Ce matin-là, lorsque l’infirmier était venu les réveiller, Azaël et Richard s’étaient extirpés de leurs lits en grimaçant, le dos en compote. M. Panzen leur remis des uniformes neufs pour remplacer les leurs, déchirés à plusieurs endroits puis leur recommanda de passer par les douches avant de gagner le réfectoire. Alors qu’ils faisaient route vers leurs chambres, Richard était demeuré muré dans le silence. Il ne souvenait de rien, concernant les événements de la veille. L’infirmier avait mis ça sur le compte d’une sorte de choc post-traumatique.
Son camarade laissa l’exorciste devant sa porte et s’empressa de s’enfermer dans sa chambre. Azaël poussa un soupir puis s’engagea dans la pièce. Des tessons de verre crissaient sous ses semelles. Le jeune homme repéra son portable, miraculeusement intact au sein du maelstrom. Il le glissa dans sa poche sans plus de cérémonie puis se mit en quête d’objets qu’il pourrait récupérer. Lorsqu’il passa sa main sous son oreiller, il pâlit. Où était la photo de ses parents ? Les mains tremblantes, il retourna ses draps. Rien ! Quelqu’un l’aurait subtilisée ? Non, non, non…
- C’est ça que tu cherches ?
Azaël fit volte-face. Dans l’encadrement de la porte se dressait Haniel. Et, entre ses doigts, il tenait le portrait de ses parents. L’exorciste sentit ses épaules se raidir, tous ses muscles se mobiliser.
- Que veux-tu ? lui demanda-t-il d’une voix égale.
Le lycéen ne répondit pas tout de suite. Il contemplait, l’air sombre, les visages souriants sur le papier glacé.
- Que tu tiennes ta promesse, finit-il par confier. Tu ne peux pas quitter cette école sans m’avoir retiré ce foutu bavard.
- Je te l’ai dit, je vais t’exorciser.
- Et pourquoi je devrais te croire ?
Il avait aboyé sa question. Derrière cette colère, Azaël devinait un profond désespoir. Depuis combien de temps Haniel Amorth était-il hanté ? Il l’ignorait, mais il avait bien compris que cette situation le faisait atrocement souffrir.
Son interlocuteur fit disparaître le précieux cliché à l’intérieur de son sac de cours.
- Cette chambre est une foutue cellule, grogna-t-il dans la direction de l’exorciste. Tu n’as rien, aucune affaire personnelle, si ce n’est cette photo. Tu dois y tenir. Alors je te la rendrai quand je n’entendrai plus sa voix.
Il chaussa son casque rouge sur ses oreilles puis s’en alla. La discussion était close. Azaël demeura sans bouger, s’efforçant de respirer lentement afin de réguler les lourds battements de son cœur. En soi, avec son entrainement, il pourrait récupérer son bien sans problème. D’après ce qu’il avait pu observer, Haniel n’était pas un grand adepte de l’exercice physique. Le neutraliser serait facile. Seulement, il ne pouvait en faire son ennemi, pas tant qu’il avait encore des souvenirs des whisperers. Il fallait donc qu’il ronge son frein.
Son téléphone émit une petite musique. Sengo. Il s’enquerrait sur l’avancement de son enquête. « Cible repérée, je m’en occupe après les cours. Récupérez-moi à 18h », répondit-il aussitôt.
Ce soir, il quittait Sisoa.
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À peine eut-il mis un pied en classe qu’Édith Okuni lui fondait dessus à la manière d’un rapace. Elle l’examina de la tête au pied, l’obligea à tourner sur lui-même, puis, seulement, elle recula et lui offrit un sourire.
- Tu as l’air d’aller bien, camarade Walker, déclara-t-elle avec soulagement. Que s’est-il passé, hier ? Qui a donc essayé de te bizuter ?
Les informations circulaient vite, dans ce lycée ! Azaël s’apprêtait à lui répondre lorsque leur professeur entra et leur demanda sèchement de regagner leurs places. L’exorciste s’installa. Édith s’assit à sa droite. Et, à son plus grand étonnement, Richard prit place à sa gauche. Il lui offrit d’ailleurs un sourire contrit.
