Azaël patientait dans ce couloir depuis 27 minutes précisément. La mission d’hier ne cessait de se rejouer dans son esprit. Comment était-ce possible… ? Il combattait les whisperers depuis des années et n’avait jusqu’alors jamais eu affaire à des cas de possédés conscients. Et là, en une semaine, il en rencontrait deux ! Il ne comprenait pas comment cela était possible et cela l’avait empêché de dormir toute la nuit dernière. Sous ses draps, armé d’une lampe torche, il avait relu les notes tirées de ses recherches. Il avait fallu qu’il se rende à l’évidence : aucun des livres consultés ne pouvait l’aider.
De plus, le cas d’hier différait légèrement de celui de Haniel puisque le whisperer avait pu être exorcisé sans réel problème… Le jeune homme poussa un soupir. Bon sang, quel casse-tête…
- Azaël.
Sengo venait d’ouvrir la porte du bureau. Le lycéen bondit sur ses pieds.
- Ils t’attendent, indiqua son modèle.
Il s’effaça pour laisser le passage au convoqué. Ce dernier défit nerveusement sa natte et fourra l’élastique dans sa poche avant de franchir le seuil du bureau. Il s’agissait d’une magnifique pièce tout en bois. D’épaisses poutres courraient au plafond, formant un complexe entrelacs. Des légendes racontaient qu’elles dessinaient un pentacle empêchant tout whisperer de pénétrer dans l’office.
Les murs étaient dissimulés derrière d’épaisses tentures qui représentaient de grandes batailles que les exorcistes avaient mené autrefois contre les whisperers. Azaël, tout comme chacun ici, en connaissait tous les détails. Dans le fond de la pièce était alignée une série de lances délicatement ouvragées. Et derrière un épais bureau en chêne étaient installés les deux fondateurs du clan : John et Dominika Miko, les grands-parents de Sengo.
Dominika affichait toujours un visage grave. Ses yeux clairs semblaient être capables de fouiller votre âme. Il s’agissait d’une femme sévère, au corps brisé par les nombreux champs de bataille qu’elle avait parcourus. Dès que la porte s’ouvrit, elle se redressa sur son siège, les mains jointe devant elle. À ses côtés, son mari compulsait d’épaisses liasses, le nez chaussé de lunettes en demi-lunes. Avec ses habits colorés et son menton glabre, John avait tout l’image d’un innocent papi. Pourtant, il avait été l’exorciste le plus redoutable de sa génération sur le terrain, même s’il ne gardait de son passé de guerrier que des cicatrices. Tous le respectaient au sein du leur ordre.
Azaël s’agenouilla face à eux. Il avait très peu de fois était amené à rencontrer les dirigeants des exorcistes, mais, à chaque fois, il s’était senti minuscule en leur présence. Sengo, lui, alla se poster à leurs côtés. Le lycéen avait la singulière impression d’être face à un tribunal, ce qui augmentait considérablement sa nervosité. Un miaulement le fit sursauter. Installé dans un fauteuil moelleux, un chat blanc aux yeux carmin l’observait en remuant la queue.
- Relève-toi, Azaël, le pria John de sa voix douce. Nous ne cherchons pas à te mettre en défaut. Si nous voulons parler avec toi, c’est afin de comprendre ton choix.
- Un choix stupide, intervint Dominika en rivant sur l’accusé son regard glacé. Un exorciste doit consacrer sa vie à notre lutte. Pourquoi te détourner du chemin, alors que tu es un de nos éléments les plus prometteurs ?
- Chérie, voyons, tu l’effraies, chuchota son mari.
Sa femme lui jeta un regard courroucé en guise de réponse, ce qui fit doucement sourire John. Voyant qu’Azaël n’avait pas osé se redresser, il réitéra sa demande. Le lycéen se releva alors, le regard fuyant. Dominika ordonna au jeune homme de se justifier d’un signe sec du menton.
