Azaël n’écoutait pas les personnes qui discutaient autour de lui. Son regard demeurait obstinément fixé sur son portable à clapet qui reposait dans le creux de sa paume. Il attendait. Son pouls résonnait douloureusement dans ses oreilles, si fort qu’il gommait tous les autres sons aux alentours. Il attendait, le cœur serré et les tripes en vrac. Nom d’une goule, il devait rappeler Sengo avant qu’il ne parle aux autres membres du Clan ! Il regrettait tellement de lui avoir menti ! Mais avait-il eu réellement le choix ? Une brève grimace contacta son visage. Bien sûr qu’il avait eu le choix ! Il aurait dû assumer ses erreurs au lieu de proférer une telle ânerie.
- Walker, es-tu d’accord ?
Le jeune homme eut un violent sursaut et releva brusquement la tête. Face à lui, le surveillant d’étage et le directeur de l’internat le regardaient intensément. Il déglutit. De quoi parlaient-ils, déjà ?
M. Panzen, l’infirmier, capta sa détresse. Il posa une main rassurante sur son épaule.
- Excusez-le, Walker est encore stressé par l’agression qu’il a subi la veille.
- C’est bien normal, approuva le directeur. C’est pourquoi je pense que le transférer chez les premières pourrait être une bonne idée.
- De plus, les étages des secondes est plein à craquer, ajouta le surveillant d’étage. Je n’ai pas réussi à lui trouver une place.
L’exorciste fronça les sourcils et tenta de retrouver le fil rouge de la conversation. Ah, oui ! L’infirmier était venu le trouver, il y a près d’une demi-heure, alors qu’il avait trouvé refuge dans sa chambre détruite, sous le choc du déroulement des derniers événements. Il l’avait entrainé à sa suite en lui assurant qu’ils allaient lui trouver une place où il pourrait dormir en sécurité.
- Par contre, avec qui pourrait-il loger ? marmonna le directeur en dardant son regard impénétrable sur l’adolescent. Il n’y a que des chambres doubles aux niveaux des premières.
- J’ai bien ma petite idée, annonça M. Panzen. Walker pourrait devenir le colocataire d’Amorth. Le second lit est vide depuis peu.
Amorth ? Azaël se raidit. Ah non ! S’il devait rester à Sisoa, il ne tenait pas à demeurer dans la même chambre que lui !
- Je ne sais pas si c’est réellement une bonne idée, grimaça le directeur. Amorth n’est pas du genre à copiner avec ses petits camarades. Si on introduit un élève de seconde dans sa chambre, il risque de mal le prendre…
- En fait, c’est lui-même qui m’a soufflé cette proposition, répondit l’infirmier avec un sourire poli.
Azaël écarquilla les yeux. Comment ça ? Que lui voulait Haniel ? Il n’avait aucunement envie de le découvrir. Au contact de ce garçon, Azaël découvrait un nouvel aspect de sa personnalité, une facette colérique et sombre qu’il n’appréciait pas. Il suffisait qu’il pense à ces yeux améthyste pour qu’un profond malaise le saisisse au niveau de la poitrine.
Malheureusement, son sort semblait irrémédiablement scellé…
- Oh, si la demande vient d’Amorth, alors c’est parfait ! se réjouit le directeur, visiblement soulagé d’avoir réglé cette épineuse question. Tu vas pouvoir dormir au calme, ce soir, Walker.
L’intéressé répondit par une grimace et se garda prudemment de toute réponse. En une poignée de main, le voilà devenu le colocataire du lycéen qui lui avait fait du chantage. Pour la première fois depuis bien des années, Azaël se surprit à s’apitoyer sur son sort. Il devait se ressaisir. Il allait comprendre ce qu’il s’était passé et récupérer ses pouvoirs. Et une fois que cela serait fait, il exorciserait pour de bon Haniel Amorth !
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- Ah, c’est toi, entre.
Haniel s’effaça pour laisser passer son nouveau colocataire. Ce dernier tenait dans ses bras un carton défraichi dans lequel il avait entassé le peu d’affaires qu’il possédait. Il jeta un regard peu avenant à son vis-à-vis puis entra dans ce qui allait désormais être leur chambre. L’exorciste se dirigea vers le lit libre, y déposa son carton puis s’y assit.
- Ma photo, réclama-t-il.