- M. Panzen m’a dit ce que tu as fait pour moi, lui chuchota-t-il. Merci. Et désolé, pour ce matin… J’étais un peu déboussolé.
Azaël hocha la tête sans rien ajouter. Il se saisit d’un cahier et d’un stylo. Même s’il ne restait qu’aujourd’hui, il se devait de jouer son rôle d’élève jusqu’au bout. Leur professeur leur parlait de l’Antiquité, une époque qui lui était inconnue. Au Clan, ils avaient des cours très basiques. Il avait appris des frises chronologiques qui retraçaient les grandes lignes de l’Histoire, mais ses connaissances étaient assez limitées.
Très vite, il fut happé par le trésor de savoir qui était dispensé ici. Édith, elle, fredonnait, l’esprit tourné vers d’autres horizons. Ses doigts couraient dans les airs comme pour tirer quelque mélopée à des instruments imaginaires. Elle tenta plus d’une fois de distraire Azaël, mais celui-ci l’ignorait ostensiblement, entièrement concentré sur le cours.
La matinée se déroula dans une quiétude tranquille. Lorsque l’heure du repas sonna, Édith entraina l’exorciste à sa suite. Cette fois-ci, le nouveau n’eut aucun mal à passer l’épreuve du réfectoire. Il remarqua que les amis de sa camarade étaient installés exactement à la même table. Ils acclamèrent sa venue à grands cris.
- On dit que tu as survécu à une attaque déloyale et sauvage, cette nuit ! s’exclama Léo avec emphase. Raconte-nous tout !
Azaël se fit vaguement la remarque qu’il faisait office de divertissement. Cependant, il n’avait pas envie de s’empêtrer dans des mensonges inutiles. Il cherchait un moyen d’esquiver l’interrogatoire qui se profilait lorsqu’une interjection lui arracha un sursaut :
- Hé.
Haniel se tenait derrière lui, un plateau entre les mains. Son casque rouge pendait à son cou. D’un signe de tête, il indiqua une petite table près des panneaux de riz. Azaël ne saurait dire s’il était soulagé d’échapper aux questions d’Édith et ses amis ou inquiet à l’idée de se retrouver en tête-à-tête avec son maître-chanteur. Mais le regard améthyste n’admettait pas de réplique. Alors il s’excusa auprès de ses camarades et emboîta le pas du lycéen hanté. Il sentait les regards qui brûlaient sa nuque. Le bourdonnement des bavardages s’accentua lorsque les deux jeunes hommes s’installèrent.
- Ne fais pas attention, lui recommanda Haniel en entamant une omelette aux pommes de terre. D’habitude, les niveaux ne se mélangent pas, ils trouvent ça étrange qu’un première et un seconde mangent ensemble.
- Qu’est-ce que tu veux ? attaqua l’exorciste.
L’intéressé prit le temps d’avaler sa bouchée.
- Je veux savoir quand tu vas procéder à l’exorcisme, c’est aussi simple que ça.
- Ce soir, après les cours.
- Très bien. Tu sais où se trouve ma chambre, tu me rejoindras là-bas. Une fois que je ne l’entendrai plus – il désigna son oreille du doigt dans un geste large, je te rendrai ta photo.
- Je n’ai pas mon mot à dire, n’est-ce pas ?
L’exorciste avait prononcé cette phrase sur un ton railleur qui ne lui ressemblait pas. Il n’avait pas confiance en ce Haniel. S’il avait pu, il aurait procédé à l’exorcisme ici même afin de lui retirer sa mémoire. Mais il manquait encore de forces. Sa mauvaise nuit ne lui avait pas permis de récupérer toute son énergie.
Son vis-à-vis ne releva pas et poursuivit son repas, imperturbable. Azaël décida de suivre son exemple et plongea à son tour le nez dans son assiette. Ils n’échangèrent pas un mot durant de longues minutes. Puis l’exorciste sentit un frisson lever les poils de ses bras. En face de lui, Haniel venait de fermer les yeux, comme s’il luttait contre une force qui lui écrasait les épaules. Il s’empressa de plaquer son casque sur son crâne. De là où se tenait, son interlocuteur parvenait à entendre les notes furieuses de musique qui s’échappaient de ses écouteurs. Il s’écoula un moment avant que le lycéen ne fasse de nouveau glisser son casque dans son cou, le souffle court. Son regard oscillait entre la fureur et la peur.
