- C’est l’heure de la leçon sur les whisperers !
Azaël se planta devant son colocataire, effondré à même le sol. Ce dernier, une bouteille d’eau aux lèvres, lui jeta un regard halluciné. Sa respiration était encore erratique. Il fallait dire que la session de sport que l’exorciste venait de lui imposait avait été plutôt intense.
- Maintenant ? s’étrangla son élève.
- Oui, maintenant. C’est inscrit dans le programme que je t’ai donné. Tu n’as pas consulté ton calendrier ?
Le possédé se contenta de grommeler un « espèce de maniaque » avant de boire une longue rasade d’eau. Azaël n’en prit pas ombrage et s’installa en tailleur face à son vis-à-vis. Il fouilla dans son sac à dos pour en tirer un large cahier à spirales. Autour d’eux, les premières ne bronchèrent pas. Depuis que la grande guerre avait été lancée, trois jours auparavant, l’étage « Sport » était devenu bien plus calme. Tous les élèves se préparaient au grand conflit. Les secondes, quant à eux, n’avaient plus le droit de pénétrer la tour des premières. Mais, comme Azaël était toujours accompagné de Haniel, personne n’avait osé leur faire de remarques.
Haniel se pencha sur l’écriture régulière de son colocataire. Azaël prit un stylo et désigna le titre de sa première leçon : « Les whisperers, les bases ».
- Premier point, que sont véritablement les whisperers ? Même nous, dans le Clan, nous ignorons d’où ils proviennent. Nous savons que ce sont des esprits malfaisants qui rôdent dans notre monde. Ils se nourrissent des émotions négatives des gens.
- C’est pour ça qu’ils possèdent les gens ?
- Oui. Et parce que sans enveloppe charnelle, ils ne peuvent interagir avec notre monde.
- Comment ça ?
Azaël dessina rapidement un bonhomme bâton. Il vit son interlocuteur hausser un sourcil amusé.
- Le grand Azaël n’a donc pas de compétences artistiques…
- Ce n’est pas notre point ici !
Les whisperers ne sont que des essences, poursuivit-il. Cela signifie qu’ils ne peuvent toucher quoique ce soit. Par contre, s’ils possèdent quelqu’un, ils peuvent manipuler le corps de leur victime une fois sa conscience endormie.
- Cas classique de possession, en somme, résuma Haniel.
- Ce n’est pas comme dans le film que tu m’as montré.
La veille, Haniel avait tenu absolument à ce qu’ils visionnent un film appelé Conjuring. Pour son éducation, avait-il assuré. Azaël n’était pas sûr de vouloir confier son initiation culturelle à son colocataire, en définitive. Mais, au moins, maintenant, il comprenait pourquoi il l’avait appelé Ed Warren, la semaine dernière !
- Il arrive que les whisperers assez puissants développent des sortes de pouvoirs en se nourrissant des sentiments de leurs victimes, poursuivit Azaël, ignorant le regard moqueur de Haniel.
- Comme le gars que tu as exorcisé quand tu es arrivé ? Il avait comme une armure autour de lui. Et il pouvait étendre ses bras.
Azaël hocha la tête.
- Ils gagnent aussi en puissance lorsqu’ils se nourrissent de sang et de chair. Au Clan, les exorcistes ont établi un classement des whisperers, selon leur force. Les niveaux un sont très faibles. Ces whisperers prennent possession de leur victime et se contentent de les suivre sans même se manifester. Les possédés ressentent juste une grande fatigue qui peut aller jusqu’à l’hospitalisation parce que les fantômes aspirent leur énergie en même temps que leurs émotions. Les niveaux deux sont déjà plus virulents, mais ils s’en prennent rarement aux humains. Par contre, les trois, comme celui avait hanté Richard, sont déjà des cas plus épineux, mais ce sont malheureusement les plus répandus. Et les niveaux quatre… Les niveaux quatre…
Azaël se tut brièvement, assailli par des souvenirs déplaisants. Il les refoula sans état d’âmes. Autrefois, sa peur l’avait paralysé et cela avait failli coûter la vie de son amie Himi. Dans ce combat, la jeune fille avait perdu en partie une oreille… Et cela, jamais il ne se le pardonnerait. Un outil, voilà ce qu’il était, se répétait-il. Un outil infaillible qui tuait les whisperers…
Enfin… Il le serait de nouveau bientôt.
Haniel lui donna un petit coup dans l’épaule pour le réveiller. L’exorciste s’excusa brièvement avant de reprendre :
- Les niveaux quatre ne sont appréhendés que par les exorcistes certifiés.
