- Je suis désolé…
Et Azaël l’était. Assis à côté de lui, coincé contre le mur, Haniel lui jeta un regard qui en disait long sur son état d’esprit. Le message était clair : les excuses n’étaient pas acceptées.
- Chut, Azaël ! le rabrouera la voix mécanique de Kim. C’est la meilleure partie !
Le marché de départ était le visionnage d’un film de superhéros. Mais lorsque la bande d’amis avait découvert qu’aucun des deux colocataires n’avait vu Percy Jackson ils avaient changé d’avis. Tous étaient affalés sur le lit d’Azaël. Seuls Kim et Léo s’étaient installés à même le plancher. Sur l’écran de l’ordinateur portable de Kim, le héros faisait maintenant face au dieu des Enfers en personne. L’exorciste devait reconnaître que les aventures du demi-dieu étaient plutôt prenantes. Enfin, elles l’auraient sûrement été davantage si Léo arrêtait de faire sans cesse des parallèles avec le livre à voix haute…
- C’est mieux dans le roman…
- Chut, camarade !
L’exorciste jeta un coup d’œil à son colocataire. Hier soir, il avait commencé officiellement son entraînement afin qu’il apprenne à développer et se servir de ses pouvoirs spirituels. Trois de leurs suspects réunis dans une même pièce, voilà une occasion idéale pour s’entraîner. Malheureusement, Haniel avait du mal à maîtriser le premier sort, celui de la perception. C’était à peine si la couleur de ses yeux vacillait ! Ce n’était pas tout de suite qu’ils pourraient partir en chasse du whisperer qui sévissait à Sisoa…
Un hoquet attira l’attention d’Azaël. Édith, entièrement prise par le film, venait de plaquer une main sur le bas de son visage, les yeux écarquillés. De son autre main, elle pinça le pantalon de pyjama de l’exorciste pour attirer son attention. Sur l’écran, le duel final venait de s’engager. Ce n’était qu’une histoire montée de toutes pièces, une histoire que la jeune fille avait avoué avoir déjà visionné de nombreuses fois, mais elle était entièrement plongée dedans. Quelque part, le lycéen trouva son attitude touchante. La musicienne était décidément un étrange personnage. Si entier.
Le film toucha bientôt à sa fin. Kim, Édith et Léo se mirent à applaudir lorsque le générique défila sur l’écran. Azaël aurait même juré que l’apprenti espion essuyait une petite larme.
- On devrait faire ça plus souvent, proposa Morgane.
- Tous les lundis, renchérit Léo.
- Je vais nous préparer un programme, décréta Kim.
- On a peut-être notre mot à dire, non ? railla Haniel.
Ses trois interlocuteurs lui jetèrent à peine un regard. Ils se levèrent dans un bel ensemble, souhaitèrent une bonne nuit à Azaël puis disparurent en un claquement de doigts. Édith passa une main gênée dans ses cheveux couronné d’une guirlande pourvue de minuscules ampoules comme autant de lucioles.
- Ils doivent apprendre à te connaître, camarade Amorth. Une fois que ce sera fait, ils t’adoreront.
Elle quitta la chambre à son tour, non sans avoir offert à chaque colocataire un énorme câlin. Une fois la porte refermée, Haniel se traîna jusqu’à son propre lit et s’y laissa tomber dans un grognement.
- J’ai pas du tout réussi à percevoir quelque chose, marmonna-t-il. C’est dur…
- Oui, c’est vrai, approuva son professeur alors qu’il remettait de l’ordre dans ses draps. Le sort de perception est le premier qu’on enseigne aux apprentis exorcistes. C’est un sort un peu compliqué à maîtriser, mais il est indispensable.
- Tu l’as maîtrisé en combien de temps, toi ?
- Plusieurs mois, je pense… Mais j’avais sept ans.
- Je ne sais pas si je suis censé être rassuré ou non…
Haniel tira de sous son oreiller un des couteaux de la Maîtresse du Fer. La lame était ébréchée, mais le fragment manquant n’était pas loin, bien au chaud dans la bourse en tissu que le lycéen portait autour du cou. Azaël s’assit sur son matelas pour l’observer. Son colocataire prit une profonde inspiration puis ferma les yeux afin de se concentrer.
- Xeo !
Il souleva ses paupières, mais rien n’avait changé. Haniel poussa un grognement de frustration.
