Exorcisme dix-neuf : La colère de Himi Keeper

Par Ascal

Himi n’avait pas ouvert la bouche de tout le trajet. Elle n’avait pas souri non plus, mais, cela, Azaël y était habitué. Les sourires de son amie étaient d’une extrême rareté. Pour les avoir, il fallait les mériter. Et on dirait que leurs retrouvailles ne suffisaient pas à la rendre assez joyeuse pour qu’elle décide de dévoiler sa dentition.

Lorsqu’ils avaient atteint leur arrêt, la jeune fille récupéra son sac puis fit signe à Azaël de la suivre. Celui-ci lui emboîta le pas. Il connaissait ce chemin pour l’avoir remprunté de nombreuses fois. Himi le ramenait à la maison. Peu à peu, des hypothèses s’échafaudaient dans son esprit. Lorsque l’immeuble du Clan apparut dans leur champ de vision, le lycéen ralentit l’allure jusqu’à s’arrêter sur le trottoir. Son amie lui jeta un regard surpris et lui tendit sa main.

  • Tout le monde nous attend, allons-y.
  • Himi, c’est toi qui as déclenché l’alarme, n’est-ce pas ?
  • Oui, tout à fait.
  • Pourquoi tu as fait ça ?

La jeune fille fronça le nez. Elle faisait ça quand quelque chose la gênait. Une mimique qu’Azaël avait toujours trouvé adorable.

  • Pourquoi tu sembles fâché ? J’ai fait ça pour te ramener à la maison, finit-elle par répondre.
  • Les cours se terminaient ce soir, je serai rentré demain matin. J’avais un examen important.

Himi le passa sous le laser de son regard. Elle s’attarda sur ses cernes, sa chemise froissée et mal boutonnée, le bandage de sa main. Elle l’évaluait avec une telle minutie que l’exorciste comprit ce qui l’avait poussé à agir : elle avait estimé qu’il n’était pas taillé pour la mission qu’on lui avait confié et elle avait décidé de le retirer de Sisoa.

  • Himi… Est-ce que Sengo t’a demandé de venir me chercher ?
  • Non, Sengo n’a rien à voir avec ça. Je suis intervenue de mon propre chef. Un coup de tête. Tu me manquais.

Voilà qui était surprenant… L’exorciste s’avança d’un pas, sondant à son tour sa coéquipière du regard. Himi était grande pour une jeune fille de treize ans, bientôt quatorze, comme elle ne cessait de le rappeler. Sa taille, associée à son attitude calme et composée, lui procuraient un air de maturité. Ça la vieillissait.

Azaël la connaissait par cœur. Et il savait lorsqu’elle agissait sur une impulsion. Et là, ce n’était pas le cas. Elle était venue le chercher à Sisoa pour une bonne raison.

  • Ne me mens pas. Pourquoi es-tu venue me chercher ?

L’adolescente croisa ses bras sur sa poitrine menue.

  • Parce que tu n’as plus tes pouvoirs spirituels.

Le lycéen sentit ses poumons se vider de leur air alors qu’une sueur glacée dégringolait le long de sa colonne vertébrale. Il enfouit ses mains dans ses poches de pantalon d’uniforme pour que son amie ne les voit pas trembler.

  • Himi, voyons, c’est une idée complètement absurde.
  • J’étais là lors de ton exorcisme de samedi.
  • Q… Quoi ?
  • Sengo m’a demandé de venir t’assister, ce que je trouvais ridicule car tu es parfaitement capable de prendre soin d’un niveau trois seul. Et je t’ai vu combattre avec l’autre garçon.

Azaël secoua la tête. Ce n’était pas possible… Ils avaient été vus ? Et si quelqu’un d’autre les avait aussi observés à ce moment-là ? Il avait manqué de vigilance ! Pire, il avait été un parfait idiot. Il pensait être capable de tenir bon, de garder la tête haute alors qu’il se noyait dans la mélasse de ses mensonges. Mais il n’était pas assez fort pour ça… Qu’allait-il faire, maintenant ? Himi avait certainement tout raconté à Sengo et aux autres. Il allait être banni du Clan et Haniel… Qu’allait-il arriver à Haniel ?

