Exorcisme vingt-trois : Que la chasse continue…

Par Ascal
  • Morgane est la fille du proviseur !

Léo et Édith n’en revenaient pas. Mais leur excitation fut presque aussitôt douchée lorsqu’ils se rappelèrent qu’ils avaient affaire à une menteuse invétérée. Ce n’était sûrement qu’une de ses nouvelles fabulations. Ils poussèrent un soupir déçu puis reportèrent leur attention sur Donnie et Ronnie qui observaient autour d’eux, bouche bée. C’est alors qu’ils remarquèrent qu’Azaël et Himi tentaient de prendre la poudre d’escampette. En trois pas, Léo fut sur eux et passa ses bras sous les leurs.

  • Vous vous bécoterez plus tard, les tourteaux ! On a des tas d’activités à faire et d’endroits à visiter, hors de question que vous nous faussiez compagnie !
  • Les tourteaux ? s’offusqua Himi.
  • Allez, direction l’auditorium ! On raconte que les terminales ont préparé une sorte de pièce de théâtre qui met en scène les creepypastas, je veux absolument voir ça !

Sans plus d’explications, il les entraîna à sa suite pendant qu’Édith guidait Donnie et Ronnie. À mesure de la visite, le peintre et la musicienne égrainaient les anecdotes sur leurs jours à Sisoa. Lorsqu’ils racontèrent qu’ils s’étaient introduits en pleine nuit dans les bureaux du conseil des élèves, Ronnie ne put s’empêcher d’éclater de rire. Donnie, lui, n’en revenait pas.

  • Vous avez réussi à faire en sorte qu’Azaël brise le règlement… Vous l’avez hypnotisé, avouez !

Himi se raidit à cette suggestion, mais son ami la rassura rapidement avant qu’elle ne décide de faire subir un interrogatoire à Léo.

Ils ne gagnèrent jamais l’auditorium. Sans s’en rendre compte, ils passèrent les heures suivantes à déambuler dans les couloirs et les classes. Les exorcistes se laissèrent prendre au jeu, même Himi laissa complètement de côté ses réticences lorsqu’elle découvrit le CDI. Elle qui n’avait jamais lu que des ouvrages théoriques faillit s’enterrer au rayon BD et il fallut qu’ils s’y mettent à plusieurs pour l’en déloger.

Les soucis, les idées noires… Tout se dissolvait sous les rayons du soleil de mai. Même Azaël finit par en oublier le whisperer. Pendant une après-midi, les exorcistes délaissèrent leurs masques, leurs armes, leur uniforme. Ils n’étaient plus que des adolescents qui passaient du bon temps avec leurs amis.

Lorsque Léo et Édith se rendirent compte qu’ils n’avaient jamais mangé de gaufres, ils crièrent à l’injustice et décidèrent de réparer cette erreur de ce pas. Au réfectoire, ils s’achetèrent des croustillons qu’ils dévorèrent tout en marchant. C’était délicieusement chaud, délicatement fondant. Une merveille ! Azaël se vanta d’avoir déjà goûté de la glace et ses collègues se promirent qu’ils en mangeraient dès demain lors de leur prochaine patrouille en ville.

Le monde semblait composé de bonbons acidulé aux couleurs pastelles. Tout était doux, tout était paisible. Les conques, qui sonnèrent la fin de la guerre, les surprirent et les ancrèrent brusquement de nouveau dans la réalité. Tout à coup, Himi se rappela du poids de son étui à violon, Azaël remarqua de nouveau la marque d’acide sur le dos de sa main. Même les expressions de Donnie et Ronnie se rembrunirent.

  • On ferait mieux d’y aller, murmura la jeune fille aux yeux vairons.
  • Ça nous a fait plaisir de vous rencontrer, les souriceaux ! s’exclama Léo avec un large sourire. Tous les amis inadaptés socialement d’Azaël sont nos enfants.
  • Tu es trop jeune pour être mon père, Léonard, rétorqua Himi le plus sérieusement du monde.