Haniel avait déjà déposé le cliché sur sa table de chevet. Azaël s’en empara avidement et le fit disparaître dans la poche intérieure de sa veste d’uniforme. Ensuite, comme si de rien n’était, il se mit à ranger ses vêtements. Haniel, depuis son propre matelas, l’observait, son sempiternelle casque rouge autour du cou. Il n’avait pas envie d’écouter de la musique, préférant goûter au silence. Dans l’une de ses mains, il tenait toujours l’un des couteaux de l’exorciste, refusant de s’en séparer. S’il lâchait cette arme magique, alors les immondes grouillements envahiraient de nouveau ses oreilles. Et ça, il ne pourrait pas le supporter une nouvelle fois.
Son regard se porta sur Azaël qui lissait du plat de la paume ses chemises déjà impeccables. Malgré son calme apparent, il le sentait nerveux. Était-ce à cause du fantôme qu’il abritait à l’intérieur de lui ? Comment l’avait-il appelé déjà ? Un… whisperer ?
- Hé ! l’interpella-t-il.
Azaël lui accorda une brève œillade, occupé à démanteler soigneusement son carton afin de le ranger sous son lit. Bon sang, ce type était d’une minutie.
- C’est quoi, un whisperer ? lui demanda Haniel, nullement découragé par son attitude.
Cela faisait des années qu’il se traînait cette bestiole dans la tête. Pour la première fois de sa vie, voilà qu’un type se pointait avec des réponses à ses centaines de questions ! Il ne laisserait pas passer cette opportunité. Il vit les épaules de son colocataire se raidir. Il semblait peu disposé à répondre à ses interrogations. Mais c’était mal connaître Haniel ; il était têtu comme une bourrique.
- Alors ? le relança-t-il. C’est q… ?
- Faisons un pacte, l’interrompit Azaël. Je te laisse ce couteau, en échange, tu me laisses tranquille. Ça me paraît honnête comme marché.
- Moi, non.
L’exorciste fit un mouvement vers l’arme, mais Haniel la cacha précipitamment dans son dos.
- Plutôt me l’enfoncer de nouveau dans le bide que d’entendre encore une fois cette putain de voix.
Il était sérieux. Très sérieux, même. Son interlocuteur dut le percevoir car il fit un pas en arrière en levant ses mains, comme pour lui montrer qu’il ne tenterait rien. Il se laissa tomber sur son lit, l’air mal à l’aise, désormais. Son visage revêche avait fondu comme neige au soleil.
- J… Je ne suis pas censé divulguer des informations de ce genre, expliqua-t-il maladroitement. Les whisperers ne sont connus que du Clan.
- Le Clan… C’est avec eux que tu bosses ? Avec ce Sengo, le gars du téléphone ?
- Heu, oui, c’est ça… On peut dire ça.
Azaël se mit à mordiller nerveusement sa lèvre inférieure puis passa un doigt dans l’élastique qui retenait ses cheveux roux pour jouer avec. Puis, brusquement, il se leva.
- Commençons par trouver une solution pour le couteau, déclara-t-il. Tu ne peux pas te balader dans l’école avec une arme blanche. C’est interdit par le règlement.
Le règlement ? Haniel n’eut pas le temps de s’étonner de l’étrangeté de la remarque de son camarade. Celui-ci venait de lui prendre le couteau des mains, aussi facilement que s’il venait de cueillir une fleur. Instantanément, les hurlements monstrueux déferlèrent dans ses oreilles. L’adolescent poussa un cri qui mourut dans un gémissement étranglé. Il se recroquevilla sur lui-même, les paupières serrées, les mains plaquées de chaque côté de son crâne. Ses ongles se plantèrent dans son cuir chevelu. Pas… encore !
Puis, aussi violemment qu’ils avaient émergé dans son esprit, les affreux gargouillis s’évanouirent. Le vide s’imposa dans sa tête. Ahanant, il fallut de longues secondes à Haniel pour que ses membres acceptent de se mouvoir de nouveau. Il leva son visage maculé de larmes vers Azaël. Ce dernier avait plaqué contre son front un petit pochon de tissu.
- Accroche ça autour de ton cou et garde-le sur ta peau.