- Ce n’est pas ton cas ?
- Non. Je n’ai pas encore reçu le titre officiellement. C’est la Maîtresse du Fer qui décide lorsqu’on est digne de le recevoir.
- La Maîtresse du Fer ? C’est le forgeron de ton Clan, c’est ça ?
- L’organisation du Clan, c’est la prochaine leçon.
Haniel roula des yeux, mais n’insista pas. Il se pencha davantage sur le cahier, songeur.
- Ça fait quand même peu d’infos… murmura-t-il. Personne n’a jamais réussi à communiquer avec un whisperer ?
- Pas que je sache, non… Toi, tu comprenais ce que te disais le tien ?
Le possédé hocha négativement la tête en faisant la moue.
- C’étaient juste… comme des chuchotis, tu vois ? Une voix qui marmonne en permanence et qui poussait parfois des cris. Mais rien d’intelligible. Plutôt comme une voix animale, en fait.
Azaël referma son cahier, curieux. On dirait que son insupportable colocataire était d’assez bonne humeur pour partager des informations avec lui ! Ou trop fatigué, au choix…
- Ça fait longtemps que tu l’entends ? l’interrogea-t-il.
Haniel haussa les épaules et but une nouvelle gorgée d’eau.
- Depuis toujours, je pense. Quand j’étais tout gamin, de temps en temps, je percevais sa voix. Puis, avec le temps, son emprise s’est renforcée. Et ça a vraiment empiré durant le collège. C’est devenu… insupportable…
L’exorciste écarquilla les yeux. Depuis tant d’années ? Jamais il n’avait entendu parler d’un cas de possession aussi long ! Dans ce cas, cela pourrait-il avoir un lien avec le fait qu’il n’ait pas réussi à percevoir le noyau du whisperer… ? Une pensée le traversa, glaçante.
- Je commence à avoir froid, se plaignit Haniel. On a fini ?
- Hum ? Oh, oui, oui. Allons-y.
Son élève se leva d’un bond et fila vers les vestiaires sans l’attendre. Azaël l’observa s’éloigner, le cœur serré. Et si… Haniel n’avait pas de noyau… ?
Il secoua la tête. Non, certes, il s’agissait d’un cas inédit de possession. Mais il trouverait une solution. Il était un exorciste, après tout. Il parviendrait à tuer le whisperer de son colocataire.
Coûte que coûte.
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Cette nuit-là, Azaël ne parvint pas à trouver le sommeil. Il tourna et se retourna entre les draps, les yeux grands ouverts dans le noir. Sur le lit d’à côté, son colocataire dormait, la main refermée sur le pochon qui contenait le fragment de couteau, recroquevillé sur lui-même. De son casque continuait à s’échapper de douces notes de piano.
Au bout de deux longues heures, l’exorciste en eut assez et repoussa les draps. Il enfila un jogging et sortit de la chambre. Il savait qu’il n’était pas autorisé de sortir de l’internat en pleine nuit, mais il ne supportait pas l’idée de passer encore plusieurs heures à attendre le lever du jour. Courir lui permettrait au moins de se vider l’esprit !
Il sortit de l’internat et commença à marcher en direction du bâtiment des premières, perdu dans ses pensées. Alors qu’il passait devant la tour des secondes, une sensation glaçante se déversa sur lui avec la force d’une cascade. Il se frotta les bras, tous sens en alerte. Il avait l’impression que la lame dissimulée dans sa manche vibrait. Un whisperer ? Encore ? C’est alors qu’un éclat de lumière attira son attention. Que devait-il faire ? Même s’il y allait, il ne pourrait rien faire contre le fantôme. Mais Haniel n’était pas prêt à combattre… De plus, le temps qu’il aille le chercher, le whisperer aurait eu le temps de se cacher.
Non, il fallait qu’il y aille. Au moins pour découvrir l’identité de la personne possédée. Ignorant ses entrailles qui se tordaient, il se mit à courir silencieusement vers la source de lumière. Cette dernière se déplaçait. Une lampe torche ? Azaël se glissa à l’intérieur du bâtiment. Il lui fallut quelques secondes pour s’habituer à l’obscurité ambiante. La nuit, la large bâtisse avait un tout autre aspect. Ses hauts plafonds lui conféraient un air de cathédrale gothique. Où était passée sa cible… ? Plus silencieux qu’un fantôme, il traversa le hall et gagna le large escalier qui menait vers les salles de classe. Alors qu’il approchait du second étage, ce sentiment de givre se manifesta de nouveau. Effectivement, un whisperer était dans le coin ! Maintenant, tout ce qu’il avait à faire, c’était de découvrir l’identité de…
Une main se posa sur son épaule.