- Quoi ? grogna-t-il, sentant les yeux brûlants de l’exorciste sur son visage.
- Tu… l’entends, c’est ça ? Le whisperer… l’interrogea Azaël.
Il sentit sa curiosité s’éveiller lorsque son vis-à-vis hocha positivement la tête. Habituellement, les possédés n’avaient même pas conscience de la présence des fantômes. Il aurait aimé en savoir plus, mais Haniel l’arrêta dans son élan d’un signe de main :
- Je t’arrête tout de suite, Ed Warren, je refuse que tu fouilles dans ma vie ou quoique ce soit. Tu élimines la saleté qui me scie les tympans, merci, au revoir.
- J… Je ne m’appelle pas Ed Warren. Moi, c’est Azaël. Azaël Walker.
- Peu importe, le coupa Haniel en balayant ses protestations d’un revers de la main. La discussion est terminée. Je t’attends à 17 heures dans ma chambre. Ne sois pas en retard.
Sur ce, il se leva, laissant là son plateau puis quitta le réfectoire sans un regard en arrière.
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Haniel avait séché les cours de l’après-midi pour s’enfermer dans sa chambre. À mesure que les minutes s’écoulaient, sa nervosité grandissait. Dans son casque résonnaient en boucle ses albums préférés. Bientôt, il pourrait enfin écouter de la musique pour le plaisir, et non juste pour masquer les murmures incessants. Il savourait à l’avance l’instant de sa délivrance. Son rêve de petit garçon allait s’accomplir. Que ferait-il alors ? Il avait l’impression que le monde s’offrait à lui. Cette liberté, tant convoitée et si longtemps refusée, elle l’effrayait autant qu’elle lui plaisait.
Les sons gutturaux dans ses oreilles lui semblaient si vagues, si lointains ! Dire que c’était certainement la dernière fois qu’il les percevait. Un sourire victorieux glissa sur ses lèvres. Enfin, enfin, enfin !
On frappa à la porte.
17 heures.
L’exorciste était ponctuel. Haniel s’éjecta de son lit et se précipita vers l’entrée. Dans le couloir, Azaël semblait nerveux. Lorsque le première lui indiqua de le suivre, il lui emboîta le pas, mal à l’aise. Peut-être s’attendait-il à une embuscade, tendue par le whisperer. Haniel se rappelait avec acuité de l’agressivité dégagée par celui de la veille Pourtant, le fantôme qui le hantait n’avait jamais causé de tort à personne, si ce n’était lui-même. Il ne préférait pas trop réfléchir au pourquoi.
Le lycéen se laissa tomber sur son lit. L’exorciste s’assit sur celui dont le matelas était nu. Il fit surgir dans sa main un poignard bleuté. Aussitôt, les grondements dans ses oreilles s’amplifièrent, comme si la créature craignait la vue de cette arme. Voilà qui ne pouvait que le réjouir…
- Comment tu vas procéder ?
Cette question lui avait échappé. Son interlocuteur sembla surpris. Il jeta un coup d’œil à la lame entre ses doigts, hésita.
- Chaque whisperer possède un cœur, lui expliqua-t-il finalement. Ces armes sont très spéciales. Elles nous permettent de voir les noyaux… et de les détruire.
Il se leva, l’air grave, solennel. Puis se mit à genoux devant le lycéen possédé.
- Ça ne te fera pas mal, lui promit-il. Ces armes ne peuvent blesser les êtres humains. Elles ne sont conçues que dans le but de tuer les whisperers.
Le cœur battant, l’élève hanté compris que l’exorciste s’apprêtait à le poignarder. Non, s’efforça-t-il à rectifier, à poignarder le fantôme. Peut-être était-ce inconscient de sa part, de laisser un parfait inconnu lui planter une « lame magique » dans le corps. Soit il lui disait la vérité et le monstre mourrait. Soit il lui mentait et c’était lui qui succomberait.
En fait, dans les deux cas… Il serait débarrassé des murmures, non ?
- Fais-le.