L’artiste poussa un soupir théâtral, une main sur le front. Ronnie le consola en lui asséna une solide claque dans le dos.

  • Aujourd’hui, c’était cool, merci !

Donnie approuva d’un hochement de tête avant de consulter rapidement son téléphone à clapet. Ses sourcils se froncèrent.

  • Ronnie, Himi, on doit y aller, signala-t-il d’une voix grave. On a du travail au parc.

Un exorcisme ! Azaël voulut proposer de les accompagner, mais Himi lui fit signe de garder le silence d’un geste de la tête. Il ne fallait pas que leurs camarades comprennent son état. Les F.I. étaient de piètres menteurs. Ils seraient incapables de garder son secret. Le jeune homme le savait pertinemment… Alors il ne pipa mot. Son amie le rassura d’un de ses rares et discrets sourires avant de réajuster les lanières de son étui à violon sur son dos.

  • Allons-y, déclara-t-elle.

Ils s’éloignèrent rapidement sans un regard en arrière. En voyant leur silhouette mourir dans l’horizon, Azaël ressentit comme un vide. Il avait l’impression de n’être qu’un poids, un boulet qu’on préférait garder éloigné plutôt que de le garder à son pied. Et si Himi venait à le percevoir de cette manière ? Après tout, il n’était même pas capable de protéger Haniel…

  • Azaël…

La main d’Édith se glissa dans la sienne. Aussitôt, le brouillard qui oppressait sa poitrine disparut. Un souffle nouveau emplit ses poumons. Il remercia brièvement la musicienne d’un hochement de tête. Celle-ci lui répondit par son sourire de tournesol, aussi rayonnant que rafraîchissant. Les yeux de l’exorciste s’égarèrent sur ses grains de beauté.

  • Et si on allait profiter de la fin du conflit ? lui proposa-t-elle. Cette année, la grande guerre a été spéciale, n’est-ce pas ?
  • L’année prochaine, on y participera ! s’enthousiasma Léo.
  • J… Je ne sais pas si… ! bafouilla Azaël.

Il s’interrompit, toujours hanté par cette même pensée : qu’adviendrait-il de lui l’année prochaine ? Ses amis le dévisagèrent d’un air surpris. Puis, soudain, le peintre se frappa le front.

  • Mais bien sûr, comment ne l’ai-je pas compris avant ! Évidemment que tu ne participeras pas à la grande guerre, Azaël !
  • Ah bon ? s’étrangla l’intéressé.
  • Bah, tu seras dans le secteur « Sport », non ?

Le cœur du jeune homme s’emballa. Lui ? Dans le secteur « Sport » ? Il leva la tête vers la tour des premières. Cette idée ne l’avait encore jamais effleuré, mais maintenant qu’elle s’était infiltrée entre les plis de son cerveau… Il devait avouer qu’elle le séduisait énormément.

Demeurer à Sisoa…

Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres.

  • Ouais, finit-il par répondre dans un souffle. C’est un projet…

--

Des yeux rouges. Des murmures. La sensation de doigts enroulés autour de son avant-bras. Un appel.

  • Haniel.

Le jeune homme émergea de son demi-sommeil en sursaut. Au volant, Alexander lui jeta un regard en biais. Il actionna son clignotant avant de s’engager dans un rond-point. Le lycéen hanté se redressa sur le siège passager tout en se frottant les yeux. Ah oui… Ils revenaient de l’hôpital. Son regard tomba sur le plâtre qui enveloppait son poignet. Quelle saleté…

  • On va arriver à Sisoa juste à temps pour la fête de la fin de la grande guerre, déclara l’infirmier, le regard rivé sur la route. Tu vas y aller avec ton colocataire ?
  • Sûrement, marmonna son interlocuteur.
  • C’est une bonne chose que vous vous soyez rencontrés, Azaël et toi. Ça faisait longtemps que je ne t’avais vu proche de personne. Depuis le collège, non ?

