message… encore une fois, je n’ai pas trouvé les bons mots. J’avais déjà utilisé mon joker pour la photo de groupe, alors j’ai décidé d’attendre un peu. De me laisser l’après-midi pour réfléchir. Et puis j’ai oublié. Et puis dimanche, je me suis dit qu’il était un peu tard… pourquoi n’ai-je pas répondu « merci », comme n’importe qui l’aurait fait ? Bien sûr, ça parait si simple maintenant que je ne peux pas revenir en arrière !
— T’a fait tomber ça.
Un spasme de surprise me ramène sur terre. En parlant du loup… Juliette Guillot, la cadette maladroite du mercredi après-midi me tend un document échappé de mon sac. Je l’attrape et l’enfourne dans ma pochette à plusieurs rabats.
— Merci.
Pourquoi elle ne bouge pas ? Qu’est-ce qu’elle a à me dévisager comme ça ? Est-ce qu’elle va me demander des comptes pour ma non-réponse ? Au pire, elle a dû recevoir d’autres vents dans sa vie, non ? Ça m’est complètement égal. Cette Juliette peut me dire ce qu’elle veut, peu m’importe.
Autour de nous, les lycéens se dépêchent de rejoindre les jardins pour profiter de la pause. Le silence s’éternise. Il ne reste bientôt plus que nous deux dans ce couloir. Et je vois dans ses yeux qu’elle cherche désespérément un sujet de conversation.
— Je… sors de français.
— Moi aussi.
Mes pensées se livrent un combat sans merci sous mon crâne. Le petit ange sur mon épaule droite me hurle de l’aider, de ne pas la laisser patauger toute seule dans son malaise parce qu’après tout, elle a l’air de vouloir tenter ce qui ressemble à une approche pour… faire connaissance ? Mais le démon sur mon épaule gauche a le monopole de ma conscience. Tais-toi, tu ne lui dois rien. Au lycée, tout ce qui est dit ou fait peut être retenu contre nous. Moins elle en sait sur moi, mieux ce sera.
Juliette croise ses bras sur son classeur décoré de marguerites. Elle a l’air d’aimer la nature. Le bas de sa jupe est recouvert de pétales brodés, comme les manches de son gilet fuchsia. Autant de fleurs, c’est carrément une obsession, à ce niveau.
— Tu es dans la classe de Loïc, non ?
Mon absence de réponse ne l’empêche pas de continuer.
— On est amis depuis la sixième.
— Ah… cool.
Je retourne à mon perchoir d’affaires. Mon livre d’anglais est coincé sous un dictionnaire. Ce casier commence déjà à m’énerver ! Je tire un coup sec. Le bouquin sort, et avec lui le reste de mes manuels. Tout s’éparpille par terre dans un vacarme épouvantable. Un juron s’échappe d’entre mes dents serrées. Bah voyons, il ne manquait plus que ça. Mes genoux craquent alors que je dépose mon sac et m’abaisse pour empiler mes fournitures. Juliette rattrape les feuilles volantes évadées d’un classeur et me les tend.
C’est alors que son regard se pose là où ils ne devraient pas. Le petit carnet à spirales couvert de gribouillages, avec une simple étiquette rayée en guise de titre. Mon carnet.
Je veux le ramasser avant elle. Nous avons la même idée, mais sa main est la plus rapide. La mienne s’écrase sur ses doigts, y reste une fraction de seconde avant que mon cerveau ne commande le repli stratégique. La nouvelle s’empare de mon coffre-fort mental avec un grand sourire.
— Il est beau, ton cahier de brouillon !
— C’est pas vraiment…
— « Rimes & Réflexions » lit-elle sur la couverture. Oh… c’est… de la poésie ? Tu écris des poèmes… ?
Je tends la main pour le récupérer, les joues prêtes à griller.
— On p… on peut dire ça, oui.
Enfin, elle me le rend et je l’enfourne immédiatement dans la grande poche de mon sac à dos. Je n’ai déjà pas l’habitude des discussions, alors là, je m’en souviendrais longtemps. Cette fille m’a tout l’air d’un pot de glue doté de la curiosité d’une enquêtrice du F.B.I.
— Je l’savais !
Je redresse la tête, déséquilibrée par le poids de mon sac calé sur ma cuisse, mon pied contre le genou pour me servir de perchoir. Pire posture pour paraitre confiante.
