Exorcisme dix-huit : Dure semaine pour Azaël Walker

Par Ascal
  • Azaël Walker, de la 2de 8 !

Ce mercredi matin, deux chemises noires se présentèrent au réfectoire à la table d’Azaël et de ses amis en plein petit-déjeuner. Autour d’eux, les conversations s’étaient tues. Toujours prompt à soutenir leur prochain, Édith, Kim, Morgane et Léo s’éparpillèrent dans la cantine plus vite qu’une volée de moineaux sous adrénaline. Demeuré seul, l’exorciste déposa soigneusement sa tartine d’œufs brouillés dans un coin de son assiette et enleva la serviette qu’il avait coincé dans le col de sa chemise. Quand il eût achevé de la plier, il consentit à accorder son attention à ses visiteurs.

  • Phineas Cixi exige de te voir dans le bureau du conseil des élèves. Maintenant.
  • Si Phineas veut me parler, il n’a qu’à venir me voir en personne, répliqua l’intéressé.

En vérité, le jeune homme était d’une humeur exécrable. Si ses amis avaient fui la tablée, ce n’était pas parce qu’ils ne souhaitaient pas affronter les chemises noires. Mais parce qu’ils n’avaient pas envie d’être les témoins de ce qui risquait d’être une joute verbale sans fin.

Azaël avait fini par demander le numéro de téléphone de son colocataire à Édith afin de lui-même venir aux nouvelles. Mais non seulement Haniel ne lui répondait pas, mais il ne lisait aucun de ses messages. L’inquiétude avait donc fini par céder le pas à de la colère. Rien que d’y penser, les nuages noirs qui s’accumulaient dans son cerveau recommençaient à tournoyer. Ses ongles se mirent à gratter le bandage de sa main qui dissimulaient la brûlure à l’acide du whisperer.

Les chemises noires lui jetèrent un regard courroucé.

  • Ce n’est pas un jeu, Walker, cracha l’un d’entre eux, le visage empourpré. C’est une convocation, émise par le président du conseil des élèves en personne. Tu n’as pas d’autre choix que d’y répondre.
  • Je ne suis pas sous les ordres d’un terminale gonflé d’orgueil qui pense avoir autorité sur des lycéens sous prétexte d’une popularité éphémère.

L’exorciste acheva son thé d’une traite puis se leva en claquant ses paumes sur le plateau de la table, faisant sursauter ses deux interlocuteurs.

  • Je ne veux pas faire partie de votre jeu de hiérarchie sortie tout droit d’un délire médiéval. Et si Phienas a un problème avec ça, je suis tout ouïe.

Sur ces mots, l’exorciste ramassa son sac et planta là les chemises noires. Il avait la singulière sensation d’étouffer, comme si ses vêtements étaient un carcan d’angoisses. Il gagna sa salle de classe et chercha à ouvrir la porte, mais celle-ci était verrouillée. Surpris, le jeune homme consulta sa montre à gousset. Ah, les cours ne commençaient que dans une demi-heure. Il poussa un soupir. Quelle sale histoire…

  • Walker !

Mais, bon sang, pourquoi tout le monde cherchait à lui faire la conversation, ce matin ? L’exorciste leva les yeux de mauvaise grâce vers son nouvel interlocuteur et fut surpris de constater qu’il s’agissait de Phineas en personne. On dirait que sa Majesté avait accepté de descendre de sa tour d’ivoire.

Le roi des chemises noires se planta devant lui, mains sur les hanches. Les paillettes qui décoraient ses cheveux accrochaient la lumière crue des néons. Son regard était ombrageux et il serrait dans son poing le médaillon qu’il contemplait avec nostalgie la dernière fois qu’Azaël l’avait espionné dans le bureau du conseil des élèves.

  • C’est encore son père ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

La voix de Phineas était sincèrement soucieuse. Les filaments rouges qui emprisonnaient le cerveau de l’exorciste semblèrent alors enfin se dénouer et ses épaules s’affaissèrent légèrement.

  • J… je ne sais pas de quoi tu parles, bredouilla-t-il, pris au dépourvu.

Phineas poussa un soupir. Nerveusement, il frotta le coin de son œil, effaçant sans le vouloir une partie de son eyeliner métallique.