Le lycéen s’en empara avidement sans poser de question. Il récupéra un vieux lacet d’une chaussure trouée qu’il gardait sous son lit et fit un solide nœud. Lorsque le pochon fut accroché autour de son cou, il sentit les battements effrénés de son cœur s’apaiser. À travers le tissu de sa chemise, il caressa son précieux talisman. Sous la pulpe de ses doigts, il pouvait déterminer les contours d’un petit objet… Un morceau de métal ?
- C’est un éclat du couteau, lui précisa l’exorciste, comme s’il lisait dans ses pensées. Je ne peux pas te laisser une arme… Mais je suppose qu’un fragment, ce n’est pas un réel… souci.
L’exorciste était en train de se recoiffer nerveusement. S’il s’était écouté, Haniel se serait levé pour le serrer dans ses bras. Mais il se contenta de marmonner un vague remerciement. Il se glissa sous sa couette et la rabattit sur lui. Il n’avait plus le moins du monde envie de discuter avec son nouveau colocataire. Dans son poing, il serrait le minuscule éclat. S’il perdait cet objet… Un frisson parcourut sa chair. Non, non, il ne le perdrait pas. Plus jamais, il n’aurait à entendre ces immondes chuchotements. C’était terminé, terminé, oui. Si cet exorciste de malheur changeait d’avis et tentait de le lui reprendre, il le tuerait. Et il savait, au fond de lui, qu’il en serait capable.
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Allongé sur le lit de sa nouvelle chambre, Azaël n’avait pas trouvé le sommeil de la nuit. Les yeux grands ouverts, il avait longuement écouté la respiration paisible de son colocataire. Ses pensées n’avaient cessé de vagabonder entre les lézardes du plafond et les néons jaunâtres. Dans le grand théâtre de son esprit, il avait rejoué une centaine de fois les événements de ces deux derniers jours. Il essayait de trouver des liens, des failles, quelque chose, n’importe quoi ! Tout le conduisait au second exorcisme. Lorsqu’il avait touché cette étrange matière qui avait surgi de la blessure de Haniel. Et s’il s’agissait du whisperer qui le hantait… ? Mais, d’abord, pourquoi le couteau de la Maîtresse de Fer avait-il blessé l’adolescent ? Ces armes étaient censées être inoffensives sur les humains… Pourtant, il les revoyait… Le sang sur le sol, la douleur dans les yeux du jeune homme.
Épuisé par des conjonctures qu’il trouvait toutes plus absurdes les unes que les autres, l’exorciste finit par s’assoupir à l’aube. Il eut la sensation n’avoir fermé les yeux qu’une minute lorsque le réveil de son colocataire fit résonner sa trille à travers leur chambre. N’étant pas dans ses habitudes de traînasser sous la couette, il s’extirpa de son lit et se dirigea vers la salle de bains pour se laver. Il découvrit dans la douche des vêtements roulés en boule et raidis par du sang séché. Sûrement la tenue que portait Haniel la veille lorsqu’il s’était poignardé. L’exorciste rassembla ses cheveux mi-longs et les attacha avec un élastique pour ensuite procéder à sa toilette au lavabo.
Il venait à peine d’enclencher la valve d’eau que son portable se mit à sonner. Le cœur battant, il se rua dessus.
- Azaël, bonjour, je te rappelle pour te donner notre réponse suite à ta requête.
- B… Bonjour, Sengo, balbutia le jeune homme.
- Nous sommes d’accord.
Azaël sentit son cœur rater un battement dans sa poitrine. Il dut s’appuyer contre le mur le plus proche, étourdi. Non… C’était définitivement un cauchemar… Inconscient de la panique de son interlocuteur Sengo poursuivit sa tirade :
- Bien sûr, le week-end, nous attendons à ce que tu reviennes afin que tu puisses poursuivre tes missions. Et si nous faisons face à des situations d’urgence, il est impératif que tu répondes présent. Je compte sur toi pour ne délaisser ni ton entrainement physique, ni tes exercices spirituels.
L’adolescent planta violemment ses dents dans sa lèvre inférieure. Il devait faire machine arrière. Maintenant !
- Merci, Sengo, je ne te décevrai pas !
Mais quel imbécile.
- Je n’en doute pas, répondit son modèle et Azaël devina un sourire dans sa voix. Je n’ai qu’un conseil à te donner.
- Oui ?