Il sentit qu’un bras s’enrouler autour de ses épaules pour le pousser à s’asseoir à même le sol. Il remarqua alors qu’il avait du mal à respirer. Himi s’accroupit à sa hauteur et il effleura doucement la joue.

  • Tu paniques. Respire, Azaël. Respire doucement. Tout va bien. J’assure tes arrières. Comme toujours.

Un minuscule sourire de moineau vint incurver sa bouche. Elle prit les mains du lycéen entre les siennes et lui demanda d’inspirer et expirer en rythme avec elle. Grâce à sa patience et son ton calme, le jeune homme parvint à tuer sa vague de panique dans l’œuf. Il poussa un long soupir, détacha ses cheveux et chuchota un « merci » étranglé. Son amie l’aida à se redresser.

  • Je ne dirai rien à personne, Azaël. Je te connais. Si tu as décidé de régler cette affaire sans l’aide du Clan, c’est que tu as de bonnes raisons.
  • Himi… J’ai besoin de ton aide.
  • Et je suis là pour ça.

--

Ils achetèrent un hot dog dans un food truck puis s’installèrent à une des nombreuses tables de pique-nique du parc Van Gogh. Les températures commençaient à monter maintenant que mai levait ses voiles tissés d’or. Il y avait un monde fou dehors. Les voix résonnaient, s’entrelaçaient et formaient une tapisserie diversifiée magnifique.

Himi avait retiré son pull trop large pour profiter du soleil en débardeur. Elle croqua avec appétit dans son hot dog. Azaël, lui, hésitait sur la conduite à tenir. Il avait bien sûr entièrement confiance en son amie. Mais l’histoire qu’il s’apprêtait à livrer ne concernait pas que lui. Il n’était pas certain que Haniel apprécie qu’il dévoile sa vie à une personne qu’il ne connaissait pas… Ce fut la voix de la jeune fille qui le sortit de ses pensées :

  • Azaël, je vois bien que tu hésites à me parler. Je suis triste que tu ne me fasses pas assez confiance pour t’ouvrir à moi.

Himi essuya la moutarde qui avait coulé sur sa lèvre inférieure avec son pouce puis reposa son repas dans un soupir.

  • Tu as besoin d’aide, non ? Et ce garçon, celui qui a chassé avec toi… Tu veux l’aider aussi ?

Azaël sentit un sanglot lui comprimer le ventre. Et alors, il vomit. Un flot de paroles ininterrompu. Il vomit tout ce qui lui pesait sur le cœur sans épargner un seul détail. Himi l’écouta avec la plus grande attention sans l’interrompre. Lorsqu’il se tut enfin, le lycéen avait la sensation d’avoir parlé pendant des heures. Face à lui, son amie semblait songeuse. Elle avala le reste de son hot dog en deux bouchées, l’air pensive.

  • Je vois. Selon ton, hypothèse, tu aurais donc légué par accident tes pouvoirs spirituels à une personne hantée, résuma-t-elle.
  • C’est ça.
  • Ou alors, une autre piste est à explorer.

Himi plongea une main dans son sac pour en tirer un stylo et un carnet. Elle trouva une page blanche et, dessus, elle dessina deux bonhommes bâtons. Au centre, elle gribouilla une spirale.

  • Il se peut que tu n’aies pas perdu tes pouvoirs. Les exorcistes certifiés nous ont toujours dit que toucher un whisperer sous sa forme pure était très dangereux, tu te souviens ?

Azaël hocha la tête. Leurs professeurs leur avaient enseigné que les fantômes possédaient deux formes : une pure et une façonnée. Lorsque les whisperers utilisaient un corps humain pour interagir avec leur environnement, ils projetaient une énergie sombre spéciale. C’était ce qu’on appelait leur « forme façonnée ».

