Exorcisme seize : Un week-end normal

Par Ascal

Une plage opalescente. Haniel sentait le sable sous la plante de ses pieds nus. Face à lui, une étendue infinie de sable. Un ciel violacé. Un murmure. Le jeune homme se retourna. Là, il fit face à un océan à l’eau sombre comme de l’encre. Un frisson parcourut son échine. On l’appelait. Il ignorait d’où il tenait cette certitude, mais il fallait qu’il s’y rende. Sans même s’en rendre compte, il se mit en mouvement. L’eau était chaude, beaucoup trop chaude. Comme si elle bouillait. Une grimace traversa son visage. Il devait faire demi-tour. Il allait mourir s’il poursuivait dans cette voie. Pourtant, il continuait à avancer. Un pas après l’autre. Encore, encore…

  • Haniel.

Haniel rouvrit les yeux, le souffle court. Son regard embrassa plusieurs choses. La télévision qui diffusait un vieux Disney. Milagro et Azaël, blottis l’un contre l’autre en train de dormir dans le canapé. Et cette main sur son épaule. Les doigts étaient lourds, fermes. Son corps tout entier se crispa. Merde…

Ses parents étaient rentrés.

Son père relâcha son épaule. Il se dirigea vers la télévision qu’il éteignit tranquillement. Haniel se redressa, méfiant. Normalement, après un repas avec le père Fabrice, ses parents étaient d’assez bonne humeur. Peut-être qu’il ne se passerait rien jusque dimanche.

  • Milagro !

La voix paternelle avait claqué comme un fouet. La fillette se réveilla brutalement et se leva d’un bond. Par ce geste, elle sortit également du sommeil leur invité qui cligna des yeux à plusieurs reprises, certainement pour remettre ses idées en place. Il jeta un regard en biais à son colocataire pour le questionner sur ce qu’il se passait, mais celui-ci ne répondit rien, les mâchoires crispées.

Hugues Amorth posa pesamment ses mains sur les épaules frêles de Milagro qui se recroquevilla sur elle-même, persuadée d’avoir fait une erreur. Avec leur père, tout était prompt à l’erreur.

  • Je pensais t’avoir demandé de faire tes devoirs, lui rappela Hugues d’une voix doucereuse. Tu sais pourtant que tu n’as pas le droit de me décevoir.
  • O… Oui, père, je suis désolée. Je vous promets que ça ne se reproduira pas.
  • Bien. Va dans ta chambre, ma fille.

L’enfant s’enfuit sans demander son reste. Hugues se tourna vers son fils qui demeurait en retrait. Un sourire affable vint se peindre sur son visage.

  • Haniel, je ne pense pas connaître ton ami.

Le jeune homme avait une réplique insolente sur le bout de la langue, mais, heureusement, Azaël le devança. Il présenta sa main pour serrer celle de son hôte.

  • Bonjour, monsieur. Je m’appelle Azaël Walker, je suis un ami de Haniel.
  • Quel beau prénom. Celui de l’ange châtieur. Heureux de faire ta connaissance, Azaël. Tu es également à Sisoa ?
  • Oui, monsieur, en seconde.

Haniel se garda bien d’intervenir. Du coin de l’œil, il nota la présence de sa mère dans le couloir. Mais lorsque leurs yeux se rencontrèrent, Jeanne Amorth se détourna et disparut dans la salle de bains sans un mot. Il retint un lourd soupir.

  • Mon fils, nous avons à parler avec ta mère. Je suis certain que ton ami et toi devez avoir du travail pour le lycée.

Haniel jeta un regard noir à Hugues qui lui répondit par un sourire. Le jeune homme savait qu’il était inutile de lutter. Pas lorsque son père était décidé à jouer à la perfection son rôle de bon chrétien. Ostensiblement, il saisit la main d’Azaël pour le tirer à sa suite. Il vit les épaules de Hugues se raidir alors que son regard virait à l’orage. Oh, il avait réussi à le mettre sur les nerfs… Un sourire moqueur vint fendre sa bouche puis il quitta le salon. Une fois dans le couloir, il lâcha son colocataire et lui fit signe de le suivre sans mot dire. Ils se rendirent dans sa chambre. Il s’agissait d’une pièce étroite, occupée par une armoire, un bureau et un lit. Là où d’autres adolescents avaient des murs couverts de posters, les siens croulaient sous les crucifix. Depuis que les crises de murmures s’étaient intensifiées, Haniel considérait cet endroit comme une cellule. Il se demanda vaguement si, maintenant que le whisperer s’était tu, il pourrait réinvestir ce lieu, se le réapproprier. Il secoua la tête à cette idée. Dès qu’il le pourrait, il se barrerait d’ici. Alors ça ne servait à rien de faire de cette fichue geôle un cocon.

