Gazou - Un esprit sain dans un corps sain

Gazou

Un esprit sain dans un corps sain

 

 

 

« Il n’y a que l’amour pour vous faire garder un bout de ficelle sous prétexte qu’il a traîné dans la poche de l’autre. »

 

Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent

 

 

 

 

Quand mon oncle Freddy entra dans le bar ce soir-là, tout le monde retint son souffle.

Aux alentours de dix-neuf heures, les touristes avaient déserté la place pour chercher un endroit où se sustenter, nous rendant à nous autres indigènes le privilège d’investir notre bistrot pour un apéritif qui avait des allures de réunion de crise. La moitié du conseil municipal était là, ainsi que Lionel et Ruben, ma cousine Violaine, Charlie, Matt, José Savarrez, l’électricien, Corentin, qui travaille comme plombier sous le chaperonnage de Victor Carrieux, mes deux frères, Fanny, ma belle-sœur, qui portait sur la hanche le petit Léo et son dinosaure en peluche, Joël et Claudia, un couple de trentenaires ayant récemment ouvert des chambres d’hôtes au Village, Marc Saint-Just, l’historien Pierre Jorel, Max, le jeune vendeur de glaces artisanales qui s’était installé pour l’été, Solange Bousquet, qui tient d’une main de fer l’office de tourisme, le vieux Théodore et Manu Malzac, l’entraîneur de l’équipe de foot féminine de la vallée.

Les verres de bière et de pastis s’empilaient sur le comptoir, mais Martin ne semblait guère pressé de les nettoyer. Tous ceux qui fumaient sur la terrasse se hâtèrent d’écraser leur mégot et d’entrer à la suite de Freddy.

-      Alors ? l’interpela Victor, presque agressif.

-      Alors quoi ? s’étonna mon oncle, surpris de constater que toutes les conversations s’étaient tues dans l’attente de sa réponse.  

-      Hé ben, vous l’avez chopé ? traduisit Ruben.

-      Je suis pas encore sur l’affaire, c’est la gendarmerie qui gérait jusqu’à présent. Et non. Ils pédalent dans la semoule, en fait.

-      Comment ça se fait ? s’indigna Lionel. Maintenant, avec les empreintes, l’ADN et tout ça, tu peux plus chier derrière un buisson sans que le GIGN te retrouve, et vous êtes pas foutus de mettre la main sur un putain de pédophile ?

-      T’y connais rien, Lionel. Ça marche pas comme ça, je te ferais dire. Et je viens de te dire que j’avais pas encore repris le dossier. Martin, un demi, s’il te plait.

Je me glissai plus près du centre du débat, emportant mon jus de tomate avec moi. Freddy paraissait épuisé. Voilà plus de quatre-vingt-dix heures qu’on avait découvert le corps de la petite Zoé. D’après ce qu’on avait pu lire dans la presse – et les racontars – le juge avait préféré mettre des flics de Rodez sur le coup, et Freddy, en tant que capitaine de l’antenne de police voisine, se voyait intégrer l’équipe. Ce qui, a priori, ne l’enchantait pas plus que ça…

-      Et comment ça marche, alors ?

-      Les gendarmes font ce qu’ils peuvent avec les moyens du bord. Tu sais bien que j’ai pas le droit d’en parler, c’est une enquête en cours.

-      Nom de Dieu, Freddy ! s’emporta Manu, vêtu de son plus beau maillot de foot. Y a un dingue qui massacre nos gosses et tu veux rien nous dire !

Une rumeur sourde enfla dans la pièce, appuyant la remarque de l’entraîneur.

-      Ouais, c’est clair ! ponctua quelqu’un.

-      On a un putain de Fourniret dans la nature, merde !

-      J’ai trois enfants, moi !

-      D’accord, tu l’as pas repris, le dossier, mais tu l’as lu, non ? T’es un peu au courant, quand même ?

Freddy se frotta les yeux d’un geste las.

-      Ce fils de pute l’a javellisée, OK ? Ja-ve-lli-sée ! Vous comprenez ?

-      Comment ça ?

-      Il l’a passée à la javel, dehors… et dedans. Ce qui veut dire qu’on n’a aucune chance de trouver le moindre indice sur le corps.

Cette annonce jeta un froid lourd de dégoût sur l’assistance.

-      Monstrueux ! commenta Claudia, une jolie femme très typée aux longs cheveux noirs et lisses, dont les grosses boucles d’oreille semblables à des mandalas de métal tintinnabulèrent furieusement.

Martin, hébété, jugea nécessaire de remplir les verres de tout le monde.

Mon frère aîné, Ludo, posa une main protectrice sur l’épaule de sa compagne, qui serrait leur fils contre elle comme si on allait le lui arracher à tout instant.

-      Ben alors, qu’est-ce qu’on fait ?