Azaël hocha la tête. Il chuchota « Xeo » et ses yeux virèrent entièrement au noir. Son regard se mit à scanner Haniel de la tête aux pieds avec intensité. Puis un froncement de sourcils, une hésitation. Aussitôt, le lycéen comprit que quelque chose n’allait pas. Ses craintes se confirmèrent lorsque les iris de son vis-à-vis reprirent leur couleur initiale.
- J… Je ne vois pas le cœur, balbutia-t-il. Je ne comprends pas…
- Comment ça, tu ne le vois pas ?
Non, non, non ! Cet incapable d’exorciste ne pouvait pas lui faire miroiter sa liberté pour après tout foutre au fond d’une benne ! Il s’y refusait ! Haniel l’attrapa par le poignet, furieux. L’angoisse qui fondait sur son esprit gommait toute raison.
- Tu m’as promis de me débarrasser de ce fantôme ! hurla-t-il, désespéré.
- Je sais ! Je ne comprends pas ! Ça ne m’est jamais arrivé !
L’inquiétude qui tordait les traits de son vis-à-vis était trop forte pour être feinte. Azaël recula. Il répéta son étrange formule, attrapa Haniel par le coude pour l’obliger à se lever afin de pouvoir l’examiner sous toutes les coutures. Mais, rien à faire, il ne parvenait à déceler le moindre noyau ! Il finit par reculer.
- Tout whisperer a pourtant un noyau, murmurait-il. J… Je ne sais pas ce qui se passe…
Il récupéra son téléphone portable à clapet dans la poche de son pantalon, en fixa l’écran avec gêne. Comptait-il appeler des renforts ? Cela semblait lui demander un effort considérable.
- Non, je ne peux pas, finit-il par chuchoter. Écoute, Haniel, d’autres exorcistes doivent venir me récupérer. Je leur parlerai de ton cas et ils viendront s’occuper de toi. Mais, en attendant, je dois effacer ta mémoire. C’est une simple mesure de sécurité.
Le cœur du lycéen cessa de battre. Comment cela, effacer sa mémoire ? Et si c’était juste un moyen de se débarrasser de lui afin de récupérer sa photo ? Et s’il ne tenait pas sa promesse ? Non, il refusait d’oublier ! Il refusait de penser de nouveau qu’il serait prisonnier à jamais de l’infâme chuchoteur !
Plutôt crever comme un chien.
Sans laisser le temps à Azaël de réagir, Haniel se jeta sur son poignard. Avec une force dont il ne se soupçonnait pas, il arracha l’arme des mains de son adversaire puis se rua à l’autre bout de la chambre. L’exorciste, d’une grande pâleur, semblait sur le point de tourner de l’œil.
- A… Attends, balbutia-t-il. C’est dangereux, ne… !
- Je croyais que cette lame ne blessait pas les humains, rétorqua le lycéen avec hargne.
- Mais ton whisperer n’a pas de noyau ! s’emporta Azaël, dont la voix craquait. C’est du jamais vu ! Il vaut mieux qu’on joue la prudence.
- Non ! Non, ce soir, c’est fini ! Je m’en débarrasse, avec ou sans ton aide !
Le lycéen hanté fit tourner l’arme entre ses doigts. Elle était d’une légèreté surprenante, comme si elle avait été sculptée à partir d’une plume. Dans le métal bleuté, son double lui renvoyait son regard, dévoré par la peur. Il s’ébroua. Pourquoi avoir peur ? L’heure de la délivrance était enfin venue. Alors, il s’efforça de sourire.
- Adieu, Azaël Walker.
- Haniel !
Sans la moindre hésitation, le lycéen s’enfonça la lame dans l’estomac. Dès que la langue de métal entra en contact avec ses chairs, le whisperer se mit à hurler, à hurler avec une telle force que même Azaël devait l’entendre. C’était… douloureux. Quoi ? Haniel sentit la vague de souffrance s’abattre sur lui. Ça faisait mal, si mal ! Il tomba à genoux. Son sweat-shirt était gorgé de sang frais. En un claquement de doigt, l’exorciste fut auprès de lui, complètement affolé, dépassé par l’enchaînement des événements.
