(L'insupportable)

 

 

Dans la voiture, il ne dit mot, la tête appuyée de côté contre la vitre, un coude le long de la portière, la main dans les cheveux, il semble encore plus mal en point. Les lumières du dehors se reflètent sur sa peau pâle et dansent dans ses yeux brillants, telles de petites flammes. Liam lui jette quelques coup d'œil à la dérobé. Il n'ose pas mettre de musique de peur de le déranger.

- Ça va aller ? Tu peux dormir tu sais.

- ...

Son petit démon roux, est drôlement silencieux, ça l'inquiète.

- C'était un peu long cette réunion, tu aurais dû nous dire que tu ne te sentais pas bien.

- Je ne voulais pas te priver de ta toute nouvelle tocade.

Le ton cynique n'a beau pas être encore accompagné du sourire en coin, Liam devine l'orientation que Yann fait prendre à cette conversation avant même le mot de trop. Et ça le fatigue, Liam, ces changements d'attitudes intempestifs, mine de rien. D'autant que chaque fois c'est lui qui en prend pour son grade. Peut-être devrait-il attaquer en premier, c'est la question qu'il se pose en fixant la route, les mains maintenant crispées sur le volant.

- J'ai encore fait quelque chose de mal ?

- Hoo, je t'en pris arrête avec ton air de victime.

Son sang ne fait qu'un tour, il en a marre ! Yann a à peine le temps de terminer sa phrase qu'un geste rapide vers la droite, Liam fait faire une embardé à la voiture, il appuie tout aussi brusquement sur le frein arrivé le long du trottoir.

- Mais ça va pas ? Si tu veux te tuer, fais-le quand tu es tout seul hein ! râle Yann qui se retient de vomir.

Liam se tourne vivement vers son passager, un bras sur son siège, les sourcils froncés et l'air agressif.

- QUOI ? aboie-t-il soudain, si subitement et si fort d'ailleurs que Yann qui sursaute, en hoquète carrément de surprise !

- ...

- QUOI ? crie-t-il encore. J'en ai assez ! Assez de tes sautes d'humeur à la con, assez de te servir de punching-ball* !

- Bha voilà qu'elle se la joue grosse méchante ! Tu tentes quoi là, de m'intimider ? ROoo lala j'ai hyper peur ! Allé arrête les frais va, se rôle ne te va pas. Pas plus que celui du bon petit manager tout nouvellement passionné. " Ça à l'air d'être jouissif comme truc et tellement intéressaaaant " ! l'imite-t-il en dodelinant de la tête. Nan mais sans blague on croit rêver ! Pour qui tu te prends ?

Liam le dévisage, atterré, il ne comprend pas.

- Mais, enfin c'est toi qui m'as proposé...

- ROoo c'est pas possible que je vais devoir avoir ce genre d'explication ! Faut vraiment te faire un dessin ? Tu es tellement stupide mon pauvre chou !

Liam ouvre la bouche, hausse les épaules et lève les mains en signe d'incompréhension. Il a effectivement besoin qu'on lui explique.

- Ho c'est bon ! C'était de l'humour, je n'ai jamais dit ça sérieusement ! Personne ne t'as demandé de jouer le jeu ! Ten'shi c'est pas pour s'amuser, comme le dit si bien Gabriel. C'est du sérieux, pas un hobby à la con pour t'occuper le dimanche en me surveillant !

- Tu t'y crois hein ?

- Moi ? C'est la meilleure celle là !

- Oui toi, pourquoi j'aurais envie de te "surveiller" ? Pourquoi j'aurais même le désire de te voir plus que je ne te supporte déjà ?

- Personne ne t'y oblige, lâche sèchement l'androgyne.

- C'est vrai, tu as raison, je suis bien stupide, c'est exactement ça.

Yann a les larmes aux yeux, il sait qu'il va trop loin, il ne comprend pas lui-même ce qui le met tant en rage dans le fait que Liam ait été pris au sérieux par les autres membres du groupe. Pire encore, il ne supporte pas l'idée que lui-même se soit laissé prendre au jeu, alors qu'il a lancé l'idée de départ uniquement comme une simple vacherie idiote. Il en veut à Liam de ne pas comprendre qu'il se fout de lui mais il se trouve incapable de déterminer la raison exacte qui le pousse à vouloir lui faire du mal. Quelque part il ressent une certaine peur de lui-même, il aimerait vraiment que Liam le stoppe.