-      Toi, Ruben, tu fais rien, on a assez de problèmes.

-      Je me demande bien qui ça peut être.

-      C’est pas quelqu’un d’ici, c’est sûr !

-      Tu voudrais pas que ce soit un alsacien, non ? D’où tu veux qu’il soit, le type ?

-      Ça pourrait être un touriste.

-      Un de ces hollandais qui portent des chaussettes dans leurs sandales ?

-      Ouais, les chaussettes, à la base, c’est pas humain, ricana Sylvain.

-      Ça veut pas dire que c’est louche.

-      Non, je sais pas, un type de passage, qui traverse le pays en fourgonnette. 

-      Pff, vous croyez vraiment que les pédophiles ont tous des fourgonnettes ? intervint José qui en possédait une.

-      Te sens pas stigmatisé.

-      Ben un peu quand même !

-      Vous imaginez ? Si ça se trouve, c’est quelqu’un qu’on voit tous les jours !

-      Si ça se trouve, c’est même une femme !

-      Une femme ? T’es au courant qu’elle a été violée, la petite ?

-      Oh tu sais, de nos jours…

-      Ça doit être un des manouches de Saint-Aymar.

-      Dis pas n’importe quoi ! Je les connais, moi, les Renaldo : c’est des braves.

-      Ouais, ça, on le sait bien, que tu les connais !

-      Ça va se finir en chasse aux sorcières, me glissa Charlie qui était pourtant à l’autre bout de la pièce la seconde précédente.

Je secouai la tête, accablé.

-      Oui, j’en ai peur.

-      Freddy, vous avez vraiment aucune piste ? s’enquit Marc au milieu du chaos.

-      Entre nous, rien de concluant. Marc, tu peux éviter de rouler ton pétard devant moi ?

-      Désolé. La Maison-Mère ne va pas vous envoyer du renfort ?

Visiblement, Marc ne lisait pas la presse, lui.

-      Si, on attend deux mecs de la criminelle de Rodez pour demain matin. Ils devraient être là depuis hier mais y a eu des contretemps. C’est avec eux que je reprends l’affaire et ça va être un putain de bourbier, parce que bosser main dans la main avec les bleus d’ici, ça se passe rarement en totale harmonie.

-      Ah, c’est les deux gars qui ont réservé chez nous, fit Joël. Gabassian et Lamentaire.

-      Latimer, corrigea Claudia.

-      Nasser Gabassian, c’est un commissaire de Paris, muté dans la région y a quatre ans. Un bon flic, à ce qu’il paraît. Un peu spécial, mais doué. D’après moi, c’est pour ça que le juge a dessaisi les gendarmes : pour que Gabassian prenne les choses en main.

-      Pff, encore un parisien ! grommela Victor. A croire que pour élucider un meurtre, faut avoir grandi à Montmartre !

-      Tu parles ! Montmartre, à tous les coups, ça va être racheté par les chinois.

-      Ça sort d’où, ce nom, Gabassian ?

-      C’est arménien, je crois.

-      Nasser, ça fait pas très arménien…

-      On s’en fout, Ruben.

-      Et son adjoint, Serge Latimer, je sais pas grand-chose sur lui, à part qu’il a bossé longtemps à la protection des mineurs.

-      Ah, ben, ça nous rassure !

-      Les inspecteurs, ça a l’habitude de ce genre d’affaire, ils vont trouver.

-      On dit plus « inspecteur », mais « lieutenant de police ».

-      C’est pareil. A la télé, ils disent inspecteur.

-      Tu me fais chier, Victor. Je te dis qu’on dit plus inspecteur.

-      A la télé, ils disent aussi que le plat préféré des français, c’est le couscous. Alors que tout le monde sait qu’y a rien de meilleur qu’une épaule de chevreuil à la sauce roquefort.

-      Je me demande bien quel genre de chaîne tu regardes, toi…

-      Bon, en réalité on s’en tape, du terme technique, trancha mon père de sa voix toujours égale et pourtant intransigeante. L’important, c’est que ces deux lascars coffrent rapidement l’enculé qui zigouille des enfants. On compte aussi sur toi, Freddy.

Cette déclaration ne parut pas exalter son frère cadet, dont les yeux, d’un vert morne, semblaient alourdis par des rides d’anxiété qui n’étaient pas là la semaine dernière – lui qui pourtant accueillait drôlement bien la cinquantaine toute proche, façon play-boy dont la beauté qui se fane ne le rend que plus séduisant encore. Les types comme lui me fascinent, moi qui avais déjà l’air vieux à vingt ans.