- Profite au maximum de cette expérience et engrange tout ce qui est possible d’apprendre. On se voit bientôt.
Sur ce, il raccrocha. Azaël demeura de longues secondes interdit, le portable vissé à l’oreille. Puis, avec des gestes lents, il rangea l’appareil avant d’achever de se préparer par automatisme. Lorsqu’il revint dans la chambre, Haniel était assis dans les draps, les cheveux en bataille et la marque de l’oreiller sur la joue. Il s’étira longuement, l’air surpris. Peut-être qu’il avait toujours du mal à croire qu’il n’entendait plus le whisperer.
- Oh, Azaël, bonjour, grogna-t-il. Déjà debout.
- Ils ont accepté.
- Quoi ?
- Ils ont accepté. Je reste à Sisoa.
Abattu par la nouvelle, l’adolescent songea un court instant à rappeler Sengo pour tout déballer. Mais il savait qu’il était trop embourbé dans ses mensonges pour s’en sortir aussi simplement. Il allait devoir faire face aux conséquences de ses actes et se débrouiller seul. Il saisit sa veste d’uniforme ainsi que son sac de cours. Il devait par n’importe quels moyens retrouver ses pouvoirs et exorciser le whisperer qui hantait Haniel. Il ne connaîtrait pas le repos avant qu’il ait accompli cette nouvelle mission.
Mais d’abord, il allait devoir affronter son professeur de mathématiques.
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La matinée s’écoula lentement, bien trop lentement au goût du jeune homme. Lors du déjeuner, Édith l’entraîna à sa suite pour qu’il mange avec elle et ses amis. Heureusement, ces derniers savaient parfaitement faire la conversation seuls, si bien que le lycéen eut le temps de réfléchir à ses prochaines actions. Dans sa situation, il ne pouvait plus pratiquer d’exorcismes. Comment maintenir l’illusion auprès du Clan ? Son regard se mit à vagabonder à travers le réfectoire et s’arrêta sur la petite table qu’il partageait la veille avec son nouveau camarade de chambrée. Une pensée le traversa alors. Et s’il n’avait non pas perdu ses pouvoirs, mais transféré d’une certaine manière à Haniel ? Après tout, ils avaient touché en même temps le filament d’ombre…
- C’est une possibilité à étudier, marmotta-t-il.
- Ah, vous voyez, le camarade Walker est d’accord avec moi !
L’exorciste sursauta. Il avait oublié où il se trouvait. Édith lui offrit un large sourire solaire. Elle passa ses doigts graciles dans cheveux noirs tressés et piqués de fleurs en papier. À ses côtés, Léo poussa un soupir désabusé.
- Non, Édith, ne noie pas la peau de l’ours avant d’avoir acheté ton trident. Tu ne sais même pas ce qu’approuve Azaël !
- Mais pourquoi il n’approuverait pas ma superbe idée ! s’indigna la jeune fille. Camarade Walker, voyons, un peu de bon sens !
- Édith, intervint avec douceur Morgane, je vais me répéter, mais vraiment, je ne pense pas que voler la perruque de la dame de l’accueil soit une bonne idée.
- Mais c’est un postiche d’une telle qualité ! Si je m’en sers correctement, je peux en tirer de très bonnes cordes !
Les quatre amis partirent dans un nouveau débat enflammé. Azaël, stupéfait, les écoutait dorénavant attentivement. Au Clan, les repas étaient si silencieux. Jusque-là perdu dans ses pensées noires, il n’avait pas prêté attention à ce qu’il se passait autour de lui, mais c’était plutôt… intéressant. Tous à cette table possédaient des personnalités fortes et des avis bien trempés, si bien qu’aucun d’entre eux ne voulait lâcher l’affaire. Et pourtant, alors qu’ils se disputaient dorénavant à propos d’une certaine émission télévisée, ils semblaient apprécier leur temps ensemble.
- Arrêtez tout ! s’exclama soudain la voix robotique de Kim. Walker est en train de sourire !
Tous se tournèrent vers le pauvre exorciste qui ne comprenait pas ce qu’il se passait. Édith dégaina son téléphone portable à la vitesse de l’éclair pour le photographier. Un grognement contrarié s’extirpa de sa gorge.
- Trop tard !
- Tu as sûrement raté une occasion unique ! s’exclama Léo avec emphase. Notre oisillon qui sourit, on aura tout vu !
