Haniel n’était franchement pas d’humeur à la parlotte. Pas qu’il le soit déjà en temps ordinaire, mais alors ce soir, vraiment pas. L’annonce de la grande guerre lui pesait sur l’estomac. Il avait toujours eu cette pensée naïve ; une fois débarrassé des murmures, il pourrait reprendre une vie ordinaire de lycéen ordinaire. Il pourrait se faire des amis, choisir un secteur, se passionner pour des jeux vidéo à la mode, danser sur les tubes de l’été et même peut-être ouvrir de nouveau son cœur à quelqu’un.
Mais le rugissement des conques avait tout balayé sur son passage, tous les espoirs débiles qu’il couvait au fond de ses tripes. Parce que le train avait depuis longtemps quitté la gare. Il ne pouvait plus monter en marche.
Trop tard.
Le lycéen avait l’impression que c’était son glas qui avait sonné. D’ici peu, la grande guerre des secteurs se déroulerait. Puis les épreuves du baccalauréat pointeraient leur nez à l’horizon. Et le conseil administratif de Sisoa le mettrait certainement à la porte avant le début de l’été…
Alors quand le ciel se para de teintes criardes et qu’Azaël l’entraîna sur le toit de l’internat, Haniel était rongé par ses pensées noires. Quoiqu’avait à lui dire l’exorciste, le lycéen hanté n’avait vraiment pas envie de l’entendre !
- Haniel, j’ai besoin de ton aide !
Alors celle-là, on ne la lui avait jamais faite…
- Qu’est-ce qu’il t’arrive, encore ? grogna l’intéressé.
- J’ai un petit problème, admit Azaël à contre-cœur.
Il lui rapporta le marché qu’il avait passé avec John et Dominika Miko. Son colocataire haussa un sourcil. Enseigner aux jeunes du Clan le mode de vie des adolescents d’aujourd’hui ? Pas sûr que l’exorciste soit le meilleur choix en tant que professeur…
- Je ne sais pas ce que je vais faire, gémit Azaël. Je ne vois pas comment je pourrai enseigner quelque chose alors que moi-même je n’y comprends rien !
Bon, au moins, il en avait lui-même conscience. L’exorciste se mit à se masser le ventre, sûrement pour essayer de faire passer ses crampes d’estomac. Il semblait en avoir souvent avec son stress. Haniel se rendit soudainement compte de quelque chose. Aux yeux de l’entièreté de Sisoa, Azaël Walker était un élève de seconde comme les autres. Personne, à part lui, ne connaissait ses secrets. C’était pourquoi son colocataire n’avait que lui vers lequel se tournait. Et cette vérité allait dans les deux sens…
- Je vois que mon désespoir te fait sourire, au moins, grommela l’exorciste.
Le rictus de Haniel s’effaça automatiquement. Il poussa un soupir puis fit mine de réfléchir. Puis il se tourna de nouveau vers son colocataire, traversé par une nouvelle idée.
- Et si c’était moi… qui t’apprenais ?
- Comment ça ?
- Non, non, mais réfléchis ! Tu as besoin de cours particuliers en quelque sorte. Quelqu’un qui puisse te dire comment fonctionnent les interactions sociales, ce genre de choses ! Et bien, moi, je le ferai !
- Te connaissant, ce ne sera pas gratuit, grinça l’exorciste.
- Rien n’est gratuit dans ce monde, répondit Haniel d’un ton faussement docte. En échange, arrête de fuir mes questions à propos des whisperers. Je ne veux pas seulement être capable de les combattre. Je veux aussi comprendre comment ça – il désigna ses oreilles d’un large geste, s’est produit.
Azaël sembla considérer l’offre. Il défit sa queue de cheval pour triturer ses cheveux roux, pensif. Mais bon, ce n’était pas comme si beaucoup d’options s’offraient à lui ! Il tapota pensivement le pli formé par ses sourcils froncés. Quelques secondes s’écoulèrent péniblement. Puis, finalement, il hocha la tête. Il tendit la main à son camarade pour sceller leur accord. Dans un claquement bruyant, Haniel frappa sa paume contre la sienne.
- Les poignées de main, c’est pour les vieux, affirma-t-il d’un ton rogue, adoptant une attitude professorale.
- Tiens donc ? grogna Azaël, ne pouvant empêcher un léger sourire de lui monter aux lèvres.
