Fatal déluge.

Un flash blanc déchire le ciel nocturne. Le fracas du tonnerre gronde, tout proche. C’est un véritable déluge qui s’abat sur nous depuis la tombée du jour.

Pourtant cette journée s’annonçait radieuse : un soleil éclatant et un ciel parsemé de quelques nuages blancs offrant des coins d’ombre pour échapper à la chaleur. Sans compter une légère brise fraiche pour la rendre plus supportable et une mer parfaitement calme.

Peut-être était-ce là le problème, justement. La mer. Pas la moindre vague n’a agité l’eau de la journée, ça aurait dû m’avertir maintenant que j’y pense.

Mais bon, pour ma défense (pour notre défense) la journée de la veille a été plus riche en émotions que de raison. En se levant ce matin on avait autre chose à faire que de regarder la mer ou le ciel. En premier lieu, régler le problème que posait la carcasse de l’animal mort devant le feu.

Mort de mes mains… Malgré le fait que je l’ai fait pour sauver ma peau, malgré le fait que Cole n’a cessé de me répéter que je n’avais pas à me sentir coupable… Eh ben si, je me sens coupable. Ce n’est pas temps de l’avoir tué qui me crève le cœur, c’est plutôt d’imaginer toute sa souffrance.

Je savais pourtant… Je savais bien depuis le jour où j’ai saisi ce couteau pour en menacer un autre être humain (quels que soient ses torts à mon égard) que j’étais bien un "monstre", un "suppôt de Satan hein… Peut-être bien que mes " parents " avaient raison au final, même s’ils s’étaient trompés de chef d’accusation à l’époque…

Enfin, un problème à la fois, je dois tenir le choc pour Cole. Après tout, lui c’est un être humain qu’il a peut-être occis, et même si pour moi, la vie d’un Homme a la même valeur que celle de n’importe quelle autre être vivant, je comprends qu’il en soit plus affligé lui.

Mais ce qu’il m’a dit à leur sujet, ce dont ils semblent être capables… Peut-on encore les qualifier d’humains ? Je veux dire, à quel point sont-ils différents de nous ? Je l’ignore. La seule chose que nous savons à leur sujet c’est que leur langue est différente de la nôtre. Mais je pense aussi qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils n’habitent pas dans la forêt alentour. Sinon ils ne se pavaneraient pas encapés comme Cole me les a décrits.

Pourquoi ? Parce que même s’ils ne semblent manifestement pas pouvoir être inquiétés par quelque prédateur qui vit ici, leur accoutrement reste encombrant pour se déplacer sur de longues distances ou pour chasser.

La preuve en est que le poursuivant de Cole s’en est départi pour le rattraper. On peut donc en déduire que ces deux impératifs ne s’appliquent pas à eux, donc ils ont et un moyen de transport et une réserve de nourriture pour trois personnes au moins et plusieurs jours. Et malgré l’état indéniable d’avancée technologique que j’ai pu constater chez la population autochtone qui a vécu ici, il n’y a aucune trace ni physique ni manuscrite de l’invention d’un quelconque moyen de transport.

Un sursaut de mon ami dans mes bras me sort de mes réflexions. Avant même que l’orage n’éclate, le l’ai senti changer : il est devenu grincheux, irascible et il s’est réfugié dans l’abris dès l’apparition des premiers nuages. Difficile pour moi d’ignorer l’animosité et la crainte qui s’insinuaient dans son aura à ce moment-là.

Mais je m’y suis tenu. Je refusais de tenter quoi que ce soit avec pour seule preuve ce que j’avais lu dans son aura. Il avait été limpide sur le sujet.

" Cole, tu veux que je te dise pourquoi l’orage ne t’atteindra jamais ?

-C’est aux gosses qu’on raconte des histoires. Je suis pas un gosse.

-Et quiconque prétendrait le contraire serait idiot., lui répond-je en faisant fi de son ton cassant. "

Après un silence seulement brisé par les sons de l’orage dehors, il finit tout de même par se raviser :

" Essaie toujours…, dit-il dans un soupir.

-On raconte qu’il y a for longtemps, quand les dieux régnaient encore sur les Hommes du haut de leur palais doré sur l’Olympe ; les Géants, des êtres créés par Gaïa La Terre-Mère, ont tenté de les détrôner. Deux d’entre eux, Otos et Ephialtès ont tenté d’atteindre les cieux en empilant des montagnes. Mais Poséidon, dieu maître des mers et des océans les avait vu venir ces deux excentriques. Toujours à se croire plus malin que tout le monde ! Alors il en averti son jeune frère Zeus, maître de la foudre et Roi des dieux et pendant qu’il fit diversion Zeus foudroya les deux Géants, les faisant s’écrouler eux et leur vaine tentative d’atteindre les dieux, dans un fracas incroyable. Depuis, en guise d’avertissement à tous ceux qui auraient la même ambition, Zeus ferait gronder l’orage.