  • J’ai entendu dire que tu étais chez Haniel ce week-end, expliqua-t-il d’une voix douce. Et depuis lundi, il est noté absent.
  • Et tu… t’inquiètes pour lui ?

Azaël haussa un sourcil, peu convaincu par le numéro du jeune homme. Ce dernier se mit à tripoter son médaillon.

  • Je vois bien que tu n’y crois pas, mais, oui, je m’inquiète pour lui. Haniel et moi avons été proches au collège. Et je connais sa famille.
  • Oh…

Voilà une information inattendue. Haniel et Phineas avaient été amis par le passé ? Mais, aujourd’hui, ils se détestaient ! Qu’avait-il bien pu se produire… ?

Phineas croisa les bras au niveau de son ventre tout en mordillant l’intérieur de la joue.

  • Au collège, lorsque Haniel s’absentait comme ça, c’était parce que son père le punissait, expliqua-t-il. Sinon, il était toujours présent en classe, même lorsqu’il… avait ses crises.
  • Ses crises ?
  • Ouais, il disait qu’il avait l’impression d’avoir des insectes dans la tête. Il pouvait parfois passer des heures à crier.

Un frisson traversa le président du conseil des élèves. Il fronça les sourcils, comme s’il se rappelait soudainement où il était et en présence de qui.

  • Bref, ce n’est pas la question. Tu sais quelque chose ou non, Walker ?

Azaël hocha négativement la tête. Phineas n’eut pas l’air d’y croire, mais il n’insista pas.

  • Très bien, je me renseignerai moi-même. Oh, avant que je parte, j’ai cru voir que tu étais ami avec Morgane Glinda et sa bande.
  • C’est vrai, oui…
  • Ne les laisse pas t’entraîner dans des problèmes. Ce sont des secondes qui aiment attirer l’attention sur eux.

Son regard en disait long. Il savait. Il savait que c’était eux qui avaient pénétré le bureau des élèves en pleine nuit afin de récupérer des objets confisqués. Phineas lui adressa un sourire de requin puis s’en alla de son pas léger.

L’exorciste se mit de nouveau à gratter son bandage. Les cloches perchées au sommet de la tour centrale de Sisoa se mirent à sonner à toute volée, indiquant aux lycéens que leurs premiers cours allaient débuter. Le couloir se remplit rapidement de personnes et de voix. Édith rejoignit Azaël tout en dansant. L’exorciste l’observa avec amusement. Aujourd’hui, ses cheveux étaient frisés comme de la laine de mouton. C’était adorable.

  • Tu n’as pas peur d’abîmer tes cheveux avec toutes ces coiffures ? questionna-t-il alors qu’ils s’installaient en français.
  • Oh, te ferais-tu du soucis, camarade Walker ? C’est ta semaine des inquiétudes, on dirait ! Ne t’en fais pas, va, mes cheveux et Haniel vont bien.

Sur ce, la professeure se lança dans une leçon sur la poésie et la musicienne se désintéressa de son voisin de table. Le français était l’une des matières les plus obscures aux yeux d’Azaël, mais c’était à peu près la seule à laquelle la jeune fille, elle, prêtait réellement attention. Elle disait qu’étudier la littérature était un excellent moyen d’apprendre à jouer avec les mots. Les écrivains savaient enchanter le quotidien simplement en assemblant des lettres qu’ils magnifiaient de leurs plumes. Elle s’en inspirait pour écrire ses propres chansons.

L’exorciste, lui, ne comprenait toujours pas la différence entre une asyndète et un zeugma, alors bon…

Il fit tourner son style entre ses doigts, l’esprit ailleurs. Vivement, vivement que cette semaine se termine. Dès qu’il le pourrait, il irait voir Haniel, c’était décidé. Il espérait bien sûr qu’il soit de retour avant, mais si samedi, ce n’était pas le cas, il irait sonner chez lui.

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  • Bon sang, j’espère vraiment qu’Azaël ne va pas se pointer…

Haniel sursauta quand il entendit un pas lourd dans le couloir et il vérifia rapidement que le loquet de la salle de bains était bien tiré. Il poussa un discret soupir de soulagement puis reporta son attention sur le miroir. Son œil était en train de lentement dégonfler. Quel idiot…

Il fit couler de l’eau entre ses mains afin de se laver le visage. Il n’avait pas envie qu’on le voie dans cet état au lycée. Il avait une réputation affreuse, il ne tenait pas à ce que, en plus, on le prenne pour un délinquant. Déjà que le bandage à sa main n’était pas très discret…

La sonnette de l’appartement retentit. Le jeune homme se tendit. Pourvu que ce ne soit pas Azaël. Son comportement de la dernière fois lui avait déjà suffisamment foutu la trouille.