Il se laissa aller contre le mur de béton qui supportait leur dos. Ses yeux se rivèrent sur le ciel qui se drapaient de nuances violettes. Dans le lointain, les silhouettes noires des immeubles ressemblaient à des doigts qui se dressaient vers le ciel. Haniel observait à la dérobée le visage de l’exorciste qui semblait soudainement débarrassé d’un poids. Même ses épaules s’étaient légèrement redressées. Sa confession avait dû le soulager.
- Alors, on commence par quoi ? lui demanda soudainement le lycéen. J’ai plein de questions sur les whisperers !
- Maintenant ? s’étrangla son colocataire. Non, hors de question ! Mes cours ne sont pas écrits. Si je veux te transmettre tout le savoir de mon Clan, je dois procéder de façon méthodique.
Des cours ? S’il s’était attendu à ça… Déjà, Azaël sortait un cahier de son sac à dos afin de commencer à y annoter une série de points à aborder. Que ce garçon était rigide… Mais et lui, comment allait-il remplir sa part du contrat ? Un soupir franchit ses lèvres. Azaël releva son stylo et lui coula un regard interrogateur.
- Tu as l’air quelque peu perdu, fit-il remarquer d’un ton lent, comme s’il n’était pas certain de sa supposition.
Haniel lui jeta une œillade peu avenante. Certes, ils étaient liés par leurs secrets, mais ce n’était pas pour autant qu’il avait envie d’étaler ses états d’âmes. Les conversations sur les sentiments et tout le tralala, très peu pour lui.
- Je réfléchis, répondit-il dans un grognement. Je me demande à quel point tu es déconnecté du monde réel, en fait.
- Je ne suis pas déconnecté, répliqua l’exorciste, piqué au vif.
- Tu as un portable à clapet, mec ! Excuse du peu ! Il est même pas tactile !
- Sengo a le même !
Bah ce fameux Sengo devait être aussi retardé niveau technologique que lui, voilà tout. Une question traversa soudain l’esprit de Haniel :
- Mais, j’y pense… Est-ce que tu connais une seule personne en dehors de ton Clan… Et les élèves que tu as rencontré depuis ton arrivée à Sisoa ne comptent pas !
Azaël se raidit puis détourna le regard, embarrassé. Haniel écarquilla les yeux. Oh… Hé bien, il allait avoir du travail !
- Pitié, dis-moi au moins qu’entre exorcistes, ça vous arrive de traîner ensemble !
- T… Traîner ? Heu, on s’entraîne ensemble, oui.
- Non, je veux dire, genre, vous regardez des films ensemble, par exemple.
- Ah… Non, pas vraiment.
Non, c’était trop gros pour être vrai ! Haniel se mit à énumérer une série de films qu’il connaissait. Il n’était pas sans ignorer que son savoir cinématographique était peu étendu, mais alors, là, on atteignait un autre degré de méconnaissance ! À mesure de son questionnaire, les oreilles d’Azaël viraient de plus en plus à l’écarlate. Et Haniel devait avouer que, quelque part, il trouvait ça très drôle…
- Ça suffit ! tonna soudainement une voix masculine.
Les lycéens eurent un violent sursaut lorsque la porte du toit s’ouvrit soudainement sur quatre nouvelles figures. En tête, un jeune homme à la peau noire et au crâne rasé. Celui-ci rejoignit les deux colocataires en quelques enjambées souples et enlaça brusquement l’exorciste. Haniel vit ce dernier se tendre comme un arc et faire appel à tout son self control pour ne pas envoyer valser l’inconnu. Inconnu qui lui jeta d’ailleurs un regard courroucé.
- Comment oses-tu te moquer de notre pauvre oisillon, le sans-secteur ? Ce n’est pas de sa faute si cet enfant n’a pas été correctement éduqué !
- Heu, c’est une insulte, non ? releva Azaël.
Tiens, remarqua Haniel, le nouveau venu avait un piercing au menton. Une sorte de brillant bien flashy. L’attention de l’élève de première fut attirée par les trois autres nouveaux venus. Il reconnut parmi eux la jeune fille qui l’avait abordé dans l’après-midi, la souris joueuse de scie. Édith, non ? L’intéressée lui adressa un signe de main et un sourire chaleureux, mais reçut un coup de coude dans les côtes de son voisin, un gars avec des lunettes rondes au physique plutôt passe-partout. Quoique… C’était une tresse qu’il avait au niveau de la nuque… ?