-En quoi s’est sensé me rassurer ?, me demande-t-il après un silence.

-Eh bien, étant donné qu’en ce moment on a bien mieux à faire que d’empiler des montagnes, et si on considère qu’on tient encore trop à notre liberté pour prétendre voler la place des dieux et leur responsabilités… On n’a pas à être inquiétés par la foudre, tu n’crois-pas ?

-Ton histoire, c’est du flan, tranche-t-il après réflexion. La foudre c’est de la physique, ni plus ni moins.

-Peut-être, mais le flan, c’est bon. Pas la physique. (Une expression dégoutée tord mon visage sur mes derniers mots.)

Notre échange me fait sourire, parce qu’il a beau grommeler, il ne tremble plus maintenant. C’est en me faisant cette réflexion, que remarque que mes doigts se sont faufilés entre ses mèches rousses pendant mon récit.

-Isaac… Tu… Tu penses qu’on va en trouver ? Des gens, j’veux dire. Parce que ça fait des semaines qu’on cherche et…

-On en a déjà trouvé Cole, c’est un fait. "

Le silence est ma seule réponse alors je décide de développer. J’aurais dû savoir que jouer sur les mots n’était pas la chose à faire…

"Je veux dire, la première impression aurait pu être nettement meilleure, certes. Mais le fait est qu’ils sont là. Tu sais, plus j’y réfléchit, plus je me dis qu’ils ne viennent même pas des alentours. C’est vrai quoi, t’as vu comment ils étaient sapés non ? Absolument pas adapté pour la forêt, dis-je en reniflant d’incompréhension sur leur choix vestimentaire. Quand bien même toutes mes conclusions sur eux se révèlent exactes, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne doutent de rien.

-Ouais, t’as raison., approuve-t-il mollement. "

C’est à ce moment-là que l’orage décide de se rappeler à notre bon souvenir, et cette fois, lui comme moi sautons au plafond. Déjà parce que l’éclair frappe juste devant l’abri, et ensuite parce une autre intempérie se tape l’incruste dans notre soirée nudiste avec la foudre. Qui ? La tempête bien-sûr !

" Ah non., ajoute Cole à mon attention ce qui lui vaut un regard en biais.

-Et merde. ", dis-je en pestant, excédé par la tournure que prend cette maudite nuit. Non mais si même le ciel s’y met, hein !

Maintenant plus le choix, il faut partir. Et vite.

Je me lève donc prestement, en faisant fi de ma tête qui se mets à tourner violemment, et embarque le plus de chose que mes mains peuvent contenir : sacs de provisions et de l’eau et des couteaux, on ne sait jamais.

Voyant que Cole n’a pas bougé d’un millimètre depuis que la foudre a frappé, je comprends qu’une légende ne servira à rien cette fois.

" -Cole. Tu restes là, tu meurs. Tu bouges, tu vis. Qu’est-ce que tu choisis ?, je demande d’un ton sans appel en ancrant mes yeux dans son regard absent.

L’information met un temps à traverser les méandres de son esprit. Mais une fois qu’elle y est parvenue, la réponse ne se fait pas attendre.

-Je bouge., répond-il en clignant des yeux alors qu’il se rappelle ma présence.

-Nous sommes d’accord.

Après avoir enfilés les tuniques en cuir confectionnées dans la journée (oui je sais, il était temps), lui avoir mis un sac de provisions sur les épaules et le livre dans une main, j’attrape l’autre et l’entraîne hors de l'abri… Juste avant que celui-ci ne prenne feu sous nos yeux, frappé par la foudre.

-C’est une blague…, murmure mon compagnon choqué.

Quand je pense qu’on aurait pu y rester, à quelques secondes près, j’en ai des sueurs froides. Mais on n’a pas le temps pour ça, alors je me secoue et attrape sa main pour l’arracher à cet incandescent spectacle.

-Si c’est le cas, celui qui est derrière tout ça a un humour plus que particulier ! ", je crie pour me faire entendre par-dessus le vent qui hurle.