L’instinct de guerrier d’Azaël prit le dessus sur son côté rationnel. Il attrapa le bras de la personne qui se tenait derrière lui et la fit rouler sur son épaule. En un battement de cil, il immobilisa son agresseur en le maintenant au sol, un bras tordu dans le dos.
- Whaou, Azaël ! Calme-toi ! C’est moi !
Il fallut quelques secondes à l’exorciste pour identifier la voix.
- Léonard ?
Un puissant faisceau blanc le prit soudainement dans son phare. Trois silhouettes armées de lampes torches se dressaient dans son dos, surprises. Morgane, Édith et Kim !
- Par Warhol, tu peux te lever ? T’es tout en muscles, tu pèses lourd…
Confus, l’exorciste se redressa en marmonnant des excuses puis il aida Léo à se mettre sur pieds. Enfin, il se tourna vers le reste du groupe.
- Mais qu’est-ce que vous faîtes là ? souffla-t-il.
- On te retourne la question, répliqua Kim de sa voix robotique.
- J… J’ai vu de la lumière… ?
- Suspicieux…
- Peu importe, les coupa Morgane d’un ton étouffé. Si on ne se presse pas, on va finir par se faire remarquer !
C’est alors qu’un détail insolite frappa l’exorciste.
- Pourquoi vous portez tous des chaussettes sur vos mains… ?
- Pour ne laisser d’empreintes, camarade, lui répondit Édith sur le ton de l’évidence. Tu en veux aussi pour toi ? J’en ai en rab. Et regarde, je leur ai collé des yeux globuleux. Tu ne trouves pas qu’elles ressemblent à d’adorables petites grenouilles ?
La musicienne ouvrit et ferma ses doigts comme pour faire parler sa marionnette chaussette. Les faux yeux ne cessaient de se balancer dans un mouvement hypnotique dont Azaël eut du mal à s’arracher. Ses amis poussèrent de graves soupirs puis ouvrirent la marche. Édith referma une de ses mains gantée sur celle d’Azaël pour le traîner à sa suite.
- Viens, camarade, tu vas nous aider ! On va récupérer nos biens !
- Vos biens ?
- Oui, ceux qui nous ont été confisqués, il y a trois mois par le conseil des élèves.
- Quoi ?
Tous quatre lui lancèrent de longs « chuuut » appuyés. Mais Azaël ne comptait pas se taire pour autant.
- C’est du vol, chuchota-t-il, vous ne pouvez pas faire ça !
- Bien sûr que si, rétorqua Léo. Ce sont nos affaires. On appelle ça une restitution.
- C’est l’opération chaussettes et grenouilles, crut bon de préciser Édith.
L’exorciste n’était pas sûr de savoir quoi faire de cette information. Il relâcha la main de la musicienne et se porta à la hauteur de Morgane qui, à son avis, lui paraissait être la plus sensée ici.
- Morgane, ça va à l’encontre du règlement intérieur. Les affaires confisquées sont gardées dans le bureau du conseil des élèves jusqu’à la fin de l’année puis restituées en temps et en heure.
- Mais, Azaël, je viens d’une famille de voleurs professionnels, tu ne le savais pas ? Arsène Lupin, c’est un de mes ancêtres. On a ça dans le sang…
D’une de ses marionnettes, elle donna au jeune homme un bisou sur le nez avant de s’éloigner. Du coin de l’œil, l’exorciste remarqua que Kim notait cette nouvelle information sur une petite tablette avant de le faire disparaître dans l’une des nombreuses poches de son large pantalon, l’air satisfait. Mon Dieu, il ne parviendrait jamais à élucider les dynamiques de cet étrange petit quatuor…
Un bras se glissa sous le sien. Léo lui offrit un large sourire.
- Allez, viens avec nous. De toutes façons, tu as pénétré illégalement – il insista particulièrement sur ce mot, dans un bâtiment scolaire en pleine nuit. Si on est pris, tu auras aussi des ennuis, non ?
Azaël se raidit. C’était exact. Il devait faire en sorte qu’ils repartent tous sans être vus afin d’éviter les troubles. Il ne pouvait risquer d’être viré de Sisoa ! Surtout pas après son dernier entretien avec Dominika Miko !