Mais les « formes pures » désignaient les whisperers en eux-mêmes. Himi et Azaël avaient toujours appris qu’elles ne devaient pas être touchées et c’étaient pourquoi ils utilisaient les armes de la Maîtresse du Fer pour détruire les cœurs. À vrai dire, très peu d’exorcistes avaient pu voir un jour de leurs propres yeux un fantôme sous sa forme pure. Azaël, quant à lui, n’avait jamais eu l’occasion d’en rencontrer. À l’exception de ce jour, où le jeune homme avait poussé Haniel à utiliser ses pouvoirs spirituels pour la première fois. Il revoyait parfaitement l’être difforme enroulé sur lui-même, suspendu dans les airs, tel un ballon gorgé de souffrances.

  • Je pense que ce que tu as vu, cette nuit-là, c’est une forme pure, expliqua Himi, ou, tout du moins, une partie. Et que la toucher a eu deux effets. Tu as éveillé les pouvoirs spirituels de Haniel. Et tu as endormi les tiens.
  • Endormi ?
  • C’est ce qu’il me semble le plus logique. Les pouvoirs spirituels ne peuvent pas se transmettre. Ils font partie de nous.
  • Mais, alors, ça veut dire… que je vais pouvoir les récupérer ?

Himi hocha la tête avec conviction. Azaël sentit une vague d’espoir s’élever dans sa poitrine et balayer toutes ses peurs. Il n’avait pas perdu ses pouvoirs… Il ne les avait pas perdus !

  • Ensemble, on va trouver une solution, enchaîna Himi. Il y a un trésor de savoir à notre portée à la bibliothèque du Clan. On va y consacrer tout notre temps libre. Pour ce qui est des exorcismes, je ferai en sorte qu’on soit toujours associés par duo. Et… !
  • A, attends, bredouilla son ami. Ça ne va pas être possible, pas avec cette organisation. À Sisoa, je…
  • Tu ne vas pas rester à Sisoa.

Le jeune homme posa un regard rempli d’incompréhension sur son interlocutrice. C… Comment ça ? Est-ce qu’elle lui demandait d’abandonner le lycée ? Himi froissa sa serviette en papier avant de se lever, comme si la discussion était terminée. Pour elle, oui, sûrement. Car le sujet ne donnait pas lieu à la discussion dans son esprit. Maintenant qu’elle était là, tout irait mieux, voilà le fond de sa pensée.

  • Himi, reviens t’asseoir, s’il te plaît.
  • Pourquoi faire ? On n’a pas de temps à perdre.
  • Himi !

Azaël se leva à son tour. Il contourna la table pour saisir son amie par les épaules.

  • Je ne vais pas quitter Sisoa ! C’est la mission que m’a confié la Maîtresse du Fer. Si je m’en vais maintenant, ce serait comme si j’avais échoué. Et elle ne m’accordera plus sa confiance !
  • Tous les exorcistes certifiés ont quelques missions ratées à leur actif.
  • Mais…
  • Et si tu me disais plutôt pourquoi tu veux vraiment rester là-bas ?
  • Quoi ?

La jeune fille se dégagea de son étreinte. Elle semblait hésiter. Azaël l’avait rarement vu ainsi. Puis il comprit. Himi était en colère. Contre lui… Mais pourquoi ?

Son amie dut trouver qu’il mettait trop de temps à répondre car un air revêche vint se peindre sur son visage.

  • Très bien, gronda-t-elle. Tu veux savoir ce que je pense, Azaël ? C’est que tu t’amuses bien dans ton petit lycée. Ça te plaît de jouer à être normal. Mais tu n’es pas normal, tu fais simplement semblant ! Ce n’est pas ton monde, là-bas, et ça ne le sera jamais.

Elle se pencha sur lui, le regard flamboyant.

  • Tu es un exorciste. Comme moi. Nous sommes des armes vouées à tuer les whisperers. Et on est heureux comme ça ! Tu ne crois pas ?

Oh… Ce n’était pas de la colère, alors…

Ce que ressentait Himi, c’était de la peur.

Peur qu’il trouve sa place ailleurs. Qu’il noue de nouvelles amitiés.

Et qu’il la laisse derrière.