- Je n’y arrive pas, pourtant je suis tes instructions à la lettre !
- Il faut recommencer, lui enjoignit l’exorciste. Encore et encore.
- Je sais, je l’avais compris la première fois que tu me l’avais dit…
Azaël fit surgir un petit carnet de son sac de cours.
- En attendant, afin de faire avancer notre enquête, nous allons nous diviser les suspects.
- Ce sont tes potes, tu devrais pouvoir les espionner facilement, non ? railla Haniel.
- Nous ne connaissons pas depuis suffisamment longtemps pour que je puisse les qualifier ainsi, rétorqua l’exorciste, inflexible.
Il tapota la couverture de son carnet de son stylo, l’air pensif.
- Puisque tu sembles aimer gribouiller des esquisses, peut-être que tu pourrais te charger de Léo. Entre gribouilleurs, vous devriez pouvoir engager la conversation sans que ça semble suspect.
Son colocataire, loin d’apprécier le compliment, lui jeta un regard colérique.
- Azaël, je ne sais pas si ça se fait dans ton Clan, mais, chez les gens normaux, on ne fouille pas dans les affaires des uns des autres !
- Je n’ai pas fouillé, ton cahier était ouvert sur ton lit.
- Même ! Les limites ! Ce sera peut-être ça, ta première leçon.
Oh… Il semblait réellement fâché. Azaël en fut troublé. Décidemment, il avait encore beaucoup à apprendre sur les relations humaines. Il ne pensait pas à mal, pourtant. Il fut tenté de se défendre, mais il était sûr que son argumentation ne ferait qu’attiser les braises de Haniel. Alors il opta pour des excuses.
- Désolé, je ne recommencerai pas.
- Bien !
Haniel déposa le couteau sur le matelas à côté de lui dans un soupir.
- Va pour Léo, il m’a l’air plus accessible que les deux autres. Morgane me met particulièrement mal à l’aise…
- J’enquêterai sur elle, alors. Et je peux aussi me charger de Phineas. Comme vous êtes en mauvais termes, ce sera plus simple.
Son interlocuteur hocha négativement la tête.
- Non, je connais bien Phineas. Je saurai tout de suite s’il a changé.
- Très bien. Donc, Kim est pour moi.
Un autre cas épineux. Comment approcher cette énigme ? Par quel angle l’attaquer ? Azaël consulta sa montre à gousset. Il y songerait demain, pour l’heure, il devrait plutôt se coucher. Comme pour appuyer ses dires, son vis-à-vis bâilla sans retenue.
- On s’arrête là pour ce soir, décréta l’exorciste.
- Je ne suis pas fatigué, protesta le jeune homme.
- Tu es fatigué. Développer ses pouvoirs spirituels demande de l’énergie. En plus, demain, c’est ta première leçon au corps-à-corps.
Cette nouvelle ne semblait pas du tout réjouir le jeune homme qui ne put retenir une grimace. Il faut dire qu’à chaque fois que les lycéens s’étaient affrontés, Haniel s’était retrouvé projeté sur le sol.
Azaël éteignit leur plafonnier sans plus de cérémonie et se glissa sous les draps. Sa main passa sous son oreiller pour effleurer le portrait de ses parents. Et ce fut les doigts sur le cliché que le jeune homme s’endormit comme une pierre.
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Xeo, xeo, xeo, xeo…
Haniel avait marmonné cette formule toute la matinée en cours. Dissimulé dans sa table, il avait serré le manche du couteau de la Maîtresse du Fer jusqu’à ses jointures blanchissent et lui fassent mal tout en répétant inlassablement ces deux syllabes. Par moment, il avait cru percevoir le souffle de son whisperer contre sa nuque, mais il ignorait si cela tenait de son imagination ou non. Son entreprise n’avait pas été une réussite, mais, en tout cas, elle l’avait épuisé.
L’après-midi, les élèves de première étaient libérés afin de pouvoir poursuivre les préparations de la guerre des secteurs. Tout en rassemblant ses affaires, Haniel décida de consacrer son temps libre à sa seconde mission : trouver l’identité du lycéen hanté. Après tout, Azaël avait cours jusqu’à 17 heures, autant s’occuper en attendant.
- Haniel !
Le jeune homme se tourna vers la personne qui venait de l’interpellait. Il s’agissait d’une jeune fille toute menue. Ses cheveux frisés formaient une véritable crinière autour de son visage ovale. Comment s’appelait-elle déjà ? Il se rappelait juste qu’elle était déléguée dans sa classe.