Haniel sentit des plaques coquelicots s’incruster sur ses pommettes. Il détourna le visage pour masque ses rougissements. Il n’avait pas vraiment envie de parler de sa vie personnelle avec le père adoptif de son ex…

L’adulte lâcha un petit rire, amusé par sa gêne. Ici, dans cette voiture, il n’était plus l’infirmier de l’internat, mais Alexander, l’homme chaleureux qui l’avait accueilli chez lui et dans sa vie les bras ouverts.

  • Il te plaît ? insista le père de Phineas, taquin.
  • Quoi ? Non ! s’offusqua l’intéressé. Ce n’est pas mon genre de garçon du tout.

Alexander hocha les épaules en faisant la moue. Son passager se renfonça dans son siège, mortifié. Pourvu qu’ils soient bientôt arrivés…

  • Et chez toi ? Comment ça se passe ?

Le ton de l’infirmier avait perdu sa légèreté. Le frère de Milagro sentit l’embarras tordre son cœur. Cette conversation lui déplaisait… Alexander poussa un soupir devant son air buté. Il rentra sur le parking de Sisoa et se gara à la place qu’il lui était attribué. Alors qu’il coupait le moteur, Haniel tenta de profiter de son inattention pour tenter de s’enfuir. Cependant, l’homme l’arrêta en posant une main sur son épaule :

  • Haniel, tu sais que ma porte t’ait toujours ouverte. Ne l’oublie pas… Je suis l’infirmier de l’internat, mais aussi ton allié. D’accord ?

Le lycéen hocha la tête puis il claqua la porte de la voiture précipitamment. Sans jeter un regard en arrière, il se dirigea vers les grandes tours de Sisoa. Quelle heure pouvait-il être ? Malgré son attelle, il parvint attraper son portable dans la poche arrière de son pantalon. Déjà seize heures… Entre l’attente aux urgences et l’infirmier, la journée était déjà écoulée !

  • Hé !

Haniel sursauta. Phineas venait de surgir dans son champ de vision. Oh… Bien sûr. Comment il avait pu s’imaginer s’en sortir aussi facilement ? S’il y avait bien une chose que Sa Majesté détestait, c’était qu’il se passe quelque chose qu’il ignorait dans son royaume.

Le terminale marcha rapidement vers lui. Son regard se dirigea vers son poignet.

  • Diagnostic ?
  • Juste une fracture.
  • Juste, hein… ? Haniel, je t’ai déjà vu pleurer à cause d’une écharde.
  • Hé ! J’avais onze ans, ça ne compte pas.

Un sourire moqueur vint fleurir sur les lèvres de Phineas. Haniel sentit un frisson parcourir son échine. Quelle sensation étrange… Comme s’il avait été projeté des années en arrière. Comme s’il était redevenu ce gamin naïf assoiffé de chaleur humaine. Mais il ne voulait plus être cet enfant, et il ne voulait certainement plus dépendre de Phineas.

Ce dernier croisa ses bras sur sa poitrine. Son regard aiguisé courut sur le jeune homme.

  • Tu sais pourquoi je suis là… Et ne t’avise pas de me mentir. Tu me dois bien ça.
  • Devoir ? ricana Haniel. Je ne te dois rien du tout, ta Majesté.

Ce ridicule sobriquet heurta Phineas. Ses doigts se crispèrent sur ses avant-bras. Haniel prit une discrète inspiration. Il devait le repousser. Il ne pouvait pas l’impliquer de nouveau dans ses souffrances, le faire tournoyer une nouvelle fois dans la valse de ses mensonges. En le rejetant, il savait qu’il allait lui faire du mal. Mais c’était toujours mieux que de le voir périr entre les griffes d’un whisperer.

  • Je pensais te l’avoir déjà dit il y a quelques années, arrête de te mêler de ma vie, gronda Haniel.
  • Ça, il fallait y penser avant de m’y impliquer de nouveau.
  • Je ne t’y ai pas impliqué. C’est toi qui as tenu à continuer à jouer les héros solitaires. Qu’est-ce que tu pensais faire en empêchant mon renvoi de Sisoa ? À part entretenir ton ego, bien sûr.
  • Tu détournes la conversation, mon grain de sable…

Ah, il avait touché une corde sensible… Haniel se savait doué pour faire mal. Il avait ce pouvoir de destruction au bout de sa langue. Dans sa petite vie, il en avait usé tant et tant de fois.

