Les conques résonnèrent au lever du soleil à travers l’entièreté du campus. Puis ce fut la voix de Phineas, portée par l’ensemble des hauts parleurs, qui mit en pièce la quiétude de l’aurore :
- Sisoa, l’heure de la guerre a sonné !
Azaël et Haniel, qui avaient passé une bonne partie de la nuit à regarder des films, furent tirés péniblement du sommeil. L’exorciste ouvrit la fenêtre de leur chambre et se pencha dans le vide. La tour centrale du lycée avait été décorée pendant la nuit. Une tenture géante avait été accrochée, représentant deux armées face à face, prêtes à se sauter à la gorge. La peinture était grandiose et d’un réalisme à couper le souffle. Le jeune homme avait l’impression que les figures allaient tout à coup s’arracher de la toile pour se mettre à cavaler dans Sisoa. Les rayons du soleil levant jetaient un voile violet et rose sur la toile, l’imprégnant de mystère.
- Incroyable, murmura-t-il.
- Pourquoi ils ont besoin de faire ça de si bon matin ? grogna Haniel, la tête enfoncée dans son oreiller.
- Toi qui as assisté à la grande guerre de l’an passé, tu peux me dire comment ça se déroule ? lui demanda son colocataire avant de refermer la fenêtre. J’ai demandé à Édith et aux autres, mais ils préféraient garder le suspens…
- Je m’en voudrais de gâcher la surprise !
Azaël lui jeta un regard peu avenant, regrettant de n’avoir rien sous la main pour le lui balancer à la figure. Haniel se leva puis se dirigea d’un pas vacillant vers la salle de bains. Il faillit se prendre un mur en chemin et râla contre les mèches qui lui tombaient dans les yeux. L’exorciste le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse, amusé.
Samedi soir, lorsqu’ils s’étaient retrouvés, ils avaient longuement hésité sur la conduite à tenir. Maladroits, ils avaient gardé le silence pendant plusieurs minutes de supplice jusqu’à ce que Haniel craque et se mette à parler. De la dispute qui avait suivi le départ d’Azaël, de la violence des propos de Hugues, des pleurs incessants de Milagro. Et la décision infâme de ses parents : dorénavant, ils n’avaient plus de fils. Depuis, leurs yeux ne se croisaient même plus.
- Je suis désolé, avait murmuré Azaël.
- Ce n’est pas ta faute, avait soupiré Haniel, le regard brillant. Hugues et Jeanne n’attendaient que ça.
- Même si tu n’entends plus le whisperer ? Aucune chance que ta relation avec eux s’améliore ?
Haniel avait ri, d’un rire amer.
- Non, aucune… Ils ne me haïssent pas juste à cause de mes crises.
- Il y a autre chose ? Ça a un rapport avec le fait que ta mère nous ait trouvés dans le même lit ?
Son colocataire l’avait fixé longuement, les yeux écarquillés, sans oser prononcer un seul mot. Puis il avait tapoté son épaule d’un air désolé.
- Tu as vraiment encore beaucoup à apprendre en relations humaines…
Ils s’étaient arrêtés là. Dimanche, ils l’avaient passé à s’entraîner et à lire en écoutant de la musique. Une journée simple qui leur avait fait le plus grand bien. Ils étaient prêts à attaquer cette nouvelle semaine qui s’annonçait particulièrement mouvementée. Édith et sa bande en avaient parlé longuement hier sur leur discussion de groupe. Leurs amis du collège et leurs familles allaient apparemment en profiter pour venir leur rendre visite. Il se demandait bien à quoi pouvaient ressembler ces personnes… ?
- Azaël, tu vas être en retard si tu continues à glander !
- Ah oui, j’arrive !
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En classe d’anglais, Mr. Silly leur annonça qu’il laissait la parole au conseil des élèves. À la surprise générale, ce fut Phineas Cixi qui s’avança sur l’estrade, une tablette à la main. Son regard s’attarda quelques secondes sur Azaël à qui il adressa un sourire moqueur. Le jeune homme aurait juré entendre ses camarades de classe soupirer, comme si ce rictus était la plus charmante des mimiques. Effectivement, Haniel avait raison… Il avait encore beaucoup à apprendre.