Il se laissa tomber dans son lit alors qu’Azaël investissait sa chaise de bureau. Ah, il avait sa mine préoccupée. Leurs regards se croisèrent et Haniel lui signifia d’un simple haussement de sourcils de se mettre à table. Il ignorait depuis quand ils avaient établi une telle relation de complicité, mais son colocataire comprit son message et s’exécuta d’un ton hésitant, comme s’il cherchait un moyen de formuler sa phrase avec tact :

  • Ton père… me fait un peu, hé bien… froid dans le dos.
  • Ah ouais ?
  • Oui… Il est si lisse, on dirait qu’il porte un masque…

Pour quelqu’un qui avait grandi coupé du monde extérieur, Azaël était plutôt bon pour lire en les individus… Haniel lui répondit par un haussement d’épaules. Il ne tenait pas à s’épancher sur le cas de son père. Au-dehors, le vent se levait et des nuages grisâtres s’accumulaient dans le ciel. La pluie n’allait pas tarder à éclater… Haniel frotta le dos de sa main, marquée par l’acide du whisperer. Il vit Azaël fouiller dans son sac pour en tirer un manuel d’Histoire. Il comptait vraiment faire ses devoirs ? Quel élève modèle… Dans un soupir, il décida de l’imiter. Il choisit une playlist de musique classique sur son téléphone puis le déposa sur sa table de nuit. Enfin il sortit ses cahiers et se mit au travail.

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Ils passèrent l’après-midi dans un silence serein, Haniel sur son lit, Azaël à son bureau. De temps à autre, l’exorciste jetait des coups d’œil à son colocataire. L’attention de celui-ci semblait faire de sauts de moutons. Un coup, il planchait sur une dissertation, un autre il observait la pluie s’écraser contre la fenêtre, un autre il gribouillait des notes de musique dans un coin de son cahier. Cela l’aurait agacé en temps ordinaire, mais aujourd’hui, il trouvait ça amusant. Était-ce parce qu’ils avaient combattu ensemble pour la première fois ? Il avait l’impression de découvrir le jeune homme. Le courage dont il avait fait preuve pendant l’affrontement restait gravé dans sa mémoire. Lors de leur rencontre, Haniel lui avait apparu comme un enfant perdu, blessé et colérique. Il souffrait à cause du whisperer et haïssait le monde car personne ne lui tendait la main. Mais depuis qu’il portait le fragment de couteau, il avait tellement changé…

  • Pourquoi tu m’observes comme ça ? grogna soudainement le jeune homme sans lever le nez de son cahier.

Et il avait visiblement développé une sorte de sixième sens… Le lycéen lui fit signe de le rejoindre sans un mot. Azaël referma son cahier et retira ses lunettes de lecture, admettant qu’il était trop fatigué pour se concentrer. Une fois qu’il fut installé, Haniel attrapa son portable et proposa un film. Bien que l’écran soit minuscule, les deux jeunes hommes s’oublièrent dans le jeu des acteurs et l’intrigue. Épaule contre épaule, ils ne virent pas le jour mourir et ce ne fut que lorsque Milagro s’invita dans la chambre qu’ils se rendirent compte qu’ils s’étaient de nouveau assoupis. La petite fille grimpa sur le lit à son tour et se pelotonna entre les jambes de son grand frère tout en serrant une peluche défraîchie d’hippopotame contre elle. Ils poursuivirent le film sans y comprendre grand-chose tous les trois, engoncés dans une léthargie plaisante. Lorsque le générique se mit à défiler, les estomacs des adolescents et de la petite fille se manifestèrent. Azaël consulta sa montre à gousset et constata qu’il était déjà vingt et une heure. Un fumet appétissant s’était faufilé par le dessous la porte et avait envahi la chambre. On entendait le cliquetis étouffé des couverts et des voix de Jeanne et Hugues. Azaël se tourna vers ses hôtes.

  • On ne mange pas avec vos parents ? s’étonna-t-il.
  • Ils préfèrent dîner en tête à tête, répondit Milagro.
  • Tu sais que tu pourrais manger avec eux, canaille, fit remarquer Haniel.
  • Et te laisser tout seul ? Nope.