Phineas s’approcha d’un pas. Le lycéen hanté en recula de deux. Un sourire de serpent vint étirer les lèvres peintes du roi des chemises noires.

  • Je vois clair dans ton manège, Haniel. Tu n’as pas changé depuis le collège. Toujours a essayé d’écarter de ta route les gens qui veulent te tendre la main.
  • Je n’ai pas besoin de toi…
  • Mais moi, j’avais besoin de toi…

La voix de Phineas était demeurée douce, douce comme de la soie. Pourtant, elle fit l’effet d’un coup de poignard à Haniel. Il écarquilla les yeux sans comprendre. Était-ce un aveu… ? Phineas ne montrait jamais ses faiblesses à quiconque, surtout pas à lui. À ses yeux, il avait toujours voulu apparaître comme un chevalier en armure. Qu’est-ce que ça avait pu l’agacer à l’époque !

Un nouveau pas en avant. Haniel se fit violence pour ne pas fuir en courant. La proximité de Phineas lui donnait la chair de poule…

  • S’il te plaît… murmura le président du conseil des élèves. Ne recommence pas à élever des barrières. Je sais que nous ne pouvons pas revenir en arrière. Que notre histoire est morte… Mais j’ai toujours envie de t’aider…

Haniel sentit une vague de picotements monter dans son nez, mais il tâcha de ravaler rapidement ses larmes. Tout ce qu’il voulait, à cet instant même, c’était chausser son casque et se noyer dans la musique. Oublier un court instant les émotions qui se fracassaient entre les parois de son crâne.

Alors il céda. Il posa sa main valide sur l’épaule de Phineas et planta son regard dans le sien.

  • Je ne peux rien te dire, j’aimerais le faire, je te le promets, mais je ne peux pas. Je ne suis pas le seul impliqué dans cette histoire, je n’ai pas le droit d’en parler.
  • Menteur… Ton colocataire, lui… Oh… Lui aussi, il est impliqué, c’est ça ?

Haniel demeura silencieux, mais cette réponse était amplement suffisante pour Phineas. Ce dernier poussa un lourd soupir puis recula de quelques pas. Un long silence plana entre eux quelques secondes. Puis le roi des chemises noires planta ses poings sur ses hanches :

  • Je refuse ! clama-t-il. S’il se passe quelque chose à Sisoa, je dois en être informé, que tu sois d’accord ou non avec ça, mon grain de sable. Je ne peux pas te laisser t’en tirer aussi aisément.
  • Mais que tu es casse-pied…
  • C’est là la moindre de mes qualités.

Haniel allait répondre par un ricanement lorsque les conques firent sonner leur plainte. La grande guerre tirait sa révérence. Les visiteurs commençaient à refluer. La vie allait enfin reprendre son rythme ordinaire. Le lycéen hanté sentit alors une sensation glaçante le prendre aux tripes. Exactement comme hier ! Le whisperer devait être dans le coin ! Il fouilla la foule du regard. C’est alors que les couleurs s’évanouirent. Comment était-ce possible ? Il n’avait pas lancé le sort ! Il repéra à une centaine de mètres le cœur rougeoyant du whisperer. Cette fois-ci, il ne le laisserait pas s’échapper !

Il voulut déverrouiller son téléphone pour appeler Azaël, mais l’écran demeurait noir. Oh non, il n’allait tout même pas lui faire le coup de la panne de batterie, celui-là ? Comment faire ? Dans son état, il était incapable d’arrêter le fantôme. Mais il ne pouvait pas le laisser lui filer entre les doigts une nouvelle fois… Il se tourna alors vers Phineas. Ce dernier eut un mouvement de recul à la vue de ses yeux entièrement noirs.

