Claire comprit à l’urgence dans la voix d’Alicia qu’il valait mieux lui obéir pour sa propre sécurité. Elle referma la porte de la chambre et scruta les lieux pour trouver un endroit où se cacher. Elle avait de bonnes raisons de penser que les assaillants étaient les mêmes qui avaient attaqué son lieu de travail. Elle savait à présent que leur objectif était le carnet de son arrière-grand-père, mais eux ne savaient pas forcément qu’elle ne l’avait plus en sa possession. Finalement, elle arrêta son choix sur la petite salle d’eau. C’était le seul endroit où elle pouvait espérer se dissimuler au moins quelques instants, même si une fouille superficielle révélerait bien vite sa cachette. Elle n’était installée que depuis quelques instants quand elle entendit la porte de la chambre s’ouvrir. Elle risqua un coup d’œil alors que le nouvel arrivant passait devant la salle d’eau, et elle remarqua qu’il s’agissait d’un membre de l’Agence qu’elle avait aperçu en pénétrant dans la base Icarus.
— Je suis là, l’interpella-t-elle en chuchotant.
— Je commençais à m’inquiéter, lui confia-t-il alors qu’elle sortait de sa cachette.
Cette remarque ne fut pas pour rassurer Claire, il n’était entré que depuis quelques secondes et avait à peine entamé la fouille de la chambre. Elle se prit à craindre que l’incompétence soit aussi courante dans une agence d’élite que dans un bureau comme le sien, mais se garda bien de lui faire remarquer.
— L’agent Cara nous a demandé de veiller sur vous, lui annonça-t-il.
Claire acquiesça et remercia mentalement son amie. Si les mercenaires arrivaient jusqu’ici, elle aurait bien besoin d’un peu de protection.
— Je vais vous amener dans un lieu sécurisé, continua-t-il. Suivez-moi !
La jeune femme n’eut pas le temps de répondre que l’homme était déjà à la porte.
Il est bien pressé de partir, songea Claire. La situation ne doit pas tourner en leur faveur. Elle se demanda encore une fois comment une base secrète aussi sécurisée pouvait être la cible d’une telle attaque, puis emboita le pas à son nouveau garde du corps. Arrivée dans le couloir, Claire réalisa que les combats étaient peut-être plus proches qu’elle ne le croyait. Des bruits de fusillades et d’explosions étouffés lui parvenaient clairement alors que quelques instants auparavant tout lui semblait bien plus silencieux. Elle comprit que la pièce qu’elle venait de quitter était insonorisée, en plus d’être sécurisée. Peut-être pas une prison pensa-t-elle, mais un cocon pour m’empêcher de découvrir certains de leurs petits secrets. Elle n’en voulut pourtant pas à son amie qu’elle savait devoir obéir aux ordres et être dans une situation inconfortable. L’agent – qui ne s’était pas présenté, réalisa-t-elle – lui fit signe de le suivre et s’arrêta quelques mètres plus loin en prenant un air soucieux.
— Que se passe-t-il ? lui demanda-t-elle en chuchotant.
— Plus un bruit, quelqu’un approche, rétorqua-t-il brusquement.
Claire se recroquevilla instinctivement contre le mur le plus proche et se fit la plus silencieuse possible alors que l’agent commençait à s’approcher de l’angle que formait le couloir. Soudain, la crosse d’un fusil le percuta violemment au front, et Claire étouffa un cri en le voyant chanceler. L’ennemi était là et elle commença à se demander ce qu’elle devait faire. Mais contre toute attente, son protecteur se ressaisit et riposta d’un crochet du droit. Claire commença à reculer dans le couloir en se demandant si elle ne devait pas fuir, mais l’idée d’abandonner cet homme qui se battait pour elle lui était insupportable. Pourtant c’était sa mission et il la convainquit en lui criant de se sauver. Cet instant de distraction lui valut un coup sur la tête, mais Claire vit qu’il savait encaisser. Il projeta son adversaire contre le mur et lui assainit son genou en plein visage, ce qui lui fit perdre connaissance. Claire qui avait commencé à fuir eut un sursaut d’espoir en voyant l’agresseur au sol, mais un bruit de course lui fit très vite perdre cette conviction. Elle prit ses jambes à son cou alors que l’agent chargé de sa protection ouvrait le feu en direction des nouveaux venus. Il allait se sacrifier pour lui faire gagner du temps, réalisa-t-elle avec horreur.