- Bonjour à tous ! clama le roi des chemises noires. Ne vous inquiétez pas, je serai le plus bref possible afin que Mr. Silly puisse poursuivre son cours.
Il passa un doigt sur sa tablette afin que le vidéo projecteur affiche un planning. L’exorciste se pencha en avant, curieux. Il allait enfin en apprendre plus sur ce curieux événement qui avait tant d’importance au sein de cette étrange école.
- C’est votre première grande guerre, poursuivit Phineas. Dès demain, vous n’aurez plus cours que la matinée et ce, jusque vendredi soir. Tous les après-midis sont consacrés aux performances de vos camarades de classe supérieure. Les deux premiers jours sont consacrés aux premières, les deux derniers aux terminales. Dans le mail que vous avez déjà dû recevoir, vous avez le programme en pièce jointe, n’hésitez pas à le compulser.
Il afficha la slide suivante. Sur le tableau fleurirent des photos d’élèves en plein travaux. Certains peignaient un décor en bois. D’autres accordaient leurs instruments. Azaël reconnut certains élèves « Arts de la scène » qui tournaient souvent autour de Richard.
- Cette année encore, vos camarades se sont surpassés pour vous offrir un spectacle de toute beauté qui allie six des huit secteurs de l’école : la musique, les arts de la scène, les arts plastiques, les lettres, les sciences et la technologie.
- Monsieur Cixi, quel est le thème de cette année ? le questionna une lycéenne au premier rang en levant très haut sa main.
- J’y viens. Pour ceux qui l’ignorent, le conseil des élèves procède chaque année à un vote pour déterminer un thème pour la grande guerre. C’est autour de ce sujet que les élèves ont construit leurs performances. Et cette année, nous avons choisi le surnaturel !
Sur le tableau se déploya un large éventail jaune devant lequel dansaient des fantômes blancs en tournoyant. Tous se mirent à applaudir, même Azaël, fasciné par l’animation au tableau. Phineas esquissa une révérence avant de prendre un air bien plus grave.
- Comme vous le savez, l’année dernière, un terrible accident s’est produit, ce qui a entraîné l’hospitalisation de certains élèves, dont moi C’est en partie afin que cela ne se reproduise pas que j’ai choisi de concourir pour la place de président du conseil des élèves et que j’ai abandonné mon secteur. Je tiens à ce que votre première grande guerre demeure à jamais un souvenir impérissable dans vos mémoires. Mais pour cela, j’ai besoin de votre coopération. Êtes-vous d’accord ?
La classe approuva bruyamment, ce qui fit sourire leur interlocuteur. Celui-ci expliqua que le corps professoral allait veiller à la sécurité de chacun d’entre eux, mais que les coulisses des spectacles étaient fortement interdites.
- Les membres du conseil des élèves seront, quant à eux, chargés d’escorter les visiteurs de site en site, alors je vous invite à rediriger quiconque vous demandant des renseignements. Votre travail à vous, c’est de vous abreuver du travail de vos aînés afin de nous produire un spectacle encore plus grandiose l’année suivante !
« Phineas Cixi est vraiment un beau parleur », constata Azaël en voyant tout le monde approuver vivement. Il avait un don pour rallier le plus grand nombre d’un sourire. Pourtant… Ses pensées se dirigèrent vers leur premier face-à-face, lorsqu’il l’avait surpris en train de menacer Haniel. Le président du conseil des élèves couvait quelque chose de sombre dans son cœur. C’était dommage qu’il utilise ses talents d’orateur pour faire peur à un élève au lieu de lui venir en aide.