  • Putain, Haniel, tu vas m’expliquer ce qu’il se passe ! couina-t-il, une main sur le cœur.
  • Tu veux être impliqué, très bien ! Retrouve Azaël, dis-lui que je traque le whisperer et que je vais essayer de l’attirer là où l’on s’est rencontrés pour la première fois !
  • Mais qu’est-ce que tu… !
  • Phineas !

Sa voix craquait sous la panique. Le roi des chemises noires comprit que ce n’était nullement le moment de négocier ou demander quoique ce soit. Il fila sans un regard en arrière. Haniel ignorait s’il allait réellement lui obéir ou s’il avait tout simplement décidé qu’il n’y avait plus aucun espoir pour lui. Mais, au moins, il était débarrassé de Sa Majesté…

  • À nous deux… murmura-t-il.

La chasse pouvait enfin reprendre.

--

La fête de fin de guerre battait de son plein. Cette fois-ci, le banquet se déroulait sur la pelouse du parc, au bord du lac. Azaël avait appris par les élèves de sa classe que les terminales s’étaient surpassés avec leur idée de chasse au trésor. La 2de 16 avait résolu toutes les énigmes posées par les terminales et avaient empoché le fameux trophée : une journée complète dans l’université ou l’école de leur choix. Si l’exorciste avait trouvé l’idée plutôt banale, ses camarades, eux, la trouvaient extraordinaire. Léo et Kim, par contre, ne pouvaient bénéficier du premier prix étant donné qu’ils n’avaient pas participé, ce qui ne sembla pas réellement les affecter.

Tous échangeaient sur ce qu’ils avaient vu durant la grande guerre et Azaël se rendit compte qu’il avait raté bien des événements. Néanmoins, il ne le regrettait pas. Il sentait que les souvenirs qu’il avait forgés cette semaine demeureraient pendant de longues années dans sa mémoire, comme d’agréables brumes de rosée dans lesquelles il aimerait déambuler dans ses rêves.

Édith l’entraîna sur la pelouse en riant. Ils rejoignirent leurs amis. Kim avait un air rêveur sur le visage. Visiblement, son après-midi avec sa mystérieuse correspondante irlandaise s’était très bien déroulée… Morgane et Léo y virent la parfaite occasion de se moquer de lui ! Les élèves de tous les niveaux se mêlaient, riaient, mangeaient, dansaient. Les tensions des dernières semaines étaient enfin relâchées et tous comptaient en profiter. Azaël ne songea même pas à vérifier son portable ou à envoyer un message à son colocataire, transporté par l’euphorie ambiante.

Lorsqu’Édith lui prit la main pour l’inviter à la suivre sur la piste de danse improvisée, sa timidité surgit de nouveau et il lui échappa. C’était sans compter sur Morgane qui le poussa dans le dos pour qu’il rejoigne la musicienne. Cette dernière riait, les bras levés vers le ciel. Elle avait rassemblé ses cheveux en un chignon négligé érigé à la va vite. Des mèches rebelles se balançaient autour de son visage à chacun de ses pas. Elle avait jeté sa veste d’uniforme à Kim et défait ses souliers. Alors, Azaël s’oublia. Il laissa son corps se faire porter par la musique. Ses jambes, ses bras, ses hanches… Il avait l’impression qu’il ne contrôlait plus rien. Et cela n’avait aucune importance. Tout ce qui comptait, c’était la puissante vague dorée qui avait englouti son cerveau. Au rythme des instruments endiablés, il n'était plus qu’un enchaînement de mouvements. Sur sa peau, la sueur roulait. Ses cheveux défais effleuraient sa nuque. Une sensation qu’il adorait.

Sur une impulsion, il saisit Édith par le bras pour la faire tournoyer, comme il avait vu d’autres élèves le faire. La musicienne devenue toupie s’exécuta volontiers. Sa main dans la sienne lui envoyait des frissons électriques. Ces sensations étaient si nouvelles pour lui ! Il aurait voulu suspendre le temps pour les conserver entre les lignes de sa paume afin de les lire et les relire jusqu’à les connaître absolument par cœur.

  • Azaël Walker de la 2de 8 est prié de rejoindre le réfectoire immédiatement. Je répète, Azaël… !