L’intéressé fronça les sourcils, ayant la singulière impression qu’on se moquait de lui. D’ailleurs, la tablée entière éclata soudainement de rire. La main de Morgane se posa sur l’épaule de l’exorciste.
- Ne t’en fais pas, on ne se fiche pas de toi, le rassura-t-elle. C’est juste que ça ne fait que trois jours qu’on te connaît et tu as toujours un air si sérieux. Forcément, ça nous donne envie d’un peu… te taquiner.
Elle accompagna sa tirade d’un clin d’œil. La sonnerie fit soudain retentir ses cloches au-dessus de leur tête. L’heure du déjeuner était terminée, il était temps de retourner en classe. Tous s’empressèrent de finir leur assiette et l’incident fut clos.
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Lorsque Haniel était retourné dans sa chambre après sa journée de cours, il avait trouvé un mot sur son oreiller qui lui donnait rendez-vous à l’étage du secteur « Sport » dans la tour des premières. Il n’en fut pas particulièrement surpris. Il arrivait souvent à ses camarades de classe d’avoir recours à ce genre de stratagèmes. En général, c’était pour le menacer et lui ordonner de quitter Sisoa. Il avait l’habitude, en soi.
Alors, sans un regard en arrière, il quitta sa chambre. Alors qu’il marchait, il chaussa sur ses oreilles son casque rouge. Il fit défiler sur son ipod quelques pistes avant de s’arrêter finalement sur « Let Me Down Slowly » d’Alec Benjamin. Heureusement qu’il l’avait retrouvé, après avoir fui Azaël… Les douces notes liquides envahirent ses oreilles remplies de vide et coulèrent directement dans son cerveau pour l’immerger dans une sorte de mer sirupeuse. Toute la journée, il avait résisté à la tentation. C’était tellement nouveau pour lui, de pouvoir entendre les sons autour de lui distinctement. Il avait presque l’impression de ne plus… être lui-même. Sa colère, compagne fidèle qui l’avait porté durant des années dans ses pires moments, étaient maintenant aux abonnés absents. Sans elle, il se sentait si démuni… Si seul.
Il emprunta l’ascenseur « Sport ». Dans le hall de cet immense gymnase, il reconnut la silhouette désormais familière de son colocataire. Celui-ci l’attendait, planté devant le plan plastifié de l’étage, bras croisés, visage fermé. Curieusement, le voir dans cette posture lui fit un pincement au cœur. Il n’y avait qu’une personne au monde qui savait par quoi il était passé, et cette même personne l’avait convoqué dans un lieu à l’écart des regards. Qu’allait-il lui faire ? Le tabasser ?
Azaël s’avança rapidement jusqu’à sa hauteur.
- Haniel, j’ai besoin de ton aide !
Le jeune homme haussa les sourcils. Alors celle-là, on ne le lui avait jamais faite… Il tâcha de ne pas faire apparaître son trouble sur son visage.
- Mon… aide ? répéta-t-il.
- Oui. Ton aide. Haniel, je pense que tu as absorbé mes pouvoirs spirituels !
Au moins, il n’y allait pas quatre chemins, une qualité appréciable. Mais, qu’est-ce qu’il voulait foutrement dire par là… ? Azaël fit surgir un couteau entre ses doigts et le lui tendit. Sans hésiter, le lycéen s’en saisit. Ses armes exerçaient sur lui une sorte de pouvoir attractif irrépressible. Ce n’étaient pas de simples morceaux de métal à ses yeux, il les voyait plutôt… comme des alliés.
- Ne le lâche surtout pas, lui ordonna l’exorciste en enveloppant son poing armé avec sa propre main.
- Oh, attends ! Qu’est-ce que tu essaies de me faire faire ?
- Tu voulais en savoir plus sur les whisperers, non ? C’est l’heure des réponses, Haniel.
- Att… !
- Xeo !