  • Camarade Amorth, tu es en vie là-dedans ?

Cette voix ! Le lycéen coupa l’eau, à peine surpris. C’était déjà la deuxième fois cette semaine qu’Édith faisait le mur pour lui rendre visite. Et on était que jeudi !

Derrière la porte, il trouva la musicienne, accompagnée de sa petite sœur, accrochée à sa jambe comme un singe. Lorsqu’il sortit enfin de la salle de bains, Milagro se détacha d’Édith pour se jeter entre ses bras. Son amie déposa son sac par terre et se pencha en avant pour examiner son visage.

  • Bien, le cocard dégonfle, c’est une bonne chose et les égratignures sur tes joues sont en voie de guérison. Et la bosse à l’arrière de ta tête ?
  • Elle ne m’élance presque plus.
  • Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée, répéta pour la énième fois la fillette contre sa poitrine d’un ton boudeur.
  • Oui, oui, je sais…

Haniel embrassa son crâne avec affection avant de pousser les deux filles vers le salon. Lorsque Jeanne les vit débarquer, elle se leva et s’empressa de gagner sa chambre, la tête baissée, le regard furieux. Aucun des trois n’y prêta attention.

  • Asseyez-vous, tous les deux, j’ai ramené de quoi faire des chocolats chauds incroyables, déclara Édith avec un immense sourire.
  • Mais il fait chaud ! protesta Milagro.
  • Oh, tu n’en veux pas, mini camarade ?
  • Si !
  • Viens m’aider à casser les plaquettes de chocolat, alors.

Ravie, la fillette courut dans la cuisine alors que son grand frère s’installait à la table de la salle à manger. Il fit craquer sa cheville dans une grimace. Il ne s’était vraiment pas loupé… Comme quoi, il avait encore besoin d’entraînement. Si seulement il avait pris un peu plus d’élan, il aurait atteint l’arbre, il en était certain.

Le jeune homme jeta un coup d’œil à son portable. Aujourd’hui encore, des appels manqués d’Azaël.

  • Tu devrais lui répondre, fit remarquer Édith en s’installant en face de lui. Il est vraiment inquiet.
  • Je le vois bien… C’est juste que je ne sais pas quoi lui dire.

La musicienne poussa vers lui une tasse fumante qui débordait de chantilly et de guimauves. Haniel parvint à lui adresser un sourire, mais il était loin d’être un bec sucré. Milagro, elle, attaqua avec plaisir sa boisson. Au bout de quelques secondes, elle parvint à se mettre de la crème sur le nez, ce qui fit rire aux éclats Édith.

  • J’ai toujours rêvé d’avoir une petite sœur, avoua celle-ci rêveusement tout en tendant une serviette à la fillette.
  • Tu as un frère ? la questionna Milagro, curieuse.
  • Non, en fait, j’ai deux grandes sœurs. Elles sont toutes les deux très intelligentes. Alors, comme moi je suis un peu sotte, elles font comme si je n’existais pas.
  • Oh, c’est triste.
  • Pas tant que ça. J’y suis habituée, en fait.
  • Avoir un frère, c’est trop bien. Mais j’aurais bien aimé avoir une sœur, aussi. Comme ça, j’aurais pu lui parler de mon amoureux.
  • Tu as un amoureux ? s’étrangla Haniel.
  • Ça ne te regarde pas, je parle à Édith.

L’intéressée se mit de nouveau à rire. Milagro et elle se mirent à bavarder joyeusement. Dire que lundi, lorsqu’Édith s’était présentée à leur porte, la fillette n’avait même pas osé la faire entrer. La musicienne avait dû argumenter de longues minutes avant de pouvoir pénétrer dans l’appartement. Puis elle était allée secouer Haniel qui était resté prostré dans son lit toute la journée et l’avait obligé à se lever pour manger.