Comme pour marteler ses dires, la fillette donna une chiquenaude dans le genou de son frère qui lui offrit un sourire tendre que l’exorciste ne lui connaissait pas. Azaël avait du mal à comprendre comment la famille de son colocataire fonctionnait. Les relations que les enfants entretenaient avec leurs parents semblaient répondre à une sorte de code secret chargé de tensions et de non-dits. Lui-même n’avait plus que de vagues souvenirs de sa famille, mais chacun d’entre eux était gorgé de soleil et de rires. Il se rappelait d’un jardin, en été, d’une balançoire qui oscille mollement dans le vent. Du goût de la glace pilée, des parties de chat à travers les pièces. De la large silhouette de son père, affairé à ses fourneaux qu’il aimait tant. Des mains douces de sa mère lorsqu’elle caressait ses cheveux pour l’endormir. Un faible sourire amer vint flotter sur ses lèvres. Ah…

Qu’il était naïf en ce temps-là.

Milagro s’étira puis sauta du lit et s’approcha de la porte de son pas dansant. Elle colla son oreille contre le panneau de bois quelques secondes, puis elle leva le pouce pour indiquer aux lycéens que la voie était libre. Tous trois sortirent à pas de loups, comme s’ils allaient déclencher une catastrophe en faisant trop de bruit. La salle à manger était vide, mais une énorme casserole trônait au centre de la table. La petite fille fit la grimace en découvrant la soupe au potiron fumante à l’intérieur.

  • Berk, c’est dégueu !
  • C’est bon pour ta croissance, canaille, répliqua son aîné. Va me chercher les bols, au lieu de râler. Tu veux des œufs avec ?
  • Oui, deux !

Haniel prit le repas en main, comme il l’avait fait déjà ce midi. Azaël l’observait faire, fasciné par cette énième facette du jeune homme. Celui-ci servit à chacun une large louche de potage ainsi qu’une généreuse portion d’omelette puis tous s’attablèrent. Milagro, qui avait oublié toute colère à l’égard des lycéens, entreprit de leur faire un rapport complet de sa semaine. Son public n’était pas des plus bavards, aussi prit-elle son temps pour détailler chaque journée avec une foule d’anecdotes qui semblèrent grandement amuser son frère aîné.

  • Et toi, tu as des frères et sœurs ? demanda soudainement la fillette en se tournant vers Azaël.
  • Non, je suis fils unique.
  • Tu vis tout seul avec tes parents ?

Le jeune homme ouvrit la bouche pour répondre, mais reçut un coup de genou sous la table. Haniel lui fit les gros yeux, comme s’il savait qu’il s’apprêtait à dire une bêtise. L’exorciste se renfrogna, vexé de son manque de confiance. Bien sûr qu’il n’allait pas déballer devant la fillette qu’il vivait auCclan. Mais il pouvait toujours dire une partie de la vérité.

  • En fait, je vis dans un immeuble avec plein d’autres personnes, déclara-t-il.
  • C’est comme si tu avais une grande famille alors !
  • On peut dire ça…

L’adolescent se mit à réfléchir tout en formant des cercles avec sa cuillère dans son bol. Certes, le Clan était son foyer, mais est-ce que cela faisait pour autant des exorcistes sa famille ? Il ne considérait pas Donnie et Ronnie comme ses frères, par exemple… Sengo, encore moins ! Il avait trop d’admiration pour lui. Mais il avait énormément d’affection pour eux. Le visage de Himi apparut dans son esprit. Oui, en fin de comptes, peut-être que celle qui avait raison, c’était Milagro…

Cette dernière fronça soudainement les sourcils, comme si une pensée soudaine la gênait.

  • Aza’ – l’intéressé songea que ce surnom ne lui plaisait décidemment guère, tu vas dormir où cette nuit ? Dans le lit de mon frère ? Ou avec moi ?
  • Il dort dans ma chambre, canaille, rétorqua son aîné. Moi, je prends le canapé.
  • Tu es trop grand pour le canapé, tu vas avoir les pieds qui dépassent.
  • Pas grave, ça ira. Tu sais bien que Hugues ne tolérera pas qu’Azaël et moi on dorme dans une même pièce.
  • Ah bon ? s’exclamèrent en chœur l’exorciste et la fillette.