- Ne sympathise avec l’ennemi, la reprit-t-il.
Sauf que ce n’était pas lui qui parlait. La voix provenait de son téléphone. Okay, c’était définitif, Haniel était tombé sur une bande de toqués ! Seule la dernière, une rousse au sourire timide, lui semblait à peu près sensée. Pourtant, lorsqu’elle posa ses yeux bleus sur lui, une sorte de malaise l’envahit.
Il ne put s’appesantir sur cette sensation. Azaël venait de se lever brusquement pour tenter d’échapper aux bras cajoleurs.
- Léonard, s’il te plaît, pourrais-tu me lâcher ?
- Ah non, protesta vivement l’intéressé. Je délire ou tu viens de m’appeler « Léonard » ? Mes amis m’appellent Léo, voyons !
- Mais, on se connaît à peine…
Ledit Léo recula d’un pas et porta une main à son front, dramatique. La voix mécanique du second garçon du groupe jaillit de nouveau de son portable :
- Ah, ah, tu viens de te faire rejeter. Émoji « lol ».
- Kim, tu n’aides pas la cause !
Les deux jeunes hommes partirent alors dans une dispute. Haniel en profita pour se relever et se tourner vers Azaël. Il désigna les quatre nouveaux venus du pouce.
- Tu connais ces clowns ?
- Hé bien, je suis dans la même classe qu’Édith, tenta d’expliquer l’exorciste.
- Nous sommes ses amis, intervint la rousse.
Haniel sentit la jalousie le mordre au niveau du ventre. Cela faisait une semaine que son colocataire était dans ce lycée. Une semaine seulement. Et en six petits jours, il avait réussi à se faire tant d’amis ? Alors que lui ne s’en était pas fait un seul en deux ans. Et après, c’était auprès de lui que son colocataire venait demander de l’aide ? Pour quoi faire ? Cherchait-il à se moquer de lui ?
- Ça t’amuse, en fait… ? murmura-t-il pour lui-même.
Alors Haniel fit une chose à laquelle il était maintenant accoutumé. Il prit la fuite. Il s’en alla sans un mot, sans un regard, refusant d’entendre Azaël appeler son nom avec incompréhension. Il se rendit au pas de course jusque dans leur chambre et se laissa tomber sur son lit. Là, il se recroquevilla sur lui-même.
Punaise…
Il se sentait si seul…
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Ce mardi avait commencé de manière pesante. Depuis la veille, Haniel refusait d’adresser la parole à Azaël. Ce dernier avait bien essayé de comprendre ce qui pouvait contrarier à ce point son colocataire, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Afin de ne pas se laisser envahir par des spéculations hasardeuses, l’exorciste passa une partie de la matinée à organiser le programme d’entraînement de son insupportable élève. Il était tellement concentré sur sa tâche qu’il mit un certain temps à remarquer qu’Édith était étrangement silencieuse. Pas une seule fois elle n’essaya de le distraire ou d’attirer son attention. Décidemment, c’était une journée bien étrange…
Lorsque la pause de midi sonna, tous les élèves sortirent dans les couloirs. Mais, au lieu de se rendre dans le réfectoire, tous prirent la direction inverse. L’exorciste en fut surpris. Il se tourna vers sa camarade de classe, qui semblait enfin reprendre du poil de la bête.
- Où va-t-on ? l’interrogea-t-il.
- Dans la grande salle ! À chaque début de guerre, un discours est donné par le président du conseil des élèves. C’est ce qui permet de lancer le début des hostilités !
Ils quittèrent rapidement le bâtiment réservé aux secondes grâce aux tunnels en verre. Le lycéen pouvait apercevoir, dans d’autres corridors transparents, des étudiants qui se pressaient vers une tour qu’il ne connaissait pas, située au centre du campus de Sisoa. Où allaient-ils… ?
Autour de lui, les murmures excités enflaient. Édith remarqua soudain ses amis au loin et attrapa Azaël par la main pour le tirer à sa suite. Ils rejoignirent rapidement les trois autres membres de la bande qui les accueillirent avec de grands sourires. L’exorciste fut surpris de constater qu’il avait apparemment été officiellement adopté par le reste du groupe.