Depuis dimanche, Hugues et Jeanne avaient décidé qu’il n’existait plus. Ils ne lui prêtaient pas déjà beaucoup attention, mais maintenant, il était carrément devenu un fantôme à leurs yeux. Ils ne l’avaient pas mis à la porte, et Haniel savait que c’était juste parce qu’ils craignaient que des rumeurs se répandent dans leur paroisse. Et finalement, cet arrangement tacite lui convenait. Si seulement il n’était pas raté de ce foutu arbre, tout irait bien. En même temps, si ses parents n’avaient pas confisqué définitivement ses clés, il n’aurait pas eu besoin de passer par la fenêtre de sa chambre pour essayer de sortir… Heureusement que Milagro l’avait trouvé rapidement. Il avait eu beau n’avoir chuté que d’un étage, il s’était quand même bien abîmé !

  • Camarade Amorth, reviens parmi nous ! l’interpella joyeusement Édith. On doit encore s’entraîner pour la semaine prochaine.
  • Oh, oui, désolé, je rêvassais. Allons-y.

Ils se levèrent pour se rendre dans la chambre du lycéen. Lors de son passage lundi, la musicienne avait apporté sa guitare et la lui avait laissée pour qu’il puisse s’entraîner jusqu’à son retour à Sisoa. Édith s’installa sur le bureau, l’instrument posé sur ses cuisses afin de gratter quelques notes.

  • Ta sœur est vraiment adorable. Prend soin d’elle.
  • C’est ma petite sœur, rétorqua Haniel dans un grognement. Bien sûr que je prends soin d’elle.
  • C’est ce que je voulais entendre.

La jeune fille extirpa de son sac à dos un cahier qu’elle jeta à son ami.

  • Et maintenant, au boulot !

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  • Vous êtes prêts ? Retournez vos sujets, vous avez une heure.

Azaël s’exécuta, l’esprit ailleurs. Il tenta bien de se concentrer sur son examen, mais ses pensées ne cessaient de s’entortiller sur elles-mêmes. Il fut tenté de plonger sa main dans son sac afin de consulter pour la centième fois son portable. On était vendredi après-midi. Et il n’avait pas eu un seul texto de Haniel. L’inquiétude le rongeait comme de l’acide. Édith avait beau lui assurer que tout allait bien et que son colocataire reviendrait bientôt, il avait du mal à la croire. Et si, à cause de lui, Hugues décidait de retirer Haniel du lycée ?

  • Yeux sur votre feuille, Walker !

L’exorciste songea que s’il avait assez de tripes pour aller à l’encontre des règles sans craindre que son comportement soit rapporté au Clan, il quitterait cette classe immédiatement. Il défit sa queue de cheval et enfouit sa main dans ses cheveux roux. Il fallait qu’il trouve un moyen de sortir d’ici, il ne tenait plus en place !

Sa bonne étoile devait tendre l’oreille car l’impossible se produisit alors : son vœu se réalisa. Tout à coup, l’alarme incendie se mit à mugir dans tout l’établissement. Les élèves dardèrent leurs regards sur leur professeur, pour savoir s’ils avaient affaire à un autre exercice ou à un feu réel. Et ils eurent immédiatement leur réponse lorsqu’ils virent son front luire sous un voile de sueur.

La menace était bel et bien présente.

Dès lors, ce fut le chaos. Il suffit que trois lancent le mouvement pour que la peur contamine tous les autres. Les lycéens se jetèrent dehors et se mirent à courir à toute jambes, ignorant les cris de rappel à l’ordre de leur professeur. Les couloirs résonnèrent bientôt de cris et de pas pressés. Partout, on se bousculait, on se marchait dessus pour atteindre au plus vite les portes de sortie. Entraîné malgré lui dans la débandade, Azaël fut très vite séparé d’Édith. Incapable de lutter contre le mouvement de foule, il trouva projeté dans des couloirs qu’il ne connaissait pas. La terreur gonflait dans toutes les poitrines et occultaient la raison de chacun. Lorsqu’un élève cria avoir aperçu de la fumée, ce fut l’hystérie.

