Fergus glisse le masque sur son visage. Les lunettes de protection sont lourdes, il a l'habitude, et dures contre l’arête aiguë de son nez brisé. Il sangle le sac autour de ses hanches, verrouille la fermeture de sa veste. Verrouille les poches extérieures. Verrouille le holster de ses baguettes. Ajuste sa ceinture, met ses gants, rabat le masque sur son nez et inspire profondément l'air filtré et irrité de la terre. Une vieille odeur de cuir rance infiltre ses narines, c’est chaud, ça pue. Fergus lève une main, trace une forme, invoque quelque chose en lui et le portail s'ouvre. C'est un large portail circulaire et opaque qui ressemble aux membranes couvrant les yeux des amphibiens pour les protéger de l’eau. Toujours le même. Fergus expire, et passe au travers, vers le Plan Astral.
L’air est brûlant et tombe dru, impression de chute de pierre sur les épaules ou d’écrasement surchauffé. Il y a quelque chose de rance dans la brise immobile qui colporte une sensation de malvenu. Un instant bref, il hésite à faire demi-tour et retourner sur la terre ferme de New York où il ne risque rien. Mais il renonce : les signes ne sont pas si puissants qu’il faille fuir. En jetant un coup d’œil acéré autour de lui, il voit le ciel bas et gris, qui électrise la forme aiguë des arbres et des herbes grasses qui s’effilochent le long de la route. Fergus est tendu, comme un animal il guette les agressions en quittant le sentier. C’est toujours dangereux, de quitter le sentier. Un pari incertain et l’espérance de la bienveillance du lieu. Le Plan Astral est comme ça, une entité parfois accueillante, parfois dangereuse avec des caprices en éboulement de pierres, en affaissement de terrain, en déchirures de crevasses. Beaucoup de Passeurs y sont morts, enterrés sous la terre dure d’une vallée qui, pour dissimuler son meurtre, se rhabille de ciels irisés et de nuages découpés comme des marbres d’Italie. Et Fergus n’a pas oublié ses propres expériences manquées : quelque fois il a insisté en imposant sa présence au sein du Plan, mal lui en a pris, il s’y est rompu des membres et écorché la peau. Dur. Maintenant, il fait gaffe. Il scrute, hume, surveille. Il cherche le vacillement de l’horizon qui l’alertera sur la disparition du sol. Ce sont des choses qui arrivent. Le plan peut faire ça. Alterner la tangibilité des choses. Ça annonce une chute de six mètres. Ça tue.
Fergus ne se déplace pas au hasard. Jamais, dans le Plan Astral. Dans l’exploration il place un pragmatisme qui plusieurs fois lui a sauvé la vie. Pas de balades. Pas d’errance contemplative de bord de canal ou de bord de plage. C’est par saccades contrôlées la découverte de nouveaux mètres carrés d’une terre inconnue à la façon des anciens explorateurs. Fergus a la méfiance d’un Condamine en pleine Amazonie. Ses mains gantées de cuir écartent les plantes coulantes des arbres avec la certitude que s’y dissimule une créature inconnue. Une création vivante et acérée de crocs et d’argile invoquée par les êtres primordiaux qui peuplent le Plan. Mais rien ne bouge dans les coulis d'air chaud de l'impénétrable jungle. Rien ne bouge que le vent qui agite les feuilles aux couleurs néons. C'est un cri frémissant qui emporte avec lui les odeurs acérées d'humus et de terre. Pas d'êtres sentient dans cet espace profond et vaste. Fergus s'enfonce entre les fougères et passe ses doigts sur les formes fuligineuses dont parfois il récolte les graines ou les feuilles. Il les met dans des boîtes. Les boîtes dans des poches. Les poches à l'intérieur de son manteau ou accrochées à sa ceinture, près de ses baguettes : chêne et runes. Six crins de cheval pommelé enfoncés dans le bois et une plume serrée par la bande de cuir qui dessine le manche. L’une invoque une protection, comme la pierre de lune qui pend au bout du médaillon qu'il a attaché à une grosse chaîne d'argent, glacé contre sa poitrine. Fergus prévoit, préfère invoquer une résistance qui rendra sa peau dure comme l'acier le temps de l'invocation du sort, et éloigner de lui le mauvais œil. L’autre… Il espère ne pas avoir à s’en servir. Les êtres primordiaux sont bien plus habiles. Bien plus rapides. Ils ont des dents pleines de sang qui mordent avec la vivacité des serpents. Et les créatures, qui n'ont pas d'intelligence mais agressent à la manière des animaux qui protègent leurs territoires, Fergus les évite. Il a pour cela au poignet un bracelet de jade qui affine sa silhouette et allège son pas. Presque invisible. Il marche sous le vent, il descend les talus, la route n'a pas encore changée, il sait où il va.