— Quoi ?
Juliette secoue la tête. Ses boucles d’oreilles – une cascade de fleurs, pour changer – tapent contre ses joues.
— Non, rien.
Ce rictus de malice me prouve le contraire. Elle me cache quelque chose. Cette fille ne sait pas mentir. Ou alors… elle se moque de moi ? Possible. Mais je ne suis plus à ça près, après tout ! Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, je m’en fiche. Je crois.
Une exclamation nous sort de ce gouffre de malaise. Dans mon dos, Loïc quitte la salle de français presque cinq minutes après tout le monde. Il n’y a pas un cours où il n’est pas le dernier. Les deux amis se prennent dans les bras comme s’ils se voyaient pour la première fois depuis des lustres. Je détourne les yeux et en profite pour fermer ce casier de malheur, pour leur laisser un peu « d’intimité ». En voilà deux qui vont finir l’année ensemble… ou du moins, s’ils continuent de se comporter comme ça, les rumeurs vont courir plus vite qu’eux deux réunis.
— Ewen ?
Est-ce que je suis la seule à paniquer à l’idée que la télépathie puisse exister, et que quelqu’un me reproche quelque chose que j’ai pensé trop fort ?
— Ça te dirait de venir avec nous mercredi, après les cours ? On sort au Kosmic-machin…
— Overworld, corrige Loïc par-dessus son épaule.
Elle lui assène une tape sur le bras. Pas tout à fait habituée à mes cheveux courts, je ramène une mèche fantôme derrière mon oreille. Sortir ? Avec le reste de la troupe ?
— C’est gentil de proposer… mais je ne peux pas, désolée.
Son sourire s’efface malgré ses efforts pour le maintenir en place. Même si je le voulais, le mercredi, c’est le jour des courses. Le réfrigérateur ne se remplit pas tout seul.
Un surveillant passe dans notre dos, avec un froncement de monosourcil qui nous fait clairement comprendre qu’une fois nos affaires récupérées, on n’a plus rien à faire dans les couloirs. Loïc tire sur la bandoulière de son amie pour l’entraîner vers l’extérieur. Lui aussi aimerait profiter un peu du soleil. Même s’il commence déjà à faire plus frais dehors. Les jours raccourcissent. Bientôt, on aura l’impression de vivre dans le noir.
— Juliette !
Elle se fige sur la première marche des escaliers.
— Merci, pour ton message… sur mes dessins, je veux dire.
Je reçois un cœur avec les doigts en guise de réponse. Et ça me fait sourire. Cette fille à l’air d’une enfant piégée dans un corps d’adolescente. Loïc doit se retrouver épuisé à force de traîner avec une telle boule d’énergie ! Mais sa présence n’est pas désagréable. Je suppose. Après tout, c’est la deuxième fois qu’on se voit. On est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise.
Dès que les portes de l’entrée claquent, je me rue sur mon portable. J’ai besoin de parler à Vulcain. On se parle depuis des mois. On se dit tout. Et en tant que confidents l’un pour l’autre, c’est notre devoir de s’entraider.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je n’ai pas l’habitude des conversations qui arrivent de nulle part. Est-ce qu’elle m’a trouvé bizarre ? Est-ce que je suis bizarre ? Non ! Bien sûr que non ! Je me fonds dans la masse, comme d’habitude. J’ai juste poliment refusé de les rejoindre mercredi prochain. Rien de dramatique ! D’ici demain, cette fille m’aura oublié et tout redeviendra comme avant.

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Lou Santos
Posté le 22/09/2023
C'est marrant d'avoir les points de vue de Juliette et Ewen qui s'enchaînent, chacune se croit très maladroite alors que l'autre n'est pas mieux ! Pendant leurs conversations j'imagine presque ce qu'il se passe dans la tête de l'autre et je me dis que ça doit être tout aussi chaotique haha
Plum'enchantée
Posté le 24/07/2023
J'ai adoré ce chapitre (Je crois que je dis la même chose à chaque fois!!!)
On découvre Ewen petit à petit, j'espère que elle cédera à aller sortir avec les théatreux le mercredi et qu' elle pourra être plus intégrée dans le groupe grâce à Juliette!
Hâte de lire la suite!
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