Pourtant, elle avait raison. Il n’appartenait pas à Sisoa. Jamais il ne le pourrait. Et jamais il n’aurait d’ailleurs cru vouloir y appartenir. Sauf que ce lycée lui plaisait. Il aimait le lieu, les cours, les rencontres qu’il y avait fait. Il aimait passer du temps avec Édith et ses amis. Il aimait découvrir des nouvelles musiques et briser les règles de son monde avec Haniel. Devenir plus qu’un simple automate aux mains tout juste bonne à tenir des lances.

Le lycéen lui offrit un pâle sourire.

  • Pour être tout à fait honnête… oui. On est heureux en tant qu’exorciste. Mais Himi… Je sais que je deviens meilleur chaque jour à Sisoa. Et j’ai envie de partager toutes les expériences que j’ai vécu là-bas avec vous tous.

Son amie croisa ses bras sur sa poitrine, les dents plantées dans sa lèvre inférieure. Elle en avait les yeux qui brillaient. L’adolescent posa une main délicate sur son avant-bras qu’il pressa légèrement.

  • Mais jamais je n’oublie d’où je viens, lui promit-il. Je suis un exorciste. Tout comme toi. Et aucun lycée ne changera ça.

Himi poussa un long soupir et hocha tristement la tête.

  • Je sais tout ça, murmura-t-elle. Mais je ne veux pas que tu changes…
  • Je ne vais pas changer !
  • Avant d’arriver dans ce lycée, tu n’aurais jamais menti à Sengo !
  • Je n’avais pas le choix…
  • Bien sûr que tu l’avais. Tu l’as fait sciemment. Pour vous protéger, ce Haniel et toi.

Azaël détourna le regard. Il avait l’impression que cette conversation ne menait nulle part. Himi se mit à jouer avec son bracelet, hésitante. Puis, lentement, sa voix s’éleva de nouveau :

  • Je suis dans ton camp depuis toujours, Azaël. Quoiqu’il arrive, j’y reste. Si tu tiens tant à continuer à aller à Sisoa, d’accord, vas-y.

Le lycéen poussa un discret soupir de soulagement. Il chuchota un simple « merci » auquel son amie répondit par un haussement d’épaules.

  • On va trouver une solution pour que tes pouvoirs te reviennent, je te le promets. Et en attendant, on va trouver un moyen de te battre.
  • Comment ?
  • Comme on l’a toujours fait, rétorqua-t-elle. En s’entraînant et en s’entraidant.

--

  • Une sortie dans un bar ? Vraiment ?
  • Ronnie, concentre-toi !

En quelques secondes, Azaël passa sous la garde de son ami et fit semblant de lui asséna un crochet du droit dans la mâchoire. Himi, qui supervisait leur duel, souffla dans son sifflet pour marquer la fin du combat. Donnie leva les yeux au ciel.

  • T’es pas multitâche, Ron’, grogna-t-il. Tu ne sais pas parler et te battre en même temps.
  • Mais attends, Azaël est sorti dans un bar samedi dernier ! Ne me dis pas que ça ne te décoiffe pas !

L’intéressé décida de faire la sourde oreille et il retira les bandages autour de ses doigts. Son regard s’attarda sur la marque qui ornait le dos de sa main. Avant qu’il ne puisse réagir, Donnie avait attrapé son poignet. L’adolescent voulut se dégager, mais son ami avait une poigne très ferme, pour quelqu’un qui séchait aussi régulièrement l’entraînement.

  • Comment tu t’es fais ça ? s’inquiéta-t-il.
  • Ce n’est rien, ça date de mon dernier exorcisme, répondit sèchement le jeune homme en ramenant son bras à lui.
  • Oh…

Le visage de Donnie s’assombrit, comme si un élément le tracassait. Azaël détourna le regard, mal à l’aise. Heureusement, il fut sauvé par Ronnie qui tenait à avoir plus de détails sur son week-end chez Haniel. Ce fut Himi qui le rappela à l’ordre d’un coup de sifflet.