Je jetai un coup d’œil à la pendule fixée au mur : dans quinze minutes, Lumi était supposée me rejoindre. Je ne l’avais pas revue depuis le jour où elle m’avait emprunté ma voiture, ce même jour où nous avions tous appris le meurtre abominable de Zoé Calvert. Le matin, j’avais rassemblé mon courage pour lui téléphoner et lui proposer de quitter le Village pour la soirée, histoire d’aller dîner quelque part. J’étais conscient que c’était à elle de m’appeler pour m’inviter, mais j’avais l’intuition que je pourrais attendre longtemps avant qu’elle se décide à le faire. Etrangement, elle avait paru assez emballée, et m’avait donné rendez-vous au Lapin Blanc vers vingt heures. De mon côté, j’avais réservé pour vingt heures trente à La Marmite Suspendue, un restaurant associatif qui surplombait les Gorges du Loup, dont je savais que la décoration, assez atypique, plairait à Lumi. Il y avait bienl’Auberge, au Village, mais je ne tenais pas particulièrement à y croiser tous les natifs du coin, surtout pour y passer la soirée à entendre d’invraisemblables conjectures sur l’assassinat d’une enfant...

-      Bon, je vais m’en griller une, annonça Matthias en amorçant un mouvement vers la porte.

Bien que non-fumeurs, nous décidâmes Charlie et moi de le suivre à l’air libre.

-      Ils vont me rendre dingue, à s’affoler comme ça, et à dire n’importe quoi ! s’exclama Matt en se vautrant sur une chaise.

-      C’est un peu normal, de s’affoler, tu crois pas ?

-      Oui, on est tous d’accord que c’est une affreuse tragédie, et la seule chose que je souhaite, c’est qu’on chope vite ce taré. Mais qu’est-ce qu’on peut faire, hein ? Si encore on avait le droit de lui arracher les couilles et de les lui enfoncer dans la gueule jusqu’à ce qu’il s’étouffe ! Malheureusement, il s’en tirera avec quinze ans de taule à tout casser et un suivi psychiatrique. Me regarde pas comme ça, Gazou, je sais bien que t’es un pacifiste.

-      Excuse-moi, mais répondre à la barbarie par la barbarie, c’est ce qui fait que le monde marche sur la tête.

-      Et tu voudrais y répondre comment, toi, à la barbarie ? Avec un bouquet de fleurs ?

-      Est-ce qu’on va s’engueuler, comme les autres ? s’interrogea Charlie.

-      On ne s’engueule pas.

-      Tu sais bien que s’engueuler avec Gazou, c’est impossible.

-      Mais tu as raison, on devrait peut-être parler d’autre chose.

-      Charlie, fais-nous un tour de magie, ça nous remontera le moral.

-      Laisse-moi donc boire cette bière tranquille, je suis en RTT.

-      Allez, tu peux au moins faire apparaître un lapin ! Ou une colombe de la paix, ce serait réconfortant.

-      Jamais en présence de chasseurs ! Je ne tiens pas à ce qu’ils abîment mon matériel. Tu bosses, ce soir, Matt ?

-      Oui, je prends mon service dans une grosse heure. Je vais pas tarder à y aller. Vous faites quoi, vous ?

-      Je dois répéter, j’ai une représentation demain.

-      Heu… j’attends Lumi. On va manger dehors.

Je les vis échanger un regard entendu.

-      Tu te bats pour une cause perdue, vieux, objecta Matt avec un demi-sourire dégoulinant de pitié.

-      Je me bats pour rien du tout : c’est mon amie d’enfance, comme vous l’êtes tous, et ces dernières années, on a rarement eu l’occasion de se parler. Ça me fait plaisir de la voir et de passer une soirée avec elle. J’ai pas l’intention de la demander en mariage !

-      Bien sûr, acquiesça Charlie qui ne semblait pas croire un mot de tout ce que je venais de dire. Et heureusement, parce qu’elle refuserait !

-      Merci, les gars.

-      On veut pas que tu te fasses des illusions, c’est tout, ajouta Matthias. Surtout après tant d’années. Tu sais, ça n’a rien à voir avec toi, je crois pas qu’elle soit capable de tomber amoureuse de quelqu’un.

-      Et tu en sais quelque chose, gloussa Charlie.

-      Bah, disons que chaque fois qu’on couchait ensemble, elle me dévisageait toujours d’une façon étrange, un peu comme si elle comprenait pas ce que je faisais là. C’est la nana la moins romantique que j’aie jamais connue.

-      Et c’est vrai que la sauter dans les WC du bar pendant un match de rugby, c’était furieusement romantique…

A l’époque révolue de notre adolescence, Matt et Lumi avaient eu une brève relation, faite pour l’essentiel d’alcool, de regards en coin et de sexe hâtif qui avait rarement lieu dans un lit. Je n’avais pas éprouvé de rancœur vis-à-vis de Matthias, considérant qu’il était sans doute normal qu’une fille de seize ans puisse être attirée par un garçon de dix-neuf qui avait le sens de l’humour, une moto, un piercing à la langue et portait des Doc Martens en juillet. Au même âge, je rougissais pour rien, l’odeur du houblon suffisait à me rendre malade et ma mère s’obstinait à me choisir des polos à rayures aux couleurs audacieuses, ce qui faisait soupirer mon père en secouant la tête d’un air réprobateur : « - Marianne, tu finiras par en faire un pédé, de ce gamin. Déjà qu’il mange que des fraises et du soja ! »

-      On était jeunes, se justifia Matt. Tu m’en veux encore pour ça, Gazou ?