Haniel, les yeux écarquillés, contemplait son ventre sans comprendre. La douleur était en train de refluer. Et, avec eux, les murmures incessants. Pour la première fois depuis bien des années, c’était le silence dans sa tête. Aucun grognement, caquètement, cliquetis. Non… Rien… Un sourire béat vint s’imprimer sur son visage. C’était bel et bien… fini…
Il chuta sur le flanc. Les mains d’Azaël, rêches et autoritaires, l’obligèrent à basculer sur le dos. Puis les doigts de l’exorciste se nouèrent autour du poignard qu’il retira. Comme une cascade furieuse, ce fut un concert de hurlements qui déferla dans les tympans de Haniel. Ce dernier gémit et se recroquevilla sur lui-même. C’est alors qu’il le vit. Un filet d’ombre qui reliait le poignard à son corps. Serait-ce lui ? Le putain de fantôme qui le hantait ? Il avança ses doigts pour le toucher. Au même instant, Azaël tendit aussi sa main, comme hypnotisé. Ils effleurèrent au même moment le filament.
Puis une spirale de brouillard noire les enveloppa tout entier.
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Azaël fut le second à reprendre connaissance. Il se redressa péniblement, la tête comme une enclume, un curieux arrière-goût amer sur la langue. Il avisa Haniel, assis sur son lit, le regard éteint. Ses mains étaient fermement serrées autour de la lame de l’un de ses poignards. Du sang provenait de ses doigts tailladés et s’écoulait sur ses draps. Que s’était-il passé ?
- Ha… Haniel, ça va ? lui demanda-t-il.
Son vis-à-vis hocha la tête, le regard toujours perdu dans le vide. L’hémorragie au niveau de son ventre semblait s’être arrêtée. La plaie devait être moins profonde qu’il ne l’avait craint au premier abord… Haniel frissonna puis tourna vers l’exorciste un regard brillant de larmes contenues.
- Je ne l’entends pas, chuchota-t-il. Quand je tiens ton arme, je ne l’entends pas. Ne me la prend pas, je t’en supplie…
Azaël avisa avec inquiétude l’état de ses mains. Comment était-ce possible ? Les lames de la Maîtresse du Fer ne pouvaient pourtant pas blesser les humains… Il y réfléchirait plus tard. Pour le moment, le plus important, c’était d’effacer la mémoire de Haniel et de décamper. Il ferait son rapport à Sengo une fois rentré. Lui, il saurait quoi faire, il prendrait les mesures nécessaires. Ce cas n’était pas dans ses cordes, même si cela lui faisait du mal de l’admettre. Il fit surgir sa deuxième arme et s’approcha du lycéen hanté. Ce dernier ne semblait plus avoir de forces et l’observait silencieusement. Lorsqu’Azaël tendit une main pour reprendre sa lame, il se raidit et recula en hochant négativement la tête, une supplique dans le regard. L’exorciste comprit qu’il serait plus simple de lui reprendre son poignard une fois qu’il lui aurait effacé la mémoire.
- Aednu, chuchota-t-il.
Il plaqua sa main contre le front de Haniel et attendit. Il n’avait assisté qu’à très peu de rituels d’effacement, mais il connaissait la procédure. Normalement, comme le processus était coûteux en énergie, sa cible ne devrait pas tarder à s’évanouir.
Sauf que rien ne se produisit. Lorsqu’Azaël retira sa main, l’élève possédé le regardait d’un drôle d’air. Bon sang, tous ces sorts seraient inefficaces ?
- Heu, Azaël… Je peux te poser une question ?
Le ton de Haniel était doux, voire amical. Rien à voir avec le jeune homme torturé et en colère de tout à l’heure. Même son visage semblait plus… serein ! L’exorciste fronça les sourcils, surpris par ce revirement de caractère.
- Au point où on en est, je t’en prie, grogna-t-il.
- Non, c’est juste que… Lorsque tu as dit ta formule bizarre tout à l’heure, tes yeux étaient devenus noirs. Et là, rien du tout…
- Quoi ?
L’exorciste se précipita dans la salle de bains. Les doigts serrés autour de son poignard, il planta son regard dans celui de son double glacé.
- Xeo, chuchota-t-il.
Ses yeux ne changèrent pas de couleur. Une sensation glaçante déferla dans ses veines. Que se passait-il, nom d’une goule ?!
