Ils étaient tous réunis de nouveau autour de la source Liwen, les Nergaléens, Griselda, les jumeaux et l’équipe de Zéphyr au premier rang. Maël, en retrait, derrière la foule, se préparait mentalement. Il avait convenu avec sa mère et ses enfants qu’il se présenterait après qu’Hywel ait pu constater que la mission avait été accomplie. Il grattait le sol avec un bâton pour tuer le temps. L’impatience le gagnait, revoir Hywel après toutes ces années… Il avait vieilli, elle, non, une nymphe reste d’apparence jeune jusqu’à la fin. Jamais leurs cheveux ne grisent ni leur peau ne se ride. Voudrait-elle encore seulement de lui ? Elle avait certes réclamé un bouquet de ses fleurs préférées, mais elle le pensait mort, une évidence pour lui…
L’eau de la source se brouilla, Hywel émergea des remous, majestueuse. Elle sourit aussitôt qu’elle aperçût Griselda et les jumeaux à ses côtés. Aucune explication n’était utile, elle les reconnut instantanément, surtout son fils, le portrait craché de son père, selon elle. Fait rarissime en ces occasions, elle sortit de l’onde et s’approcha lentement, prise par l’émotion. Un brouhaha d’étonnement traversa la foule des Nergaléens réunis.
— Zéphyr, commença-t-elle, merci d’avoir conduit cette quête qui tenait particulièrement à cœur. Tu m’as rapporté avec l’aide de tes compagnons mon bien le plus précieux, les porteurs du signe infini marqué à leur naissance, mes enfants chéris.
La nymphe se tourna vers Griselda.
— Merci, Hilda la grise, d’avoir pris soin d’eux, avec je l’imagine tout l’amour d’une grand-mère.
À nouveau, un vent d’étonnement secoua l’assemblée, Hilda la grise, était jadis bien connue du peuple des saules, mais sa disparition du monde magique avait peu à peu effacé son souvenir, pour les jeunes générations, elle faisait plutôt partie des contes et légendes. Sa sœur Baba la blanche était restée plus présente dans les esprits malgré son ermitage loin de tous dans sa propre poche enchantée.
— Je suis étonnée, de ne pas voir Baba la blanche à tes côtés, l’interrogea-t-elle en fronçant imperceptiblement les sourcils.
Tous les membres de l’équipée baissèrent la tête, la mine sombre tout à coup. Le silence se fit de plomb. Hywel fixait Griselda, le visage de plus en plus tendu.
— Elle est morte, souffla Sliman, la bouche tordue par la peine. Kaëlig l’a tuée.
Les ailes de la nymphe se soulevèrent avec violence, un cri guttural sortit de sa gorge provoquant l’effroi de tous. Lorsqu’elle reprit son souffle et le contrôle de ses nerfs, elle exprima sa colère et sa décision avec froideur.
— Kaëlig paiera pour cela, soyez-en sûrs !
— Kaëlig n’a pas fait que cela…, la coupa Sliman, le visage dur, elle a aussi tenté puis réussi à enlever Morgan pendant deux longues semaines… Elle l’avait envoûté !
Un vent tourbillonnant, terrible, enveloppa la nymphe, les poings serrés, un rictus de haine lui barrant le visage. Ses yeux se révulsèrent.
Personne n’osait plus bouger un cil, la fureur d’Hywel était à son comble, mieux valait attendre qu’elle se calme, si cela était possible.
— Mère ? Maman ? osa Elysandre avec douceur. Nous avons pu récupérer Morgan, il va bien maintenant.
Au son de la voix de sa fille, Hywel transfigura en un éclair pour reprendre une expression de douceur et de bienveillance, seules les flammes bleues dans son regard trahissaient encore son courroux.
— Ma fille…
Puis se tournant vers Morgan.
— Mon fils… Venez à moi, tous les deux, que je vous serre dans mes bras, les implora-t-elle, la voix soudain fragile.
Hywel serra ses enfants contre elle, longuement, puis les écarta de son corps. Elle effleura le haut du dos de chacun d’une caresse légère. Leurs ailes sortirent de leur dos en même temps et se déployèrent en un magnifique spectacle. Zéphyr frissonna d’admiration devant tant de beauté, une vague de chaleur l’envahit quand Elysandre se tourna vers lui le sourire aux lèvres et le regard pétillant. Maël, qui n’avait pas bougé jusque-là, s’avança avec lenteur à travers l’assemblée, voir ses enfants et leur mère réunis lui donnait la chair de poule. Il se sentait submergé d’émotions, impossible de patienter plus longtemps dans l’ombre. Il tirait derrière lui avec l’aide du vieil Hermelin, la cage, montée sur roulettes, dans laquelle était enfermée Kaëlig, immobilisée grâce aux élixirs paralysants de Baba dont avait hérité sa sœur.
Hywel en l’apercevant se figea, les yeux ronds, la bouche béante. Les jumeaux lui serrèrent chacun une main avec fébrilité, attendant que leur père arrive devant eux.
— Maël ? Est-ce bien toi ? interrogea Hywel d’une voix tremblante.
Elle tendit un bras jusqu’à le toucher à tâtons du bout des doigts.
— Oui, c’est bien moi.... Je suppose que tu me croyais mort… Kaëlig avait bien brouillé les pistes…
— Quoi ? Encore, elle ? rugit-elle, soulevant à nouveau un début de tornade à ses pieds.
