(Franchise)

 

Uzu a quitté le studio, pour aller chauffer sa voix, seul. Il ressent l'exaspération de Yann à son endroit et ça ne le rassure pas du tout. Il n'a pourtant rien à se reprocher.

De son côté, Yann se sent plus léger de ne plus l'avoir là, à le lorgner.

Le synthé et le piano se mêlent, les deux guitaristes basse et rythmique travaillent les morceaux prévus pour le prochain concert, le batteur prend ses marques, tout paraît rouler.

La fatigue endolorit un peu les membres de Yann. La fièvre est revenue, bien qu'il réussisse à le cacher, il est vraiment très mal à l'aise. Son front bout, ses doigts l'élancent, la douleur est partout, le dos, les articulations, la gorge et surtout la tête.

- Qu'est-ce que fabrique Youz' ? C'est long, remarque Gabriel.

- Je vais rentrer, déclare Yann dont le malaise s'accentue. Il n'a, en plus, pas la moindre envie de bosser avec le japonais aujourd'hui.

- Déjà, ça va pas ?

- Je suis resté une petite heure c'est bien déjà. T'inquiét' mon lapin, je fatigue c'est tout, est-ce que je peux te laisser ma basse ? Elle est un peu lourde.

- Heu... oui.

Gabriel le regarde quitter le studio, comme un voleur. Son dos vouté, son expression lasse et ses yeux brillants l'interpellent. Il sort à sa suite.

- Attend Yann !

- Oui ma biche ?

- J'vais d'mander à Youzeu qui t'ramène en voiture, t'es pas en état.

- Ouais nan, ça va je te dis !

- T'es sûr ? T'as pas l'air bien du tout hein !

- Hou là merci de ta sollicitude mon chéri. Tu t'inquiètes drôlement pour moi ! Fais gaffe, je vais m'imaginer des choses, lui balance-t-il avant de claquer un bisou malicieux sur sa joue.

Ses lèvres sont bouillantes, Gabriel lui plaque une main sur le front par reflexe.

- Tu nous quittes déjà ? interroge soudain Uzu débouchant par derrière.

Ni Gabriel qui se met à tousser de gêne, ni Yann se reculant rapidement de son ex, ne l'ont entendu arriver.

- Yann se sent fatigué, explique Gabriel.

- Ha, ok, prend soin de toi.

- Ouais c'est ça. Salut Gab'.

Le ton de la réponse que Yann envoie à Uzu ne passe pas inaperçu. Gabriel, à regret, le laisse s'éloigner, passer devant lui, avant de franchir la porte du jardin. Uzu s'en retourne à l'intérieur sans un mot. Le brun s'interroge quelques secondes, avant de partir à la poursuite de son ex.

- Yann !

- J'ai oublié quelque chose ?

- Est-ce que...

- Oui ?

- Est-ce qu'il passé quelque chose l'autre fois avec Youz' on dirait que tu lui en veux pour un truc ?

La grimace que lui sort Yann est étrange et Gabriel n'aime pas ça.

- Demande à ton copain.

- Répond-moi !

- Désolé.

Yann disparaît au coin de la rue sans autres explication, à présent Gabriel se dit, qu'il doit avoir une conversation avec Uzu.

*

Il n'a pas envie de rentrer, il aimerait se reposer un peu quelque part avant de repartir. Il se tâte à aller trainer dans le marais, boire un coup, manger un peu, se remettre d'aplomb. Sans rien dans le ventre depuis ce petit déjeuné léger, il n'est pas certain de réussir à tenir debout encore bien longtemps. Quand son téléphone sonne, Uzu.

- Qu'est-ce qu'il me veut celui là ? Oui ?

- Yann, c'est moi, tu as deux minutes ?

- Je suis dans le métro...

- J'ai besoin d'éclaircir un truc avec toi. Tu as été raconter quoi à Gabriel ?

- Ha mais rien du tout chéri, Gabriel est capable de se poser des questions tout seul !

- Écoute, je ne comprends pas ce qui t'arrive, ou ce que tu t'imagines mais...

- Je n'irais pas raconter à Gabriel que tu m'as roulé une pelle si c'est ça que tu craints.

- Roulé une pelle ?  Tu t'égares là ! J'ai posé mes lèvres sur ton front, c'était un bisou pour prendre ta fièvre idiot !

- Mais bien sûr !

- Yann, tu te décomposais devant moi et tu étais en sueur, ça n'était qu'un bête test ! Tu ne vas quand même pas m'en vouloir pour ça ?

- Un bête test... Et ça va ? Ça t'as plu ?

- PFfff ! Yann arrête s'il te plait, c'est du délire là !

- ...

 - On va quand même pas se fâcher pour une bêtise pareille ?