Haniel jeta un regard mauvais à son colocataire. Ce dernier se demanda bien ce qu’il avait fait pour mériter ça, mais choisit de ne pas relever, de peur d’envenimer la situation. Milagro le sauva de cette posture inconfortable en bondissant sur ses pieds pour aller quérir des glaces dans le congélateur. Elle revint avec des esquimaux et tous trois gagnèrent le balcon pour déguster leur dessert. Azaël n’avait jamais mangé de crème glacée de sa vie et il observa minutieusement le comportement de ses hôtes avant de s’attaquer au chocolat croquant. Ses yeux se mirent à scintiller. C’était délicieux ! Il reçut un petit coup de coude dans les côtes et comprit que Haniel se moquait de lui. Il lui rendit sa tape sans lui accorder un regard, focalisé sur les lumières de la ville qui s’écoulaient tel un fleuve de pierres précieuses jaunes et rouges dans le lointain. S’ils prêtaient suffisamment attention, ils pouvaient percevoir les sons de la mer par-delà de ceux de la circulation. Une odeur de pluie imprégnait l’atmosphère. C’était si calme…

  • Merci de m’avoir invité.

Il était sincère. Il ne s’était pas senti aussi serein depuis longtemps. Haniel lui décocha un sourire de loup en guise de réponse.

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Haniel déposa le corps endormi de Milagro dans sa chambre. Après un baiser sur le front, il cala Monsieur Duveteux près de son oreiller et regagna le salon où Azaël l’attendait devant un verre de soda. Encore une nouvelle découverte qui semblait le laisser perplexe. Il se laissa tomber à ses côtés dans un soupir, lessivé par leur journée. Pourtant, son colocataire ne semblait pas décidé à dormir. Il tapait quelque chose sur son téléphone, sourcils froncés. Haniel se pencha par-dessus son épaule pour voir ce qu’il tramait, mais l’exorciste referma le clapet, l’air satisfait.

  • Finis ton verre, on sort.
  • Comment ça, on sort ? s’étrangla son colocataire.
  • Édith joue ce soir dans un bar et elle nous a invités à venir la voir. J’ai dit oui pour nous deux.

Alors là, c’était la meilleure, Azaël qui lui proposait de faire le mur pour se rendre dans un bar ! La crème glacée lui était monté à la tête. À moins que ce soit les vestiges de bulles du soda éventé…

  • Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…
  • Écoute, ma mission est d’apprendre comment vivent normalement les jeunes de notre âge. Or, d’après mes investigations, il est courant de sortir le samedi soir. Pourquoi nous, on ne le ferait pas ?
  • Si Hugues…
  • On sera discrets. Et tes parents vont à la messe tôt demain matin, non ?

Et il était vrai que cela faisait des années qu’ils n’emmenaient plus leur fils à problèmes avec eux… Donc, demain matin, s’il roupillait comme un bienheureux sur le canapé, son père ne devrait normalement pas faire de remarque. L’idée d’enfreindre les règles avec Azaël lui plaisait. Il devinait que son colocataire ne le faisait pas juste pour le bien de sa mission ; il était trop scrupuleux envers les règles pour cela. Leur relation prenait décidemment une tournure inattendue qui lui plaisait bien.

Haniel vida d’un trait son verre.

  • OK, on y va !

Azaël l’imita puis grimaça. C’était sûrement bien trop sucré à son goût. Ils récupérèrent leurs vestes puis, sur la pointe des pieds, ils prirent le large.

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En bus, ils furent dans le centre-ville en une trentaine de minutes. Comme ils l’avaient imaginé, les trottoirs étaient bondés de monde. L’effervescence régnait, ça criait et ça chantait de toutes parts. Les amis se retrouvaient en se bondissant dans les bras, les couples s’embrassaient en riant. Certains tanguaient, l’esprit déjà embrumé par les vapeurs d’alcool. La ville tout entière semblait être descendue dans la rue pour festoyer en ce samedi si ordinaire de beautés nocturnes. Les enseignes étincelaient, les réverbères baignaient les visages d’une lumière chaude. Les lycéens échangèrent un regard, mal à l’aise, et pouffèrent, se trouvant tous deux ridicules. Après la journée qu’ils avaient vécue, ils méritaient bien de profiter un peu de leur soirée.

Azaël consulta son portable pour retrouver le nom du bar qui ne se trouvait qu’à quelques rues de leur position. Ils demeurèrent silencieux en chemin, comme à leur habitude. Ce fut Haniel qui repéra le panneau de « Malice Goupil » où un renard bleu était enroulé sur lui-même. Lorsqu’on observait de plus près la sculpture en fer, on se rendait compte que le corps de l’animal était décoré de minuscules diodes qui évoquaient des étoiles rieuses.