La présentation du roi des chemises noires se poursuivit. Il exposa à tous les nombreuses règles que les élèves de seconde allaient devoir suivre au cours de la semaine à venir. Azaël les nota consciencieusement une par une. Lorsqu’il eut achevé son discours, Phineas rendit la scène à Mr. Silly. Mais, avant de quitter la salle de classe, le terminale se retourna pour faire face une dernière fois à son public :
- Dans un mois, vous allez devoir choisir vos secteurs. Vous avez découvert au cours de l’année ce que chaque option était capable de faire de son côté. Maintenant, vous allez voir ce que les secteurs savent faire lorsqu’ils s’unissent. Profitez du spectacle !
Les élèves de la 2de 8 l’applaudirent à tout rompre. Azaël se joignit au mouvement en sentant quelques regards peser sur lui. À côté de lui, Édith esquissa une brève grimace avant de se tourner vers son portable, les sourcils froncés. L’exorciste songea à l’interroger, mais leur professeur frappa dans ses mains pour ramener l’ordre dans la classe.
- Reprenons la leçon du jour ! La cérémonie d’ouverture de la grande guerre n’est que cet après-midi, alors tout le monde se concentre !
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- Comment ça, il est malade !
Quel raffut… Haniel décida de ne pas y prêter attention, le nez plongé dans sa tablette. Ce matin, l’un de leurs professeurs était venu le trouver pour l’enrôler de force dans la grande guerre. L’ensemble de ses camarades et lui s’étaient fait enguirlandés car l’ultime conflit des secteurs de l’année était censé unir l’ensemble des lycéens, personne ne devait être mis de côté. Aussi Haniel devait-il donc faire sa part. L’intéressé aurait bien été tenté de répliquer que si Sisoa n’était pas aussi laxiste, peut-être qu’il n’aurait pas passé son année seul dans son coin, mais il avait compris au regard noir de l’adulte que ce n’était pas le moment de la ramener.
Alors le voilà relégué à l’inventaire du matériel, faute de lui trouver une fonction plus utile. Depuis que la fin des cours du matin avait sonné, l’effervescence avait gagné sa classe. Tout le monde enfilait son costume de spectacle, procédait aux dernières vérifications. Et là, la terrible nouvelle était tombée : l’un des musiciens était absent. Une intoxication alimentaire ! C’était la panique. Tous chuchotaient et élaboraient des solutions toutes plus farfelues les unes que les autres. Il fallait trouver un remplaçant, mais qui savait jouer de la guitare et connaissait par cœur le morceau qu’ils devaient interpréter pour la cérémonie d’ouverture ? Personne !
- Haniel…
L’intéressé se raidit. Sa déléguée de classe se tenait à quelques pas de lui, hésitante. Elle torturait ses doigts, le regard fuyant. Que lui voulait-elle ? Soudain, elle prit une grande inspiration pour se donner du courage.
- S’il te plaît, sauve-nous ! cria-t-elle à plein poumons.
Le lycéen possédé sentit sa tablette lui échapper des doigts. Il cligna des yeux, surpris. Pardon ? Tous autour d’eux s’étaient figés. Puis, soudain, un élève éclata de rire.
- Béatrice, enfin ! Tu n’es quand même pas en train de t’abaisser à demander de l’aide au sans-secteur !
Oh… C’était donc Béatrice, son prénom… La jeune fille se mordit la lèvre. Des plaques couleur tomate commençaient à apparaître sur ses joues.
- H… Haniel sait jouer de la gui, guitare, protesta-t-elle malgré sa nervosité. Je l’ai déjà vu faire à l’étage « Musique ». Et il nous a entendu répéter pendant presque un mois ! Je suis sûre qu’il connaît le morceau !
Sa voix s’était affermie à mesure de sa tirade. La déléguée reporta son attention sur Haniel qui la dévisageait comme s’il avait affaire à une extra-terrestre. Ce qui était peut-être le cas. Après tout, elle venait de lui proposer… de participer à la grande guerre. Puis il réalisa que ce n'était pas la première fois que Béatrice lui tendait la main ainsi. Sauf que la dernière fois, il l’avait rejeté sans pitié car il pensait qu’elle se moquait de lui. Et si c’était lui… qui s’était fourvoyé ?