- Occupe-toi de Gabriel et évite à l'avenir de mélanger ta salive à la mienne si tu ne veux pas prendre mon poing dans la gueule.

- Yann, ça n'est jamais arrivé !

- Sur ce, bonsoir.

*

Liam est mort d'inquiétude depuis le coup de fil de Gabriel. Il est plus de minuit, il y a presque sept heures que Yann devrait être rentré. Il ne l'a même pas entendu partir. Il le croyait au lit. Ses texto restent sans réponse, ses appels arrivent tout juste sur la boite vocale. Dans la tête du blond c'est la panique. Il fait les cents pas et manque de tomber de sa chaise, lorsqu'un BOUM contre la porte l'averti d'une présence dans le couloir de l'immeuble.

Quand Liam lui ouvre, Yann est là, penché contre le mur, une bouteille de rhum quasi vide dans une main, la clef de la porte d'entrée dans l'autre.

- Haaa... j'aurais réussi à l'ouvrir hein, affirme-t-il visiblement éméché.

Il entre en tanguant et manque deux, des trois marches de l'entrée, restant debout par miracle.

- Tu étais où enfin ? !

- J'ten pose des questions ?

-Tu as bu ! Tu es cinglé ma parole avec tes médicaments !

- Et après, tu comptes jouer les moralisateurs ? T'es plutôt mal placé !

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Joue pas les mecs sages, tu crois que je t'ai pas vu avaler tes anxiolytiques avec ton bourbon ? Tu cherches à oublier quoi ? Ton appartement de petit bourge ou ton compte en banque qui déborde ?

Il ricane amer, les mots sortent difficilement de sa bouche pâteuse, ses yeux voilés ne se fixent pas sur son interlocuteur, il est dans un état second. Pas la peine dans ce cas de tenter d'avoir une discussion, Liam le comprend très vite.

-Ok... tu devrais aller te coucher.

- J'ai pas d'ordre à recevoir de toi ! S'te bonne blague ! Il tangue au moment de porter le goulot de la bouteille à sa bouche en signe de ponctuation.

- Tu es chez moi ici ! Et là tu n'es pas en situation de...

- T'inquièt' va, j'vais m'casser...

-  ...

Les vêtements de Yann sont défaits, son visage est blême, son maquillage à coulé. Il titube en tentant de grimper l'escalier qui monte à sa chambre. Liam décide d'être indulgent.

- Repose-toi sur moi, je t'accompagne à ta chambre.

Ils montent ensemble, la bouteille change rapidement de propriétaire sans que Yann ne s'en aperçoive. Il se marre en manquant plusieurs fois de s'étaler. Liam réussit tant bien que mal à le déposer sur son lit.

- Tu n'restes pas avec moi ? Tu loupes une bonne occaz',  je suis chaude comme la braise chéri !

- De quelle manière réagir ? Il ne serait pas intelligent de l'obliger à prendre ses médicaments avec la quantité d'alcool qu'il a dû ingurgiter ce soir. Mieux vaut qu'il dorme. Il fera jour demain. Bonne nuit Yann.

- Je suis si nul que ça que tu veux pas m'baiser ? Ton type c'est plus le genre pompier ténébreux qui fait de la radio c'est ça ?

Liam se demande s'il doit avoir pitié ou le remettre à sa place.

- Tu ne sais plus ce que tu dis. Je n'ai pas envie de parler de ça avec toi dans ton état.

- Je ssssuis bouurré pas complètement à la ramasse. J'vois bien que je t'attiiire alors quoi ? Je sssuis pas assssez bien ?

- Je ne cherche pas de plant cul Yann, tu ne pourrais pas me donner ce que j'attends.

Un léger silence flotte, le temps que l'information atteigne le cerveau de l'intéressé.

- Plan cul. Je vois. C'est vrai c'est tout moi ça. PLAN CUUUUUL !

- Je suis désolé, je ne voulais pas dire ça. Repose-toi, à demain.

Mais Yann lui agrippe tout-à-coup le bras.

- Et si j'veux pas ?

- Ça suffi, lâche-moi.

Repoussé brutalement Yann rebondi contre le mur et retombe mollement sur le lit en tenant son front à deux mains.

- Je ne voulais pas te faire mal, excuse-moi, déplore Liam d'avoir dû en arriver là.

Yann lui tourne le dos.

- Me faire mal, vous ne faites tous que ça, tous... Vous n'voyez pas que j'm'épuise ?

- Quoi ?

- Pour elle aussi je suis un plan cul et pour l'autre là je suis quoi déjà ? Qu'est-ce qui dit déjà ? haaaa ouiiii : un test qu'il a dit !

Liam ne comprend pas, il reste un moment interdit.

- Un test, hé bha la salope prend sa retraite, allez donc foutre vos langues dans la bouche d'un autre, puisque vous ne voulez pas de moi.

