Liam est au téléphone avec Uzu depuis plusieurs minutes.
- Excuse moi, je ne serais pas long, j'ai ressenti le besoin de t'appeler avec ce qu'il vient de se passer.
- Je comprends ne t'inquiète pas, de toute façon Gabriel est en train de recoucher le bébé, j'ai bien peur que le voyage en voiture ne l'ai complètement réveillé.
- Tu sais que j'abord la violence, tu le sais n'est-ce pas.
- J'ai vu Yann à l'œuvre avec ses poings, tu n'as sûrement fais que te défendre.
- Nan c'est pas ça. Il fait bien plus mal avec ses paroles. Il m'a vraiment poussé à bout.
- Tu devrais lâcher l'affaire. Je te connais, ça n'est pas ton genre d'abandonner et je sais qu'il t'attire seulement...
- Tu as sans doute raison, mais Yann ne m'attire pas seulement, il me fascine. Je ne saurais trop dire pour quelle raison. Il y a quelque chose de troublant et de double chez lui. On a envie de l'aimer en même temps on le craint. J'aimerais qu'il m'aime et je continu d'espérer. Pourtant je vois bien qu'il me hait, la plupart du temps. Je fais la même erreur chaque fois, je tombe amoureux de ce que je crois lire dans l'âme des gens. Je n'ai pas le droit à cette belle histoire. C'est comme si j'essayais de toucher à un trésor réservé à quelqu'un d'autre. Je vois le diamant caché dans le charbon, je suis incapable de l'extraire. Je ne suis qu'un mineur, je reconnais la pierre mais le bijou n'est pas pour moi.
- Décidément tu ne changes pas, tu es d'un ennuie profond. Toujours cet air blasé, tu ne te rebelle donc jamais ? Ouvre les yeux et vois ce que ça peut montrer d'effrayant.
- Effrayant ?
- Oui, tu as comme baissé les bras, abandonné. Pourquoi on aurait envie de rester avec un type comme toi franchement ? Ça fait peur.
- Merci sympa ! Il vaut mieux admettre que se bercer d'illusions non ? Ça fait moins mal. Je me suis battu pour toi et on voit le résultat.
- Est-ce que tu le crois vraiment ?
- Quoi ?
- Que tu t'es battu pour moi.
- Bien sûr, pendant toutes ses années...
- Tu m'as suivi partout. Tu as tout accepté. Nan tu ne t'es pas battu. Tu m'as seulement laissé faire tout ce que je voulais de toi, bêtement et sans te rebeller. Et quand j'ai décidé que j'en avais assez, tu as juste attendu et espéré que je change d'avis. Si tu ne souhaite pas qu'on te traite comme un chien, ne te comporte pas comme tel.
- Super, merci, je t'ai aidé et voilà les remerciements que j'ai ?
- Si tu ne veux pas entendre les réponses, ne pose pas de questions. Moi je suis honnête, tu sais que je dis toujours ce que je pense.
- ...
- Liam, dis-moi, pourquoi m'aides-tu chaque fois ? À l'instant même, à cause de mon manque de tact, tu devrais m'envoyer me faire foutre ! Pourquoi ne le fais-tu pas ? Ne me dis pas que c'est parce que tu m'apprécies, tu me détestes.
- Je suis faible ?
- Enfin une bonne réponse ! Tu es faible et ça m'énerve. Et tu veux que je te dise ? Il y a de fortes raisons pour que cela énerve aussi Yann.
- ...
- Bon, je te laisse, Gabriel a terminé.
- Youdzeu ?
- Quoi ?
- Je ne te déteste pas.
- Pauvre de toi ! sourit Uzu avant d'ajouter : Un conseil, quoi que tu décides, tu prends une vrai décision et tu t'y accroches.
*
Il a chaud et n'arrive pas à dormir. Pourtant il se sent vraiment fatigué. Il avait espéré passer la nuit avec Liam, il n'en a rien été. Après tout entre-eux il n'y a encore rien. C'est sans doute aussi bien. Sa gorge le fait affreusement souffrir, sa fièvre ne semble pas vouloir baisser et il a du mal à tourner la tête. Il aimerait pourtant attraper ce verre d'eau.
- Marie est-ce que tu considères que de temps en temps, tu prends soin de moi ?
- Qu'est-ce que c'est que cette question tordue encore ?
Son téléphone est sur haut parleur, il a ainsi l'impression que sa meilleure amie à la tête posé sur l'oreiller voisin du sien alors que des centaines de kilomètres les séparent.
- Répond juste.
- Non.
- Comment ça non ?