- Haniel.
Béatrice fit tomber ses mains sur ses épaules, le regard brûlant.
- S’il te plaît ! On a besoin de toi…
Sans même qu’il en prenne conscience, le jeune homme opina du chef. Le sourire ravi et soulagé de sa déléguée lui donna comme un coup au cœur. Leurs camarades de classe fronçaient les sourcils, peu convaincus. Lorsque les conques firent retentir leur chant pour la deuxième fois de la journée, ils surent qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’accepter.
- En route, le sans-secteur ! cria un musicien. Viens avec moi, il faut aussi que tu te changes.
- D… D’accord !
Béatrice lui souhaita un « bonne chance » timide avant de s’éclipser. Le lycéen, quant à lui, emboîta le pas de son camarade de classe. Il avait du mal à réaliser ce qui était en train de se passer. Il allait participer… à la cérémonie d’ouverture de la guerre des secteurs ! Ses entrailles étaient en train de former une pelote de laine dans son estomac. Mais lorsqu’il sortit de la tour des premières et qu’il découvrit la scène sur laquelle il allait jouer, une vague de joie lui inonda la poitrine.
- Mais c’est qu’il sait sourire, le sans-secteur, le taquina son guide. Oh, non, ne te renfrogne pas, ça m’a juste surpris ! Viens, je vais te montrer où te placer.
Son interlocuteur l’invita à le suivre d’un geste de la main. Haniel serra dans son poing son talisman par réflexe, comme pour vérifier qu’il n’était pas en train de rêver. Le contact avec l’éclat de couteau le rasséréna. Oui… Il était bel et bien éveillé. D’un bond, il monta sur scène et repoussa en arrière ses boucles noires. Il était éveillé… Et c’était l’heure du spectacle !
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Lorsque les conques annoncèrent l’heure du déjeuner, une vague d’allégresse s’empara de Sisoa. L’ensemble des secondes furent invités à se rendre dans la grande salle au plafond composé de splendides voûtes en pierre. C’était là que Phineas Cixi avait donné son discours d’ouverture, trois semaines auparavant. Un large écran blanc avait été abaissé et il dissimulait en grande partie la scène. Un pupitre, par contre, avait été ajouté. Le président des élèves allait encore faire un discours ? Dans la foule, Édith guida Azaël jusqu’à leurs amis. Tous paraissaient excités à la perspective de la semaine à venir. Seule Morgane ne faisait pas preuve d’un grand enthousiasme. Elle gardait ses yeux bleus rivés sur la console, un air impénétrable peint sur le visage.
- Bonjour, mes chers étudiants !
La voix était grave, masculine. Un homme âgé d’une quarantaine d’années sortit des coulisses, un micro doré à la main. Derrière lui marchaient plusieurs professeurs ainsi que Phineas. Tous se postèrent sur la scène, devant l’écran, à l’exception du premier venu qui s’installa souplement sur la console. Jambes élégamment croisées, il décocha un sourire acéré à l’ensemble des élèves. Azaël se fit la réflexion que des dents pareilles étaient trop blanches pour être réelles. Il aperçut du coin de l’œil Morgane poussa un minuscule soupir. Il n’eut pas le temps de l’interroger que leur interlocuteur reprenait la parole :
- Il est de coutume que ce soit le principal qui ouvre les hostilités par un discours durant la cérémonie d’ouverture de toute guerre des secteurs. Comme vous le savez, je ne suis un pas grand fan des traditions. Mais pour l’ultime conflit de l’année, je me devais de vous adresser quelques mots !
