La mer a ses marées, le fleuve ses décrues
Comme moi mes humeurs. Aucun flacon iodé,
Même d'un très grand cru, sur l'océan perdu
Ne nous offre l'honneur d'y faire un ricochet.
Sur mon cœur quelques uns, amants de l'egotrip,
Ont soulevé du vin, le sombre de ma bile -
Et j'ai tout envoyé ce que j'ai sur les tripes -
Pour qu'enfin sous mes pleurs mon art me soit fertile.
Amorphe au jour je suis, triste la nuit je reste
Mon fantôme me suit un peu comme la peste
Et du jour que, lâché par mon ombre l'ivrogne,
Je ne vis que la nuit, j'ai pleuré ma Dordogne.
Au fond j'ai tant pleuré, comme toi qui l'as dit ;
Et la Seine ! et la Meuse ! Et tout fleuve français
Que mes yeux ont connnu, qu'ils deviennent bouffi
De chagrin, c'est bien sûr, mais de haine étouffée.
Seule aujourd'hui la mer pourra porter mes voiles
Vers un autre archipel, quelconque péninsule,
Polynésie glacée ou Norvège qui brûle :
Toute Floride est bonne à débarquer mon râle.
Où sont ceux comme moi qui sans cesse se plaignent,
Contemporains oisifs à la plume qui saigne ?
J'attends la poésie de ce siècle en retard :
Vos langues retenues aux contraintes de l'art.
Et au diable Malherbe et sa métrique folle !
Je choisis en pléiade, ou Marot ou Ronsard
Car je lis dans leur langue un peu de ma vérole,
Un peu de mon herpès de moderne soiffard.
Au diable donc Boileau, pourvu que La Fontaine
Soit d'une eau moins potable et moins pure à l'ouïe.
La métrique classique est pour nous une reine
Dont toujours le royaume est un fief inconquis.
Ô Poètes nouveaux, perdez votre grammaire.
Perdez le sens des mots. Perdez votre latin.
Couvez sur l'horizon vos latentes chimères
De ce mal linguistique et moral pour certains.
Ces langues de province et ces jargons techniques,
L'argot de ma jeunesse et celui de la vôtre,
Barbarismes nouveaux et paroles d'apôtre ;
Voilà de quoi orner le monde poétique.