- Hatfo ! clama-t-il.
Cette formule était censée renforcer les capacités musculaires. D’habitude, il se sentait parcouru d’une vague de chaleur lorsqu’il l’utilisait. Mais là… Le néant. Pas le moindre frisson, le moindre picotement. C’était comme s’il avait perdu… ses pouvoirs spirituels…
Une vague de panique déferla dans ses entrailles. Un sursaut vint entrechoquer ses os lorsque la sonnerie de son téléphone retentit. Il quitta la salle de bain d’un pas de condamné. Sur le lit, Haniel tenait toujours fermement son couteau. Il l’interrogea du regard, curieux, mais l’exorciste ne s’en aperçut même pas. Toute son attention était focalisée sur le portable qui vibrait sur le parquet. D’un geste lent, il le ramassa. Sur l’écran était inscrit le nom de Sengo Miko. Les doigts tremblants, il souleva le clapet puis porta l’appareil à son oreille.
- A… Allô ? bégaya-t-il.
- Azaël, tu as terminé ton exorcisme ?
Pour la première fois de sa vie, le jeune homme n’apprécia pas le caractère direct de son aîné. Bon sang, comme il aimerait suspendre le temps ! Le suspendre puis disparaître à l’intérieur d’un minuscule trou de souris !
Sa gorge était affreusement sèche. Il allait devoir lui dire. Qu’il avait surestimé ses capacités et qu’il s’était lancé bille en tête dans les ennuis. Sengo allait être affreusement déçu. Il imaginait déjà le mépris briller dans ses yeux. Cette idée seule le paralysait. Non… Il ne voulait pas tomber dans l’estime de celui qu’il considérait depuis toutes ces années comme son modèle !
Que devait-il faire ?
- Oui ! Il est terminé.
Mentir. C’était la seule solution qui s’offrait à lui. Il devait mentir et gagner du temps. Suffisamment de temps pour qu’il comprenne ce qu’il s’était produit et qu’il répare ses erreurs. Il devait trouver un moyen de récupérer ses pouvoirs. Mais comment faire… ?
- Parfait. J’envoie Noomi et Guillaume te récupérer. Voilà le scénario : ils vont se faire passer pour tes parents auprès de la direction de Sisoa et…
- Attends, Sengo ! J… Je… !
Il y eut un silence interrogateur au bout de la ligne. Azaël jeta un regard affolé à Haniel qui le lui rendit, ne parvenant à comprendre ce qui se déroulait. Le jeune homme couvrit le haut parleur de deux doigts puis se tourna vers le lycéen.
- Qu’est-ce que je fais, qu’est-ce que je lui raconte ?
- Mais je n’en sais rien ! s’indigna son interlocuteur.
- J’ai besoin de temps ! Au moins plusieurs jours !
Haniel fronça les sourcils.
- Heu, hé bien, tu n’as qu’à dire que tu veux rester étudier ici.
Azaël écarquilla les yeux. Devenir un lycéen ? Pour de vrai ? Non, pas du tout. Il s’agissait juste d’un sursis, afin qu’il puisse réparer ses erreurs. L’heure n’était pas à l’hésitation.
- Sengo !
- Oui, Azaël ?
La voix de son aîné était calme et apaisante. Cela lui tordait l’estomac de lui mentir. Mais il préférait ça à le décevoir…
- Sengo, j’aimerais rester un peu plus longtemps à Sisoa. J… Je me plais dans ce lycée !
De nouveau, le silence. Azaël cherchait une solution de secours, les rouages de son cerveau tournaient à toute allure. Il n’y avait aucune chance que cette demande insensée soit acceptée ! Il devait… !
- Très bien, je vais transmettre ta requête à mes grands-parents. Je te ferai parvenir leur réponse dès demain matin. Bonne soirée, Azaël.
Pardon ?
La tonalité se mit à résonner dans son oreille. Doucement, sans parvenir à comprendre ce qu’il venait de réellement se dérouler, l’exorciste referma le clapet de son téléphone. Puis il se tourna vers Haniel qui attendait patiemment la fin de sa conversation.
- J… J’aurai la réponse demain, balbutia-t-il.
Azaël Walker venait d’intégrer Sisoa.