- Bah non, déjà à cette distance je n'vois pas comment, puis de toute façon même. Tu ne laisses personne prendre soin de toi et tu es totalement incapable de le faire toi-même, on voit bien où ça te mène d'ailleurs.
- ...
- Tu m'appelles souvent pour que j'entende ce que tu as à dire. Je le fais, c'est vraiment tout ce que je peux faire pour toi, être bon publique, une oreille attentive.
- Tu me donnes des conseils, ça m'aide !
- Vraiment ? Tu ne m'écoutes jamais. Tu n'en fais qu'a ta tête. Tu aimerais juste qu'on approuve tes choix et encore, c'est même pas sûr. On t'aide dans la mesure du possible, mais on se casse les dents bien souvent. Parce qu'on ne sait pas ce que tu attends de nous. Je pense que tu ne le sais pas toi-même. Je crois qu'en faite le problème c'est que soit tu en attends trop, soit tu ne veux rien. Tu ne t'estimes pas assez sans doute. Si on t'aime c'est qu'on est con.
- Faut quand même pas exagérer, Gabriel...
- Ha bha le voilà encore sur le tapis celui-là ! Gabriel oui, un peu, sans doute à sa façon mais ça n'a pas duré longtemps.
- Tu penses que c'est de ma faute ?
- Non.
- Pourquoi ? Ça devrait pourtant, j'agis vraiment comme ça avec tout le monde, alors forcément c'est de ma faute si...
- Non Yann, ne me fais pas dire ce que j'ai pas dit, et arrête de vouloir être le mauvais de l'histoire. Je ne dis pas que tous les problèmes viennent de lui, mais tu n'es pas LE responsable. Tu lui as donné une chance que tu n'as donné à personne d'autre. Et je ne crois pas qu'il en ait été à la hauteur.
- Marie, tu es vraiment importante à mes yeux et dans mon cœur.
- Je sais, je ne suis pas jalouse de ce que tu as offert à Gabriel et j'apprécie que tu sois toi-même avec moi. Bien que parfois ça te rende insupportable. Tu as fait bien d'autres efforts pour moi que ceux que tu as fait pour lui.
- ...
- Yann tu as beaucoup de bons côtés.
- Tu parles.
- Tu vas dormir maintenant ?
- Si seulement, j'arrive même pas à attraper ce verre d'eau, je peux plus tourner la tête, j'ai tellement mal au crâne que j'ai l'impression que mes yeux vont tomber.
- C'est pas possible ! Mais préviens Liam enfin !
- Il dort. Puis j'ai la gorge en feu, t'entend bien comment je parle. Je pense pas être capable de crier assez fort.
- Je vais l'appeler au tel.
Yann pouffe de rire malgré la douleur.
- Dieux du ciel, ma meilleur amie qui habite Toulouse va appeler mon colocataire qui squat à quelques mètres, pour qu'il me donne un verre d'eau, c'est beau la technologie ! Si c'était pas comique, ce serait pathétique. Mais j'ai mon téléphone, je peux le faire ! Enfin si j'arrive à le reprendre.
- C'est quand même pas normal que tu continues à être malade comme ça. Ça n'allait pas mieux aujourd'hui ? Les médecins ils disent quoi ?
- Paraît que je vais avoir les résultats d'une prise de sang demain, je ne me souviens même plus l'avoir faite. Ça allait mieux, mais la répète et la réunion m'ont tuées.
*
Le lendemain matin, chez Uzu et Gabriel.
Uzu passe dans le couloir quand Gabriel se met au piano, intrigué, une pile de drap dans les bras, il s'arrête un instant pour l'écouter.
La main droite du goth sautille sur le clavier doucement, une note piquée, une autre, un enchainement, un silence. Il crée un petit thème amusant qui revient deux fois. Il termine sa ligne par un glissando, puis se stoppe. Sa main plane un instant au dessus du piano. Et ça recommence un peu plus lié cette fois, les notes ne sont plus aussi nerveuses, il laisse une empreinte de douceur.
Le thème revient encore et voilà que sa main gauche répond à présent la droite. Une sorte de conversation musicale entre elles deux. Une nouvelle pause et le morceau recommence lentement sur deux huitaines plus graves. Les deux mains jouent d'abord la même chose mais bientôt s'accompagnent. Il accélère la vitesse, ses doigts ne marchent plus, ils courent, alertes et sautillants à la main droite, liés et plus lourds à la gauche. La pédale mélange les sons, la main droite glisse vers deux octaves au dessus. La ballade se fait harmonieuse, rapide, limpide bien plus aiguë et tel un chant d'oiseau, elle s'envole par la fenêtre en résonnant dans la coure intérieur. Le thème revient inlassablement. La tête du pianiste se balance d'avant en arrière au rythme effréné de ses doigts. Les yeux fermés, les narines dilatées, Gabriel ne se rend pas compte qu'il a hypnotisé Uzu, resté comme bloqué à l'entrée de la chambre à l'écouter.