- J… Je pense que je peux apprendre beaucoup dans le lycée de Sisoa, bredouilla l’accusé. Dehors, je ne sais pas me débrouiller seul. Mais si je suis les cours d’un lycéen normal, je… Je…
En cinq petites journées, il avait déjà appris énormément au contact du monde extérieur. Les cours le fascinaient, l’usage des technologies l’intriguait et le comportement de ses camarades de classe le questionnait. Il trouvait cela tellement bizarre, de vivre en ignorant quel combat les siens menaient dans l’ombre. Et tellement… rassurant. Parce que, quelque part, si Édith pouvait parler avec ses amis si librement, si elle pouvait rire avec insouciance et si sa seule préoccupation le matin se résumait à sa coiffure, c’était parce que le Clan veillait en secret.
Ses pensées se tournèrent vers Haniel. Et lui… ? Il ne savait toujours pas depuis combien de temps le lycéen était hanté. Si cela se trouvait, cela faisait plusieurs mois que le whisperer était attaché à lui ! Le Clan aurait dû être là pour lui porter secours plus tôt, bien plus tôt. Si le hasard ne l’avait pas mis sur son chemin, que serait-il devenu… ?
Azaël se secoua ; il s’éloignait du sujet principal de la discussion. Il fallait qu’il demeure concentré. Il reporta son attention sur John, avec qui il était plus aisé de communiquer, et prit une grande inspiration :
- La mission au sein de Sisoa était une mission d’infiltration. L’idéal aurait été que je passe inaperçu afin de ne pas marquer les esprits. Cependant, mon inaptitude a attiré l’attention sur moi. Ce qui m’a amené à me dire : et si cela se reproduisait ? Aujourd’hui, aucun exorciste de mon âge n’est capable de se comporter comme n’importe quel adolescent.
- Tu crains donc que, lors d’une éventuelle autre mission délicate de ce genre, cela ne porte préjudice à tes pairs, déduisit John de sa voix douce.
- Le week-end, je pensais que je pourrais enseigner ce que j’ai appris à mes collègues, poursuivit Azaël, plus assuré désormais. Leur partager toutes les informations que j’ai pu glaner. En plus de mon entraînement et de mes autres obligations en tant qu’exorciste, bien sûr, ajouta-t-il précipitamment en voyant Dominika froncer les sourcils.
Cette dernière eut une moue dédaigneuse.
- Tu n’as pas encore officiellement le titre d’exorciste, lui rappela-t-elle d’un ton grinçant. Pour l’obtenir, tu dois servir notre cause et accomplir des actes de bravoure, comme l’ont fait tous tes prédécesseurs.
- Et ne penses-tu pas qu’affronter seul un monde qu’on ne connaît pas est un acte de bravoure en soi, Domima ?
Sengo s’était exprimé doucement, mais suffisamment distinctement pour qu’Azaël puisse l’entendre. À l’entente de son surnom, Dominika se raidit et foudroya du regard John, comme si la faute lui revenait. Son mari se contenta de lui renvoyer un sourire éblouissant, apparemment ravi de la prise de position de leur petit-fils. Celui-ci adressa un bref regard à son protégé, suivi d’un minuscule sourire. Azaël sut alors que la partie était gagnée. Malgré son entêtement, la Maîtresse du Fer n’irait jamais à l’encontre de l’avis de sa propre famille.
Un lourd soupir s’extirpa de la gorge de la fondatrice du clan. Puis elle croisa ses bras sur sa poitrine, signe qu’elle avait pris sa décision.
- Que cela soit clair, Walker. Nous avions déjà décidé de te laisser poursuivre ton, hum, expérimentation au sein de Sisoa, comme te l’avais confirmé déjà Sengo par téléphone. Mais nous avions besoin d’entendre tes raisons de ta propre bouche.
- Merci d’avoir pris le temps de venir à notre rencontre, poursuivit John. Mais avant que nous te libérions, nous aimerions revenir sur le rapport que Donnie, Ronnie et toi vous nous avez remis hier.
Sengo déposa sur le bureau l’épais feuillet où était consignés les événements de la veille. Ses grands-parents se penchèrent en avant, parfaitement synchronisés, à croire qu’ils avaient répété. Même leurs sourcils se froncèrent exactement en même temps, alors qu’ils pinçaient les lèvres.