Et il n’était pas au bout de ses surprises !
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– Édith Piaf s’est connectée –
Édith Piaf : Camarades, je dois vous avouer que la mission « récupération d’informations sur la vie d’Azaël Walker » est ardue. Le camarade Walker ne parle pas de lui et, surtout, il ne parle pas tout court ! Une vraie tombe !
Le Roi Léo : Pourtant, des secrets, il semble nous en cacher ! Nous ignorions qu’il avait un lien si fort avec le sans-secteur Amorth !
Kim Possible : Pourtant, depuis l’arrivée d’Azaël Walker, lui et Haniel Amorth ne sont entrés en contact que quatre fois. Et ce n’est seulement ce midi que le dialogue s’est engagé entre eux.
La Fée Morgane : Parfois, tu m’effraies…
Kim Possible : Dis celle qui n’a pas de compte Instagram !
La Fée Morgane : C’est si grave que ça ?
Kim Possible : À notre époque ? Extrêmement !
La Fée Morgane : Qui te dis que je n’ai pas un compte sous un autre nom ?
– Kim Possible s’est déconnecté –
La Fée Morgane : Ah, il est parti en chasse…
Le Roi Léo : En tout cas, je ne sais pas si on devrait laisser notre nouveau jouet s’abîmer entre les griffes du vilain sans-secteur. Ce n’est pas une personne fiable.
La Fée Morgane : Il est vrai que beaucoup de rumeurs pas jolies, jolies circulent à son sujet…
Édith Piaf : Il est de notre devoir de sauver le soldat Walker, camarades !
Bon, déjà on a gagné un sursis sur la durée pendant laquelle Azaël devra rester au lycée, c'est bien. L'exorcisme ne se passe pas bien, Azaël perd son fluide... Très bien, on a une intrigue solide qui se pose ici : la question du pourquoi les choses ont tourné ainsi et de quel genre de Whisperer hante Haniel.
Cependant, c'est évoqué très brièvement mais je me demande quelle est la pertinence de mentir à Sengo dans le cadre où il a perdu ses pouvoirs et théoriquement ne peut rien faire.
On verra comment ça évolue !
Mes remarques sur ce chapitre :
- "Il l’ignorait, mais il avait bien compris que cette situation le faisait atrocement souffrir." -> un peu lourd
- "Leur professeur leur parlait de l’Antiquité, une époque qui lui était inconnue. Au Clan, ils avaient des cours très basiques. Il avait appris des frises chronologiques qui retraçaient les grandes lignes de l’Histoire, mais ses connaissances étaient assez limitées." -> je m'interroge vraiment sur la difficulté de l'examen d'entrée à Sisoa.
- "Azaël ne saurait dire s’il était soulagé" -> n'aurait su dire
- "Puis l’exorciste sentit un frisson lever les poils de ses bras. En face de lui, Haniel venait de fermer les yeux, comme s’il luttait contre une force qui lui écrasait les épaules." -> Joli, mais la fin de phrase (qui lui écrasait...) est un peu lourde. Peut-être "luttait contre une force invisible"?
- "Mais, rien à faire, il ne parvenait à déceler le moindre noyau !" -> attention sur toute cette scène, tu enchaînes assez rapidement les points de vue d'Azaël et d'Haniel, ça peut prêter à confusion.
- "Lorsque tu as dit ta formule bizarre tout à l’heure, tes yeux étaient devenus noirs. Et là, rien du tout…" -> un détail vite remarqué quand même. Par ailleurs, Azaël semble donc avoir perdu ses pouvoirs au cours de l'exorcisme mal déroulé... Du coup, cette phrase me chiffonne "Il fit surgir sa deuxième arme" -> il semble qu'il a toujours des pouvoirs à cet instant.
- "Bon sang, comme il aimerait suspendre le temps" -> aurait aimé
- "Azaël Walker venait d’intégrer Sisoa.
Et il n’était pas au bout de ses surprises !" -> je ne suis pas sûre de cette chute. Elle me donne l'impression que tu ne savais pas comment terminer ton chapitre.
À bientôt :)
Quant au pourquoi Azaël a menti à Sengo, il ne supporte pas l'idée de le décevoir et veut régler la situation par lui-même :)