J’aurais dû refuser, mais depuis que je fais les courses le jeudi (c’est plus pratique, en plus, il y a moins de monde à la caisse), je n’ai plus d’excuses pour ne pas accompagner l’option dans ses aventures extra-scolaires.
Leur pèlerinage de la mode nous entraîne jusqu’au centre de Paris, dans le quartier des friperies et autres centres commerciaux bondés de monde. Nous nous arrêtons au rez-de-chaussée d’un complexe de trois étages, où s’alignent des boutiques en tout genre décorées pour le jour de l’horreur.
Souria, en bonne leadeuse de troupe, propose une idée qui satisfait tout le monde : séparer les vampires des loups-garous. Chaque ticket possède un tampon sur son verso : deux crocs pour les buveurs de sang et un croissant de lune pour les lycans. La première équipe est composée de Faustine, Loïc, Rachel, Noûr et Mélodie. Le reste, techniquement, appartient à la tribu des loups.
— Et toi, Ewen ?
— Loup-garou aussi.
J’ai menti. Pourquoi ? Qu’est-ce qui me prends ? Je sais que je devrais jouer le jeu. Il y a un tampon rouge sur mon billet. Est-ce que le bureau des élèves peut me refuser une entrée pour manque au dress-code ? Non… je n’espère pas. Puis, c’était tellement plus simple d’arriver en vampire ! Une chemise, les cheveux plaqués en arrière, un coup de maquillage et hop, réglé !
Enfin… les filles n’ont pas l’air de vouloir se contenter de si peu. J’ai du mal à cerner leurs motivations. À Halloween, on est censé jouer avec la peur, s’enlaidir et en rire… non ? J’ai surtout l’impression qu’elles utilisent un prétexte pour sortir et trouver de nouvelles fringues. Mais bon, ça ne me ferait pas de mal non plus.
— Rendez-vous dans deux heures… top chrono !
On se sépare pour de bon. Le plus difficile est de décider quelle boutique explorer. Après avoir traverser un étage entier sans réussir à prendre de décision, Ysée ajuste notre stratégie :
— Comment ça s’habille, un loup-garou du XXIe siècle ?
— J’imagine une tenue avec plein de couches de vêtements superposées, songe Juliette, avec des trous dedans, comme des coups de griffes.
— Et une manucure parfaite du coup, ajoute Roxane avec un sourire.
— L’important pour une louve-garou, c’est que ses vêtements ne la gênent pas dans sa transformation. Donc elle doit porter des pièces plutôt amples…
Je ne peux pas m’empêcher de glousser. Elles prennent ce défi beaucoup trop au sérieux. Presque plus que nos examens blancs. Souria conclut rapidement cette réunion de crise :
— On commence par les tenues, et on finit par les accessoires. Allez, go !
Une minute plus tard, nous voilà en route pour la première des dix boutiques à explorer, triées par ordre de prix – et de priorités. On y croise les vampires. Normal : ici, tout coûte deux fois moins cher qu’ailleurs. Mais au-delà des t-shirts monochromes et jeans sans aucune originalité, on ne trouve pas grand-chose. Je remarque une chemise, sur un étalage près des caisses. Il ne reste que des tailles supérieures à la mienne, mais avec un peu de chance…
— Regardez-ça !
Je sursaute. Derrière moi, Juliette se dandine avec un cintre alourdi d’un col roulé en velours brun. On est là pour les louves. C’est vrai. Pas pour les vampires. Je dois tenir mon mensonge jusqu’au bout. Et d’un autre côté… l’idée de les surprendre m’amuse. Alors je repose discrètement l’article et les rejoint ; ce n’est que partie remise.
— …et si je trouve un pantalon déchiré aux genoux…
Les filles restent muettes. Son choix ne fait pas l’unanimité, mais elle se résigne à l’ajouter au panier collectif en attendant les essayages. Après une vingtaine de minutes à errer à travers les rayons, trois d’entre nous passent en cabine. Juliette abandonne sa première idée sans même nous montrer le résultat. Ophélie achète une jupe à carreaux et une paire de collants qu’elle compte griffer, puis la course reprend.
Le second magasin ne convainc pas. On sort aussi bredouille du troisième. En une heure, aucune de nous n’a complété sa tenue. L’heure défile plus vite que nous ne l’aurions espéré.