- Ne t’en fais pas, ajouta le jeune homme. Dieu Warhol veille sur nous.
L’exorciste ne connaissait pas ce fameux monsieur, mais, sincèrement, il espérait que Léo disait la vérité…
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Le plus silencieusement possible, les quatre amis et Azaël se rendirent au dernier étage de la tour des secondes. Contrairement aux bâtiments consacrés aux classes supérieures, entièrement dédiés au développement des talents des étudiants, celui des secondes accueillait les larges bureaux du conseil des élèves au sommet de sa tour.
Parvenus au dernier pallier, ils se heurtèrent à un premier obstacle : une gigantesque porte à doubles battants décorés de rinceaux sculptés à même le bois. Derrière les ornementaux floraux, deux silhouettes se dissimulaient, main dans la main. Quelle étrange gravure…
Morgane fit jaillir de sa chaussette grenouille une clé qu’elle passa à Léo. Ce fut lui qui se chargea de déverrouiller précautionneusement la serrure. Azaël comprit à leurs regards furtifs qu’ils n’étaient pas censés être en possession de cette fameuse clé. Il se retint de leur demander qui en était normalement le propriétaire. Pas le temps à perdre en palabres, il fallait qu’ils sortent le plus vite possible d’ici.
Ils pénétrèrent tous cinq ce qui semblait être une immense salle de réunion. Kim afficha sur son téléphone un plan de l’étage et indiqua une pièce située à gauche de leur position.
- C’est là qu’ils gardent tout ce qu’ils confisquent, murmura Léo, les yeux brillants d’excitation.
- Reprenons ce qui est à nous, chuchota Édith.
Ils s’apprêtaient à se diriger vers leur cible lorsqu’un son les fit sursauter. Dans le lointain, une porte venait de claquer. Les apprentis cambrioleurs se figèrent. Bientôt, le bruit d’un pas croissant résonna à travers l’étage. La panique gagna les lycéens. On venait !
- Dispersion, chuchota Morgane avec empressement.
Azaël n’eut pas le temps d’émettre d’objection qu’il fut seul. Tous avaient filé à la vitesse de l’éclair ! Et ces pas qui ne cessaient d’approcher. L’exorciste cessa de réfléchir. Il traversa à toute vitesse la salle de réunion et se glissa derrière une large bibliothèque. Là, il eut la surprise de retrouver Édith qui avait eu la même idée que lui. Sa camarade de classe l’attrapa par le col de son tee-shirt pour le forcer à se baisser. Juste à temps ! Une lumière crue se déversa dans la salle. Curieux, les deux élèves se redressèrent légèrement afin de pouvoir observer le nouvel arrivant. Azaël fut surpris de constater qu’il s’agissait de Phineas Cixi en personne. Dépourvu de ses artifices et de sa cour, le président du conseil des élèves était bien plus ordinaire. Et, surtout, il affichait un visage beaucoup plus fatigué. Il tenait à bout de bras une monstrueuse montagne de dossiers. Avec un soupir, il la laissa tomber sur le plateau de la grande table de réunion avant de la dispatcher devant les différents fauteuils.
Édith semblait fascinée par ce qu’elle voyait. Elle dégaina son téléphone afin de prendre une photo et l’envoyer à ses amis. Azaël vit des bulles multicolores apparaître sur son écran à mesure que les commentaires affluaient. Visiblement, il était rarissime d’apercevoir le président du conseil sans fards…
Il reporta son attention sur Phineas qui semblait contempler pensivement un médaillon qu’il tenait dans sa main. Puis, il l’empocha et se mit à consulter un dossier qu’il gardait sous le bras. Il le parcourut pendant de longues minutes. Tout à coup, sa tête se redressa et se tourna vers la droite. Ses yeux se plissèrent, inquisiteurs. Il déposa la pochette en carton puis quitta la salle d’un pas pressé. Sûrement avait-il entendu quelque chose…
L’exorciste attendit encore quelques secondes avant de s’extirper de sa cachette. Puis il aida Édith à en sortir à son tour.
- On doit y aller, lui chuchota-t-il. Maintenant.
- Je ne pars pas sans mon instrument, répliqua la musicienne.
- On te le rendra dans deux mois et demi, ce n’est pas dans si longtemps.
- Non, Azaël. J’en ai besoin.