- Quoi ? grogna-t-il.
- Heu, je… Haniel… - elle prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage. Haniel, même en tant que sans-secteur, je suis sûr qu’on peut trouver un moyen de te faire participer à la grande guerre. C’est notre baroud d’honneur en tant que premières !
Un court instant, cette proposition tenta affreusement le lycéen. Un court instant, il se figura, participant à l’événement scolaire le plus important de l’année et cette image, baignée de soleil et de rires, le séduisit autant qu’elle lui fit mal. Car, aussi belle que soit cette idée, il savait qu’elle ne verrait jamais le jour.
Son regard se porta au-delà de la jeune fille. Les élèves de sa classe dardaient des regards menaçants sur lui. Le message était limpide.
- Non merci, déléguée.
- Mais…
- Tu devrais être plus attentive. Je ne suis pas sûr que tout le monde soit d’accord avec toi.
Il lui indiqua ses camarades d’un signe de tête. Son interlocutrice se mordit la lèvre inférieure. Elle n’allait quand même pas pleurer ? C’était quoi ? Un pari stupide ? « Va demander au mouton noir de se joindre à nous et s’il accepte, c’est toi qui te le taperas » ? Avant, ce genre d’attitude le mettait en colère. Plus aujourd’hui. Aujourd’hui, ça le rendait juste… triste. Puis ses pensées dévièrent vers le texto qu’il avait reçu dimanche soir d’Édith. Oui, c’est vrai… Il allait leur prouver à tous qu’il n’était plus le même.
Ils ne payaient rien pour attendre.
Sur ce, il planta là la petite déléguée sans un regard en arrière. Ne pas y penser, ne pas y penser, leur tour viendrait plus tard. Pour le moment, il devait se concentrer sur la tâche qui l’attendait.
- Camarade Amorth !
Édith surgit de derrière un des nombreux ficus qui jalonnaient le couloir. Aujourd’hui, ses cheveux étaient rassemblés en deux tresses poudrées de paillettes. Le lycéen haussa un sourcil alors qu’elle courait dans sa direction en lui faisant de grands gestes de bras.
- Édith, tu n’es pas censée avoir cours ?
- Si ! répondit joyeusement la jeune fille. Mais j’ai décidé de sécher ! La grande guerre approche à grands pas, après tout. Et on a encore tellement de travail !
Haniel plaqua sa main contre sa bouche. Il le regretta tout de suite car la jeune fille portait un rouge à lèvres doré qui se retrouva étalé sur sa paume.
- Chut, lui intima-t-il. Ça ne doit pas se savoir, sinon les chemises noires feraient tout pour nous arrêter, tu comprends ?
- Tout à fait ! s’exclama haut et fort la camarade de classe d’Azaël.
Pas sûr qu’elle ait réellement saisi la situation… Mais peut-être qu’il pouvait en tirer parti. Il n’aimait pas vraiment l’idée d’utiliser la musicienne, mais c’était pour le bien de l’enquête, alors ça devrait aller, non ?
- Dis, Édith… Ton pote Léo, tu me disais que c’était lui qui dessinait tes tee-shirts, c’est ça ?
Aujourd’hui, la jeune fille portait sous sa veste d’uniforme un maillot des Beatles. Un sourire solaire fleurit sur son visage.
- Oui, c’est ça. Il est doué, n’est-ce pas ? Tu es intéressé ?
- Intér… Oh, oui, totalement !
- Super ! Léo sèche aussi, on va pouvoir aller le voir. On essaie de mettre au point un instrument qui peint.
Un quoi ? Bon, peu importait. Haniel acquiesça comme s’il voyait tout à fait de quoi la jeune fille voulait parler. Celle-ci, ravie, passa son bras sous le sien afin de l’entraîner dans le dédale des couloirs de Sisoa. Ils quittèrent rapidement la tour des premières pour gagner celle des terminales. Ils s’y introduisirent par une porte dérobée dont le jeune homme n’avait jamais soupçonné l’existence et débouchèrent sur un large hangar. C’étaient ici qu’étaient entreposées toutes les créations des élèves de terminales à mesure des années. Il y avait là une quantité pharaonique d’œuvres et d’inventions de toutes sortes ! Grâce à la lumière crue de la torche de son portable, Haniel avait l’impression de découvrir un monde aussi bien caché que prohibé.