-      Tu sais bien que non. Ce que je veux dire, c’est que c’est heureux pour elle qu’elle n’ait pas été amoureuse de toi.

-      Tu la défends, c’est mignon. N’importe qui l’aurait détestée, à ta place.

-      Je…

-      Gaspard Montarnal, porte-parole de la cause féminine !

-      Elle n’avait pas de comptes à me rendre, c’est pas comme si on avait été ensemble.

-      Ça n’empêche pas d’avoir les nerfs.

-      C’est pas mon style.

-      Tu dois être le seul type au monde à ignorer qu’il y a pas mal de salopes sur cette Terre. Sur Mars, je ne sais pas, mais ici, leur existence est prouvée ! T’excite pas, je dis pas ça pour Lumi.

Je levai les yeux au ciel : ce genre de controverse me chagrine toujours un peu.

-      « Salope » est un terme générique pour désigner quoi, exactement ?

-      Et c’est reparti… déplora Charlie.

-      Une fille qui ne rentre pas dans les cases Kinder, Küche, Kirche ?

-      De quoi est-ce qu’il parle ?

-      C’est assez sibyllin.

-      « Les Trois K » : Enfant, Cuisine, Eglise.

-      Arrête, je pense être un peu plus ouvert d’esprit que ça !

-      Tu penses ça, vraiment ? Alors qu’est-ce que ça veut dire, « être une salope », pour toi ? C’est une façon de désigner toutes les femmes qui ont une forte libido, ou un certain nombre de partenaires, ce qui, selon vous, devrait être l’apanage des hommes ?

-      Mais pas du tout.

-      Ou c’est juste un qualificatif grossier pour parler de celles qui vous ont fait souffrir, pour des raisons diverses ?

-      Le doute n’est plus permis : c’est le petit-fils caché de Simone Veil !

-      Vous ne pensez pas qu’après des millénaires d’oppression masculine, qui est encore largement tangible aujourd’hui, les femmes ont le droit de mener leur vie sentimentale et sexuelle comme elles l’entendent ?

-      Amen, mon vieux. Avec de genre de raisonnement, t’as pas fini d’en chier ! Et puis ça va, j’habite avec deux filles qui gagnent leur croûte en faisant des lap-dances, dont ma propre sœur, qui est lesbienne, je te rappelle. C’est pas à moi qu’il faut sortir le discours de la libération de la femme, je la vis au quotidien. Mais je reconnais qu’y a des matins où j’ai envie de leur dire : « - Ça va, les filles, vous pouvez mettre un froc, on le sait, que vous êtes décomplexées ! »

-      Arrêtez-moi si je me trompe, intervint Charlie, mais j’ai la sensation d’avoir déjà assisté à cette conversation des centaines de fois…

-      Et c’est le cas, parce que les mentalités n’évoluent pas, à mon grand regret.

Matthias soupira en se grattant la barbe.

-      Gazou, je dis pas que les femmes sont des salopes, de manière générale. Je dis que parmi elles, il y en a, comme il existe beaucoup de mecs qui sont des connards. C’est comme ça.

-      Et naturellement, tu n’as pas l’impression d’en être un.

-      Tout n’est une question de perception, ponctua Charlie.

-      Pourquoi je serais un connard ? Parce que je me tapais Lumi dans les chiottes ? s’esclaffa Matt. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, ça t’est jamais venu à l’esprit qu’elle aimait ça ?

-      Là n’est pas la question, éludai-je plus sèchement que je l’aurais souhaité.

-      Ecoute, faut que t’arrêtes de voir les filles comme de pauvres anges bafoués ! C’est assez réducteur, en fait, et que tu le veuilles ou non, c’est aussi une forme de sexisme.

-      Ce n’est pas du tout ce que je pense. Je crois simplement que si les hommes respectaient davantage les femmes, au lieu de les juger et de les condamner sans arrêt, on serait pas là à polémiquer. Je m’attends à essuyer votre condescendance, mais…

-      « Essuyer votre condescendance », ça claque, putain ! apprécia Matt.

-       D’après le Bouddha…

Ils grimacèrent simultanément.

-      D’après le Bouddha, il existe quatre-vingt-quatre mille chemins qui mènent à la vérité.

-      Hé ben merde, on n’est pas arrivés !