  • La séance n’est pas terminée, on arrête de flemmarder !
  • Pourquoi c’est toi qui supervises notre entraînement ? grommela Ronnie en se frottant l’oreille près de laquelle la jeune fille avait sifflé.
  • Parce que notre maître en a ras-le-bol de vous courir après, donc il m’a demandé de vous encadrer aujourd’hui, les F.I.
  • J’ai l’impression d’être de nouveau un gamin…

Il était vrai que dès que leur entraîneur arrivait à saturation, c’était Himi qu’il envoyait. Enfant, elle était chargée de garder un œil permanent sur Donnie et Ronnie qui faisaient toujours les quatre cents coups. En grandissant, le premier s’était assagi, ce qui avait poussé le second à faire de même par mimétisme. Mais il arrivait encore aujourd’hui que le maître du dojo soit tellement épuisé qu’il envoie son élève préférée entraîner les F.I. à sa place. Même si ces derniers avaient tous deux dix-sept ans et qu’ils étaient tous deux bien plus grands que Himi, ils ne faisaient pas les fiers devant elle. Surtout lorsqu’elle était armée de son sifflet !

  • Himi, il est déjà 14 h et on n’a pas encore mangé, souligna Donnie gentiment.
  • Mais…
  • Allez, s’il te plaît ! geignit Ronnie. Je crève de faim, moi !

Himi coula un regard en coin à Azaël qui fit semblant de ne pas le voir. D’ordinaire, son amie était inflexible face aux gémissements de Ronnie. Mais il savait qu’elle l’évaluait. Qu’elle craignait qu’il ait perdu en endurance, en force. Alors, elle hocha la tête. Incrédules, les F.I. échangèrent un regard et, avant qu’elle ne puisse changer d’avis, ils quittèrent en courant le dojo. Le colocataire de Haniel, lui, se dirigea vers les étagères où s’alignaient sagement des haltères. Himi le suivit en fronçant les sourcils.

  • Pour toi aussi, la séance est levée, Azaël.
  • Je veux juste continuer quelques minutes.
  • Ce n’est pas une bonne idée.
  • Himi !

Le lycéen claqua les haltères dans un geste exaspéré.

  • Pourquoi tu fais ça ?
  • Faire quoi ?
  • Je ne suis pas malade ou infirme. Ce n’est pas parce que mes pouvoirs spirituels ont fichu le camp…
  • Ils se sont endormis, c’est tout.
  • Tu m’as toujours laissé agir comme je l’entendais…
  • Et on voit où ça t’a mené.

Le ton était sec, cassant. La voix de la jeune fille craquelait sous l’effet de la colère. Azaël sentit ses entrailles tournicoter dans son estomac. Il pensait que son amie avait accepté sa décision par rapport à Sisoa, mais il semblerait qu’il n’en soit rien. Il avait envie de gratter sa blessure à la main, d’enfouir ses ongles sous la peau brûlée. Ça l’empêcherait peut-être de penser à la tristesse qui envahissait sa poitrine telle une lèpre malveillante.

Himi ouvrit la bouche pour dire autre chose, hésita, renonça. À la place, elle tourna les talons et claqua la porte du dojo derrière elle dans un geste de mauvaise humeur que son camarade ne lui avait jamais connu. Pour agir ainsi, son amie devait vraiment être perturbée. Il détestait être à l’origine de ces sentiments négatifs… Azaël se laissa glisser sur un banc, la tête entre les mains et un soupir au bord des lèvres. Ah…

Il avait envie de parler avec Haniel…

--

Milagro était en train de faire ses devoirs, allongée sur le lit de son grand frère lorsque le portable de ce dernier se mit à vibrer sur le matelas. Elle releva le nez de ses cahiers.

  • Haniel ! hurla-t-elle. Téléphone !

Depuis la cuisine, où il était en train de préparer des boulettes de viande, l’intéressé l’entendit. Il abandonna sa préparation, intrigué, et gagna sa chambre. Sa sœur lui jeta son portable avant de reporter son attention sur ses cours. Le lycéen jeta un coup d’œil à l’écran et ne put retenir une grimace. Azaël était en train de l’appeler… Il hésita, remuant son doigt au-dessus de l’icône ornée d’un téléphone vert sans oser l’effleurer. Après une semaine de silence buté, comment entamer la conversation ?