La voiture redémarre, Yann s'enferme dans le mutisme. Pendant quelques minutes, seul le bruit du moteur rythme leur retour. Finalement c'est une fois de plus Liam qui brisera le silence alors qu'ils pénètrent enfin dans le parking sous terrain de chez lui.

- Si tu ne veux pas que je le fasse, je laisserais tomber...

- Pourquoi est-ce qu'il se laisse faire ainsi cet imbécile heureux ? Mais quel idiot décidément ! C'est là qu'on voit à quel point tu es emballé par la chose, bravo ça c'est de la passion !

- Arrête.

- Tu vas comprendre que je me fiche de toi et arrêté de me laisser faire oui ? Tu sorts que tu es intéressé par ce truc alors qu'avant tu n'en avais que faire, juste parce que c'est MOI qui te le propose ! Et voilà qu'ensuite tu décides de laisser tomber aussi vite, simplement parce que JE ne suis pas d'accord ? Tu es abruti ou quoi ? pense-t-il en son fort intérieur. Quelle pugnacité mon cher, une vrai vocation, j'en suis sur le cul !

- ARRÊTE !

- Qu'est-ce que tu vas faire ? Nous planter dans un mur cette fois ?

Liam se gare, il n'a plus l'intention de discuter, chaque mot de Yann pénètre en lui comme un coup de couteau.

- Descend de cette voiture et n'espère pas rentrer chez moi ce soir !

- Ho bien, de mieux en mieux, tu ne supportes pas qu'on te dise tes quatre vérités. Je suis malade, tu le sais que je ne peux pas passer la nuit dehors, tu en profites. Tu cherches à faire quoi ? À ce que je te supplie de me pardonner ?

Le blond sort rapidement du 4x4 et en fait le tour en à peine trois enjambées, il ouvre alors la portière prestement et décide d'extirper Yann de l'habitacle sans lui demander son avis. Quand un coup répond subitement à son abordage. Et celui-ci est violent, Yann a profité de l'élan de cet enlèvement abrupt pour le frapper au visage tout en se retrouvant lui-même sur ses pieds en dehors du véhicule.

Mais la fièvre l'empêche d'être aussi bien sur ses gardes que d'ordinaire, son champ de vision se rétrécit d'un coup, il titube et Liam ne lui fera même pas l'honneur d'un coup de poing en retour. En effet, une simple grande baffe à toute volée suffi à lui faire perdre l'équilibre. L'androgyne s'écroule par terre sous la vigueur de la claque. Liam en tremble de rage, son cœur bat à tout rompre dans sa cage thoracique, le sang afflue à ses tempes, il a tapé si fort qu'il en a encore des fourmis dans la main. Sa colère dépasse tout ce qu'il a ressenti du genre, jusque maintenant, à cause de lui. Mais cet état va très vite retomber à la vue du rouquin à terre, emporté par un sentiment d'intense culpabilité, mêlé d'angoisse.

À moitié à quatre pates, Yann ne semble pas réussir à se relever, une main sur le sol, l'autre sur sa joue qui déjà se tuméfie, elle lui cache en partie le visage, du sang coule sur un coin de sa bouche.

Liam hésite, il s'en veut, il n'avait jamais frappé personne avant, tout ceci est ridicule, il ne sait même pas exactement pourquoi Yann est fâché après lui. Les jambes de Yann refusent visiblement de le porter, dans un élan de compassion, Liam lui tend la main.

- Ne me touche pas ! crache l'androgyne.

- Je... Je suis désolé.

- Putain mais arrête ! Tu ne piges vraiment rien ma parole !

- Non c'est vrai, j'ai juste l'impression que tu fais tout pour me pousser à bout.

- Et après ?

- C'est-ce que tu cherches ?

- ...

- Yann ne me dis pas, que c'est ce que tu avais en tête ?

- ...

- J'hallucine !

- ...

- Est-ce que tu te rends compte que je n'avais jamais frappé personne, pourquoi Yann ?

- Parce que tu es con !

- Ok, écoute, je suis fatigué et toi aussi, rentrons.

- Arrête de faire ça ! Tu voulais me foutre dehors, putain va au bout de tes idées !

- Yann pour quelles raisons tu me pousses à ça ?

- Mais parce que je le mérite ! lâche-t-il enfin.

Il faut un flottement de quelques secondes pour que Liam prenne toute la mesure de ce qui vient de lui être révélé.

- D'accord, et c'est moi qui suis con.