- Une victime qui reprend conscience au moment de l’exorcisme… murmura John. Je n’avais jamais entendu parler d’un cas pareil.
- Sûrement une ruse du whisperer, supposa sa femme. Il a relâché son emprise sur l’âme de sa victime en espérant que cela retarderait son exécution.
Azaël dut reconnaître que cette supposition avait du sens. Après tout, Ronnie avait hésité avant de tuer le whisperer en entendant le possédé s’exprimer… Cependant… Le lycéen rejouait dans sa tête le combat d’hier. Jusqu’alors, les fantômes qu’il avait croisé sur sa route n’étaient que des esprits simples, animés par leur irrépressible désir de violence. Or, si leurs ennemis étaient maintenant capables de ruse, cela changeait la donne…
- Pensez-vous… qu’ils pourraient évoluer ? se risqua-t-il.
Son hypothèse fut accueillie par un silence méditatif. Puis Sengo prit la parole :
- Le cas que tu as rencontré est pour le moment un cas inédit et nous ne savons encore s’il va être amené à se reproduire. Nous devons nous montrer vigilants, plus encore que d’habitude, certes, mais sans pour autant sonner les cloches d’alarme.
- C’est exact, intervint la Maîtresse du Fer. Tant que cet incident isolé ne se reproduit pas, je ne pense qu’il n’y a pas lieu de s’affoler. À moins que tu ais quelque chose d’autre à nous partager, Walker ?
Azaël sentit la pointe de ses oreilles rougeoyer sous la caresse acérée du regard de la vieille femme.
- Non, du tout, s’empressa-t-il de nier – un poil trop rapidement pour que cela paraisse naturel.
Heureusement pour lui, Sengo enchaîna rapidement :
- Je ferai un point avec les exorcistes lors de notre assemblée générale de demain. Azaël, quant à toi, tu rentres ce soir à ton internat. Comme je te l’avais indiqué par téléphone, tu poursuivras tes missions en plus de suivre ton cursus scolaire.
- Bien sûr !
Au sein du Clan, son aîné avait la lourde tâche d’organiser les exorcistes. Même s’il était secondé dans son rôle par Noomi et Guillaume, c’était un travail fastidieux et prenant. D’ailleurs, le jeune homme avait à faire. Il consulta rapidement la montre à gousset qu’il traînait partout avec lui puis s’excusa avant de s’en aller. Lorsque la porte se referma sur lui, Dominika se leva.
- Hé bien, sur ce, nous allons chacun regagner nos quartiers.
- Oh, attends, chérie ! la pria John. Il y a une question que j’ai oublié de poser à Azaël.
L’intéressé eut un léger sursaut, pensant qu’il allait enfin être libéré. Le fondateur du clan lui offrit un sourire.
- Cher enfant, Sisoa est une belle école. Sache que Robinson, mon frère, y a étudié. Il a adoré les années passées là-bas Toutes les facs s’ouvraient à lui après. Il aurait eu un merveilleux avenir…
La voix du vieil homme voix devenait rêveuse. Il s’ébroua brusquement, comme s’il venait de se rappeler où il se trouvait et s’excusa rapidement sous le regard attendri de sa femme.
- Bref, je m’égare ! Tout cela pour dire que je connais les modalités de Sisoa. Si rien n’a changé, tu dois encore avoir la possibilité de choisir une option pour l’année prochaine. Sais-tu laquelle tu voudrais prendre ?
Le lycéen hocha négativement la tête. Il n’aurait jamais cru s’embourber dans de tels mensonges au point de devoir éventuellement jouer la comédie jusqu’à l’année prochaine. Pour ne pas perdre la face, il faudrait qu’il fasse une scolarité complète ? Vraiment ?
Peut-être pas, mais John soulevait un point important. S’il ne souhaitait pas ruiner sa couverture, il allait devoir sérieusement réfléchir au secteur qu’il pourrait intégrer.
John prit son silence pour une hésitation et se mit à rire.
- Désolé, loin de moi l’idée de te mettre la pression ! Prends ton temps d’y réfléchir !