— Elle m’a séquestré et utilisé, contre ma volonté toutes ces années… par vengeance pour la punition infligée à Koliana, mais tu vas pouvoir nous rendre justice puisque la voici derrière moi dans la cage. Nous l’avons capturée lors de sa dernière attaque lorsqu’elle a tenté encore de reprendre Morgan, dont elle est tombée amoureuse, puisqu’elle a perdu ses pouvoirs pendant la bataille. Telle mère, telle fille ! Et pour parfaire le tout, sache que Marla t’a trahie puisqu’elle a aidé Kaëlig à plusieurs reprises !
Hywel nota la trahison de la princesse dans un coin de son esprit et fixa Kaëlig. Le silence était de plomb. Tous attendaient la terrible sentence et son application immédiate.
— Je comprends mieux l’absence de mes émissaires…, ils n’osent plus se montrer à cause de la trahison de leur souveraine, lâcha Hywel acerbe. Quant à toi, Kaëlig, tu connais la sentence, dit-elle glaciale. Tu as déjà perdu tes pouvoirs, mais pas la vue ni l’ouïe. Admire encore mon fils, tu ne le verras plus ! Tu as osé l’enlever ! Alors que tu avais déjà son père prisonnier ! Tu vas payer pour tes crimes !
La cage dans laquelle la nymphe de feu était enfermée craqua, puis les parois s’écartèrent dans un fracas, sous l’impulsion de la fureur d’Hywel. Celle-ci fit s’élever dans les airs la nymphe de feu toujours paralysée. Incapable de la moindre expression faciale, de la moindre réplique.
— Comme ta mère, je te condamne à être transformée en statue de sel ! rugit Hywel, un rictus de haine barrant son visage.
Elle joignit le geste à la parole. Kaëlig devint aussi blanche que l’écume. Hywel la fit redescendre au sol avec une lenteur étudiée, pour que tous aient le temps de bien l’apercevoir.
— Un convoi sera chargé de ramener Kaëlig sur ses terres. Elle sera alors jetée dans une de ses rivières dès la fin du jour, déclara-t-elle d’une voix plate.
Maël se rapprocha pour serrer Elysandre puis Morgan dans ses bras. Chaque étreinte s’étira en longueur, tant l’émotion était intense. Il se tourna ensuite vers Hywel. Celle-ci écarta les mains pour l’accueillir. Un tourbillon d’eau se forma autour du couple jusqu’à ce que l’assemblée ne puisse plus les voir.
Elysandre et son frère restèrent ébahis par ce spectacle d’une grande beauté. La chair de poule couvrit leurs membres supérieurs et leur dos, leur famille qu’ils croyaient disparue à jamais était finalement réunie. Ils se tournèrent vers Griselda, le sourire aux lèvres, heureux comme jamais ils ne l’avaient été. La sorcière se leva pour les rejoindre et les étreindre à son tour. Des larmes de joie mêlées de douleurs coulaient sur ses joues ridées. Elle n’oubliait pas qu’elle avait perdu sa sœur chérie dans la bataille. Même la punition infligée à sa meurtrière ne lui offrit pas l’apaisement espéré. Faire son deuil lui prendrait du temps et elle allait devoir organiser la cérémonie funèbre dans les jours à venir. Pour l’instant, le corps de la sorcière reposait au village, dans la maison des morts, bien à l’abri sous une bulle de protection magique.
De longues minutes plus tard, Hywel et Maël réapparurent aux yeux de l’assemblée. Maël, souriant, alla se poster près de sa mère, conscient que la nymphe, sa nymphe devait encore faire une annonce avant de terminer la réunion. Hywel prit le temps de serrer une nouvelle fois ses enfants dans ses bras, puis s’avança de quelques pas vers l’assistance.
— La traîtrise de la princesse des grands papillons bleus lui vaut un bannissement pour cent ans hors de notre monde. Je la condamne à renaître à l’état de nouveau-né chez les humains où elle devra vivre toute une vie sans ses ailes et prouver sa repentance avant de pouvoir réintégrer son territoire, avec effet immédiat.
Un gigantesque éclair immédiatement suivi du tonnerre ponctua son annonce, Ely et Morgan rentrèrent leur cou dans leur épaule sous le coup de la déflagration. Un frisson parcourut l’échine de la plupart des Nergaléens présents, aucun ne souhaitait être la cible du courroux d’Hywel et chacun se félicitait de la réussite de la mission conduite par Zéphyr.
— Chers Nergaléens, reprit Hywel, une main serrant celle de son homme, cette journée restera gravée dans mon cœur à jamais. La date sera à présent fêtée chaque année dans toute la forêt des saules. Cette fête célébrera la bravoure de chacun des membres ayant contribué à la réussite de cette mission et plus encore ! Le retour inespéré du père de mes enfants, déclara-t-elle avec emphase les paumes tournées vers les frondaisons.
Les saules alentour firent vibrer leurs longues lianes en signe d’assentiment.
— Vous pouvez à présent regagner vos maisons, mes chers amis.
Hywel déplia ses ailes et en entoura sa famille. Ils disparurent dans un tourbillon d’eau. La nymphe gardait secret l’emplacement de son foyer depuis si longtemps qu’aucun de ses protégés n’en connaissait l’emplacement exact.