Sa lèvre est ouverte, le sang coule un peu à l'extérieur de sa bouche mais ce qui l'ennuie le plus c'est de ne pas réussir à se relever. Une simple baffe le foutrait K.O à présent ? On aura tout vu ! Sa vue se trouble, ses membres sont sans force.

Liam n'a pas bougé d'un iota, il hésite. Lorsqu'il s'agenouille enfin pour se mettre à sa hauteur, Yann est presque soulagé cette fois, qu'il soit si "malléable" tant il se sent mal. Une pensée s'impose alors à lui, et si Liam était exactement celui qu'il lui faut ? Peut-être est-ce ça qui l'indispose autant après tout. Il aurait tellement voulu qu'il s'agisse de Gabriel. Il s'est tant battu pour ça. Cela reviendrait à dire que pendant tout ce temps, il était dans l'erreur. Des mois, des années à souffrir alors que ça aurait pu être si facile ?

- C'est injuste !

Lorsqu'il lui tend la main Liam s'attend à un autre : "Me touche pas !" ou un : "Va te faire voir." Il est donc surpris que Yann le laisse en fin de compte, l'aider sans un mot.

- Tu es brulant encore. Demain on aura surement les résultats de la prise de sang.

Liam ne sait pas trop quoi dire, ce qui vient de se passer le gêne, avoir perdu son sang froid le contrarie, d'autant qu'il savait Yann malade.

- Yann, je suis désolé...

- Tais-toi, ramène-moi à la maison et met-moi dans ton lit.

- Je ne...

- S'il te plait, lui souffle-t-il enfin en s'agrippant à lui. Je m'épuise tout seul de mes conneries, en rajoute pas. Je suis pas en état. Je t'ai foutu un pain, tu m'as mis une baffe, c'était une micro baston de mecs virils ! J'ai pas besoin d'excuses, suis aussi fautif que toi, je veux juste un câlin et de la codéine.

Fébrile, dans l'ascendeur, il s'appuie contre Liam pendant toute la montée des vingt neufs étages qui les mènent à l'appartement.

- Ce mec est fou, pense Liam. Complètement cinglé, c'est bien ma veine. C'est tellement facile pour toi, lâche-t-il abattu. Tu ne prends même pas la peine de t'expliquer.

- Pourquoi acceptes-tu ça alors ? rétorque Yann apathique.

- Parce que je suis idiot, c'est bien ça ? Peut-être que je n'ai pas le choix.

- On a toujours le choix, continue le rouquin sur le même ton d'indifférence.

- Il faudrait que je t'abandonne dans ce parking ? Que j'appelle le SAMU, la police et qu'ils t'embarquent ? C'est ce que tu veux ?

- ...

- Si je faisais ça, je serais une mauvaise personne Yann. Et puis je n'en ai pas envie en plus.

- Amusant très cher, tu aurais au moins pu dire : "Si je faisais ça, je m'inquièterais pour toi après." Même si tu ne le penses pas. Seulement ton image c'est ce qui compte le plus n'est-ce pas ? C'est si important que ça d'être parfait ?

- J'ai vraiment besoin de dire que je m'inquiète pour toi ? Enfin Yann tu es débile ou quoi ? Après tout ce que je t'ai dit cet après-midi, c'est pas une évidence ?

- Une évidence hein, marmonne le rouquin affaibli.

Liam ressert l'étreinte de ses bras sur le corps frêle de l'autre.

- J'aime faire le bien, c'est tout.

- Comme ça tu as l'âme d'un héros ! Tu voudrais que je t'applaudisse ?

Les réflexions sarcastiques reprennent de plus belle mais cette fois Liam réussit à rester stoïque. En réalité peut importe, ça ne le touche même plus, il est en train de comprendre que ces mots là, ne sont pas forcément des attaques contre lui. Finalement, ils ressemblent plus à un pessimisme exacerbé de la part de son interlocuteur.

- Je ne le suis pas et je ne cherche pas à l'être, arrête de dire des idioties, demande-t-il calmement.

- Ha c'est vrai toi, tu es le héros dans l'ombre !

- Tu ne comprends pas, je me fiche de ça. Donner aux gens c'est plus agréable pour tout le monde, que prendre.

- C'est agréable ce que tu as vécu ce soir ?

- Non.

- Alors tu vois !

- Qu'est-ce que tu veux que je vois ? Ça prouve exactement ce que je suis en train de dire. Yann, te prendre dans me bras, te tendre la main malgré tout, ça, c'est très agréable. Je ne regrette absolument aucune chose que j'ai faite pour toi. Je suis seulement triste qu'on n'arrive pas à ce comprendre. J'aimerais savoir quoi faire et quoi changer pour ça fonctionne mieux.