Haniel tenta de se dégager, mais c’était trop tard, le sort avait déjà agi. En une fraction de seconde, le monde s’effaça, comme si un rideau de velours noir s’était abattu sur l’horizon. Le lycéen poussa un hoquet de stupeur alors qu’une vague glaciale parcourait ses os et ses entrailles. Puis, dans une violente explosion de lumière, il le vit. Replié sur lui-même comme un abominable fœtus drapé d’ombres organiques, le whisperer qui le hantait depuis sa tendre enfance. Il avait un aspect humanoïde, mais ses mains étaient armées d’immenses griffes et ses jambes longilignes étaient terminées par des pattes de reptiles. Son visage était replié contre sa poitrine rachitique. Deux cornes torsadées sortaient de son crâne. Son corps avait un aspect inconsistant… ectoplasmique. Il semblait composé d’ombres vivantes qui se mouvaient doucement.
Le whisperer flottait près de lui, immobile, comme… mort. Mais les battements de son cœur résonnaient avec force dans ses oreilles, pareils à un roulement de percussions. L’adolescent s’examina à son tour. Ses mains étaient gantées d’une étrange matière sombre. Semblables à des flammes, ses doigts se décomposaient en particules qui le reliaient à l’étrange créature.
Alors c’était lui… son plus grand ennemi…
- Incroyable…
Le murmure d’Azaël l’arracha à sa contemplation. Il se tenait à ses côtés, la main toujours nouée autour de la sienne. Il était nimbé d’un halo de lumière blanchâtre, comme un ange descendu dans les tréfonds des Enfers. Ses yeux étaient rivés sur le whisperer.
- Je n’en avais jamais vu un… sous sa forme pure, avoua-t-il dans un rire nerveux. Il est… terrifiant…
Haniel se dégagea de sa poigne d’un brusque revers de main. Dans un même geste, il lâcha le poignard qui rebondit sur le sol en lino. Le charme se rompit instantanément et les lycéens furent de retour à Sisoa. Sans laisser le temps à Azaël de réagir, Haniel le saisit par le col et le plaqua contre le mur le plus proche. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, ses oreilles sifflaient et son souffle était erratique. Bon sang, il tremblait comme une feuille !
- Écoute-moi bien, exorciste de mes deux. Je ne suis pas ton rat de laboratoire ! J’ignore ce que tu veux de moi, mais je ne marche pas !
- Oh, désolé, je me suis laissé emporter…
Sans aucune difficulté, Azaël se libéra. Il fit glisser ses bras entre ceux de son adversaire et les écarta brusquement pour l’obliger à le lâcher. Puis, d’un mouvement de jambe, il le fit chuter sur le sol. Haniel poussa un grognement de douleur et s’assit sur les fesses, le regard assassin. L’exorciste semblait mal à l’aise, comme s’il ne savait comment procéder. Finalement, ses épaules s’affaissèrent et il se laissa tomber sur le lino en face de son colocataire.
- Désolé, marmonna-t-il. Je voulais vérifier que tu avais bien absorbé mes pouvoirs avant de poursuivre notre conversation.
- Tu aurais pu prévenir, enflure ! Je te rappelle qu’hier encore, j’ignorais que ce genre de bestiole existait !
L’image du whisperer était comme imprimée au fer rouge à l’intérieur de sa rétine. Une sueur froide poissait ses reins. Merde… Il crevait de peur.
- Il faut que tu me l’enlèves, gémit-il en prenant sa tête entre ses mains. Je n’en veux pas, enlève-le !
- Je le ferai, promit solennellement Azaël. Mais, comme je te l’ai dit, je vais avoir besoin de ton aide pour ça.
- Comment ça ?
L’exorciste hésita, comme s’il pesait le poids de ses mots.
- Je vais t’apprendre à te défendre contre les whisperers.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne comprends pas ce qui nous arrive, Haniel et j’ai besoin de temps pour effectuer des recherches. Le problème, c’est que, si le Clan se rend compte de notre situation…
- Ils exigeront que tu rentres, devina le lycéen. Et moi, qu’est-ce que je deviendrais ?
L’exorciste défit sa petite queue de cheval, le regard fuyant.
- Ils… Je ne pense pas qu’ils te laisseraient en liberté… Tu es un cas unique, Haniel. Et ça… Ça leur ferait peur.
- Alors ils me tueraient… n’est-ce pas ?
Azaël tressaillit, mais acquiesça. Haniel sentit son cœur sombrer dans sa poitrine. Alors qu’il avait enfin acquis un semblant de liberté… Non, c’était totalement injuste ! Il ne laisserait pas de parfaits inconnus décider de son sort !
- OK, concéda-t-il. Je dois faire quoi ?