*

Il a chaud, il a froid, il a soif, envie de pisser, cinquante fois il va se lever. Chaque fois il passe par la salle pour écouter. Yann dort, il n'y a pas un bruit.

- Au moins il n'a pas l'air d'aller plus mal.

Il a eu peur de le voir terminer la tête au fond de la cuvette, ou pire.

Liam réfléchit trop, il s'en veut, impossible de dormir, il a envie d'alcool, il n'a plus de somnifères.

- Qu'est-ce qui m'a poussé à lui sortir ça ? Je ne cherche pas un plan cul... C'est un peu comme de l'avoir traité de pute. Je persiste et signe dans la connerie.

En vérité ça n'est pas du tout ce qu'il voulait dire. Il se trouve qu'il est persuadé de l'échec d'une pareille relation. Parce que Yann ne l'aime pas, Liam en est certain, vu les circonstances tout au plus une attirance assez forte. Il est évident que le garçon est on ne peut plus perdu sentimentalement.

En d'autres circonstances Liam aurait sans doute tenté, pas là. Il s'attache bien trop vite, il le sait. Il se connait, coucher avec Yann risquerait de n'être qu'une très dangereuse récréation. Liam a conscience d'avoir déjà perdu trop de plumes, il est sur le fil du rasoir. Sa vie lui semble vaine, trouver le bonheur terriblement compliqué. Il se souvient des derniers mots de Yann, ils lui parlent. Lui aussi s'épuise et il n'en voit plus trop l'intérêt. Sa tête tient difficilement hors de l'eau aujourd'hui, la balance penche dangereusement.

Il a décidé de se battre, une fois de plus. Ne pas perdre pieds, trouver une bonne raison de résister, il s'accroche. Pas besoin d'ajouter un poids sur ses épaules. Il est vrai qu'il aurait pu le lui dire différemment. Il en est là de ses réflexions quand le soleil pointe derrière les grandes tours. La lumière est un peu blafarde dans la salle à manger. Il a la nausée.

- Je n'aurais pas dormis du tout.

Lorsque Liam rouvre les yeux, il doit être onze heure, il est couché sur le canapé, recouvert d'un plaid chaud, un café l'attend sur la table basse.  Finalement il s'est assoupi là, sans s'en rendre compte.

Yann allongé sur le dos en travers de son siège habituel, les jambes pendantes, la tête sur un des bras du fauteuil, il tient un sac de glaçons sur son front.

La charmante vision de son nombril à l'air, réveille un peu trop rapidement à son goût, l'envie matinale de Liam.

- Comment peut-il me faire un tel effet à peine ai-je les yeux ouverts ?

- Je vois qu'on a bien dormit ! Chéri, j'espère pour toi que le réveil sera moins dur que le mien. Par pitié la prochaine fois séquestre moi, empêche-moi de sortir ! Je sais pas, fait quelque chose. Je suis incapable de m'occuper de moi sérieusement. Dieux du ciel, cette migraine est atroce, je vais mouriiiir, geint-il.

Tout est redevenu " normal " Liam en pleurerait presque. Il est aussi amusant que détestable, adorable que piteux, attachant qu'exaspérant, Yann, tout un programme.

- Gueule de bois ? suppose Liam à juste titre.

- Sûr, je me suis mis mal là, mais c'est pas le pire. J'ignore totalement ce que j'ai foutu chéri, j'ai dû rentrer dans un mur, ou je ne sais quoi, j'ai une bosse qui ressemble à la glande pinéale, en plein milieux du front. Sauf que c'est pas du tout excitant quand on y touche.

Liam a passé la nuit à ressasser, à regretter, à se retourner le cerveau. Il a honte de ce qu'il a dit et fait la veille. Il doit le lui expliquer.

- Tu ne te souviens pas t'être cogné ? 

- Mon chou, je ne me rappelle même pas comment je suis rentré.

- Je t'ai dis quelque chose qui pourrait être perçu comme dégradant hier soir, je ne le pensais pas, je me suis mal exprimé et en y réfléchissant je me suis rendu compte que tu pouvais vraiment le prendre ainsi. Même si tu ne t'en souviens pas j'aimerais revenir dessus. Je n'ai pas envie qu'un flash s'impose à toi et que tu me détestes pour une connerie que je ne pensais pas.

- Hou la, c'est si grave que ça ? J'ai sûrement dû le chercher, ça c'est tout moi !

- Déjà, je... cette bosse...

Yann retire la poche de glace et fronce les sourcils.

- Tu m'as frappé ?

- Je, non ça n'est pas tout-à-fait ça.

- Oui parce que ça m'étonnerait, même bourré je suis capable de me défendre.

- Tu m'as un peu aguiché.

