Former les nouveaux

L’après-midi, Camille se mit enfin à la tâche que lui avait confié Chris. Ce fut fait en peu de temps, il commençait à bien connaitre les ouvriers de l’entrepôt qui lui proposèrent de récupérer le contenu du débarras en échange du mobilier d’une chambre d’appoint. Il se fit même livrer. 

Quand les trois explorateurs rentrèrent de leur tour de la ville, les deux pièces étaient prêtes, Camille avait ramené ses affaires dans celle de Chris et travaillait tranquillement derrière son ordinateur. 

— J’ai fait ce que tu m’as demandé, dit-il en désignant la porte entrouverte qui laissait entrevoir un dortoir petit, mais fonctionnel. Et toi, tu en es où ? 

— J’ai commencé à leur apprendre à reconnaitre les points de repère les plus fréquents et évidents, répondit-elle. Pourquoi ? Tu as du travail pour moi ? 

— J’en ai quelques-unes. 

— Ce n’est pas tellement le moment, dit-elle en lançant un regard vers les deux hommes qui la suivaient de peu. 

— Je me disais que je pourrais te donner une mission rapide et peu importante histoire de leur montrer comment ça se passe. La recherche des points de repère, comment tu traces ta route dans les limbes en fonction de ça…

Elle pinça les lèvres. 

— En option, insista-t-il. C’était juste une idée, comme ça. 

— Si tu veux. Pourquoi pas ? Mais dépêche-toi parce que ça ne va plus tarder. 

— Pas de soucis. 

Elle hésita puis ajouta :

— D’ailleurs, tu devrais déjà te mettre à l’abri. 

Il grimaça. Cette situation lui pesait. Il avait envie d’être utile, d’assurer pour eux trois, pas de se planquer, mais il n’y pouvait rien. 

— Je vais dire aux voisins que j’arriverai en retard, rétorqua-t-il. J’appellerai Strada depuis chez eux. J’ai trouvé un téléphone et j’attends un technicien pour qu’il nous raccorde au réseau de la ville. 

Elle hocha la tête, déjà en mode combat, lointaine. Il hésita en la voyant faire. 

— Préviens-les, lui souffla-t-il. 

— Ah… oui. 

Il rit tandis qu’elle les appelait. Ils rejoignirent leurs chambres pour récupérer leurs affaires. Camille se dépêcha d’aller passer son coup de fil chez les voisins. 

— Irvine ? Tu peux lancer l’alerte ? Les guerriers partent, c’est bon. Je te dis dès que je sais où ils vont. 

— Je t’attends et je secoue Strada. 

— Ça marche. 

Lorsqu’il ressortit, l’alerte se réveillait seulement et Chris cherchait du regard les premiers scintillements annonciateurs. Dès qu’elle les vit, elle s’élança en demandant aux deux hommes s’ils les voyaient. Camille repéra leur trajectoire avant d’aller prévenir Irvine et se mit à l’abri avec les voisins. Oui… s’il avait pu rester chez lui à travailler, ça aurait été bien plus simple, mais il ne pouvait pas. Peut-être qu’il ne transpirait pas comme une passoire, mais il était assez secoué à chaque fois pour ne pas tenter le diable. 

 

Chris fit un effort pour ne pas utiliser son grappin. Elle avait repéré l’endroit où le portail allait s’ouvrir. Elle avait l’impression de trainer deux boulets même si Didier et Sam se maintenaient à sa hauteur. C’était difficile de se dire que cette journée, cette exploration était pour eux et pour rien d’autre. Elle n’allait pas pouvoir s’empêcher d’être énervée si Strada les faisait attendre. Mais quand elle arriva sous le portail, elle vit la camionnette prête et le monte-charge opérationnel. Ils approchèrent en courant près de la machine, l’escaladèrent et se laissèrent porter jusqu’à atteindre la formation cristalline. 

En bas, Strada les regardait entrer avec angoisse. C’était une sorte de premier jour d’école pour lui. C’était envoyer trois des siens dans un monde de fou, trois personnes qu’il avait sous ses ordres. Il n’irait pas jusqu’à dire qu’il avait peur qu’ils soient pris dans un massacre du genre de celui qu’il avait vécu aux prémices de la catastrophe, mais pas loin. Il y pensait toujours. 

Ce à quoi il pensait, aussi, en les voyant monter, c’était à cette jeune femme remarquable qui lui avait tant manqué et qui se tenait dans toute sa superbe entre ses deux collègues tandis qu’ils avançaient vers un lieu de cauchemar. Chris était de retour. Ce n’était pas comme s’il l’avait perdue… enfin si, c’était exactement ça. Et là, il se sentait comme un père qui retrouve sa fille, fier et terrifié. 

Tandis qu’elle passait le portail, Chris était tout entière entourée de souvenirs. Elle entra en tendant son bras en arrière et leva le pouce vers le haut quand elle se fut assuré que tout était sans danger. Cela lui donna des frissons, l’impression de rattraper un tort qu’elle avait commis il y avait des années et qui l’avait empêché de faire ce qu’elle aurait dû faire, comme si aujourd’hui enfin tout rentrait dans l’ordre. 