-      C'est-à-dire que ça implique de respecter d’autres chemins que le sien. Autrement dit, taxer de « salope » une femme…

-      Tu peux employer ce mot sans l’attraper avec des guillemets, il va pas te salir, m’interrompit Charlie en pianotant sur le rebord de son verre.

-      Comment ?

-      Oui, ça s’entend, en fait, que tu mets des guillemets.

-      Pour aller au bout de mon propos, taxer une femme de… salope, donc, en se basant sur certains de ses actes, c’est refuser d’accepter qu’elle puisse choisir une autre route que celle que nous aimerions la voir prendre. 

-      On avait compris ton argument. Mais je te ferais remarquer qu’il y a des nanas qui sont capables de faire des trucs monstrueux, et qui n’ont ni empathie, ni remords.

-      Je le sais.

-      Non, mec, t’en sais rien ! répliqua-t-il en levant les mains en signe d’impuissance. Tu ne vois le mal nulle part ! Et pourtant – il désigna le bistrot où les clients s’agitaient encore – tu es bien obligé d’admettre que le mal existe, puisque des enfants se font massacrer, passer à la javel et jeter dans des fossés !

-      Certes, mais permets-moi de douter qu’une femme en soit l’auteur.

-      Là, je suis d’accord. Mais il y a des choses qu’on ne peut pas excuser, qu’on ne peut pas adoucir sous prétexte de tolérance de mes deux ! Tu peux pas toujours arrondir les angles avec de jolies phrases sur la différence de points de vue et le libre-arbitre. Et si certaines femmes commettent des atrocités, c’est pas parce qu’elles étouffent sous le poids des conventions machistes, ou qu’elles vengent leurs ancêtres brimées par les hommes. C’est uniquement parce que ce sont de belles salopes, que tu le veuilles ou non !

-      De quoi vous parlez, ici ? s’enquit Claudia en poussant la porte du bar, Joël et Max à sa suite. Rassurez-moi, ça vole plus haut qu’à l’intérieur ?

-      Oh, fit Charlie avec son sourire le plus malicieux, on est au sommet ! C’est un débat linguistique : les deux académiciens que voilà ne sont pas d’accord sur la définition du mot salope.

-      Vaste sujet ! souligna Joël dont les yeux clairs pétillaient.

-      En effet, ça vole très haut…

Max, un garçon dégingandé d’une vingtaine d’années au visage orné de lunettes de vue à la Truman Capote, lança à la cantonade :

-      C’est qui, la fille, là-bas ? Je la vois souvent passer depuis quelques jours.

Matthias se retourna.

-      C’est Lumi. Elle est revenue au Village la semaine dernière.

Je dus devenir écarlate, parce que Claudia m’adressa un sourire attendri.

Lumi, dans une robe rouge qui ne couvrait que l’essentiel, venait à notre rencontre.

-      Salut, tout le monde, fit-elle avec sa réserve habituelle.

Je fis les présentations.

-      Aaah, c’est donc toi, la sœur jumelle de Mirko ? s’exclama Claudia.

-      J’ai cette chance, oui.

-      Il est adorable, ton frère. Pas vrai, Joël ?

-      Ouais, ça a été le premier à nous inviter à boire un verre, quand on a emménagé, confirma ce dernier. On habite dans la même rue.

-      Ça me surprend pas.

-      Lumi, on a besoin de l’opinion d’une femme pour nous éclairer sur un sujet épineux, commença Matt.

Je me levai précipitamment.

-      Il faut qu’on y aille, on va être en retard.

-      Ils vont au resto, expliqua Matt aux autres. En tête-à-tête.

-      Et ensuite, à l’opéra pour voir Le Lac des Cygnes, renchérit Charlie.

-      J’espère qu’il a pas oublié de prendre les billets pour Venise.

-      Tu me fais penser qu’il faudra que je passe à la bijouterie récupérer les alliances, je suis garçon d’honneur.

-      Ne fais pas attention à eux, intervint Lumi avec une moue contrite.

-      Oh non, ne fais pas attention à nous !

-      Ferme-la, Charlie.

-      Bonne soirée, alors ! nous salua Claudia en battant des cils.

C’est l’instant que choisit mon père pour sortir à son tour sur la terrasse, cigarette au coin des lèvres. Ses yeux se posèrent sur Lumi, puis sur moi, avant de se plisser légèrement comme sous le poids du soupçon. Je ramassai hâtivement les clés de ma Chevrolet sur la table, comme un gamin pris en faute.

-      Tu viens ? Bonne soirée à vous aussi.

-      Ciao, les tourteaux ! lança Charlie, guilleret.

-      On dit tourtereaux, non ? s’étonna Max.

-      Oui, mais c’est trop commun.

Comme je me retournais furtivement, je vis mon père qui nous suivait du regard, ce regard lourd de réprobation qui était devenu, au fil du temps, sa signature éducative.