  • Haniel, il faut que tu décroches, sinon, tu vas pas pouvoir parler à Azaël, fit remarquer la fillette en haussant un sourcil.
  • Comment tu sais que c’est lui… ?
  • Parce qu’il t’a appelé toute la semaine. Et son nom est affiché sur l’écran.

Le jeune homme grimaça puis quitta la pièce. Il traversa le salon sans faire attention à son père qui était en train de lire son journal et partit s’isoler sur le balcon. Là, il prit une grande inspiration et décrocha.

  • Allô ?

Ce fut un silence surpris qui lui répondit. Puis, un bégaiement lui parvint :

  • D… Désolé, je ne m’attendais pas à ce que tu répondes, en fait.

À l’autre bout du fil, Azaël semblait presque ennuyé. Haniel esquissa un sourire.

  • Tu avais envie de t’épancher encore sur mon répondeur ?
  • Tu as écouté mes messages vocaux ?
  • Oui. Tous.
  • Oh, merde…

Là, l’adolescent ne put s’empêcher d’éclater de rire. Il fallait dire que, à force de parler dans le vide, son interlocuteur avait perdu patience et qu’il en était venu à crier. Et, hier, l’exorciste en avait eu tellement ras-le-bol de son silence qu’il avait dû confondre son répondeur avec son journal intime. Il avait passé au moins une demi-heure à lui parler de sa semaine et de cette mystérieuse Himi qui aurait déclenché l’alarme incendie pour le délivrer de Sisoa. Haniel avait trouvé ce message, de ce fait, très drôle.

Il s’accouda à la barrière, le regard perdu sur la façade de l’immeuble d’en face.

  • Tu en as bavé, hein ?
  • Tu n’es plus fâché ? le questionna l’exorciste.
  • Je ne suis pas fâché, Azaël. Vraiment.

Il entendit son interlocuteur soupirer de soulagement dans le combiné.

  • Tant mieux… Je ne veux pas qu’on se dispute.
  • Moi non plus…
  • Mais… Pourquoi tu n’étais pas là, cette semaine ?

Haniel hésita quelques secondes. Il fallait dire que ses raisons, à posteriori, lui semblaient un poil ridicule. Il allait garder l’histoire de sa tentative de sortie avortée pour lui…

  • J’avais juste besoin… d’un peu de temps.
  • Ça a été avec tes parents, après mon départ ?

Il songea à mentir. À dire qu’il s’en fichait, que le fait qu’ils ne croisent même plus son regard l’indifférait. Que le soutien de Milagro lui suffisait pour aller de l’avant. Mais c’était faux. Haniel essuya ses yeux, prit une profonde inspiration.

  • Non… parvint-il à articuler. Non, ça n’a pas été. C’est comme si… je n’existe plus à leurs yeux. C’est horrible…
  • J’empaquette mes affaires. On se rejoint à Sisoa. Enfin… si ça te va ?

Il devrait refuser. Il y a quelques jours encore, il aurait envoyé paître Azaël en lui demandant de ne pas fourrer son nez dans ses affaires. Mais il devait le reconnaître : il avait besoin de lui. Alors il lui souffla un simple « OK » avant de raccrocher, les épaules secouées de sanglots silencieux. Puis, doucement, un sourire lui monta aux lèvres. Il n’était pas seul…

Et c’était un sentiment merveilleux.

--

– Azazel s’est connecté –

Azazel : Édith, j’ai besoin de ton aide…

Édith Piaf : Ça pour une surprise ! Pour que tu me demandes ça, quelque chose de grave a dû se produire. Que t’arrive-t-il ?

Azazel : Je dois retrouver Haniel dans une heure. Apparemment, il n’était fâché avec moi, mais je n’ai pas envie de tout gâcher…

Édith Piaf : Oh, je vois.

Azazel : Est-ce qu’il t’a déjà parlé de ses parents ?

Édith Piaf : Oui, je les ai même rencontrés. Ce sont des monstres. Tous les deux.

Azazel : Tu trouves ?

Édith Piaf : Oui. Un conseil, Azaël : ne te mêle pas de leur relation avec Haniel. Sois là pour lui. Ça sera amplement suffisant.

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