Azaël le remercia avant de prendre congé. Alors qu’il refermait la porte du bureau, il pouvait sentir le poids du regard de Dominika sur lui. Un poids qui ne quitterait pas sa nuque de la journée…
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Ce dimanche passa bien trop vite au goût d’Azaël. Il s’entraîna en compagnie de ses camarades, déjeuna dans l’immense réfectoire silencieux du Clan, conversa avec tous les exorcistes qu’il croisa sur sa route. Donnie et Ronnie ne le lâchèrent pas d’une semelle, ce dont il leur fut secrètement reconnaissant car leur babillage incessant empêchait ses pensées de dévier vers Haniel et son mystérieux whisperer. Il ne vit pas le temps passer et fut surpris lorsque sa montre afficha dix-huit heures. Il était temps pour lui d’à nouveau plier bagage et de retourner à son étrange seconde vie. Il était triste de devoir quitter son foyer et soulagé à la fois. Même s’il ne supportait pas Haniel, au moins, il n’avait pas à jouer constamment la comédie devant lui…
Dans le hall d’entrée de l’immeuble, Donnie, Ronnie et quelques amis l’attendaient afin de lui souhaiter une bonne semaine. Les F.I. lui glissèrent même un sac en papier qui contenaient des chouquettes au fromage de Tonton. Il les remercia, sincèrement ému par ce geste puis passa les portes. Sur le trottoir, il eut la surprise de trouver Sengo. Celui-ci lui indiqua simplement qu’il l’accompagnait jusqu’à l’arrêt de tramway. Ils marchèrent en silence à travers les rues indolentes de cette fin de week-end. Honeda paressait sous le soleil d’avril. Les soirées étaient encore fraîches, mais Azaël remarqua que beaucoup de passants se promenaient sans manteaux. Il songea qu’à Sisoa, les élèves allaient bientôt se passer de leurs vestes d’uniformes…
Ils parvinrent au quai. Sengo s’installa élégamment sur un banc et invita son protégé à s’asseoir à ses côtés. Il y avait peu de monde qui attendait le tramway : une jeune fille qui gribouillait nerveusement dans un grand carnet, un couple de personnes âgées qui se murmurait des paroles douces, trois enfants qui faisaient du troc de bonbons et un homme avec une guitare sur le dos. Un petit garçon au visage dissimulé par un masque de Dark Vador lui donnait la main.
- Comment est-ce ?
Azaël se tourna vers Sengo, surpris qu’il lui adresse soudainement la parole. Ce dernier avait le regard perdu dans le vide, un sourire mélancolique sur les lèvres.
- L’école, précisa-t-il en avisant l’air perdu de son interlocuteur. Beaucoup, comme moi, n’ont jamais eu l’occasion d’y aller. Alors… comment est-ce ?
- C’est une question… un peu compliquée…
Le lycéen se laissa aller contre le dossier du banc. Que répondre à cela… Il n’était à Sisoa que depuis une semaine ! Mais il était vrai que par rapport à ses camarades, il avait déjà cumulé une précieuse expérience !
Le lycéen était… déroutant. En très peu de temps, l’exorciste avait tant appris. Lui qui avait toujours vécu dans son propre univers avait découvert une richesse infinie de mondes. Il se plaisait à écouter les discussions sans fin d’Édith et ses amis, tout comme les cours divers de ses professeurs.
- C’est amusant, finit-il par avouer avec un léger sourire.
Cela sembla suffire à Sengo. Ce dernier se leva alors que la silhouette massive du tram crevait l’horizon.
- On se voit samedi. Prend soin de toi, d’ici là.
- Oui ! Merci !
Son aîné le salua d’un signe de tête avant de tourner les talons et de disparaître parmi les passants. Azaël monta alors à bord du train et s’installa près des larges vitres afin d’observer son univers familier disparaître doucement. Une nouvelle semaine s’annonçait…
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Haniel releva le bord supérieur de sa lèvre boursoufflée afin d’observer son incisive. Merde… Il manquait tout de même un sacré morceau… Il poussa un soupir puis actionna l’arrivée d’eau du lavabo de la salle de bain afin de se nettoyer le visage. Il put ainsi se débarrasser du sang séché qui maculait jusqu’alors son menton.
- Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?
Le jeune homme poussa un grognement et tendit la main dans le vide. Son colocataire, qui se tenait dans l’embrasure de la porte, comprit son geste et lui remit une serviette éponge. Haniel s’en servit pour s’essuyer le visage. Lorsqu’il se redressa, il capta, dans le reflet glacé du miroir, le regard inquiet d’Azaël. Ses oreilles se mirent à bourdonner alors que son corps se tendait, comme s’il revivait l’incident. Le craquement de la rambarde, l’assaut des marches, l’explosion de douleur qui lui scinde la mâchoire en deux…
- Je suis tombé dans l’escalier, confia-t-il en haussant les épaules.
Il avait l’impression que le regard haineux de son père avait creusé deux trous dans sa peau. Combien de secondes étaient-ils restés ainsi à s’observer comme deux bêtes sauvages qui brûlaient de se sauter à la gorge, seulement séparés par trois dizaines de malheureuses marches en bois ? L’un, en haut, tel un prédateur et l’autre…
L’autre écrasé par sa monstrueuse prestance.
Haniel bouscula son colocataire pour sortir de la salle d’eau. Il se laissa tomber sur son matelas avec un soupir de bien-être. D’une main, il ramena à lui son casque audio, prêt à plonger dans un océan de volupté sonore. Cependant, ses plans furent contrariés par l’insupportable exorciste qui lui arracha son bien des mains. Azaël le contemplait d’un air contrarié, comme si quelque chose le chiffonner.
- Tu es de nouveau en colère, constata-t-il d’une voix lente.
- Bien vu, Sherlock, grogna l’intéressé en se redressant, le regard mauvais. Et donc ?
- Je t’ai déjà dit que mon nom était Azaël Walker. Pas Sherlock, ni Ed Warren.
Haniel haussa un sourcil. Bon sang, mais ce type n’était pas doué de second degrés ? À moins qu’il ne connaisse aucune des références…
Son vis-à-vis l’attrapa par le coude pour l’obliger à se lever. Avant qu’il ne puisse protester contre ce traitement, l’exorciste l’entraîna à sa suite hors de la chambre.
- Lorsqu’on est énervé, l’idéal est de s’immerger dans l’exercice physique, déclara son colocataire sans défaire sa prise. Je t’avais dit qu’il fallait que tu coures, tu ne l’as pas fait. Alors, on y va, maintenant.
- Et je n’ai pas mon mot à dire ? grinça Haniel.
Azaël lui jeta un regard qui transpirait l’ironie. Ah, c’est vrai qu’il dit la même chose lorsque le lycéen hanté l’avait forcé à pratiquer un exorcisme en échange de sa foutue photo… Il poussa un soupir et s’emmura dans un silence buté. Bien sûr qu’il était en colère. Dès qu’il franchissait le seuil de l’appartement familial, sa colère revenait au galop. N’en serait-il pas de même pour n’importe qui si ses parents se signaient à chaque fois qu’il entrait dans leur champ de vision ?
La réponse était évidente…
Ils atteignirent rapidement l’ascenseur « Sport » dans le bâtiment des premières. Malgré l’heure tardive, des élèves étaient encore en train de s’entraîner. Azaël emmena son colocataire dans un vestiaire afin qu’ils puissent se changer.
- Tu vas vraiment m’entraîner à exorciser des montres devant des témoins ? questionna Haniel, mordant.
- Ne sois pas ridicule, répondit le jeune homme sur le même ton. Afin que je t’enseigne quoique ce soit dans ce domaine, je dois faire en sorte que tu sois… Hé bien, moins toi.
Le possédé l’incendia d’un regard. Il n’y avait pas à dire, ce garçon n’avait aucune notion du tact ! Avec un tel franc parler, il ne serait pas étonné qu’il se soit fait massacrer par des petites brutes au collège. L’exorciste retira sa chemise et la plia soigneusement dans un casier et Haniel ne put s’empêcher de l’observer, surpris. Il retirait ce qu’il avait pensé… Vu comment Azaël était baraqué, il doutait sérieusement que quiconque soit allé lui chercher des noises lorsqu’il était plus jeune. De fines cicatrices rosées étoilaient sa peau d’albâtre. Haniel ne pouvait s’empêcher de suivre des yeux leur dessin, estomaqué. Serait-ce à travers ses combats que l’exorciste aurait récolté toutes ces blessures ?