Durant des années, il avait vu d’un mauvais œil mes sentiments pour Lumi. Il disait qu’elle n’était pas une fille pour moi et qu’elle m’en ferait baver jusqu’à ce que je n’aie plus une goutte de salive – texto, oui – parce que lui, il les connaissait, les gonzesses, et savait à quoi s’en tenir avec ce genre de spécimen. S’il a beaucoup d’estime pour Sonja Saint-Just, qui est « une femme bien » (ce qui, selon sa doctrine personnelle, signifie qu’en plus d’être humble, serviable et honnête, elle n’est ni vénale, ni infidèle), il a toujours eu l’air parfaitement certain qu’elle n’avait guère transmis ses vertus à sa fille. Il est vrai que si j’avais eu le choix, si l’amour était un sentiment suffisamment élastique pour nous autoriser à lui imposer des critères de sélection, je n’aurais jamais eu l’inconscience de choisir Lumi…

En outre, Antoine a pour Marc une très lointaine affection, pour la simple et bonne raison qu’il faut beaucoup de volonté pour parvenir à détester un type aussi sociable, drôle et sensible que le père des jumeaux, affection teintée d’une certaine condescendance, pour ne pas dire d’un réel mépris. D’après mon paternel, un homme qui ne travaille pas jour et nuit pour mettre sa femme et ses enfants à l’abri du besoin est une pédale, un type qui se couche à l’heure où les bonnes gens se lèvent pour aller au turbin est un fumiste, un intermittent du spectacle est un branleur, quelqu’un qui se dit épicurien est juste un défoncé et un fils de bourgeois qui habite un manoir n’a pas intérêt à venir l’emmerder avec son baratin anarchiste, parce que lui, Antoine Montarnal, il paye des impôts pour que ce genre d’énergumène puisse se prendre pour Keith Richards.

Mon père, depuis qu’il est chef d’entreprise, vote à droite, et surnomme Marc Saint-Just, le Châtelain Rouge, eût égard à la sympathie de ce dernier pour les idées marxistes. Et pour ne rien arranger, je n’ai pas souvenir d’avoir jamais vu un CD chez mes parents, ou de les avoir jamais entendus parler de se rendre à un concert. Antoine considère qu’un adulte responsable n’a pas de temps à perdre à écouter des fumeurs de joints chanter (parce que, bien entendu, de son point de vue, on ne peut pas être un artiste sans être également un drogué). Il est probable que Marc, dont les talents musicaux sont incontestables, ainsi que la toxicomanie, doit parfois souffrir du dédain que son art suscite parmi ses potes d’enfance…

Quand j’étais gamin, j’avais consacré un week-end entier à la conception d’une maquette de système solaire. Fier du résultat, j’avais couru jusqu’au café, portant mon œuvre avec précaution, afin de la montrer à mon père qui y buvait son porto dominical. Il avait lorgné la maquette du regard sceptique de celui qui ne comprend pas le concept, et avait fini par m’adresser un sourire crispé.

-      Alors c’est pour faire ça que tu refuses de m’accompagner à la chasse ? Tu sais, fiston, c’est pas en peignant des étoiles que tu vas devenir un homme…

Les autres clients du Lapin Blanc avaient eu un rire un peu gêné devant ma mine déconfite, genre Oh ! le pauvre, il est trop mignon ! réaction que j’ai toujours eu tendance à inspirer, puis tous s’étaient finalement désintéressés de moi afin de poursuivre leurs dialogues de grandes personnes. J’étais resté assis devant mon diabolo-fraise à regarder mes planètes de papier mâché qui m’apparaissaient soudain comme un bidouillage ridicule. Marc s’était alors approché de moi et m’avait ébouriffé tendrement les cheveux.

-      Ne t’en fais pas, Gazou, les choses finiront par s’améliorer.

-      Quand ?

-      Ça, j’en sais rien. Mais tu vois, l’erreur, ce serait de te forcer à devenir quelqu’un d’autre pour faire plaisir à ceux qui ne te comprennent pas. Au contraire : reste toi-même pour tous les gens qui trouveront formidable ce que tu es. Parce que, crois-moi, tu en rencontreras.

Et il avait ajouté, avec ce sourire enjôleur dont avait hérité Mirko :

-      Moi, je la trouve très réussie, ta maquette. D’ailleurs, ça tombe bien parce que je m’en souviens jamais : Jupiter, c’est celle-là, ou celle-là ?

A ce moment-là, il était devenu pour moi le seul adulte qui parlait mon langage, le seul qui ne semblait pas oublier qu’il avait été jeune un jour, celui qui se moquait bien du jugement des autres et qui pensait que rêver était une activité on ne peut plus respectable. Une sorte de Peter Pan qui avait dû quitter le Pays Imaginaire par amour pour Wendy, mais qui avait conservé un cœur innocent et l’ingénue lucidité des enfants. Je pensais que Lumi et Mirko avaient de la chance d’avoir un père aussi tolérant, aussi cool que lui.