Le principal ? Cet homme serait-il le principal de Sisoa, le fameux Dolos Theodora ? Azaël se mit à le détailler avec attention. Un costume coupé sur mesure, des cheveux blonds gominés, des yeux d’un bleu glacé… Cette personne dégageait une assurance sans pareille. C’était comme si rien ni personne ne pouvait l’atteindre depuis son piédestal. Un frisson parcourut sa nuque lorsqu’il sentit son regard l’effleurer. Il avait l’impression d’être un insecte face à un oiseau de proie racé… Quelle sensation désagréable…
- Sisoa est une idylle où vous, la crème de la crème, avait la possibilité d’affûter vos talents comme nulle part ailleurs. Ici, nos professeurs sont sélectionnés avec soin afin de vous transmettre la meilleure éducation possible. La demi-mesure n’a pas sa place dans cet établissement. C’est pourquoi, toute l’année, la rivalité entre les secteurs est attisée afin que chacun donne le meilleur de soi-même. Mais tout est différent lorsque la grande guerre frappe à nos portes. L’heure n’est plus à la concurrence, mais à l’entraide.
Le proviseur claqua des doigts. Aussitôt, l’écran fut animé de petits fantômes qui se baladaient en tournoyant sous une pluie de pétales de cerisiers.
- Vos camarades vont vous démontrer de quoi ils sont capables. Et cela commence immédiatement avec une petite mise en bouche…
Les ectoplasmes dansants avaient envahi l’intégralité de la toile. Ils s’enfuirent soudain, laissant place à une vue plongeante de Sisoa. Azaël écarquilla les yeux. Comment était-ce possible ? La caméra se déplaçait dans les airs ! L’exorciste vit Kim noter rapidement quelques références dans son téléphone en hochant la tête d’un air satisfait. Il eut juste le temps de lire le mot « drônes » avant que le jeune homme n’éteigne son écran.
Puis les premières notes de musique explosèrent dans les hauts parleurs. Sur la vidéo, des élèves de premières et terminales se faisaient face sur l’herbe du campus. Ces derniers étaient vêtus de costumes rouges, alors que leurs adversaires en arboraient des bleus. Puis le point de vue changea, montrant de nouveau les deux armées, mais dans le réfectoire cette fois-ci ! Les élèves seraient disséminés dans tout le lycée ? Enfin, une immense scène apparut à l’écran. Des musiciens, rouges comme bleus, étaient en train jouer ensemble. Et, à la grande surprise d’Azaël, Haniel était parmi eux, une guitare à la main. L’exorciste se tourna vers Édith, mais elle semblait aussi surprise que lui.
Des voix se mêlèrent soudain à la musique. Nouvelle caméra, nouveau point de vue ! Dans un amphithéâtre, les premières et les terminales installés sur des bancs étaient en train de chanter. Était-ce une chanson connue ? Tous les élèves de seconde semblaient la connaître…
- C’est l’hymne de notre école, Azaël, lui glissa Léo à l’oreille, avisant sa mine interloquée. La tradition veut qu’elle soit chantée avant chaque guerre.
L’exorciste le remercia d’un signe de tête puis reporta son attention sur l’écran. On était revenus aux élèves du début, ceux dans le parc. Tous s’étaient mis en mouvement. Bleus et rouges foncèrent et se mêlèrent, jusqu’à ne plus former qu’une masse. Là, chacun agrippa un partenaire pour une valse complètement incongrue. À mesure que tous tournaient sur eux-mêmes, la couleur de leurs costumes virait doucement au violet. La caméra quitta les danseurs pour s’intéresser de nouveau aux musiciens. Azaël aperçut brièvement son colocataire qui souriait, entièrement plongé dans le morceau. Cette vue lui donna envie de l’applaudir à s’en briser les mains.
La caméra s’éloigna pour capturer une vue plus large. Les danseurs avaient revêtu des masques de créatures mythiques et poursuivaient leur chorégraphie sur un rythme plus endiablés. Soudain, de la foule surgit un dragon mécanique qui projetait de la fumée de ses naseaux. Les spectateurs poussèrent des cris ravis et Azaël se joignit au mouvement, transporté par l’allégresse de ses camarades. Sisoa tout entière tremblait de joie !