- Haniel, arrête de rêvasser et dépêche-toi.
Le jeune homme songea qu’il pourrait juste claquer la porte et s’en aller. Mais il se doutait qu’Azaël était capable de l’attraper et de le traîner de nouveau de force ici. Et il savait en plus qu’il était dans son intérêt personnel de suivre ses conseils afin de pouvoir de se débarrasser du monstre qui dormait dans son estomac. Alors il décida d’obéir, sans pour autant faire preuve de bonne volonté. Sur le seuil des vestiaires, l’exorciste l’attendait, imperturbable. Lorsque Haniel fut enfin prêt, ils se rendirent tous deux sur les pistes.
- On va commencer par courir, indiqua son coach personnel. On va commencer par trois tours de terrain.
- Trois ? répéta Haniel, découragé par cette simple perspective.
- C’est juste de la course. C’est simple. Tout le monde sait courir.
Son élève lui jeta un regard halluciné. Très bien, alors en plus de n’avoir aucun tact, ce gars n’était pas du tout pédagogue ! Même lui savait que la course était un sport à part entière. Son grand-père, ancien champion de boxe, le lui avait suffisamment répété lorsqu’il était enfant. Il ouvrait la bouche pour protester avec véhémence lorsqu’Azaël le planta sur place sans plus de cérémonie. C’était qu’il courait vite, le bougre ! Hé bien, puisqu’il n’avait pas le choix, autant s’y mettre…
Les premiers mètres furent faciles. Haniel trottait avec une facilité qui le surprit lui-même. Cependant, très vite, le souffle lui manqua. Sa gorge et ses poumons le brûlaient alors que ses muscles, qui n’avaient pas fait d’exercice depuis… depuis à peu près 16 ans, lui envoyaient des signaux de douleur. Un point de côté lui sciait le ventre. Bon sang, il détestait ça ! Devant lui, Azaël poursuivait ses longues foulées, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle au monde.
Le possédé acheva son premier tour en quatre minutes. Une fois la ligne d’arrivée dépassée, il s’écroula sur place, la respiration hachée, les yeux exorbités et le corps douloureux. Azaël s’en aperçut et revint à petites foulées jusqu’à sa hauteur. Haniel lui jeta un regard noir en constatant qu’il n’était même pas essoufflé.
- Con… Content, Usain Bolt ? articula-t-il péniblement.
- Ça risque de prendre plus de temps que prévu, constata lentement l’exorciste en penchant légèrement sa tête sur le côté. Tu ne pratiques aucune activité physique ?
- Tu m’as vu ? cracha son élève. J’ai l’air d’un sportif ?
- Non, absolument pas.
L’exorciste détacha ses cheveux dans un mouvement nerveux que Haniel avait maintenant appris à identifier. On dirait un enfant face à un casse-tête particulièrement épineux. La comparaison l’aurait fait sourire s’il n’était pas si occupé à cracher ses poumons.
Le regard d’Azaël se promena sur les pistes où certains sportifs poursuivaient leurs exercices. Il lui cria soudainement de l’attendre puis détala en direction de ceux-ci. Haniel, toujours au sol, aurait aimé répliquer qu’il n’était pas en capacité de bouger, mais il choisit plutôt d’économiser son souffle. Sûrement son insupportable colocataire essayait-il de glaner des informations sur leur entraînement. Les élèves interrogés semblaient surpris et lançaient des coups d’œil interrogateurs dans sa direction. Super, bientôt, l’entièreté de Sisoa saurait qu’il s’était soudainement mis à la course à pied… Et pourquoi en plus ? Combattre le mal ! Punaise, c’était vraiment une situation digne d’une série B… Il ne manquait plus qu’une musique de Fall Out Boys et on s’y croirait presque.