- Tiens, tu expliques ton point de vu et de suite après tu es là à dire que tu vas changer, c'est n'importe quoi ! Si tu penses qu'il est bon, défend-le, au lieu de te laisser marcher sur les pieds. Comment je peux avoir confiance en toi ? Tu es prêt à me laisser t'écraser à la minute où je suis en désaccord.

Ce serait ça le problème ? Yann cherche à avoir confiance en lui ?

- Yann, ça fait partie de ma logique. Je pense faire au mieux, il peut m'arriver de me tromper, comme tout le monde. Accepter que l'on peut avoir tord et que l'on risque de devoir changer quelques trucs, c'est aussi faire au mieux.

- Et si ce sont les autres qui sont en tort ? Tu pourras toujours tout faire pour tenter de changer, si ça ne vient pas de toi...

- Je crois foncièrement que lorsqu'une situation entre deux personnes est mauvaise, les tords sont partagés, au moins en partie.

- On connait mes torts chéri mais quels sont les tiens ce soir ?

Il réfléchit.

- Être un peu trop naïf, perdre facilement mon sang froid, ne pas suffisamment t'écouter ?

- Tu veux que je te dise ? Naïf ça tu l'es, c'est clair ! Pour le reste, tu as tout faux ! Rend-toi compte, tu m'écoutes déjà trop, on dirait que tu es incapable de décider de ta vie tout seul. Tu ne te défends jamais !

- Vraiment ?

- Tu as tort de m'avoir accompagné alors que tu n'avais pas de raison de le faire et surement d'autres choses de prévues, tort d'avoir acquiescés à tout ce que je dis et d'accepter une charge imprévue sans te poser de question.

- En bref je n'ai pas le droit de t'apprécier et d'avoir envie de te plaire, de t'aider et de prendre soin de toi c'est ça ?

- Tu ne prends pas soin de moi, tu as peur de moi, c'est pas pareil !

Ils sortent enfin de l'ascenseur, Yann le teint cireux  avance lentement, Liam essaie de réfléchir à ses propos.

- Entre, tu veux que je t'aide ?

- Liam ?

- Oui ?

- Je ne sais pas m'arrêter, tu t'en aperçois ? Tu ne pourras jamais éviter les conflits. Protège-toi de moi. Et je te demande ça, par pur égoïsme, je n'ai pas envie d'avoir ça sur la conscience.

- Ça quoi ?

- Ce risque que tu prends pour moi, C'est une erreur et tu le sais.

- Je suis patient, tu n'es pas indifférent à moi et je... Il est déjà trop tard pour moi. C'est à moi de décider de ce que je suis prêt à risquer et puis c'est peut-être à toi de me protéger.

Yann roule des yeux ronds.

- Et si j'ai pas envie de le faire ? Mon chou c'est plus un risque que tu prends c'est carrément suicidaire !

- Alors nous en subiront les conséquences tout les deux !

- Tu es vraiment stupide ! C'est ridicule chéri, j'en ai rien à foutre de toi, moi !

Liam se penche alors dangereusement vers lui.

- Vraiment ?

Le geste surprend Yann, son visage frôle à présent presque le sien.

- ...

Ils se toisent mutuellement quelques instant, puis Yann baisse les yeux. Son cœur bat la chamade, son visage déjà rouge de fièvre s'empourpre encore davantage.

- Non, je mens. Mais ça aurait pu, avoue Yann.

- Hahaha ! Tu es vraiment pas croyable hein !

- Et ça te fais marrer ?

- Oui.

- Qu'est-ce que tu attends de moi ? J'ai pas grand-chose à t'offrir, affirme le rouquin.

- Je préfère avoir un peu, que rien du tout, ajoute Liam comme pour le pousser à fléchir.

- Une bonne baise et on oublie tout demain ?

Liam fait la moue.

- C'est vraiment ce que tu veux ?

- Ce que je veux...

Son sourire sarcastique réapparait.

- Chéri tu n'as pas ce que je veux.

- Quoi donc ?

- L'amour de Gabriel.

- ...

- C'est Youzeu qui l'a...

Une larme coule, doucement, jusqu'à ce que Liam ne l'arrête du bout du pouce.

- Nous avons au moins ça en commun.

- ?

- Nous désirons tous les deux, quelque chose qui appartient déjà à quelqu'un d'autre.

- ...

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