Claire parcourut le chemin inverse en courant, des larmes commençant à brouiller sa vision. Elle pleurait pour un homme qu’elle ne connaissait pas, mais qui allait sûrement sacrifier sa vie pour elle. Elle ne pourrait jamais remercier cet agent qui ne faisait qu’accomplir sa mission, mais pour qui elle ressentait quand même une infinie reconnaissance. Au détour d’un couloir, elle se retrouva face à une impasse. Elle s’apprêta à revenir en arrière pour prendre une autre direction quand elle entendit les bruits de pas de ses poursuivants se rapprocher. Se sachant prise au piège, elle sentit la panique monter en elle. Tout était perdu, son protecteur s’était sacrifié en vain. Elle aperçut alors une grille d’aération près du sol, mais elle savait que cette idée ne la sauverait pas. S’y cacher n’était qu’un cliché éculé qu’elle avait vu dans des dizaines de films et elle savait que ça ne ferait que retarder l’inévitable. Toutefois, la perspective de faire face à la mort sans essayer la plus petite option lui paraissait inconcevable. Elle se précipita sur la grille, qui par chance était mal scellée, et la fit céder facilement. Elle s’y faufila rapidement, non sans maudire sa récente prise de poids, mais parvint tout de même à s’y glisser. Derrière elle, les bruits se faisaient plus pressants, elle savait qu’il ne lui restait que peu de temps. Les mercenaires verraient qu’une grille était descellée et ils ouvriraient le feu dans le conduit ou y jetteraient une grenade. Elle en était sûre, plus rien ne la sauverait à présent. Elle ferma les yeux en repensant à sa famille qu’elle espérait en sécurité et sa dernière pensée fut qu’ils ne sauraient certainement jamais ce qu’il lui était arrivé. Toute cette histoire serait classée confidentielle et ses parents croiraient leur fille simplement disparue. Qu’ils passent le reste de leur vie à espérer la voir un jour réapparaitre était ce qui lui brisait le plus le cœur. Elle sentit les larmes couler le long de ses joues et s’apprêta à vivre son dernier instant quand une explosion retentit dans le couloir derrière elle. Elle entendit les mercenaires parler avec urgence et des coups de feu se mirent à résonner dans le complexe. Mais contrairement à ce qu’elle avait cru, ils ne lui étaient pas destinés. Un contingent de soldats du DEDALS venait de pénétrer dans le niveau et la bataille faisait rage. Claire comprit qu’elle venait d’obtenir un sursis et entreprit de ramper dans le conduit. Fort heureusement, celui-ci n’était pas très long et déboucha bientôt sur une nouvelle salle, mais Claire se retrouva coincée. Contrairement à la grille du couloir, celle-ci était solidement scellée et la jeune femme s’en retrouva dépitée.
— C’est bien ma veine, souffla-t-elle au comble du désespoir.
Elle ne se voyait pas rebrousser chemin en rampant, d’autant plus que les combats derrière elle devaient encore battre leur plein. Et si tant est qu’ils se soient arrêtés, il aurait fallu que les soldats de l’Agence en soient sortis victorieux. Claire soupira quand elle entendit un bruit. Un miaulement.
— Samoa ? pensa-t-elle.
Elle aperçut alors une paire de bottes et une voix se fit entendre. Elle ne comprit pas la langue, mais y reconnut du japonais. Aya ! Elle essaya de ne pas crier, mais il fallait qu’elle se fasse entendre :
— Aya ! je suis ici, regardez en bas !
Au bout de quelques instants, elle vit un visage familier la regarder au travers de la grille.
— Mais que faites-vous ici Claire-San ? lui demanda-t-elle.
— J’essaie de fuir les gens qui attaquent la base, mais je me suis retrouvée coincée ici. Vous pouvez m’aider ?
— Oh ! Oui. Ne bougez pas, je reviens tout de suite.
L’attente ne fut effectivement pas longue et Claire se retrouva très vite à l’air libre. Heureusement que je ne suis pas claustrophobe, pensa-t-elle.
— Merci beaucoup, Aya, j’ai bien cru rester coincée ici encore un moment.
— De rien, lui répondit-elle avec un sourire. Heureusement que vous êtes tombée sur moi. Je suis venue ici pour protéger les animaux.
Claire vit qu’effectivement la pièce ressemblait à une salle de jeux pour animaux de compagnie.
— Mais que font tous ces animaux ici ? demanda-t-elle, interloquée. Ne me dites pas que votre agence fait des expériences sur eux !
— Oh non, pas du tout ! la rassura Aya. Ce sont des animaux que nous avons recueillis au court de nos missions. Ils ont parfois été témoins d’une scène clé pour une enquête et leur pelage peut contenir des preuves. Parfois, ce sont de pauvres bêtes dont leurs maitres ont été assassinés. Nous les gardons ici le temps de l’enquête, avant de les faire adopter. Il arrive que certains de nos agents les recueillent.
Claire resta interdite devant l’humanisme dont faisait preuve cette organisation. C’était loin de l’image qu’elle avait d’une agence d’espionnage internationale dont l’assassinat devait faire partie des méthodes, comme bien d’autres. Mais cette idée lui plaisait, si le DEDALS prenait soin des animaux qu’elle croisait sur sa route, elle ne pouvait pas être totalement mauvaise et elle comprenait mieux que son amie en fasse partie. Elle s’approcha alors de son petit chat que la jeune Aya tenait à présent dans ses bras.
— Eh bien, il a l’air de vous avoir adopté.
— Je vous avais dit que je savais y faire, sourit Aya.
Claire prit Samoa dans ses bras et se mit à le caresser quand celui-ci commença à se hérisser.
— Mais alors qu’est-ce qui t’arrive ? La dernière fois que tu as réagi comme ça c’est quand tu as rencontré…
Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un chaos déferla sur la pièce. Contrairement à ce que Claire crut dans un premier temps, les mercenaires n’y étaient pour rien. Non, c’était une menace d’une tout autre nature. Enfin, une menace seulement d’après Samoa, et bien que Claire se retrouvât très vite les fesses par terre, cette attaque-là n’était pas à l’encontre de sa personne. Les cris des autres animaux se répercutèrent contre les murs et Claire sentit une langue râpeuse passer sur ses joues. Samoa se trouvait à quelques mètres, le poil hérissé et sifflant son aversion envers l’agresseur de Claire. Aya, elle, essayait tant bien que mal de calmer les autres bêtes affolées.
Et Claire, assise sur le sol, regardait, incrédule, Fifou le chien de ses parents, heureux comme toujours de la retrouver.
— Mais que… balbutia-t-elle. Qu’est-ce que c’est que ce bordel