Tous les cinq suivirent la foule à travers une série d’embranchements. Puis, soudain, ils débouchèrent sur une gigantesque salle. Azaël écarquilla les yeux, soufflé par la beauté de l’architecture. Il avait déjà été impressionné par la pièce centrale des ascenseurs, au second étage de la tour des premières, mais alors là… Un parquet de bois ancien était recouvert d’épais tapis dans toutes les nuances de rouges existantes. Au bout de la pièce se dressait une immense scène encadrée par de lourds rideaux de velours blanc. Les murs en pierre brute étaient constellés d’étagères croulant sous des objets incongrus, des tableaux, des instruments de musiques… Mais ce qui retint le plus l’attention du jeune homme, ce fut le plafond composé de voûtes en pierre splendidement ciselées. Un travail d’orfèvre…
Tous les élèves de seconde se rangèrent docilement sur la gauche. Au milieu virent se placer les premières et, enfin, les terminales gagnèrent leur place sur la droite. Devant la scène étaient alignés une trentaine d’étudiants en chemise noire. Il devait s’agir des fameux membres du conseil des élèves. Et sur l’estrade, des professeurs attendaient, assis sur de petites chaises pliables. Ils murmuraient entre eux, visiblement tout aussi excités que leurs étudiants.
Les élèves en chemise noire se baissèrent tout à coup pour cueillir de gigantesques conques à leurs pieds dans lesquels ils soufflèrent avec force. Aussitôt, la salle explosa en applaudissements et en sifflements. Les rideaux s’écartèrent alors sur un jeune homme en uniforme et à la tête couronnée de boucles noires couvertes de paillettes. Il avait les traits d’un asiatique, chinois, estima Azaël, et quelques rondeurs qui accentuaient son étrange charme magnétique. Un sourire angélique étirait ses lèvres peintes en violet. Il avançait d’une démarche chaloupée, perché sur des talons vertigineux. Arrivé au bord de la scène, il écarta les bras et cria à plein poumons :
- Sisoa ! Es-tu prêt ? La fin de l’armistice a sonné !
De nouveaux hurlements parcoururent la foule. Léo poussa un soupir, une main plaquée sur sa joue.
- Par Warhol, quel style !
- Qui est-ce ? demanda Azaël.
- Phineas Cixi, mon vieux, voyons ! C’est le président du conseil des élèves. Il est le seul élève de l’histoire de Sisoa à être sans-secteur. Il a choisi cette voie afin de consacrer son temps libre au bien être des autres étudiants.
- Haniel aussi est sans-secteur…
- Oui, mais c’est pas la même chose !
Édith porta deux doigts à sa bouche pour pousser un sifflement aigu. Joueur, Phineas adressa un clin d’œil à la foule avant de se saisir d’un micro.
- L’heure est venue d’entamer la dernière guerre des secteurs de l’année scolaire ! La plus importante de toutes qui opposera nos sympathiques élèves de premières aux redoutables terminales ! Secteurs, vous qui vous êtes opposés toute l’année, c’est l’heure de vous unir face à un ennemi commun !
Azaël sortit un carnet de la poche intérieure de sa veste pour y noter ces informations. Hier, Morgane lui avait vaguement expliqué que l’ultime conflit de mai était très spécial. Pendant l’année, trois guerres se déroulaient : une par niveau, d’abord. La première était menée par les terminales, entre eux. Une série de compétitions visaient à déterminer quel secteur était le meilleur. Puis, les élèves de premières engageaient leur propre bataille. Il n’avait toujours pas compris en quoi consistait exactement ces soi-disant tournois. Mais, apparemment, celui-ci était d’une autre ampleur. Il faudra qu’il demande plus d’informations à Haniel…
- Comme toujours, le conseil des élèves et moi-même superviserons l’ensemble de la guerre, en collaboration avec le corps professoral. Même si les départements « Cuisine » et « Sport » ne participent pas, ils sont invités à rester à leurs étages respectifs afin de ne pas perturber le déroulement des préparatifs. Ladies and gentlemen, dans trois semaines, au quinzième jour de mai, les hostilités seront officiellement lancées ! Montrez donc à nos innocents secondes ce que valent vos secteurs !