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– La Fée Morgane s’est connectée –
La Fée Morgane : Hé bien, il n’y a que toi, ce soir ?
Kim Possible : Oui, Léonard avait une soudaine inspiration pour une peinture et Édith a volé une scie musicale dans le bâtiment des premières. Elle est partie s’entraîner sur le toit.
La Fée Morgane : Je vois. Ça tombe bien, je voulais te demander quelque chose, Kim.
Kim Possible : Moi aussi ! La cicatrice au-dessus de son sourcil, c’est vraiment ton chat qui te l’a faite ?
La Fée Morgane : Non, c’est mon frère qui s’est loupé lors d’un lancé de couteau.
Kim Possible : Je l’ajoute à la liste des possibilités.
La Fée Morgane : Plus sérieusement, Kim, je sais que tu n’as pas rien découvert sur Azaël Walker.
Kim Possible : …
La Fée Morgane : Alors, et si tu me racontais ce que tu savais ?
Je viens de finir les chapitre 5 et 6 et je dois dire que je me laisse vraiment happer par l'histoire. J'accroche énormément au fait de suivre les deux pdv de Azael et Haniel de manière égale. De plus l'histoire évolue et les deux personnages se retrouvent liés l'un à l'autre, forcés de coopérer et ca c'est top!
Petite question cependant: Je n'ai pas vraiment compris comment Haniel s'est blessé avec le couteau. Sa blessure a-t-elle tout simplement disparue? Il semble pourtant qu'elle était bien réelle vu qu'Azael a vu les habits plein de sang dans la salle de bains. Est-ce qu'il a eu besoin de soins, aura-t-il une cicatrice? Enfin je crois que n'ai pas tout à fait saisi.
Sur ce je passe au chapitre suivant !
À la lecture de celui-ci, je ne peux pas m'empêcher de me demande si ton personnage principal est bien identifié. Il semble que ça soit Azaël au départ, mais au fil qu'on avance dans l'histoire, j'ai le sentiment qu'Haniel porte davantage ce rôle. C'est simplement une réflexion que je te partage, on va voir comment ça évolue ensuite !
Sinon chapitre intéressant même si je te reprocherais bien quelques facilités scénaristiques (détaillé plus bas). Le passage où on découvre le Whisperer est sympa, très visuel et c'est un peu le clou du spectacle ici.
Et le chat est cool à la fin. Les élèves vont donc commencer à percer quelques mystères au sujet d'Azaël...
Remarques :
- "Une brève grimace contacta son visage" -> contracta* je suppose.
- "l’agression qu’il a subi la veille" -> en narration, on va va plutôt utiliser "la veille" mais sur un dialogue, "hier" serait plus fluide.
- "le transférer chez les premières" -> à mon avis, c'est un peu une facilité scénaristique pour le rapprocher d'Haniel. Peut-être t'aies-tu compliqué la vie en choisissant des dortoirs par niveau.
- "Que lui voulait Haniel ?" -> ça semble évident, non ? Avec tout ce qui vient de se passer.
- "son sort semblait irrémédiablement scellé" -> mais il n'a même pas essayé de protester.
- "Haniel (...) n’avait pas envie d’écouter de la musique, préférant goûter au silence." -> ici encore on saute d'un point de vue à l'autre. C'est un peu étrange, on est pas tout à fait sur du point de vue externe parce que majoritairement avec Azaël et pas sur de l'interne non plus parce qu'Haniel de temps à autre, mais sans coupure nette.
- "le week-end, nous attendons à ce que tu reviennes" -> la supercherie ne va pas tenir bien longtemps dans ce cas ! Si dès le week-end ils s'aperçoivent qu'il n'a plus de pouvoirs.
- "Une pensée le traversa alors. Et s’il n’avait non pas perdu ses pouvoirs, mais transféré d’une certaine manière à Haniel ?" -> si tel est le cas, je te conseille vraiment de l'amener différemment. Une action qui révèlerait ces pouvoirs chez Haniel peut-être. Là, j'ai le sentiment que tu donnes la solution avant d'avoir posé l'énigme.
- "c’était plutôt… intéressant. Tous à cette table possédaient des personnalités fortes et des avis bien trempés" -> peut-être serait-il mieux d'inclure le dialogue pour ton lecteur ?
À bientôt !