Le charme se rompit instantanément. Azaël relâcha la main d’Édith et recula, abasourdi. Une fois encore, il avait complètement perdu le sens des réalités… Il profita de cet appel inopiné pour s’échapper, presque effrayé. Un jour, ce lycée lui ferait définitivement perdre la tête !

Alors qu’il s’apprêtait à pénétrer dans la cantine, il sentit qu’on le retenait par le bras. Le jeune homme se dégagea instinctivement, prêt à dégainer son couteau. Il se retint juste à temps lorsqu’il identifia Phineas. La mine inquiète du jeune homme l’alerta aussitôt.

  • Qu’est-ce qu’il se passe ?
  • C’est Haniel ! s’empressa de lui dévoiler le président du conseil des élèves. Il m’a demandé de te prévenir. Il est en train de traquer un… un whisperer !

Dans l’esprit d’Azaël, ce fut comme si on avait jeté un pot de peinture blanche. Toutes les couleurs disparurent tout à coup sous cette vague. Encore une fois, c’était Haniel qui s’était lancé au-devant du danger. Seul. Pendant que lui dansait, hypnotisé par les mèches rebelles d’Édith. Mais quel imbécile il faisait ! Il devait retrouver tout de suite son colocataire !

  • Tu sais où il est ? le supplia l’exorciste.
  • H… Haniel a dit qu’il allait l’entraîner vers le lieu de votre première rencontre.

Leur première rencontre ? Dans la tour des premières ? Il l’ignorait, mais il devait essayer. Il allait se précipiter, mais Phineas n’avait pas terminé. Il referma de nouveau sa main sur le poignet du lycéen.

  • Je t’en prie… Protège-le.

La gorge nouée, Azaël ne put que hocher la tête. Puis il se mit à courir. Pendant que ses baskets frappaient le carrelage, son esprit s’échauffait, tournoyait. Comment Phineas pouvait-il être au courant ? Haniel était-il blessé ? Qui était réellement la personne possédée ? Il fallait qu’il se dépêche ! Mais alors qu’il s’apprêtait à entrer dans la tour des premières, un doute le fit ralentir. Son colocataire se souvenait-il réellement qu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois ici ? Non, il en doutait. Ce n’était pas à ce lieu qu’il faisait référence ! Mais au toit de l’internat. Là où il avait exorcisé Richard !

Azaël fit volte-face. Vite, vite, vite ! Il ignorait combien de temps Haniel serait capable de tenir tête au whisperer ! Il courait à en perdre haleine. Dans le lointain, la musique résonnait en écho aux rires des lycéens, insouciants du drame qui était en train de se jouer. L’exorciste repoussa la vague de culpabilité qui tenta de le mordre aux entrailles. Il aurait tout le temps de s’accabler de reproches une fois l’exorcisme effectué. Pour le moment, il devait demeurer concentré !

Vite, vite… Vite !

D’un large revers de bras, il écarta la porte de la tour des secondes. Il s’élança à corps perdu dans les escaliers. Ses jambes lui brûlaient, ses poumons semblaient sur le point de lâcher, mais il ne ralentit pas sa course effrénée. Il dépassa rapidement les étages consacrés aux salles de classe. Un goût ferreux s’était invité sur sa langue. Il avait l’impression qu’il allait vomir.

Vite, vite, vite ! Plus vite !

  • Haniel !

Il ignora où il trouva la force de hurler le prénom de son colocataire. Pourvu qu’il soit entendu. Pourvu que Haniel comprenne qu’il arrivait lui prêter main forte ! Lorsque la porte du toit apparut dans son champ de vision, Azaël remarqua qu’elle était entrouverte. Il parvint à accélérer, encore et il la repoussa de toutes ses forces. Ce qu’il vit alors brisa quelque chose dans sa poitrine.

Oui, Haniel était là. Il gisait sur le sol, luttant pour ne pas perdre conscience. Son couteau reposait près de lui, brisé. Du sang imbibait ses vêtements. Et au-dessus de lui, un sourire psychotique sur les lèvres, se tenait Richard.

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