Sur l’écran, les notes étaient en train de ralentir graduellement. Partout dans le campus, les danses et les chants s’apaisaient. Lorsque l’écran vira de nouveau au blanc, la grande salle explosa en applaudissements. Sur scène, le proviseur souriait, ravi de la démonstration de ses élèves. Il lui fallut plusieurs minutes pour ramener le calme parmi les secondes. Azaël sortit son portable de sa poche pour écrire à Haniel et le féliciter. La réponse de celui-ci ne tarda pas : « Tu m’as vu ?? C’était incroyable ! » et l’exorciste se surprit à pouffer comme un enfant.
Le proviseur fit sauter le micro dans sa main.
- Bravo à tous ! N’oubliez pas de consulter le planning qui vous a été transmis par mail afin de connaître tous les détails des festivités. Comme vous le savez, le lycée sera ouvert au public tous les après-midis de cette semaine. Je compte donc sur vous tous pour avoir un comportement exemplaire !
Le discours se poursuivit encore sur de longues minutes, mais peu y prêtaient attention. Lorsqu’ils furent enfin libérés, Édith et Azaël décidèrent de rejoindre Haniel pour le féliciter de vive voix. Ils le trouvèrent dans sa salle de classe habituelle. Il était installé au milieu de ses camarades et tous étaient en train de partager un verre de jus de fruit. L’atmosphère était vivante et bon enfant. Une jeune fille aux cheveux frisés était assise à côté du lycéen hanté et discutait avec lui, un sourire enthousiaste accroché aux lèvres. Haniel semblait si timide que cela tira un nouveau gloussement aux deux secondes. Ils se retirèrent sans un mot pour laisser à leur ami son moment de gloire. Ils auraient tout le temps pour le congratuler plus tard.
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Haniel avait l’impression de flotter sur un petit nuage. Il ne s’était pas senti aussi léger depuis… Il ignorait depuis combien de temps, en réalité. Monter sur scène avec tout le monde, quelle expérience électrisante ! Il fallait qu’il remercie Béatrice proprement lors de leur prochaine rencontre. C’était elle aussi qui l’avait poussé à s’asseoir avec tout le monde pour partager un verre. Il avait hâte d’être dans sa chambre pour en discuter avec Azaël !
- Hé, le sans-secteur !
Le jeune homme se retourna, surpris. Il n’eut pas le temps de se rendre compte de quoique ce soit. Un verre d’encre lui fut jeté soudainement à la figure. À quelques pas d’eux, il reconnut certains élèves de sa classe. Et celui qui tenait le verre, ce n’était autre que le musicien qui l’avait aidé ce midi. La joie qui irradiait dans sa poitrine disparut, comme une flamme malingre soufflée par une tempête. Haniel avait déjà vécu suffisamment de fois cette situation pour comprendre ce que cela signifiait.
- Ne prends pas la grosse tête, gronda son adversaire, un air dégoûté peint sur le visage. Béatrice est une gourde, mais c’est notre déléguée, alors on a été forcés de t’accepter sur scène. Ne t’avise pas d’essayer de gâcher notre grande guerre !
Haniel baissa la tête, luttant contre la nausée qui l’envahissait. Rien n’avait changé… Il était toujours le mouton noir de cette foutue classe. Ses doigts se roulèrent en poings compacts. Quelle idée… Il s’était monté un tel film, seul dans sa tête ! Il avait cru qu’en une chanson, il avait réussi à se faire accepter par tous.
Quel idiot…
- On te parle, le sans-secteur ! Ta maman ne t’a jamais appris que c’était impoli de ne pas regarder les gens quand ils t’adressaient la parole ?
Le lycéen poussa un soupir. Il avait été idiot, en effet. D’accorder autant d’importance à des personnes qui n’avaient comme seul talent leur stupidité. Il se souvint du sentiment qu’il avait ressenti lorsqu’il avait retrouvé son colocataire, ce week-end. Cette sensation de bien-être, de complétude. Il se souvint du rire d’Édith, lorsqu’elle accordait sa guitare, installée en tailleur sur son lit. Il se souvint de la sensation de liberté qu’il avait éprouvé lors de cette soirée au Goupil Malice avec Léo et Azaël.