Quand quelqu'un sonne la porte.
- Bonjour, monsieur Obata je suppose ?
La femme souriante qui apparait à la porte accompagnée de sa stagiaire se présente comme l'assistante sociale en charge du dossier de tuteura. Figé sur place, Uzu n'a pas le temps de répondre, que Gabriel débarque déjà de la chambre.
- Youz' ? M'dame vous êtes ? se renseigne-t-il lorsqu'il sort d'un pas alerte du couloir.
La vision de l'assistante sociale sur le pas de la porte le stoppe net. Il l'a reconnait, elle a à peine ouvert la bouche que déjà il panique.
- Bonjour, c'pourquoi ? Personne n'nous a prév'nu de vot' venue, y'a un souci ?
- Ha, monsieur Carbonel bonjour ! Et bien si, vous étiez prévenu d'une visite impromptue lorsque vous avez dû remplir le nouveau dossier. Et donc nous avons choisi de la faire aujourd'hui, suivant le planning que vous nous avez laissé. Il était clairement indiqué que vous seriez là tout les deux, c'est le cas donc c'est parfait.
- Quoi, tout les deux ? Mais on a pas rempli d'nouveau dossier nous ! C'est quoi c't'histoire ?
- Mais si voyons Gabriel, le dossier, celui d'il y a quelques jours, rédigé à la demande de Françoise. Asseyez-vous mesdames, nous allons chercher quelques papiers et nous sommes à vous.
- Interloqué, Gabriel, que Uzu tire aussitôt énergiquement par le bras pour l'entrainer rapidement dans la chambre, pendant que ces dames s'installent sur le sofa, comprend alors seulement que son petit ami lui a caché quelque chose. En quelques phrases Uzu lui résume rapidement la situation. La réaction du goth ne tarde pas.
- Quoi, mais t'es malade ! J'croyais qu'elle avait dit d'le cacher !
- Bha elle a changé d'avis.
- Mais enfin pourquoi tu n'm'as rien dit ?
- J'ai zappé, avec le malaise de Yann, les répètes, le boulot...
- Tu t'rends compte qu'c'est capital ça ? P'tain on parle d'Hugo là ! La vache, t'as zappé quoi ! J'hallucine !
- Françoise m'avait demandé de remplir à nouveau le dossier rapidement, j'ai cru que j'avais un peu de temps avant de te parler des changements.
- Remplir le dossier ? TU as remplis le dossier ?
- Oui, j'ai dû apporter les changements au niveau de ma place ici et de nos emplois du temps réels.
- Attend, tu t'fiches d'moi là ? C'dossier ch'uis sensé l'remplir moi-même.
- Je l'ai fait à ta place, ça n'a pas d'importance, je n'y ai mis que la stricte vérité ce coup-ci.
- Ça veux juste dire qu't'aurais dû m'l'apprendre l'jour-même, tu m'as caché ça sciemment !
- Je... J'avais peur que tu ne fasses des histoires, ou que tu flippes pour rien.
- Que j'flippe pour rien ! ?
- Bon écoute, là je crois que ça n'est pas vraiment le moment pour me faire la leçon, tu m'engueuleras quand elles seront parties.
- Mais qu'est-ce que ch'uis sensé leur raconter ?
- Toute la vérité.
- P'tain...
- L'infirmière PMI ne devrait pas tarder, en attendant faisons un rapide survole concernant ce changement de cap, annonce-t-elle.
Pendant les quelques vingt premières minutes Uzu assiste à un échange d'amabilités gênées entre un Gabriel qui craint de dire une bêtise et une assistante sociale qui n'ose rien demander. Sans doute la professionnelle qu'elle est, redoute-t-elle d'être considérée par le jeune homme au même titre que sa collègue, dont le comportement excessif n'a réussi qu'à effriter le peut de confiance que Gabriel avait des services sociaux. Quand à lui il a peur de gaffer, le souvenir du premier rendez-vous plutôt catastrophique est encore imprimé dans sa mémoire. L'assistante sociale fait un rapide survole du dossier qui permet au jeune oncle de l'enfant en question, d'être au fait des nouvelles indications. Découverte ponctuée de regards noirs à l'intention de l'asiatique qui n'en mène pas large. L'infirmière tant redoutée par le goth n'arrive d'ailleurs pas, ce qui perturbe quelque peu la dame qui aurait visiblement souhaité sa présence lors de la visite de l'appartement.