C’est là que je me rends compte que je ne sais pas du tout où aller. Devant nous il y a de la flotte à ne plus savoir qu’en faire et derrière, la forêt s’étire à perte de vue (et même moi je suis convaincu que nous y aventurer est une très mauvaise idée). Je me tourne alors vers Cole :

" On va où maintenant ?

-J’en sais rien ! La forêt c’est mort et la mer, c’est du pur suicide ! à croire qu’il n’y a que cette plage où on est en…

Il n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un éclair s’abat à un mètre de nous. La lumière éblouissante nous fait reculer et nous couvrir les yeux avec nos bras par réflexe.

-J’en doute fort !, je lui crie sans le laisser finir. Mais réfléchit, t’es certain que c’est notre seule option ?!

Après un temps à regarder autour de lui, il me crie :

-Le village ! Les gens qui vivaient là-bas ont sans doute une combine contre l’orage ! "

Ni une ni deux, nous nous élançons dans la forêt. Les quelques arbres calcinés par-ci, par-là nous rappelle la dangerosité de notre entreprise, mais il est trop tard pour reculer.

Une fois arriver, nous sommes consternés par ce que nous voyons : les huttes détruites, transformées en feux de joies par la foudre ou écrasées sous le poids des torrents de pluie qu’elles ont dus supporter, et qui à présent les entrainent dans leur sillage entre les arbres. La magnifique hutte du chef a même été écrasée par la chute d’un arbre. Le village a été impitoyablement et définitivement rasé par la tempête.

J’aurai sans doute exploser de rage avant de fondre en larmes, si mon ami à mes côté n’était pas tombé à genoux. Dans cette position : les bras ballants, la bouche béante et les yeux ronds comme des soucoupes, pour la toute première fois de ma vie, j’ai vu Cole Mac Gabhann abattu. Le léger mais continu tremblement qui secoue son corps quant-à-lui, me rappelle l’horreur que doit être la situation pour lui : il est perdu au milieu de nulle part, quasiment seul (lui qui est d’ordinaire si sociable qu’il est toujours entouré d’au moins trois personnes.

Et maintenant ? Maintenant sa seule phobie se réalise et la seule solution qu’il est parvenu à trouver est tombé à l’eau.

Moi plus que quiconque sait ce que ça fait de se retrouver dans ce genre de situation : piégé, acculé dans une situation sans aucune issue pour s’en sortir. Vaincu et seul.

Mais il n’est pas seul. Et la situation est certes périlleuse, mais pas sans issue. Et en regardant l’eau ruisseler sur le sol, j’ai trouvé notre chance.

" Cole, je l’interpelle en m’accroupissant devant lui, mes mains tenant fermement ses épaules. Nous sommes d’accord que la pierre est un isolant ?

-Quoi ?, bégaie-t-il d'une voix atone.

-La pierre Cole, la caillasse, c’est un isolant non ?

-Ou-ouais…mais…

-Et l’eau ? L’effet conducteur de l’eau c’est pas une histoire d’ions ?

-Si… L’eau est un conducteur, mais si y’a pas d’ions dedans, c’est un isolant… Mais tu crois que c’est le moment pour un cours de physique là ?!, s’emporte-t-il. On n’a…

-Oui et si., réponds-je en le coupant. Oui c’est le moment, et si on a encore une chance. Allez lève-toi chéri, presto ! ", je lui ordonne en me relevant avant de lui tendre la main.

On se remet donc à slalomer entre les arbres, l’orage grondant derrière nous et la foudre s’abattant non loin. Ma parole, mais c’est qu’il nous suit cet orage, nom d’une pute ! Je ne suis pas aussi sûr que nous filons vers notre salut, que ce que je lui ai fait croire, enfaite plus j’y pense plus je me donne l’air d’un grand malade. Mais s’il n’y a même que l’ombre d’une chance pour que ca marche, alors il faut la tenter. Parce qu’ainsi nous seront saufs.

Trop occupé à m’auto-rassurer, je n’ai pas senti Cole lâcher ma main, et j’entends avant même de le voir, le bruit effroyable du bois qui se tord et craque. Comme…

A peine ai-je le temps de me retourner que l’arbre s’abat sur lui. Je n’ai pas entendu l’éclair le frapper, Cole si. Et il est totalement pétrifié.

Son nom est la seule chose que je parviens à hurler avant que mon corps ne se précipite de lui-même. Je le percute violemment, nous écartant lui et moi de justesse de la trajectoire de la chute et nous faisant rouler sur le sol.

Il se relève alors de sur moi, complètement paniqué.

" Isaac ! Tu n’as rien ?!