Souvent, il arrive que la topologie change. Fergus ne reconnaît pas tous les aspects du terrain, car le Plan Astral se modifie. Il n'est pas surpris. Tous les Passeurs, tous les gardiens auquel l'acuité a prodigué le don de pénétrer le Plan par des portails et à volonté connaissent ce fait : le Plan évolue au gré de ses caprices et il n'est jamais certain de retrouver une forêt déjà traversée. Fergus guette attentivement, mais plus il avance, plus il remarque la différence des détails dans les talus et les tourbières, les fleurs fauves et les arbres aux écorces grises, plus il est certain d'être sur un chemin similaire. La grotte doit être droit devant.
Encore merci et je te souhaite une bonne exploration de la grotte en compagnie de Fergus :'D
Ce chapitre sonne beaucoup plus SF que le précédent, qui me donnait une vibe de fantasy plutôt. J'aime bien ce revirement ! ça tranche avec les idées que j'ai pu me construire au cours du chapitre 1.
J'apprécie beaucoup le changement d'ambiance. ça nuance, ça densifie ton univers, j'ai presque là deux visions quasi irréconciliables du Plan, c'est intéressant !
Plein de bisous !
Toujours aussi contemplatif et élégant (=
Je commence par ma petite interrogation avant le concert de louange^^ Je me demande si tu as prévu assez vite des dialogues, scènes d'action ou au moins d'interaction. Car je pense que ces jolies scènes de description pourraient finir par lasser et perdre de leur saveur si elles ne sont pas ponctuées par autre chose. (c'est loin d'être le cas pour l'instant)
La découverte du plan austral est agréable, on sent sa complexité et ses paradoxes, entre bienveillance et dangerosité. C'est sympa d'avoir un nouveau pdv, qu'on sent un peu différent de celui de Constantine.
Il y a une belle variété de vocabulaires, j'ai appris 2-3 mots mais ça reste accessible et compréhensible.
Maintenant, on va découvrir la grotte, j'imagine qu'elle a aussi son intérêt et ses secrets. J'avoue ne pas trop savoir ce qu'il en sera, je te fais confiance.
Un plaisir,
A très vite !
Concernant ta question, il y a absolument zéro dialogues dans cette nouvelle genre.... Zéro zéro. Je ne sais même plus te dire si ça faisait parti des restrictions que je m'étais posée, mais en fait comme se sont littéralement deux personnages qui explorent seuls, à moins de se parler à eux-même, ce qu'aucun des deux n'est prompte à faire à voix haute, ben ça limitait un peu la surface d'échange hahahaha
Par contre il y aura des phases d'actions et d'interactions ! Je serais curieuse d'avoir ton avis sur ton ressentit vis à vis de la place que ces phases occupent, et le moment où elles arrivent, pour savoir si le rythme t'a semblé correcte où si tu as eu le temps de t'ennuyer (ou si ces phases n'ont tout simplement pas suscité pour toi assez de suspens/rebondissement pour te tirer de ta torpeur héhé)
Merci encore pour ta lecture, au plaisir de te revoir par ici !
Intriguée par ton questionnement intérieur dans ton journal de bord, je débarque par ici. Il en faut parfois bien peu pour me décider, didonc...
Je me suis dit que lire les deux premiers chapitres avant de te donner mon premier retour serait le plus pertinent, puisque justement, le concept principal de ce récit semble résider dans l'opposition de deux points de vue.
Ainsi donc, j'ai découvert Constantine d'abord, puis Fergus ensuite. L'appellation du premier est vraisemblablement un hommage, mais ça ne paraît pas avoir d'importance ici.
Et je pense, pour ce que ça vaut, que c'était une bonne idée de commencer par lui, car si les impressions de Fergus ne sont pas entachées par la vision de Constantine, l'inverse aurait sans doute été vrai.
On voit d'abord ce mystérieux Plan Astral sous des yeux émerveillés, un regard presque enfantin, complètement naïf, qui en apprécie chaque élan lyrique de son environnement, aussi chaotique puisse-t-il paraître. Puis, on en a une vision beaucoup plus adulte, cynique, résignée, aigrie. Professionnelle, en vérité. Est-ce simplement le manque d'expérience qui offre à Constantine le privilège de cette appréciation de son paysage ? Tel un explorateur émerveillé par les couleurs d'une grenouille tropicale, avant de découvrir qu'elle est venimeuse ? À la façon dont Fergus décrit les dangers de l'endroit, il semble cependant étrange que Constantine ait pu s'y promener si souvent (comme il semble être laissé entendu) sans rien rencontrer de néfaste. Mystère mystère...