L’exorciste fut bien tenté de rebrousser chemin, de s’éloigner des autres, mais il n’y parvenait pas. Une main ferme se referma soudain sur son poignet pour le tirer à sa suite. Il chercha d’abord à lutter, mais les doigts étaient solidement accrochés à lui. Qui était-ce ? Encore une chemise noire qui faisait le sale travail de sa Majesté ? C’est alors qu’il se rendit compte que celui qui l’entraînait loin de la foule ne portait pas leur uniforme, mais de larges vêtements noirs. Ses manches étaient roulées jusqu’à ses coudes, laissant à l’air libre ses bras tannés par le soleil. Et à son poignet gauche, il y avait un bracelet composé d’un long lacet de cuir et orné d’une perle bleue. Un bijou qu’Azaël connaissait très bien puisque c’était lui qui l’avait fabriqué.

  • Himi ? s’étrangla-t-il.

La jeune fille aux cheveux azur jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Ses yeux vairons, bleu et noir, transpercèrent l’adolescent de part en part. L’exorciste cessa instantanément de lutter. Il ignorait pourquoi son amie était là, en quoi elle était liée au déclenchement de l’alarme incendie et il s’en fichait. Tout ce qui comptait, c’était sa présence.

Ils coururent vers la sortie et gagnèrent le parc. Alors que les lycéens tentaient de se rassembler par classe, Himi entraîna son ami vers les grilles du campus. Elle récupéra lestement un sac qu’elle avait dissimulé dans les buissons et grimpa sans aucune difficulté par-dessus le portail. Sans hésiter, Azaël suivit son mouvement. Ils cavalèrent le long de l’avenue jusqu’au premier tramway venu. Ils sautèrent dedans sans même vérifier sa destination puis se laissèrent tomber dans les sièges, à bout de souffle.

Le lycéen avait l’impression qu’une fée avait usé de son plumeau pour décrasser son cerveau de toute la poussière qui l’enrayait. Les couleurs paraissaient plus brillantes, les sourires plus enchanteurs. Himi Keeper était de retour.

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Encore ce rêve.

Encore cette plage et cet océan bouillant aux vapeurs toxiques. Haniel éprouvait la même sensation. Un appel irrépressible. Il voulait plonger dans l’eau et s’y dissoudre. Cesser d’exister.

Des murmures. La langue lui était inconnue. Mais la voix emplissait l’atmosphère. Elle se faisait pressante, inquiète. Le jeune homme porta les mains à ses oreilles. Ça recommençait ! Il voulut saisir le pochon dans lequel il avait enfermé le fragment de couteau, mais il ne portait rien autour de son cou. Où était son talisman ? Où était son bouclier ?

  • Je ne veux pas t’entendre ! hurla-t-il. Cesse de parler ! Arrête !

Les ignobles caquètement gagnèrent en intensité. Pour leur échapper, Haniel se mit à courir dans le sable blanc. Il ne remarqua pas que la plage était envahie peu à peu de racines noires qui se répandaient telle une lèpre sombre. Ce n’était qu’un rêve, un rêve ! Il allait se réveiller et plus aucun monstre ne chuchotera dans ses oreilles ! Il allait s’échapper de cet enfer. S’échapper, s’échapper, s’échapper, s’échapper, s’échapper…

  • Tais-toi ! s’époumona-t-il. Pitié !

Il sentit qu’on agrippait son bras. Une main décharnée aux doigts immenses qui s’enroulaient telles des lianes autour de son biceps. Brutalement arrêté dans sa course, Haniel faillit perdre l’équilibre. Il fit volte-face et rencontra deux yeux rouges globuleux. Le whisperer au visage enveloppé d’ombres se pencha alors sur lui. Paralysé par la terreur, l’adolescent ne songea même pas à se débattre. La créature écarta alors ses lèvres fendues pour émettre un long son guttural qui semblait provenait du plus profond de ses entrailles.

Et Haniel hurla. Il hurlait encore lorsqu’il se réveilla et s’éjecta de son lit. Ses yeux accrochèrent l’environnement familier de sa chambre. Un sanglot brisa alors sa poitrine. Il s’était réveillé !

Ses jambes cotonneuses le lâchèrent. Le jeune homme se laissa glisser sur le sol, ahanant, la tête engourdie. Il se recroquevilla sur lui-même, les bras enroulés autour de son corps, comme s’il cherchait à se bercer lui-même. Ses doigts tremblants trouvèrent son collier et le serrèrent tant que la lame mordit ses chairs à travers le tissu de la petite poche.