Mais accepter cette idée, c’était aussi admettre qu’il était peut-être temps qu’elle laisse le souvenir de Tony s’éloigner et reconnaitre que les limbes étaient son tombeau. Non, ça elle ne pouvait pas s’y résoudre. Elle repensa au démon qui avait imité son apparence, au spectre que Sam et Didier avaient entendu prononcer le nom de Camille, à celui qui avait presque réussi à enlever Camille… Non. Elle ne pouvait pas renoncer, elle y croyait encore. 

Elle prit les devants pour tenter de trouver un point de repère à leur montrer, mais dut s’arrêter à chaque créature. Ils avaient l’habitude, ils ne savaient pas comment faire autrement, il fallait qu’ils l’abattent. 

— Concentrez-vous messieurs, chaque monstre mort n’est pas un monstre en moins que vous aurez à affronter, partez plutôt du principe qu’il y en a une infinité. 

— Ça dégage le terrain pour les récupérateurs, rétorqua Sam. 

— Ne sois pas condescendant avec les récupérateurs, ils dégageront leur terrain très bien tout seul. Laisse leur faire leur job et focalise-toi sur le tien. On avance ! 

Alors qu’ils croisaient un molosse, elle les força à courir jusqu’à ce qu’ils l’aient semé, mais Didier commença à perdre de la vitesse et c’est elle qui abattit la créature sans montrer son impatience. Ils étaient novices. Peut-être qu’ils avaient quelques sorties à leur actif, mais elle devait faire l’effort de se rappeler qu’ils débutaient quand même comparés à elle, qu’elle l’avait été un jour. 

Elle repéra enfin le premier point de repère et stoppa à proximité pour les interroger. 

— Oubliez les monstres, dit-elle. 

— Chris, il faudrait être taré… haleta Didier. Ils sont partout. 

— Et le démon, ajouta Sam aux aguets. 

Elle sourit. 

— Je me charge des monstres et du démon. Détendez-vous et arrêtez de flipper cinq minutes. Est-ce que vous savez où nous sommes ? Est-ce que vous avez un indice ? 

Elle les poussa à observer, elle leur laissa le temps, elle abattit méticuleusement tout ce qui se rapprochait d’eux pour bien leur faire comprendre qu’ils devaient se concentrer sur leur tâche. Elle finit par leur montrer le rond parfait de la fontaine sur le sol et leur expliqua l’implication de cette forme, le rapport entre les limbes et le monde réel, la façon dont ils pouvaient se servir de ces points de repère pour atteindre un lieu en particulier dans l’espoir qu’il soit apparent. 

Dès que la leçon fut assimilée, elle les poussa à courir à nouveau et repasser par le même endroit jusqu’à ce qu’ils le repèrent et se mit en quête du suivant. Le dernier, elle les laissa prendre les devants pour le trouver. C’était scolaire, ils avançaient trop lentement. Elle devait faire un tel effort pour les décontracter qu’elle se demanda si elle devait prévoir du thé et des petits gâteaux la prochaine fois, pour leur faire comprendre que malgré ce qu’on leur avait dit, malgré tout, les limbes n’étaient pas si dangereux. Après tout, elle, si elle pouvait aller si loin, c’était parce qu’elle avait appris avec le regard de Tony, Tony qui n’avait jamais peur de rien. 

Ils cherchaient le troisième point de repère quand Didier attira son attention sur quelque chose. 

— S’en est un, ça ? Ça n’en a pas l’air, mais ça me parait bizarre quand même. 

Elle vint vers lui pour voir ce qu’il lui montait. C’était des symboles écrits sur le mur, gravés dans la roche noire. C’était recouvert d’une couche mince de cristal. Elle sentit son cœur s’emballer. C’était illisible, pourtant elle comprit sans avoir à déchiffrer le message presque effacé. 

— Est-ce que vous saurez retrouver la sortie ? demanda-t-elle d’un ton dur qu’elle n’avait pas pris une seule fois jusque là. 

— Non, assura Didier. Ne pars pas, c’est un piège et tu n’as plus le temps, le chrono est trop avancé. Rentre avec nous. Si c’est bien Tony, il est là depuis trois ans, il peut rester quelques jours de plus. 

— Sortez, ordonna-t-elle. Il n’y a pas une seule seconde à perdre. 

— Où est-ce que tu vas ? demanda Sam. 

— Chercher Tony. Dites à Strada que je sais où il est, que j’en suis sûre à cent pour cent et que je vais le ramener. Allez-y ! 

— Non, arrête ! C’est un piège de démon ! la retint Didier en vain. 

C’était inutile, elle était partie, elle courait si vite qu’ils l’avaient déjà perdue. 

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Sam inquiet. 

— On n’a pas le choix, on rentre. On va prévenir Strada. 

 

 

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Raza
Posté le 08/08/2025
Hello !
Ahlala la résolution des arcs, ça sent la fin... J'aime bien le fait qu'on ait le pdv de Strada, c'est chouette. J'aime aussi la lucidité du perso sur sa relation avec Chris :)
merci pour le partage !
Solamades
Posté le 08/08/2025
Le point de vue de Strada symbolise aussi son rapprochement de l’équipe.
Merci pour tes retours 💕
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