Ce que je trouve particulièrement bien mené, dans cette opposition des expériences, c'est qu'on ressent plutôt fortement qu'il s'agit du même lieu, sans tomber dans les facilités narratives des exacts même termes. Pour avoir déjà changé ponctuellement de point de vue dans un récit à la première personne, je me souviens d'avoir dû naviguer entre les adjectifs usuels pour décrire les mêmes personnages. Donc je trouve ça d'autant plus bien joué ici. L'idée de mouvance du décor et les couleurs fantasques sont présentes des deux côtés, on "reconnaît" presque.
Et pourtant, l'interprétation de chaque personnage est radicalement différente. La première question qui vient tout naturellement, c'est : est-ce que leur simple ressenti suffit à donner cette forme au paysage ? La beauté est-elle réellement dans l'œil de l'observateur ? Est-ce sa méfiance qui rend l'endroit dangereux à Fergus, et sa confiance qui le rend si idyllique à Constantine ? Est-ce que l'un d'eux a tort ou bien ont-ils tout les deux raison ? Est-ce que leur méthode d'entrée peut changer quelque chose à leur expérience ? Pourtant, Fergus semble bénéficier de témoignages d'autres individus, qui ont partagé sa façon de voir. Je reste sur un mystère.
Côté déroulé, je suis intriguée par la façon dont Constantine s'est retrouvé là. De nombreux voyages sont évoqués à travers le monde, sur Terre, mais il ne paraît pas être un spécialiste de cet endroit si particulier, tel que l'est Fergus, équipé, voire sur-équipé. Je me demande si un jour ces deux personnages vont se rencontrer. Sans doute. Il sera alors très intéressant de lire leur perception l'un de l'autre, assurément encore une fois opposée. Et en termes de caractères, je suppose que ce sera aussi la même chose. C'est une dynamique assez classique, qui passe à mon avis toujours mieux en littérature que dans la vie, mais qui n'en est que plus appréciable. On ne fait pas un duo dynamique sans agents réactifs. ^^
Et pour ne pas complètement passer outre le style, ça se lit très bien, tout va bien pour moi de ce côté. J'aurais peut-être mis quelques virgules de plus à certains endroits de certaines phrases, mais franchement c'est du chipotage. Je n'ai noté ni longueurs ni saccades, donc c'est OK en ce qui me concerne. =)
Voilà pour moi, je crois. À bientôt !
P.S.: dans le premier chapitre, il y a un accent sur le u d'un "ou" qui ne devrait pas y être, il me semble. C'est la seule faute de frappe que j'ai vue.
Et merci pour l'accent perdu hehehehe
Et ne t'excuse pas pour la situation comme qui dirait "en suspens" de ton projet. C'est le tien, et il aura la vie qu'il a, et il n'y a pas de pression à mettre là-dessus. Il existe, c'est déjà beaucoup. =)
À +
"Les lunettes de protection sont lourdes, il a l'habitude, et dures contre l’arête aiguë de son nez brisé" => Tournure un chouïa lourde peut-être, le fait que l'arêt soit aigue n'apporte pas grand-chose, et alourdit le message. "et dures contre son nez brisé" ou juste mettre arête pourrait alléger un peu
"invoque quelque chose en lui " tournure pas très claire et un peu maladroite
"C'est un large portail circulaire et opaque qui ressemble" un poil trop explicatif, tourner cela en ressenti pourrait mieux rendre, exemple en vrac "Le portail se déploie en une membrane opaque" etc
"l'air filtré et irrité de la terre" => Il est sous terre ? Sinon, c'est étrange
"qui électrise la forme aiguë des arbres et des herbes grasses qui s’effilochent le long de la route" double "qui", tu peux te permettre un participe présent dans la seconde partie je pense haha
"mal lui en a pris, il s’y est rompu des membres et écorché la peau. Dur" Faire une phrase qui commence à "Mal" pourrait être une piste. Sinon, la gradation est étrange, briser des membres et écorcher, c'est pas au même niveau, du coup ça minimise ce qu'il a vécu. Et pour le dur, j'ai du mal à savoir ce à quoi cela renvoie ? "Durement" peut-être sinon ?