  • Haniel…

Milagro se tenait sur le seuil de sa chambre, hésitante. Lorsque son grand frère se déplia lentement, elle se raidit. Le lycéen se figea. Il faisait peur à sa petite sœur… Son cœur se ratatina sur lui-même, tel un fruit qui s’assèche et se fissure sous un soleil de plomb.

Il faisait peur… à Milagro.

  • Hé, canaille… Ne t’inquiète pas. C’était juste un cauchemar.
  • Un cauchemar ? murmura la petite fille d’une voix chevrotante.
  • Oui. Tout va bien maintenant.

La fillette s’approcha d’un pas hésitant, serrant contre elle Monsieur Duveteux. Haniel l’invita à s’asseoir sur son lit en tapotant le matelas. Après quelques secondes, Milagro obtempéra. Elle demeura longuement silencieuse, le regard perdu dans la moquette. Puis elle se tourna vers son grand frère. Ce dernier sentit de nouveau la culpabilité lui poignarder le ventre. Bon sang, il détestait lorsque Milagro le regardait comme ça. Comme s’il allait se briser sous la première brise.

  • Tu avais l’air d’avoir mal… chuchota-t-elle.
  • Oui, c’était un cauchemar très désagréable. Mais je suis réveillé, maintenant. Tout va bien.
  • Tu promets ?
  • Bien sûr.

La fillette ne semblait pas réellement convaincue. Elle s’absorba de nouveau dans ses pensées puis sembla prendre soudain une décision. Elle déposa alors sa peluche préférée sur les genoux de son frère.

  • Monsieur Duveteux peut te protéger des cauchemars. Il est très doué pour ça.
  • Oh, canaille, je ne peux pas accepter. C’est ton meilleur ami.
  • Non, mon meilleur ami, c’est Darkie, il est en cinquième et il a un masque de Dark Vador. Il est trop cool.

Darkie ? Voilà un drôle de nom pour un petit garçon. Haniel caressa la tête de l’hippopotame avec tendresse.

  • Merci, canaille, mais ne t’en fais pas pour moi. Azaël va m’aider à éliminer le cauchemar.
  • C’est vrai ?
  • Oui. Il me l’a promis.
  • Est-ce que ça veut dire que je peux récupérer Monsieur Duveteux ? J’arrive pas à dormir sans lui…

L’honnêteté de Milagro arracha un éclat de rire à son grand frère. Il la serra contre lui puis lui remit sa peluche. La fillette poussa un léger soupir de soulagement.

  • Hugues et Jeanne sont encore au boulot, ça te dit, un goûter ? lui proposa son frère.
  • Ouais !
  • Alors, c’est parti !

Haniel claqua dans ses mains et sa petite sœur partit au galop dans la cuisine. L’adolescent perdit son sourire dès qu’elle disparut de sa vue. Il avait l’impression que le regard du whisperer était braqué sur lui depuis les replis de son cerveau. Que ces deux yeux immenses l’étudiaient minutieusement afin de savoir comment lui faire du mal. Le jeune homme récupéra son portable sur sa table de chevet.

Pas de nouveau message d’Azaël.

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La Fée Morgane : Tout le monde va bien ?

Le Roi Léo : Oui. Les professeurs ont demandé à tout le monde de rentrer chez soi, alors on peut dire que cette stupide alarme a eu du bon !

Kim Possible : Ils pensent à un dysfonctionnement, mais je crois qu’un petit plaisantin a fait une blague. Encore.

Édith Piaf : Quelqu’un a des nouvelles du camarade Walker ? Je ne l’ai pas vu depuis qu’on a tous couru dans les couloirs !

Kim Possible : D’après les rumeurs, il serait parti avec une charmante jeune fille aux cheveux bleus.

La Fée Morgane : On sait de qui il s’agit ?

Le Roi Léo : Je les ais aperçus dans le parc. Ils couraient comme si leur vie en dépendait. Mais la tête de la fille ne me dit rien du tout.

Kim Possible : Monsieur « j’adore les règlements » aurait-il fait le mur ? Comme quoi, tout arrive !

– Édith Piaf s’est déconnectée –

La Fée Morgane : On dirait que notre musicienne préférée est contrariée. Je vais voir si elle va bien. À demain, les gars !

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