Azaël remercia vivement les premières puis revint vers lui au trot, un sourire satisfait sur les lèvres. Arrivé à sa hauteur, il rattacha ses cheveux roux.
- On s’y met ? lança-t-il.
Haniel se retint de sourire. La détermination de l’exorciste commençait à déteindre sur lui. Avec un grognement d’effort, il se remit sur pieds.
- On s’y met !
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Trois heures plus tard, le supplice prit fin. Après une séance d’étirement qui tenait de la torture et une douche amplement méritée, Haniel s’écroula sur son matelas. Dans le lit d’à côté, Azaël dormait déjà. Il sombrait dans le sommeil à la vitesse de l’éclair, c’était stupéfiant !
Le lycéen attrapa son casque audio et déverrouilla son ipod. Il fit défiler les playlists d’un air absent. Maintenant qu’il n’avait plus tous ces murmures incessants dans la tête, il savourait le moment où il voguait parmi ses morceaux. Il se sentait comme un gosse face à un cadeau parfaitement emballé. Au creux de son estomac, l’excitation grandissait jusqu’à ce qu’il finisse par trouver ce qui le satisfaisait.
Il finit par sélectionner un album de The Score. Les premières notes sautèrent alors dans ses oreilles, glissèrent jusqu’à son cerveau. Bientôt, chaque parcelle de son être fut enveloppée par le flot de la musique.
We can be heroes, everywhere we go, we can have all that we ever want.
Derrière ses paupières closes dansaient des silhouettes blanches. Sur une étendue désertique, deux hommes se livraient à un ballet poétique. Puis, un brouillard se leva et effaça la scène pour la remplacer par une autre. Un nouveau venu se tenait en haut d’une falaise. D’une main, il tenait par la gorge un enfant dont les jambes pendaient au-dessus du vide.
Standing on top like a champion.
Les doigts défirent leur prise et le garçonnet chuta. Mais, au lieu de s’écraser sur le sol, il s’enfonça dedans. Il coula à pic dans des ténèbres insondables. Dans un éclat de lumière, un morceau de l’une de ses dents voltigea hors de sa bouche.
L’enfant toucha le fond de l’océan sombre. Il reposait sur ce sol friable qui épousait la forme de son corps, comme s’il appartenait à ce lieu de mort. Puis, un murmure emplit sa tête. Le chuchotement… d’une voix amie. Soudain, ses yeux s’ouvrirent.
Keeping us down is impossible. We’re unstoppable.
D’une pression du pied, l’enfant se propulsa vers la surface. Alors qu’il nageait vers la liberté, son corps changeait. Ses bras grandissaient, son visage s’affinait, ses jambes se déployaient. Bientôt, il ne reste rien du petit garçon qui avait mué en un adolescent sûr de lui et plein de grâce.
We’re unstoppable.
Il creva la surface. La falaise, l’homme, tout avait disparu. Il n’y avait devant lui qu’une étendue de sable. Et sur cette plage opaline, Azaël l’attendait, armé d’ailes aux plumes irisées.
We’re unstoppable.
Haniel se rendit alors vaguement compte, à travers son semi-sommeil, qu’il n’avait pas pensé une seule fois à sa famille de toute la soirée. Et il s’endormit alors pour de bon, un léger sourire au coin des lèvres.
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Kim Possible : Breaking news, les amis ! Haniel Amorth s’est mis au sport !
Édith Piaf : J’en ai entendu parler aussi ! Il y a même des vidéos qui circulent sur les réseaux.
La Fée Morgane : Et apparemment, c’est Azaël qui l’entraîne…
Le Roi Léo : Voilà une semaine qui s’achève en fanfare, dis donc !
Édith Piaf : Je m’inquiète pour le camarade Walker, tout de même. Le camarade Amorth est connu pour être violent, après tout. Et pas rudement sympathique.
La Fée Morgane : Ne t’en fais pas, Édith, on va le protéger, notre oisillon.
Le Roi Léo : J’ai l’impression que nous allons beaucoup nous amuser dans les prochains jours.