L’exorciste tapota son carnet de la pointe de son stylo. S’il avait bien compris, les secteurs gagnants étaient ceux qui remportaient le plus d’inscriptions à la fin de l’année. Le but global des guerres était de procéder à une démonstration de force afin d’aider les secondes à choisir leur secteur l’année suivante. Du moins, cette information était valable pour les deux premières batailles, pas la troisième… Quel intérêt représentait ce baroud d’honneur pour Sisoa ? Il avait vraiment du mal à saisir…
Sur scène, le discours était en train de s’achever. Les chemises noires du conseil des élèves élevèrent de nouveau leurs conques pour souffler dedans. Sur l’estrade, Phineas exécuta une élégante révérence. Azaël haussa un sourcil dubitatif. Quelle mise en scène, tout de même…
Les étudiants furent invités ensuite à gagner le réfectoire. Les panneaux en feuille de riz avaient été retirés pour laisser place à de longues tables où se dressaient toutes sortes de mets. L’ensemble des lycéens du secteur « Cuisine » avaient joint leurs forces pour préparer un somptueux festin. Morgane indiqua à l’exorciste que c’était une autre tradition de Sisoa. Il y avait toujours un banquet qui démarrait les hostilités et un qui les concluait. C’était une agréable parenthèse.
Azaël devait reconnaître que le buffet froid était délicieux. Une assiette à la main, il se mit à observer les élèves qui se discutaient joyeusement entre eux, tous niveaux et tous secteurs confondus. L’heure était à la détente et à la fête.
Il remarqua alors Haniel, occupé à remplir pensivement son assiette. Mais, avant qu’il ne puisse l’aborder, deux chemises noires l’encadrèrent et lui retirèrent sa nourriture avant de le tirer à leur suite. Son colocataire affichait un air las, comme s’il était habitué à ce genre de traitement. Mais, que se passait-il ?
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- Haniel ! Mon cher, quelle plaisante idée de venir me rendre visite !
Haniel roula des yeux puis fourra les mains dans les poches de son sweat. Face à lui, installé confortablement dans une large chaise capitonnée, Phineas était en train de déguster des raviolis chinois à la vapeur, entouré de sa précieuse petite cour vêtue de noir. Il claqua la langue avec satisfaction. Haniel fronça les sourcils. Quel arrogant petit empereur…
- C’est toi qui m’as fait venir, Phineas. Alors dis-moi ce que tu me veux.
- Oh, voyons, ne sois pas si ronchon !
- Viens-en aux faits, ta Majesté.
Phineas lui coula un regard surpris. Il n’avait pas l’habitude que son interlocuteur lui réponde. D’habitude, lorsqu’il le traînait devant lui, Haniel se contentait de fixer un point dans le vide et d’attendre que le temps passe. Mais cela, c’était avant, lorsqu’il souhaitait disparaître plus que tout au monde. Aujourd’hui, le jeune homme en avait assez. D’être seul et qu’on le considère comme une bombe à colère prête à exploser à n’importe quel moment. Mais comment prouver au monde qu’il avait changé… ?
Phineas éclata de rire puis frappa brusquement dans ses mains.
- Tu as raison, ne tournons pas autour du pot ! Cela fait pratiquement un an que j’essaie de te faire expulser, mon cher grain de sable. Tu enrayes ce beau mécanisme qu’est Sisoa. J’ai compris que tu ne bougerais pas d’ici. Tu es comme une tique, vorace de sang.
Il avait prononcé toutes ses phrases d’un ton égal, un grand sourire peint sur les lèvres.
- Comme à chaque début de guerre, cependant, je renouvelle mes, hum… mises en garde. Ne t’avise pas de troubler l’ordre de ma chère école. Tout le monde aime la guerre des secteurs, surtout celle qui conclue l’année scolaire. Alors n’essaie pas d’en empêcher le déroulement, sommes-nous d’accord ?
- Limpide, ta Majesté, grinça son interlocuteur.
- Parfait. Et dès que je serai moins occupé avec l’organisation de ma chère guerre, je te ferai expulser. Pour de bon, cette fois-ci, crois-moi. J’en parlerai avec le proviseur lors de notre prochaine réunion. Encore.
Haniel haussa les épaules en guise de réponse. Il avait l’habitude de ce genre de discours, maintenant.
- Sais-tu que les menaces sont passibles de sanctions pénales ?
Haniel eut un violent sursaut et fit volte-face. Derrière lui se dressait un Azaël visiblement mécontent, une assiette en carton dans une main, une fourchette dans l’autre. Les chemises noires, incrédules, n’eurent pas la présence d’esprit de l’arrêter lorsque l’exorciste se porta à la hauteur de son colocataire. Il lui refila son plat puis croisa les bras sur sa poitrine en toisant Phineas d’un air mauvais. Le président du conseil des élèves piocha un morceau de lapin dans son bobun et prit le temps de le mâcher lentement avant de l’avaler. Puis il adressa un sourire rayonnant au nouveau venu.
