Le témoin

Les glaçons, dans les verres de limonade, flottaient paisiblement à la surface, à l'abri de la chaleur du soleil. Ils dérivaient seulement au gré des secousses qui agitaient le verre, ou quand le buveur le portait à ses lèvres, ce qui signifiait en général que le glaçon avait droit à un coup de dents. Cependant, Serge était pérsuadé que les petits cubes d'eau solide concevaient une immense tristesse lorsqu'ils fondaient. N'avaient-ils pas rafraîchi la boisson tout au long de leur courte existence ? Et voilà comment ils étaient remérciés: On les laissait disparaître. C'était ainsi que se sentait Serge. Il avait servi la police parisienne pendant de longues années, et on l'envoyait mourir à Aigreville en résolvant une affaire impossible qui piétinait depuis déjà plusieurs jours. Il soupira, s'extirpa de la baignoire de sa chambre d'hôtel, laissa partir l'eau dans les canalisations et enfin se prépara. À quoi se préparait-il, il n'en avait aucune idée, mais il le faisait. La sonnerie de son téléphone le tira de l'état de léthargie dans lequel il sombrait :

-Allô ?

-À l'huile ?

Serge ferma les yeux et se calma :

-Très drôle, Jerôme. Du nouveau ?

-Oui, on a reçu un témoin de la nuit du 23 novembre. On est au poste et on vous attend pour commencer les questions.
Serge raccrocha immédiatement, dévala l'escalier,sortit en trombe de l'hôtel et courut jusqu'au commissariat. Lorsqu'il arriva, éssoufflé, Malaca se tenait sur le seuil et le regarda de haut en bas d'un air amusé :

-C'est bête, vous partiez trois minutes plus tard et Jules vous récuperait à l'hôtel.
Serge grommela que ce qui était fait était fait, et lui emboîta le pas. Arrivé dans la salle des dépositions, il vit une jeune femme allongée en travers du fauteil résérvé aux témoins, les jambes négligeamment jetées en travers des accoudoirs, qui échangeait des plaisanteries au goût douteux avec Jerôme et  Marc.La femme avait des cheveux blonds platine qui lui tombaient jusqu'aux épaules, des yeux verts, souligna Serge, et semblait plutôt aisée, en témoignaient sa veste de cuir noir et ses lunettes qui semblaient coûter la moitié de l'attirail total. Elle était au beau milieu d'une blague sur la petite fille qui tombait de la balançoire -à cause d'un manque de bras- quand Serge toussota pour s'annoncer. Elle s'interrompit et le jaugea des pieds à la tête. L'inspecteur avait une étrange sensation d'être passé au microscope et obsérvé de loin par un prédateur en même temps. Quand elle sembla satisfaite, elle se leva et se présenta.

-Céléste Duval, je suis venue ici suite à votre appel à témoins.
Après avoir posé les questions d'usage, âge, domicile, emploi, situation familiale et autres informations qu'il jugeait plus inutiles les unes que les autres, Serge aborda enfin la question de l'incident du 23. C'est alors qu'elle commença son récit d'une voix étrangement envoûtante.

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Sombie
Posté le 06/09/2024
Je me demandais quand nous allions retrouver Celeste !! Je suis contente que cela ne soit pas trop loin dans l'histoire.
La petite introspection sur les glaçons m'a bien plu, cela apporte une petite part de réflexion quasi philosophique bien agréable.
Court commentaire, car il me tarde de lire la suite !
Symphonio
Posté le 08/09/2024
Ça fait quand même du bien de savoir qu'il n'y a pas que moi qui aime la partie sur les glaçons, j'ai bossé super dur dessus ("pas trop long, pas trop court ? Assez clair ? Pas trop bizarre ? Pourquoi je fais ça ?")
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