Ce n’est que quelques années plus tard, quand j’avais vu Lumi, alors âgée de treize ans, éponger patiemment le vomi de Marc avec le détachement que procure l’habitude, que j’avais compris qu’avoir un père qui fume de l’opium pour calmer les effets de la cocaïne et qui sniffe de la cocaïne pour contrer les effets de l’opium n’est pas aussi cool que ça. Pour autant, je n’avais cessé de l’apprécier et de voir en lui quelque chose de mystérieusement beau et de profondément fragile, comme une fleur étrange qui pousserait inopinément sur une terre ravagée par le feu et la poussière, respectant sa sensibilité créatrice et sa bienveillance.

-      Ton père ne m’aime pas, laissa tomber Lumi en toute simplicité au moment où je m’apprêtais à démarrer mon véhicule.

-      Quoi ?

-      Il s’est toujours méfié de moi, je le sais bien.

-      Ce n’est pas la même chose.

-      Arrête, Gazou. C’est pas grave, je m’en fiche.

Elle souriait sans me regarder. De toute évidence, l’estime limitée que mon père lui portait ne la contrariait pas plus que ça. En fait, je crois qu’elle a toujours nourri une certaine forme de gratitude envers les gens qui ne l’aiment pas, comme si elle ne se trouvait pas digne de l’affection d’autrui. Et comme si, rétrospectivement, ça la dispensait de les aimer en retour. Merci de me détester, tu m’enlèves un poids. L’amour, ça craint. Ce genre de choses.

-      Bien ! On va pas laisser mon père nous gâcher la soirée.

-      Tu m’emmènes où, à propos ?

-      C’est une surprise. Oh, et s’il te plait, ne dis pas que tu détestes les surprises !

-      Ce serait trop cliché.

-      Merci. Je suis presque sûr que ça va te plaire.

-      Y a donc une chance que ça ne me plaise pas.

-      Le risque zéro n’existe pas.

La chaleur était intolérable dans ma vieille carlingue, aussi je la laissai baisser sa vitre à fond. Le vent jouait à égarer ses cheveux bouclés, et elle avait passé son bras à l’extérieur comme pour essayer d’en attraper des lambeaux. Sa robe faisait de son mieux pour ne pas s’envoler, et moi je faisais de mon mieux pour me concentrer sur la route. Je conduisais en m’efforçant de ne pas trop réfléchir au fait que c’était sans doute la première fois que je me retrouvais seul en voiture avec elle. Autrefois, il y avait toujours un ou deux passagers supplémentaires, Mirko, Violaine, Etienne, Simon, Charlie, Vanina, ou qui sais-je encore, pour empêcher une tension confuse de s’installer dans l’habitacle.

Tu es vraiment un abruti d’avoir eu cette idée…

Je ne savais pas ce que j’attendais concrètement de ce face-à-face aux chandelles, et cette ignorance m’apparaissait désormais très nettement. Cette situation pourrait paraître excitante à un esprit intrépide, téméraire, à quelqu’un qui a fait de l’improvisation son mode de vie, un de ces aventuriers qui n’aiment rien de plus que les détours hasardeux de l’existence, carpe diem, qui-vivra-verra, et caetera. Il n’aura probablement échappé à personne que je ne fais pas partie de ceux-là...

Oui, j’aime l’incertitude que nous inflige l’immensité de l’Univers, parce qu’elle est pleine de promesses, pleine de réponses qui n’attendent que de s’offrir à notre connaissance. Nonobstant, le champ des possibles généré par les circonstances de la vie, les interactions sociales, les sentiments qui construisent et abîment les relations, tout ça me paraît bien plus terrifiant et chaotique que le silence intersidéral et tous ses mystères, qui, eux, obéissent à une logique. La logique des Hommes, elle, est imparfaite, et pour quelqu’un d’aussi pragmatique que moi, se jeter à l’aveuglette dans une situation aussi nébuleuse qu’un dîner en tête-à-tête avec Lumi Saint-Just était autant inhabituel qu’affreusement inconséquent.

Avec le temps, j’avais fini par croire que tout ça était derrière moi. Une ou deux filles avaient même réussi à la reléguer au rang des frivoles amours adolescentes, me permettant de construire avec elles des châteaux de cartes qui s’étaient vite effondrés. Il y avait bien eu Sarah, douce, intelligente, idéaliste. Elle travaillait chez un maraîcher, avait pris des cours de violon pour faire plaisir à ses parents et rêvait de faire du bateau. Elle était végétarienne, comme moi, adorait les comédies musicales, chantait tout le temps, riait facilement, m’avait appris la légèreté et la sensation enivrante d’être à sa place avec quelqu’un. Elle m’aimait, et voulait des enfants. Je pensais éprouver la même chose. Ce qui avait été trois ans de bonheur avait pris subitement un goût fade dès l’instant où j’avais aperçu Lumi au mariage d’Athénaïs Van der Brook.