"Il cherche le vacillement de l’horizon qui l’alertera sur la disparition du sol. Ce sont des choses qui arrivent. Le plan peut faire ça. Alterner la tangibilité des choses. Ça annonce une chute de six mètres." => J'adore cette idée et cet enchaînement
"Les poches à l'intérieur de son manteau ou accrochées à sa ceinture, près de ses baguettes : chêne et runes. Six crins de cheval pommelé enfoncés dans le bois et une plume serrée par la bande de cuir qui dessine le manche" j'ai du mal à saisir ce que tu as voulu dire ici
"Les êtres primordiaux sont bien plus habiles. Bien plus rapides. " que quoi ?
"Et les créatures, qui n'ont pas d'intelligence mais agressent à la manière des animaux qui protègent leurs territoires, Fergus les évite. " Construction étrange
"Tous les Passeurs, tous les gardiens auquel l'acuité a prodigué le don de pénétrer le Plan par des portails et à volonté connaissent ce fait : le Plan évolue au gré de ses caprices et il n'est jamais certain de retrouver une forêt déjà traversée." => J'aime beaucoup ce concept !
"sur un chemin similaire." similaire à quoi ?
Sinon, je dois dire que j'adore l'idée du Plan Astral ! Il apparaît comme beaucoup plus clair dans ce chapitre, et son instabilité ainsi que son apparence me le rend très immersif et très intrigant. J'aime aussi beaucoup ce nouveau personnage de Fergus que tu nous introduis, il sera un bon guide dans cet univers hostile je le sens ! Pour le moment, je n'ai rien à redire sur le fond donc haha à part que ma curiosité est fortement piquée et que j'adore les pistes que tu esquisses au sujet de ce fameux Plan
Et ravie également que le concept te plaise et que Fergus obtienne un cran de validation parce qu'il est possible que découvert dans d'autres circonstances
il soit parfaitement énervant hahahahaha
Je garde scrupuleusement toutes tes remarques !
Allez je poursuis ~ Et comme d'hab quelques réactions en vrac au fil de la lecture
>> "verrouille la fermeture de sa veste" un peu lourd juste pour dire "ferme sa veste" je trouve, idem pour "ferme ses poches" etc. Sauf si vraiment c'est un truc particulier dans ton univers par rapport à l'habillement, qu'il y a des systèmes technologiques particuliers pour les fringues ?
>> "rabat le masque sur son nez" du coup je ne sais pas si ça vaut le coup d'évoquer déjà le masque plus haut, pour y revenir là
>> "Une vieille odeur de cuir rance infiltre ses narines, c’est chaud, ça pue." ahah ça j'aime beaucoup ! Les petits détails sensoriels qui tuent !
>> "L’air est brûlant et tombe dru" Chouette image là aussi, l'air qui tombe dru comme une pluie, c'est efficace <3
>> "Un instant bref", un bref instant / un court instant, plutôt ?
>> "Fergus ne se déplace pas au hasard. Jamais, dans le Plan Astral. Dans l’exploration il place un pragmatisme qui plusieurs fois lui a sauvé la vie." Je trouve que ça fait un peu redite "déplace / place" > "il mobilise un pragmatisme" par exemple ?
Très intéressant ce nouveau personnage, analytique, pragmatique, méthodique, assez différent de Constantine qu'on a vu plutôt rêveur. J'aime bien ces deux approches, et aussi le fait qu'on découvre ici le Plan Astral sous une toute autre facette. Autant dans le chapitre précédent cela semblait agréable, autant ici un voir l'hostilité, une grosse chaleur, un genre de sauvagerie également. Bien curieuse du coup de voir comment ces deux approches vont s'imbriquer, et ce que Fergus et Constantine auront à voir ensemble quand ils se rencontreront.
Toujours joliment écrit outre les deux trois chipotages au-dessus, et très immersif côté sensoriel. On voyage aisément au fil de tes lignes et les décors se laissent bien appréhender, c'est cool :3
A une prochaine !
- Il n'y a absolument aucune technologie pour les vêtements, ce sont totalement des vêtements normaux donc effectivement, le terme ne convient peut-être pas si ça t'a évoqué ça ! Je le prends en compte !
À nouveau je note toutes ces remarques fort pertinentes, et merci beaucoup pour la conclusion ! Je suis contente qu'on sente bien la différence d'approche, c'est un exercice assez amusant de tenter de varier à ce point le ressentit et l'expérience d'un même lieux au travers de deux points de vue différents, et je suis ravie que ça ait l'air de fonctionner héhé !