L’exorciste ne lui avait jamais connu un ton si sérieux. Peu importe ce que le conseil lui avait confisqué, elle semblait y tenir comme la prunelle de ses yeux. Le jeune homme comprit très vite qu’il ne pourrait la faire changer d’avis. Et il ne pouvait se résoudre à la laisser seule derrière lui…
- Très bien, céda-t-il. Mais on fait vite.
- Tu as ma parole, camarade Walker.
- Viens.
Kim n’avait affiché le plan de l’étage que quelques secondes, mais cela avait suffi à l’exorciste pour le mémoriser. Il entraîna la jeune fille à sa suite à travers une série de corridors. Tout était si démesuré ici… Ils parvinrent enfin à la pièce qui les intéressait, mais elle était verrouillée. Édith grimaça et avoua que c’était Morgane qui détenait la clé. Azaël lui piqua alors une épingle et s’agenouilla devant la serrure. Au Clan, il avait appris à crocheter ce genre de portes, ce n’était pas un problème pour lui, mais il aurait préféré garder cette compétence secrète. Lorsqu’il se redressa, Édith fit mine de l’applaudir discrètement. Elle récupéra sa pince à cheveux dans un geste élégant, un sourire tendre sur les lèvres et murmura un simple « merci » avant de repousser la porte. Derrière, il y avait une dizaine d’étagères en fer blanc qui croulaient sous des objets en tout genre.
- Dépêchons-nous, murmura la musicienne. Je me charge de mon objet. Peux-tu retrouver ceux de Morgane et Léo ?
Elle lui donna une rapide description avant de se couler parmi les ombres. Azaël poussa un soupir puis défit sa queue de cheval. Sa mission était assez simple en soi… Trouver un set de pinceaux à ressorts et un chapeau à haut de forme télécommandé… Mais à quoi pouvaient ressembler ces étrangetés ? Le jeune homme se mit à parcourir l’allée dans laquelle il se trouvait. À l’image du reste de Sisoa, la salle des objets confisqués était unique et pleine de trouvailles extraordinaires. Par exemple, l’attention de l’exorciste fut attirée par la présence de deux énormes têtes de renards en peluche aux yeux constellés de brillants roses et violets. Juste à côté, il trouva un chapeau en tuile sur lequel avait poussé une minuscule forêt de bonzaïs. Les élèves de cette école avaient le chic pour développer leurs talents de la manière la plus insolite qui soit. En parcourant cette pièce, une pensée envahit soudain Azaël. Et lui ? Qu’avait-il de spécial, par rapport à tous ces étudiants qui œuvraient jour après jour pour faire émerger le meilleur d’eux même ? Il n’était qu’un outil, après tout… Pendant combien de temps parviendrait-il à tromper tout le monde dans ce lycée ?
Perdu dans ses pensées, il faillit passer à côté des pinceaux de Léo. Ce ne fut que lorsqu’une tête poilue percuta soudainement son nez qu’il réalisa leur présence. Visiblement, les ressorts avaient besoin d’une sérieuse révision ! Il embarqua sous son bras l’ensemble des cinq pinceaux qui grinçaient dangereusement. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver le chapeau de Morgane…
C’est alors que les néons s’allumèrent et déversèrent leur lumière crue dans la salle. L’exorciste se figea, tous sens en alertes.
- Il y a quelqu’un ici ? Le couvre-feu est passé !
Cette voix ! Phineas ! Il fallait qu’ils partent d’ici, maintenant ! Veillant à se faire le plus discret possible, Azaël se mit à remonter les rangées d’étagères. Il était tellement concentré sur Phineas qu’il en avait oublié la présence d’Édith et il manqua de lui casser les dents lorsque sa main se posa violemment sur son épaule. Heureusement, au dernier moment, il désarma son poing. La musicienne ne parut pas s’offenser de sa réaction. Elle serrait précieusement un étui ovale entre ses bras.
- Qu’est-ce qu’on fait ? murmura-t-elle. On n’arrivera jamais à le passer…
- J’ai peut-être une idée…
Azaël fit signe à sa camarade de reculer vers le fond de la salle jusqu’aux têtes de renard. Un éclair enthousiaste passa dans ses yeux noirs.
- J’ai toujours rêvé de me déguiser en furry un jour, avoua-t-elle à voix basse.
Puis elle enfila le costume prestement. Azaël songea qu’il demanderait plus tard à Haniel ce qu’était un furry et plaça sa tête à l’intérieur de la peluche à son tour. Sa main trouva naturellement celle de la musicienne.
- Prêt ? lui chuchota-t-il.