- Bah vous voyez c'est propre, on est pas des cochons, assure Gabriel pas très à l'aise en la regardant fureter un peu partout.
- Monsieur Carbonel détendez-vous, je ne suis pas là pour vous juger, si ça n'avait pas été le cas, pour une raison ou pour une autre, nous vous aurions éventuellement proposé une travailleuse sociale. Il arrive que certaine personne se retrouve en difficulté, parfois elles semblent insurmontables et nous sommes là pour aider. Nous avons la responsabilité des enfants, nous agissons pour leurs intérêts avant toute chose. Vous pourriez avoir un emploi qui vous prenne tout votre temps et ne pas avoir un moment pour faire convenablement votre ménage.
- Mais ça n'est pas le cas, témoigne de suite Uzu.
- Je le vois monsieur Obata, par contre il ne faudrait pas pour autant délaisser le bébé, parfois je conseille aux familles de laisser de côté les taches ménagères et d'aller faire un tour avec leur bambin, il y a différentes solutions pour différents problèmes.
- Mais y'a pas d'problème, s'insurge Gabriel toujours sur la défensive.
- Je n'ai pas dit qu'il y en avait, je suis là pour...
Elle ne peut terminer sa phrase et en apercevant son soudain apaisement à la vue de l'apparition à la porte de l'infirmière PMI de l'hôpital, on comprend facilement que gérer cette visite à elle seule commençait franchement à lui peser.
- Françoise ? s'étonne le japonais qui s'est chargé d'ouvrir la porte.
Uzu et Gabriel restent tout deux un instant pantois.
- Je suis vraiment désolé, j'ai crevé un pneu sur la rocade ! J'ignore si l'on vous a mis au courant, c'est moi qui suis désormais en charge du dossier, annonce-t-elle en serrant les mains. L'infirmière qui m'a précédé est en arrêt de travail pour plusieurs mois. Un accident de skis tout ce qu'il y a de plus fâcheux, ajoute-t-elle en direction de sa collègue, en assortissant cette information d'un clin d'œil qui en dit de suite très long sur le peu d'estime qu'elles semblent éprouver toutes deux pour le personnage.
- J'vais pas vous mentir ch'uis plutôt content d'apprendre ça ! lance alors Gabriel.
Bien que les deux femmes continuent de sourire d'une manière entendue, Uzu se permet tout de même de pincer légèrement le bras de son petit ami au passage. Il ne faudrait pas qu'il se sente trop en confiance non plus.
- Le moment est sérieux ! pense-t-il.
L'assistante sociale prend alors la parole rapidement.
- L'infirmière a malheureusement fait un constat implacable lors de notre dernière visite, elle ne se remet effectivement pas souvent en cause et je pensais pour ma part qu'une telle analyse hâtive risquait de mener à des conclusions et des décisions inappropriées. Cependant, au-delà de la critique, sachez tout de même que nous ne pouvions faire qu'avec les informations que vous nous aviez énoncées. Le mensonge dans une telle situation peut être destructeur.
- Pardonnez-moi d'intervenir sur ce sujet là justement, ça ne me regarde pas après tout, mais c'est un peu à la tête du client non ? Je veux dire en dehors des bases qui sont les mêmes pour tout le monde admettez que face à une personne homophobe nous risquons d'être sanctionnés, l'interrompt Uzu.
- Monsieur Obatat, bien qu'effectivement n'étant présent dans la vie de l'oncle de Hugo que depuis peu de temps, pas pacsé, ni de la famille, vous n'avez administrativement pas votre mot à dire, cependant, si vous êtes devant moi aujourd'hui c'est que nous prenons malgré tout en compte votre avis. Alors n'hésitez surtout pas à nous le donner, répond l'assistante sociale.
- Le travail de la PMI c'est avant tout des actions de proximités, réalisées avec tous les acteurs présents dans la vie de l'enfant, déclare tout à coup la stagiaire dont Gabriel n'avait pas encore entendu le son de la voix.
Elle a visiblement bien appris sa leçon. L'assistante social ne relève pas et continue de répondre à Uzu comme ci de rien n'était.
- Je comprends bien vos arguments, je sais que vos actions sont elles aussi motivées par l'envie d'offrir ce qu'il y a de mieux à Hugo, et il est vrai que malheureusement le risque de l'appréciation personnelle et donc de l'arbitraire est très important. Nous sommes humain tout comme vous. Cependant dans votre cas très spécifique ce fait n'a que peu d'importance par rapport à nos besoins de savoir pour juger de votre situation.