Kim Possible : À qui le dis-tu, très cher. À qui le dis-tu…
Me revoici pour ce chapitre. Je pense que j'ai dû rejoindre les 25K mots de lecture normalement, donc je vais en profiter pour faire un petit bilan :) Si je peux d'ici que PA ferme, j'essaierai de lire un peu plus, mais je t'avoue que je peux rien promettre parce que j'ai plusieurs lectures en cours. Potentiellement, je serai (encore) moins rapide que jusqu'à maintenant :)
Sur ce chapitre :
Je ne comprends pas vraiment cet espèce de procès face aux chefs du clan. Ils lui avaient donné leur accord, alors pourquoi éventuellement revenir dessus après-coup? Je me demande si ça ne serait pas mieux que la décision soit laissée au week-end, qu'il fasse sens qu'il y ait cette rencontre.
Ensuite, j'ai du mal à comprendre pourquoi Azaël s'enfonce dans son mensonge. J'ai l'impression de ne pas bien comprendre ses émotions, ce qui le pousse à continuer. A-t-il déçu le clan par le passé ? Est-ce sa dernière chance ? De quoi a-t-il peur ? Peut-être que ce sont des choses à développer.
Petite remarque sur Sengo aussi : je l'ai trouvé un peu absent malgré l'attachement évident d'Azaël envers lui. Je m'attendais à ce qu'une figure qui le marque autant ait beaucoup plus de présence quand il serait de retour dans son clan.
Divers :
- "Azaël, tout comme chacun ici" -> comme tout un chacun ici ?
- "les nombreux champs de bataille" -> champs de bataille, ça fait un peu grandes guerres épiques. Si on parle de bataille avec les whisperers rencontrés les uns après les autres, "batailles" suffirait je pense.
- "Pour ne pas perdre la face, il faudrait qu’il fasse une scolarité complète ?" -> il ne s'inquiète pas davantage d'être à présent incapable de réaliser son métier d'exorciste ?
- "Ah, c’est vrai qu’il dit la même chose" -> qu'il avait dit
Et mon bilan jusqu'à présent :
Au global, je pense que ton histoire est réfléchie, tant au niveau du lore que du déroulé. Tu as prévu toutes tes étapes et tu les suis de manière logique. Je dois quand même parler de deux choses qui me laissent un peu sur ma faim :
1) Le rythme. Le rythme est un peu lent, comme si l'histoire peinait à démarrer. Au départ beaucoup de lore, puis un événement déclencheur autour d'une action un peu plus rythmée, mais pas un démarrage franc. J'arrive à ce chapitre 8 et environ 25K mots de roman, et j'ai toujours le sentiment que je suis au début de l'histoire. Si je devais écrire le synopsis, je pourrais résumer le gros de l'action en une phrase : "Azaël rencontre Haniel et perd ses pouvoir en tentant de le sauver du whisperer qui le hante, à la suite de quoi il décide de l'entraîner" (pour potentiellement qu'il le remplace ?). Il y a peut-être quelque chose à faire pour démarrer plus vite ou aider ton lecteur à se projeter en lui proposant, pourquoi pas, davantage d'indices sur la direction que va prendre l'histoire.
Je souligne tout de même le second cas "étrange" d'exorcisme, qui est un bon point pour retenir l'attention du lecteur.
2) Les personnages. J'ai rapidement abordé ce point avant, mais je trouve que tes personnages méritent d'être un peu approfondis, Azaël en particulier. Ce qui est dommage, c'est que je n'ai toujours pas le sentiment de connaître Azaël au point où j'en suis. J'ai noté quelque chose par contre en lisant ces deux derniers chapitres qui t'aideront peut-être : je trouve que le caractère d'Azaël se modifie selon avec qui il interagit. Il peut être obséquieux comme dans ce chapitre, plutôt solennel comme dans ce chapitre mais cette fois avec Azaël, ou timide/tête en l'air avec les autres camarades de classe. Mais qui est Azaël, quelle est sa vraie personnalité ?
Voilà pour mon retour synthétisé jusque là. Bien sûr, tu ne retiens que ce que tu veux, c'est ma vision des choses et d'autres lecteurs pourront avoir des ressentis différents :)
Je te dis à bientôt et bon courage pour la suite de ton écriture ! :)