Le bar était calme. Comme il était situé un peu en retrait et possédait une devanture sobre, Azaël se dit que les gens devaient avoir tendance à pousser moins facilement la porte de l’établissement. Un serveur vêtu de violet de la tête aux pieds vint les accueillir avec un sourire et les guida jusqu’à une table qu’Édith leur avait réservé. Léo était déjà présent et il leur fit la bise à tous les deux avec enthousiasme.

  • Kim et Morgane ne sont pas là ? demanda Azaël en s’installant.
  • Non, Kim avait déjà un truc de prévu ce soir. Et Morgane, bah, on ne l’a pas vu de la journée. On ne sait pas trop ce qu’elle devient.

Secrètement, l’exorciste en fut soulagé. Il ne savait pas vraiment comment agir en présence de la jeune fille depuis qu’elle l’avait mis à terre sans la moindre difficulté. Léo se leva pour aller leur chercher de quoi boire. Pendant ce temps, des musiciens étaient en train de monter sur la scène composée de palettes au fond du bar. Le regard des lycéens fut attiré par la bassiste au visage grave qui semblait avoir leur âge. Elle avait un regard pénétrant et de longs cheveux noirs raides, qui atteignaient le creux de son dos. Il leur fallut plusieurs secondes pour reconnaître Édith. Azaël écarquilla les yeux. Il avait l’impression d’avoir affaire à une toute autre personne ! L’aura qu’elle dégageait était si différente… Léo revint et déposa des bouteilles de bière sur leur table. Haniel s’apprêtait à s’en saisir, mais l’exorciste la lui piqua des mains.

  • Nous ne sommes pas en âge de boire de l’alcool !
  • Tout le monde boit de l’alcool avant d’atteindre sa majorité, répliqua son colocataire en lui chipant sa propre bouteille. Tu voulais savoir comment se comportent les jeunes de notre âge, non ?

Son ton moqueur transpirait le défi. Loin d’être dupe, Azaël croisa les bras, l’air impénétrable. Haniel haussa les épaules en guise de réponse et prit une lampée de bière. Léo se mit à rire, visiblement amusé par leur petite joute verbale. Puis tous reportèrent leur attention sur la scène où s’achevaient les préparatifs. L’exorciste était fasciné par la mine sérieuse qu’avait revêtu Édith. Elle n’esquissait pas un sourire, concentrée sur ses cordes. Ses cheveux, dépourvus de tout artifice, lui donnaient une sensation d’étrangeté. Léo dut capter son regard car il se pencha malicieusement vers lui.

  • C’est vrai que c’est la première fois que tu vois Édith jouer.
  • Elle est toujours comme ça ?
  • Lorsqu’on en vient à la musique, ouais.

Les premiers accords de guitare s’élevèrent soudain dans les airs. Ils furent rapidement suivis des notes graves de la basse. La tête penchée en avant, Édith avait l’air de disparaître derrière le rideau de ses cheveux, tel un panneau de soie mouvant. Puis les derniers membres du groupe, un batteur et un vocaliste, s’invitèrent dans la ronde électrique. Des sifflements s’élevèrent dans toute la pièce. Les trois lycéens étaient installés près de la scène et Azaël avait la sensation que le son qui pulsait des enceintes se répercutait à l’intérieur des parois de son estomac. Il ne connaissait pas la chanson, c’était à peine s’il l’entendait. Toute son attention était portée sur son amie dont il entrapercevait parfois le visage. Il n’avait jamais remarqué les deux grains de beauté qu’elle avait au coin de la bouche. Et, bizarrement, il en vint à se demander si elle en avait d’autres.

Le bar explosa en applaudissements. Cette vague d’effervescence ramena violemment l’exorciste dans la réalité. Il fit comme tout le monde et se mit à applaudir. Les musiciens semblaient extatiques, à l’exception d’Édith qui demeurait concentrée. Ce fut elle qui lança le top départ pour le morceau suivant par un long solo. Azaël était un néophyte en musique, mais il se doutait qu’il n’était pas à la portée de n’importe qui de mouvoir ses doigts à une telle vitesse sur des cordes. Et vu le murmure estomaqué de son colocataire, il avait raison. Sans même en prendre conscience, il tendit la main vers sa bière et en but une gorgée. La boisson était chaude, mais Azaël sourit. Et pour la première fois depuis ses six ans, il oublia les whisperers.

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– La Fée Morgane s’est connectée –

La Fée Morgane : Personne n’est là ? C’est rare !

La Fée Morgane : Désolée pour aujourd’hui, j’avais quelques trucs importants à régler.

La Fée Morgane : Bon… On se voit lundi.

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