Il n’avait pas besoin d’être intégré à sa classe. En fait… Il s’en fichait. Alors il relâcha ses poings et se redressa calmement. Carra ses épaules, leva son menton, esquissa un sourire.
- C’est tout ce que vous avez à me dire ? leur demanda-t-il tranquillement. On m’attend.
Un silence stupéfait accueillit ses paroles. Ses camarades froncèrent les sourcils, se mirent à chuchoter fiévreusement entre eux. Leur meneur s’apprêtait à ouvrir la bouche lorsqu’une voix masculine retentit :
- Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?
Sans même prendre le temps de connaître l’identité du nouvel arrivant, les élèves de première s’enfuirent sans demander leur reste. Alexander Panzen, l’infirmier de leur internat, cligna des yeux, surpris. Puis son regard se posa sur Haniel et un soupir souleva sa poitrine.
- Bon sang, Haniel, je t’ai déjà dit qu’il ne fallait pas rester passif en cas de harcèlement… Heureusement que Béatrice est venue me chercher.
- Q… Quoi ? chevrota Haniel, n’y croyant pas ses oreilles.
Béatrice aurait été témoin de la scène et aurait accouru pour… l’aider ? Cette aide, aussi inattendue qu’inespérée, lui donnait envie de pleurer. Alexander Panzen attrapa le lycéen par les épaules.
- Allez, viens, on va nettoyer tout ça et tu vas me donner les noms de ceux qui t’ont jeté de l’encre. Je vais appeler aussi ton colocataire pour qu’il vienne te chercher.
- Mais je vais bien ! protesta faiblement Haniel.
- Non, c’est faux. Et même si c’était le cas, je ne peux pas laisser ce genre d’attitude immature impunie. Et si, la prochaine fois, ils décidaient de te lancer de l’eau bouillante à la figure ?
L’infirmier lui offrit un faible sourire.
- Je sais que tu n’aimes pas lorsque les adultes se mêlent de tes affaires, mais ma porte t’a toujours été ouverte, non ? Et ce n’est pas maintenant que ça va changer.
Haniel ne répondit rien, méfiant. Mais il était vrai que cet homme avait toujours été présent lorsqu’il faisait ses crises de colère. Toujours là pour le guider, fermement, mais sans dédain, sans rejeter la faute sur lui et ses impulsions destructrices. Peut-être qu’en sa présence, il pouvait baisser sa garde… Juste un peu…
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La Fée Morgane : J’ignorais que le sans-secteur savait jouer de la guitare…
Le Roi Léo : Il a été super !
Édith Piaf : Je vous l’avais bien dit ! Le camarade Amorth est quelqu’un de génial.
Kim Possible : C’est vrai qu’il s’est bien débrouillé. Surtout que, d’après mes informations, il a remplacé un musicien malade à la dernière minute. Ce n’est pas donné à tout le monde de réussir pareil exploit…
Azazel : Je vais devoir me déconnecter, M. Panzen m’appelle. À plus tard !
– Azazel s’est déconnecté –
Kim Possible : Il faudrait peut-être qu’on lui dise qu’il n’a pas besoin de se déconnecter à chaque fois qu’il ferme l’application…
Le Roi Léo : Il a fait des progrès. Avant, il pensait qu’il devait désinstaller l’appli à chaque fois qu’il éteignait son téléphone…
Kim Possible : Mais où a grandi ce garçon, bon sang ?!
Édith Piaf : J’aimerais bien savoir où il habite, moi aussi ! Apparemment, il vivrait dans un grand immeuble avec plein de gens.
Kim Possible : Comment tu sais ça, toi ?
Édith Piaf : C’est Milagro qui me l’a dit !
Kim Possible : Qui ??