-Je peux encore courir. Et toi ?, je réplique en sentant une éraflure me bruler dans le dos.

-Moi j’ai rien. Je…

Le roulement du tonnerre se fait de nouveau entendre au loin et Cole ferme aussitôt les yeux en rentrant sa tête dans ses épaules, dans une position instinctive de défense. Non mais sérieux, il pourrait pas essayer de nous tuer en silence, Zeus là ?!

N’obtenant aucune réponse de ce dernier, mes mains s’abattent énergiquement sur les joues de mon compagnon, les pressant et lui donnant une expression très comique, même dans cette situation.

-Je te l’ai déjà dit cent fois chéri, si tu tombes, je tombe. Figure-toi que c’est pas dans mes projets du moment. Donc. Maintenant… TU COURS ET TU FILES DROIT SOLDAT., je lui ordonne d’une voix forte, comme à l’armée. Il hoche automatiquement la tête et se lève dans la seconde avant de m’entrainer dans sa course.

Il m’avait souvent dit apprécier l’armée pour sa discipline de fer entre autres, et c’est lui qui m’a appris à prendre un problème à la fois. Alors forcément, la combinaison " ton autoritaire + ordre simple " marche à tous les coups. Mais personnellement, je ne suis pas fan alors je ne l’utilise qu’en dernier recours.

Arrivés dans la clairière, Cole se retourne vers moi l’air perplexe.

" Tu m’expliques ?

-Euh…, je fais en m’accoudant à l’arbre le plus proche, complètement vidé de toute énergie, essoufflé et le dos en feu. Ma tête me donne l'impression de passer dans un mixeur et je contracte mon ventre comme jamais, pour y bloquer les nausées qu'il m'envoie par vagues. L’eau est constituée d’ions. Normalement, elle est en mouvement alors…

-Abrège Isaac, abrège !

-C’est un putain de lac Cole., reprends-je les poumons en feu et l’air toujours aux abonnés absents. Pas de mouvements d’eau, précipitation d’eau, et… Eau pure… Parfaitement pure., je finis en le regardant droit dans les yeux et en insistant bien sur le " parfaitement ".

Une étincelle traverse enfin son regard quand il comprend où je veux en venir.

-Mais t’est un vrai génie bébé !, il s’écrie en s’approchant de moi les bras grands ouverts.

Mais il suspend son mouvement une fois proche de moi et me regarde comme si une seconde tête m’avait poussée.

-T’es sûr que tout va bien ?

-C’est plus de mon âge ces conneries., dis-je en balayant sa remarque d’un revers de main.

-Sérieux Isaac, t’es foutrement pâle, il insiste en prenant un air soucieux.

         En temps normal je serais flatté par tant de sollicitude. Mais là, je suis crevé, j’ai terriblement froid et un putain de mal de dos en prime. Et malgré tout pas encore envie de mourir foudroyé, alors sa sollicitude hein…

-Ecoute Cole, le ciel nous pisse littéralement dessus depuis le coucher du soleil. J’me coltinerais sans doute la crève du siècle demain mais là, j’ai vraiment besoin que tu me traine jusqu’à l’intérieur de la grotte là-bas", je dis d’une voix tendue en appuyant mes dires par une fausse quinte de toux, qui donne l’impression de m’arracher les broches.

         Sans rien répliquer, il passe un bras autour de ma taille tandis qu’un des miens me sert d’appui sur ses épaules. Je serre rageusement les dents quand une sensation de tiraillement s’ajoute à celle de brulure dans mon dos, rendant l’ensemble à peine supportable.

         En quelques enjambées, cette force de la nature parviens à nous ramener en lieu sûr. Heureusement parce que le mouvement de balancier de son pas agit sur moi encore mieux que ne le ferait le roulis de la mer sur un bateau. Arrivé dans la grotte au centre du lac, j’arrive à peine à garder mes paupières ouvertes et le " On est arrivés bébé. " que Cole me murmure me parait bien lointain…

         Autour de ma taille je sens la fraicheur d’un courant provenir de sous l’eau. Un sourire passe sur mes lèvres, je le savais.

" Une source. J’le savait "., je parviens à peine à articuler. Je n’entends pas la réponse de mon ami et je le sens vaguement me secouer.

La dernière chose que je vois, c’est la main ensanglantée de Cole. Celle qui était dans mon dos. Mon sang donc…

" Merde. " a été le dernier mot que j’ai prononcé avant de sombrer dans les ténèbres en entendant un hurlement lointain.

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