C’est Inès qui trouve la solution miracle : une friperie a ouvert dans une rue proche du centre commercial. Deux mannequins en plastique se font face dans la vitrine : un hippie des années soixante-dix pose à droite d’un biker à veste en cuir. L’intérieur nous fait pousser une exclamation d’admiration : des rangées de vêtements de toutes les époques reposent sur des présentoirs en cagettes et des tringles en panneaux de signalisation recyclés.
La chasse commence ici.
On fouille. On cherche. On tente des combinaisons improbables de blazers en sequin, chemises en tweed, kilts, salopettes de travail. Tout devient un potentiel déguisement. Souria trouve une paire de bottes dépareillées. Elle y ajoute un short effilé et une veste en jean pleine de patchs américains. Roxane préfère un look plus raffiné, et se tourne vers une tunique en laine, guêtres et mitaines assorties. Quant à Juliette…
— Tu as besoin d’aide ?
Elle sort la tête d’un baril d’essence plein de débardeurs.
— Je trouve pas ma taille… quoique, il y a bien celui-ci…
Sa main tire un bustier sans manches maintenu grâce à un collier à grosse boucles et attaches. Du punk pur, à l’exact opposé de son style habituel. Après tout, pourquoi pas ?
— T’auras pas froid, comme ça ?
— Il me faudrait une veste.
Je l’accompagne du côté des manteaux, dans une zone surélevée de la friperie. Nous passons devant l’unique cabine d’essayages, déjà squattée par notre groupe. Souria offre un défilé digne de la fashion-week à nos amies installées sur les poufs multicolores. Même la gérante nous observe avec un sourire en coin, amusée par notre excès d’énergie.
— J’ai trouvé ! Regarde !
Un sweat à capuche en résille. Rien que ça. Je lâche un ricanement désabusé. Ma réaction lui provoque un geste de recul.
— T’aimes pas ?
— Non, je le trouve cool. Je me dis juste, quitte à acheter des vêtements, autant qu’on puisse les remettre…
Un rictus malicieux dévoile ses fossettes.
— Vends pas mon nouveau style avant de me laisser l’essayer.
Elle ajoute une paire de mitaines rayées et des hautes chaussettes à son panier, puis passe en cabine. Je vais patienter avec les autres, occupées à danser dans un coin de la boutique.
— T’as rien trouvé pour toi ?
Mince. Inès a des yeux partout. Vite, je trouve de quoi alimenter mon mensonge.
— Je crois que j’ai ce qu’il me faut à la maison.
— Souria, viens voir !
Notre capitaine de groupe s’aventure derrière le rideau. On entend des gloussements, un chahut bref fait trembler le tissu qui nous sépare, et Souria revient quelques secondes plus tard pour presser son index contre mon front.
— Tu sauras que ça lui va très bien, mauvaise langue !
— Mais j’ai pas…
Tout sourire, Juliette sort de la cabine presque aussi vite qu’elle y est entrée en nous laissant la frustration du mystère.
— Alors ?
Juliette me dévisage un instant, un sourire de malice étendu jusqu’aux oreilles.
– Et si on allait chercher des accessoires ?
Les portes de ce magasin d’accessoires s’ouvrent comme les grilles du paradis. Mes camarades y dénichent serres-têtes à oreilles, chaînettes, faux piercings, maquillage spécialisé et mèches de cheveux colorées. Dans mon coin, je trouve des lunettes en forme d’ailes de chauve-souris. Il n’en reste plus qu’une paire. Si je les rate… je m’en voudrais.
Alors je les prends en secret. J’attends que Souria confie ses articles à la vendeuse et emprunte la caisse voisine, puis enfourne le sachet dans mon sac. Ni vu ni connu. Enfin…
Inès me fixe avec suspicion. Son froncement de sourcil m’indique qu’elle a, malheureusement pour moi, compris mon manège. Zut. Je pose mon doigt sur mes lèvres pour faire signe de garder le silence. En passant devant moi, la terminale m’assène un coup de coude complice. J’ai de la chance qu’elle entre dans mon jeu… parce que ce n’est pas passé loin.
J'ai encore une fois adoré ce chapitre et je suis trop contente que l'histoire reprenne suite !!! J'aime beaucoup l'ambiance du groupe tout le monde a l'air de bien s'entendre.
En tout cas j'ai hate de lire la suite !