Édith hocha vigoureusement sa fausse tête. L’exorciste murmura rapidement un pardon à l’égard de Léo puis, à l’aide d’un ressort, il fit bondir un pinceau dans les airs. Le manche en bois entra en collision avec un bocal rempli de billes minutieusement peintes qui se renversa et déversa son précieux chargement dans un boucan de tous les diables. Un bruit de pas précipités se fit entendre. Les deux camarades se lancèrent alors au triple galop vers la sortie.
- Hé ! Vous deux ! Arrêtez-vous !
La diversion n’avait pas été bien efficace ! Évidemment, ni Édith ni Azaël n’obéirent et ils poursuivirent leur course folle. Parvenus à la porte, ils la claquèrent derrière eux puis jetèrent les têtes en peluche au sol avant de poursuivre leur échappée. Alors qu’ils courraient à en perdre haleine dans les couloirs, une soudaine vague de froid traversa les os de l’exorciste. Mais, trop focalisé sur sa fuite, il y prêta à peine attention. En quelques minutes, ils avaient atteint les escaliers. Sans même prendre le temps de reprendre leur souffle, ils se mirent à dévaler les marches dans le noir. Alors qu’ils gagnaient enfin le hall, une puissant mélodie explosa sous le haut plafond. Édith riait. Malgré son souffle court, ses jambes tremblantes, elle riait à gorge déployée. Et, sans réellement savoir pourquoi, l’exorciste se mit soudain à rire aussi.
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Samedi matin. Haniel détestait ce jour. Parce que, dans quelques heures, il devait retourner dans sa famille. Revoir ses parents. Les entendre adresser une prière dès qu’il apparaissait leur champ de vision.
Il éteignit péniblement le réveil qui lui sciait les oreilles puis se redressa péniblement sur un coude. Dans le lit d’à côté, Azaël dormait encore à poings fermés, ce qui était vraiment bizarre parce qu’il était du genre à bondir du lit dès la première sonnerie. Mais, ce qui était encore plus étrange, c’était qu’il serrait contre sa poitrine des pinceaux dont les têtes pendaient mollement au bout de longs ressorts.
Le lycéen décida de ne pas s’y attarder et il gagna leur salle de bains afin de procéder à une toilette sommaire. Lorsqu’il retourna dans leur chambre, il vit son colocataire s’asseoir péniblement, l’œil ensommeillé et les cheveux en bataille. Il haussa un sourcil. On dirait que le grand Azaël avait du mal à émerger ce matin…
Il le détailla un moment sans que l’exorciste ne s’en rende compte. Son profil fier, sa mâchoire carrée. Il se rappelait de la semaine passée, lorsqu’il lui avait avoué qu’il n’avait pas de famille. Et du sentiment qui avait envahi ses tripes.
La jalousie…
- Hé !
Son colocataire leva les yeux sur lui et bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Visiblement, quelqu’un n’avait pas fait toutes ses heures, cette nuit !
- Tu fais quoi ce week-end ?
- Ce week-end ? répéta bêtement son interlocuteur. Heu, rien, je suppose… Cela dépend des missions qui me sont assignées. Je ne connais pas mon emploi du temps précis à l’avance, c’est Sengo qui dé… !
- Parfait, tu n’as rien, le coupa Haniel.
Il se planta devant son colocataire, mains sur les hanches.
- Ça te dit de passer le week-end chez moi ?
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Édith Piaf : La mission chaussettes et grenouilles a été un véritable succès !
La Fée Morgane : Parle pour toi, je n’ai pas pu récupérer mon chapeau télécommandé.
Le Roi Léo : Et les ressorts de mes pinceaux sont foutus !
Kim Possible : Moi, je me suis bien amusé !
Le Roi Léo : On s’en doute, espèce de démon ! Dès qu’on nous tourne en ridicule, tu trouves ça drôle !
Kim Possible : Je suis le sarcastique de la bande. C’est mon rôle de me moquer de vos mésaventures.
La Fée Morgane : Ne nous disputons pas. On se retrouve demain après-midi pour une séance commune ?
Édith Piaf : Ce sera sans moi, camarades, désolée. J’ai quelques petits trucs à régler.
Le Roi Léo : Oh, nous ferais-tu des cachoteries ? Tu sais ce que l’on dit : les messes basses divisent même les plus beaux champs de coquelicots !
La Fée Morgane : Je suis certaine que ce proverbe n’existe pas…
Édith Piaf : Promis, camarades, vous saurez tout. En temps et en heure.