Édith avait l’air de parfaitement savoir où elle se dirigeait. Elle entraîna le jeune homme à travers les allées sans une seule fois hésiter sur le chemin à emprunter. Ils finirent par découvrir sur une sorte de fort, constitué de caisses et de draps de toutes tailles et de toutes couleurs, comme une construction d’enfant. La musicienne repoussa le tissu qui en masquait l’entrée et invita le lycéen hanté à la suivre. À l’intérieur, une multitude de lampes à pieds hétéroclites créaient une ambiance chaleureuse. Le sol était recouvert de tapis et de coussins. Et sur de longues tables étaient disposés toutes sortes d’instruments tous plus tarabiscotés les uns que les autres. Au centre de cet univers irréel, Léo était allongé sur un plateau à roulettes et avait les mains enfouies dans le ventre d’une étrange machine. L’invention en question ressemblait à un orgue tout en bois peint, mais pourvu d’épais tuyaux courbés dont l’ouverture était tournée vers le sol. Fasciné, Haniel s’approcha pour détailler la fresque qui courait sur tout le corps principal de l’instrument. Il s’agissait d’une jungle à la végétation aussi sauvage que bigarrée. C’était splendide…
- Camarade Gostein, regarde qui j’ai ramené avec moi ! s’exclama Édith.
Léo roula jusqu’à eux et se redressa tout en essuyant ses mains pleines de graisse, le sourcil haut. Il semblait contrarié par la présence de leur invité surprise. Tâchant de ne pas en prendre ombrage, Haniel fit légèrement glisser le couteau dissimulé dans sa manche afin que la lame soit en contact direct avec la peau de sa paume et murmura un discret « xeo ». Un fragment de seconde, il crut voir le monde perdre l’intégralité de ses couleurs, mais cette illusion s’évapora aussi vite qu’elle lui était apparue. Malgré tout, le lycéen sentit son excitation grandir. C’était la première fois depuis ce matin qu’il semblait avancer ! Il n’allait pas abandonner en si bon chemin.
Édith s’installa sur le banc de l’orgue modifié, ravie.
- Tu as fini les derniers réglages de l’orgue peinture ? questionna-t-elle.
- Édith, pourquoi tu as amené le sans-secteur ?
- Le camarade Amorth est notre ami.
- Non, c’est faux. Il n’est pas le bienvenu ici.
Haniel prêtait à peine attention à son discours, entièrement focalisé sur le métal tiède du poignard contre sa main. Mais ce n’était pas le cas de la musicienne qui semblait sincèrement peinée par la réaction de Léo. Elle se leva d’un bond, sourcils froncés.
- Tu ne laisses même pas une chance au camarade Amorth ! C’est quelqu’un de bien.
- Édith, ce n’est pas parce que vous avez les mêmes goûts musicaux que ça change sa nature.
- Quelle nature ?
- Que Wharol me vienne en aide. Édith, enfin, tu vois bien qu’il est dérangé !
Cette fois-ci, son cri arracha un sursaut à l’intéressé. Car il avait déjà trop entendu ce terme utilisé à son égard. Il s’avança lentement vers Léo qui carra les épaules à son approche. Malgré tout, Haniel le dominait de quelques centimètres. Il avait une taille moyenne, mais son interlocuteur, lui, était vraiment petit pour quelqu’un de son âge.
- Qu’est-ce qui te permet de dire ça ?
- De quoi ? grommela Léo.
- Que je suis dérangé.
Il sentit l’artiste se raidir et aurait même pu jurer le voir frissonner. Mal à l’aise, son vis-à-vis détourna le regard. On était loin du jeune homme exubérant que le lycéen avait rencontré à plusieurs reprises. C’était presque comme s’il lui… faisait peur.
- Il y a plein de rumeurs sur toi, finit par répondre Léo. Tu refuses de parler à quiconque si ce n’est pour crier, tu n’as jamais rejoint aucun secteur. Tu es colérique et instable ! Et tu utilises Azaël !
La voix de Léo s’était affirmée à mesure de la tirade. La dernière phrase claqua comme un fouet aux oreilles de son interlocuteur. Son visage se décomposa alors qu’il intégrait les mots de l’artiste.
- C’est ce qu’il vous a dit ? murmura-t-il d’une voix étranglée.