- Et tu es ?
- Azaël Walker. De quel droit penses-tu pouvoir proférer des menaces envers mon colocataire ?
Houlà, Haniel ne lui avait jamais connu un ton aussi polaire. Mais, d’expérience, il savait que se mettre les chemises noires de Sisoa à dos était une très mauvaise idée ! Il attrapa l’exorciste par le coude pour l’empêcher de commettre une bêtise, mais il reçut une œillade incendiaire en retour.
- Et toi, qu’est-ce qu’il te prend de te laisser faire ainsi ? Rester silencieux en cas de harcèlement est la pire des choses à faire, il faut en parler à un adulte responsable !
OK, voilà une réaction pour le moins inattendue, mais il s’y attarderait plus tard. Le lycéen hanté ordonna sèchement à l’exorciste de se taire d’un ton étouffé avant de saluer d’un hochement de tête Phineas qui se délectait de la scène. En réponse, le roi des chemises noires lui donna congés d’un léger signe de la main. Haniel entraîna alors son colocataire loin des oreilles indiscrètes, dans une salle de classe déserte. À cette heure, tous les élèves étaient au banquet.
Le jeune homme referma brusquement la porte derrière lui, furibond. Azaël, tout aussi fâché, s’était adossé au tableau, le regard noir.
- C’était quoi, ça ? siffla le possédé. Tu veux t’attirer des ennuis, ou quoi ?
- Je n’allais pas rester les bras croisés alors qu’il te menace ! protesta l’exorciste. Il n’a pas le droit de faire ça !
- Il a tous les droits, c’est Phineas Cixi, merde !
- C’est faux ! Il n’est pas au-dessus des lois !
- Dis le mec qui se balade avec des couteaux pour combattre des fantômes.
- Je ne vois pas le rapport. Ces armes m’ont été confiées par la Maîtresse de Fer et j’ai été formé pour m’en servir.
Haniel poussa un gémissement de frustration puis se frotta le visage.
- Tu n’avais pas à intervenir, voilà tout, finit-il par soupirer.
- Bien sûr que si ! Je suis ton partenaire !
Haniel cligna des yeux, surpris. L’exorciste prit une profonde inspiration pour s’inciter calme.
- On est dans le même bateau, toi et moi, reprit-il d’une voix plus douce. On doit se serrer les coudes. Je ne suis pas ton ennemi, d’accord ? Mais ton allié. Et j’aimerais que tu penses aussi ça de moi. Parce qu’on a besoin l’un de l’autre.
Haniel demeura interdit pendant de longues secondes. Personne ne s’était jamais adressé à lui… en ces termes. Certes, c’était un concours de circonstances malheureux qui les avait réunis. Mais, qui sait… Peut-être que quelque chose de positif découlerait de cette mésaventure, en fin de comptes.
Ils n’étaient pas amis… mais, c’est vrai, ils étaient alliés. Et c’était là le plus important.
- OK, partenaires.
- Partenaires, conclut l’exorciste.
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– Kim Possible s’est connecté –
Kim Possible : la grande guerre est déclarée ! Vous savez ce que cela signifie ?
Le Roi Léo : Une surveillance décrue.
La Fée Morgane : Une chance pour nous.
Édith Piaf : On va enfin le faire ?? J’ai si hâte, camarades !
Kim Possible : Bien sûr qu’on va le faire ! On nous a floué !
Le Roi Léo : Tu es sûrement le moins concerné de nous quatre par cette histoire…
Kim Possible : Certes. Mais c’est marrant ! Il faut encore qu’on règle les derniers détails et on pourra procéder à notre petite opération.
Édith Piaf : L’opération chaussettes et grenouilles va être lancée !
La Fée Morgane : Édith… Non, je refuse que notre plan s’appelle comme ça. Et ne change pas le nom de notre conversation de groupe !
– Édith Piaf a changé le nom de la conversation. La conversation s’appelle désormais : Chaussettes et Grenouilles –
Le Roi Léo : Et elle l’a fait…
Édith Piaf : Bonne nuit, camarades !
– Édith Piaf s’est déconnectée –
Kim Possible : Morgane, puisque tu es dans la chambre à côté de la sienne, tu lui tireras les oreilles pour nous.
La Fée Morgane : Bien reçu. Bonne nuit, tous les deux !