- Haha ! Sans rire, vu que je n'ai pas vraiment besoin d'être blindé pour ça, là-dessus je veux bien te croire. J'ai été lourd ?

- Tu ne voulais pas lâcher mon bras.

- Si ce n'est que le bras...

- Je t'ai juste repoussé sur le lit, je ne m'attendais pas à ce que tu roules ainsi contre le mur, vraiment je te demande pardon.

- J'imagine la scène, tu as eu peur que je te viole ha haha ! Allons ne t'inquiète pas, je suis une vrai pétasse quand je m'y mets.

- Tu n'étais pas... J'ai dis que je ne voulais pas de plan cul, que ça ne m'intéresse pas. C'est pas vers toi que c'était dirigé. Arf ! Je vais dire des conneries que tu vas prendre mal je le sens. Je crois juste que toi est moi... Je ne suis pas capable de... forcément si on allait plus loin... enfin je me doute que tu es capable d'être sérieux, ça n'est pas le problème.

Liam, à son habitude ne réussit plus à sortir une phrase complète.

- Hé ça va, y'a pas mort d'homme, t'affole pas ! Je n'en ai même pas le souvenir mon coco, c'est pas si grave !

- Je veux juste que tu comprennes que c'est moi qui ai un problème. Tu m'attires, je ne vais pas dire le contraire. Seulement, je vais mal. Je ne vais pas te mentir, je suis un dépressif en thérapie depuis des années. Et toi tu es tellement... Tu me perturbes c'est vrai. Si nous allons plus loin, je vais tomber amoureux. Or je ne crois pas être capable de me relever si ma prochaine relation se passe mal. Tu es quelqu'un de vraiment gracieux et attachant et je le pense sincèrement, tu mérites de rencontrer une personne qui te rendra vraiment heureux mais je ne crois pas que ton cœur meurtri soit encore prêt pour ça.

Sans s'en rendre compte, Liam vient de lui déballer une véritable déclaration d'amour.

Yann assis sagement dans le fauteuil a écouté toute sa tirade. Le sac de glaçon sur les genoux, les yeux ronds, fixés sur son colocataire, il continue de se taire, sidéré.

- Je... Je suis désolé, termine le blond.

- C'est adorable tout ce que tu viens de dire, réalise Yann.

- Yann, tu m'as bien écouté ? Je viens de te balancer que je ne voulais pas de toi, il n'y a rien d'adorable là dedans.

- Liam, je me doute que mon comportement de célibataire a de quoi amener le doute sur ma capacité à être sérieux en couple.

- Je n'ai pas dit ça.

- Laisse-moi terminer. J'ai l'air frivole, j'agis légèrement, je cherche tout le monde. Je sais ce qu'on peut croire. Je suis juste un peu idiot.

- Ne cherche pas à te justifier, je te crois, ça n'est vraiment pas le souci.

- Je cache un grave problème moi aussi, je ne suis un cadeau pour personne surtout pas en ce moment, tu as raison. Déjà en temps normal quand je suis en couple, je deviens vraiment invivable, plus encore qu'aujourd'hui, tu peux t'imaginer ça mon tout beau ? Je suis jaloux, extrêmement collant, toujours inquiet, je n'ai aucune confiance en moi et très peu de confiance en l'autre. En ce moment je ne sais plus ou j'en suis et blesser l'autre, est douloureux pour moi aussi. C'est la raison pour laquelle je ne veux plus m'attacher.  En même temps, j'arrive pas à être seul, ça me tue. C'est pour ça que je continue à « solliciter » l'autre, de manière plus ou moins subtile haha ! Aujourd'hui, c'est vrai, je cherche plus du sexe et de la tendresse qu'autre chose. Du coup j'agis en fonction. À présent, je comprends ce que tu ressens, je suis désolé d'avoir agis de la sorte. Tu dis vrai, tu es exactement la personne avec qui il ne faut surtout pas, que ça aille plus loin. Ne t'inquiète pas, il n'y a pas mieux placé que moi pour comprendre ta décision. Finalement nous ne sommes pas tellement différents. Ha, avoir mis les choses au point ça devrait nous aider non ?

Liam retient son souffle, cette conversation est assurément la première discussion vraiment sérieuse qu'ils aient pu avoir jusqu'ici. Il devrait s'en réjouir, pourquoi laisser le regret l'envahir ?

- Merci pour ta franchise, ajoute Yann. Tu es vraiment adorable. Tu m'as promis de ne plus jamais perdre ton sang froid, moi aussi je vais m'efforcer de me tenir tranquille. J'arrête de te chercher, enfin je vais essayer. Yann se lève, lui tendant la main.

- On selle ce pacte ?

La main de Yann est bouillante, vraisemblablement la fièvre. Celle de Liam est glacée, il est mortifié. La poignée de main est franche, le sourire de Yann est triste mais honnête.

 

 

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