Léo, cette fois-ci, en demeura coi. Il se mit à triturer nerveusement son brillant au menton et coula un regard en biais à Édith. Celle-ci lui renvoya un regard noir puis passa son bras sous celui de Haniel pour l’entraîner jusqu’à l’orgue. Ils s’assirent tous deux sur le banc et un sourire revint fleurir sur les lèvres de la jeune fille. Léo, lui, demeura en retrait, ne sachant comment réagir. Il voulut s’approcher, mais la musicienne l’en dissuada en feulant comme un chat. S’il n’avait pas été aussi secoué par les paroles du jeune homme, l’apprenti exorciste aurait trouvé l’attitude de la musicienne très amusante.
La lycéenne prit une profonde inspiration avant de lever lentement ses mains au-dessus des touches. Haniel sentit un frisson dévaler sa nuque. Tout à coup, l’atmosphère avait changé. Édith elle-même semblait complètement différente. Son regard reflétait une immense concentration, son visage était figé dans un masque sérieux. Puis ses mains se mirent en mouvement. Les premières notes furent tordues alors que les rouages de l’invention se mettaient en route. Des glougloutements s’élevèrent, puis, l’explosion. La musique s’envola dans les airs alors que les tuyaux courbes expulsaient de la peinture à grand jets. Léo poussa un cri aigu puis se précipita pour dérouler un immense rouleau de feuille. Dans la manœuvre, il ne prit pas garde et il fut aspergé par un flot jaune. Il fut tellement étonné qu’il en tomba sur les fesses. Cette vue était si déconcertante que Haniel ne put s’empêcher de glousser comme un enfant.
Aussitôt, la musique s’arrêta. Le jeune homme, surpris, se tourna vers Édith qui avait levé vers lui son regard étincelant. D’un signe de tête, elle l’encouragea à prendre sa suite. Le jeune homme hésita avant d’acquiescer. Timidement, il plaça ses mains au-dessus du clavier. Lorsqu’il était encore un petit garçon, il avait pris des cours de piano avec sa mère. Il avait très peu de souvenirs de ce temps-là. Seules quelques images sépia flottaient dans sa conscience. Comme un sourire… Une note… Un rayon de soleil… Et la douceur des bras de sa mère autour de lui.
Sans même s’en rendre compte, Haniel se mit alors à jouer. Une mélodie simple, nostalgique. Durant plusieurs minutes, il s’absorba dans sa mémoire, occultant le monde extérieur. Ce ne fut que lorsque l’ultime note retentit qu’il reprit pied dans la réalité. Il avait l’impression qu’il venait de courir sur des kilomètres tant son cœur battait vite ! Il essuya une larme qui avait perlé sur sa joue puis sentit une main se poser sur son poignet. Édith lui offrit son sourire solaire qui l’accompagnait partout puis lui indiqua Léo d’un coup d’œil. Ce dernier était accroupi face à une toile recouverte de larges traînées de bleus. L’artiste finit par se redresser et s’approcha d’un pas hésitant. Il sembla chercher ses mots pendant quelques secondes.
- On dirait que je t’ai mal jugé, Hani’, finit-il par admettre. L’art en dit beaucoup sur les gens, beaucoup plus qu’ils ne le pensent.
Il tendit sa paume en signe de paix. Le lycéen la fixa un temps, ne sachant comment réagir. Finalement, un sourire vint jouer sur ses lèvres et il accepta de serrer la main de Léo. Ce dernier en sembla ravi.
- Ah, Wahrol vient de mettre un autre enfant perdu sur mon chemin ! s’exclama-t-il avec emphase. Et dire que je l’ai rejeté ! Mais comme dit le bon proverbe, qui ne se trompe jamais ne forge point son cœur.
Pas sûr que ce proverbe existe réellement, mais Haniel se garda bien de le dire. Édith frappa dans ses mains, ravie.
- On va pouvoir te faire participer à notre grand projet, camarade Gostein ! Avec Haniel, on a eu une idée formidable !
- Oh, tiens donc, dis m’en plus, je suis tout ouïe !
Malheureusement, la musicienne n’en eut nullement le temps. Alors qu’elle s’apprêtait à se lancer dans des explications, les néons s’allumèrent et éclatèrent la bulle dans laquelle les lycéens s’étaient isolés.
- Nom d’un Picasso, on va se faire pincer ! jura Léo.
- Il faut fuir, camarades !
Tous trois se précipitèrent vers la sortie sans demander leur reste. Ils se faufilèrent entre les étagères le plus silencieusement possible. Des bruits de pas résonnaient à travers tout l’entrepôt. Des professeurs qui viendraient collecter quelques objets ? Haniel ne tenait pas spécialement à le vérifier !
- Hé, toi ! hurla soudain une voix dans son dos.
Le jeune homme se figea. Mince, il avait été repéré ! Il vit les deux élèves de seconde se pétrifier à leur tour. Il leur fit signe de s’en aller d’un geste de main. Tous deux cherchèrent à protester, mais ils battirent en retraite lorsque la voix s’éleva de nouveau :
- Cet entrepôt est interdit d’accès ! Ton nom et ta classe !
Haniel poussa un soupir résigné et se retourna. Il fut surpris de constater que celui qui l’avait arrêté dans sa fuite n’était autre que son second suspect, Phineas Cixi en personne. Ce dernier avait l’air tout aussi étonné de le trouver là. Ses sourcils se froncèrent.
- Haniel, encore toi, hein… Qu’est-ce que tu fous là ?
- Heu, s… salut, répondit l’intéressé, déconcerté par son ton agressif.
D’habitude, lorsque Phineas s’adressait à lui, c’était d’une voix mielleuse, ce qui renforçait le venin de ses paroles. Mais, pas aujourd’hui, visiblement. Haniel le détailla du regard. Pas de maquillage, une tenue défraîchie. On dirait que le roi des chemises noires avait bien du souci. Après tout, il s’agissait de sa dernière guerre. L’année prochaine, il quitterait Sisoa pour de bon. Pas étonnant qu’il soit aussi stressé… Le connaissant, il devait vouloir tout mener de front sans oser se reposer sur les autres.
Un soupir s’extirpa de la gorge du président du conseil des élèves qui se massa les yeux.
- Bon sang, ton cas est déjà assez épineux comme ça, pourquoi tu continues à m’ajouter du travail ? marmonna-t-il. Tu ne peux pas juste te tenir tranquille, comme je te l’ai ordonné !
- Je ne suis pas à ta botte, ta Majesté, se renfrogna Haniel.
- Ça, je l’avais remarqué, mon cher grain de sable…
Ce ridicule surnom n’affectait habituellement pas le lycéen hanté. Mais il ignorait pourquoi à cet instant précis… Il l’irrita particulièrement.
- Je ne suis pas un grain de sable, ta Majesté, siffla-t-il.
- Non, c’est vrai, grinça son interlocuteur, tu es une plaie. Une plaie qui n’arrête pas de saigner et de s’infecter. Alors fais-moi plaisir pour une fois et dégage de cet entrepôt. Seul le personnel scolaire peut y venir.
- Alors qu’est-ce que toi, tu y fais ?
- Ça ne te regarde pas !
Le roi des chemises noires tâcha de reprendre contenance. Puis il tourna les talons, dédaigneux.
- Je passe l’éponge pour une fois. Maintenant, disparais !
Haniel n’eut pas à se le faire dire deux fois. Mais alors qu’il s’éloignait dans les allées, une pensée le frappa : Phineas n’était pas dans son état normal.
Le whisperer… C’était peut-être lui qui le hantait.
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– Le Roi Léo s’est connecté –
Le Roi Léo : Les amis, l’orgue peinture est un succès !
Édith Piaf : C’était incroyable !
Kim Possible : Vous êtes encore allés vous amuser sans nous ! #abandon
Azazel : Édith, tu n’étais pas en cours cet après-midi, on a un partiel de mathématiques appliqués dans deux jours.
Édith Piaf : Pas de soucis, les maths, c’est juste de la logique, je maîtrise !
– Azazel s’est déconnecté –
Kim Possible : Tu as fait fuir le super vilain.
Édith Piaf : Ah, le camarade Amorth avait mentionné qu’ils devaient se retrouver après les cours.
Kim Possible : On dirait que tu es vraiment devenue l’amie du sans-secteur.
Le Roi Léo : Je pense aussi qu’on devrait lui accorder sa chance. Ce n’est pas un mauvais bougre.
Kim Possible : OK.
Édit Piaf : Tu es d’accord ??
Kim Possible : Bien sûr, je vous fais confiance. Ce n’est pas moi que vous allez devoir convaincre.
Le Roi Léo : D’ailleurs, quelqu’un sait où est Morgane ?