Que faisait-elle là ? Jamais je n’aurais cru qu’elle reviendrait au Village pour ça. D’après ce que j’avais cru comprendre, elle venait de se faire larguer, une fois de plus, et avait dû voir en ces festivités l’occasion de se faire pouponner par sa famille et de prendre une cuite mémorable. Elle était là, délicieuse d’arrogance et de confusion dans sa robe de dentelle bleue lacée sur les reins, ses yeux qui semblaient hésiter entre la méfiance et le ravissement, le chagrin et la joie, déterminée à faire cesser ce bras-de-fer émotionnel à grand renfort de champagne, la tête posée sur l’épaule de Mirko qui lui caressait distraitement les cheveux, et j’avais compris qu’elle était toujours là, au fond de moi. Sarah était faite pour moi, mais j’étais fait pour Lumi. Un combat perdu d’avance, une incohérence métaphysique, un chambardement des atomes. En somme, la blague préférée du destin…

On recherche des tas de trucs chez une âme-sœur, on exige certaines valeurs, certaines caractéristiques, certains goûts et/ou projets en commun, on veut des choses à partager, une même vision de la vie, on a besoin d’un nombre précis pour compléter notre équation afin de parvenir enfin au résultat correct, on cherche le poids exact qui nous donnera notre équilibre, les qualités qu’on n’a pas, on attend qu’on nous tire vers le haut, qu’on nous rende meilleur, un esprit sain dans un corps sain qui s’imbriquerait totalement dans le nôtre, et on s’émerveillerait de la connexion parfaite de cette fusion.

Et pourtant, en dépit de nos exigences, on parvient mystérieusement à s’amouracher d’une fille ou d’un mec qui cristallise exactement tout ce qu’on ne voulait pas ! Nous luttons, généralement, jusqu’à un certain point. Puis on cède, on s’abandonne, et on a l’impression de comprendre enfin ce qu’est la passion, de boire dans la même coupe que Tristan et Iseult, de découvrir l’amour véritable alors qu’on se trouve probablement à ses antipodes, et peu importe que ce soit la deuxième ou la dix-huitième fois que ça nous arrive... Personne ne dit jamais : « J’aime les pervers, j’aime les sadiques, je veux rencontrer quelqu’un de mauvais qui ne m’aimera pas et me fera souffrir mille tourments ». Non, on avoue rarement ses tendances masochistes quand on en a, et quand on en est dépourvu, une telle conception de l’amour nous parait insensée. Dans l’idéal, on recherche tous une personne qui nous rendra heureux, qui correspondra à nos critères, parce qu’avec le temps on finit par savoir ce dont on a besoin, ce qui nous fait du bien, ou au contraire on est parvenu à identifier ce qui nous fait du mal et ne nous correspond pas.

Toutefois, même quand ENFIN nous dénichons la perle rare, il faut rester vigilant, parce que nous sommes bien capables de snober cette adorable créature que nous attendions et avions désespéré de jamais pouvoir rencontrer, pour nous complaire dans les affres d’un amour toxique et bien souvent à sens unique dont nous finissons par apprendre, quelque part, à chérir le supplice. A cette perspective de plénitude conjugale, nous préférons l’attraction vénéneuse de tout ce qui ne nous convient pas, alors même que nous en sommes conscients. La Raison peine à amadouer l’instinctif Désir, et lorsqu’elle y arrive, nous avons un peu le sentiment de renoncer à quelque chose. Nous nous frottons passionnément au rejet que nous inflige l’être aimé comme un gros chat hébété aux mollets de son maître. L’aberration du cœur humain est stupéfiante.   

L’annonce du retour « définitif » de Lumi par ma cousine Violaine avait réveillé en moi un espoir ridicule, dont je mesurais décidément toute l’absurdité tandis que je la regardais monter l’escalier qui menait à La Marmite Suspendue, sorte de grande cabane japonisante en pierre et bois mélangés, nichée à flanc de falaise et pourvue d’une terrasse sur pilotis envahie par la verdure.

-      Waouh, Gazou, c’est démentiel, comme endroit !

-      Ça te plait ?

-      Beaucoup. J’espère qu’on y mange bien.

-      Est-ce que tu crois vraiment que je t’aurais emmenée dans un bouiboui crasseux pour avaler une plâtrée de nouilles réchauffée trois fois ? 

-      Oh non, je sais que tu es un homme de principes.

Elle embrassa le panorama d’un œil fasciné. Le soleil déclinant éclaboussait les Gorges d’une lumière chaude, flamboyante. Pendant un instant, il n’y eut plus que nous deux au dessus des roches immuables qui semblaient soutenir le ciel. 

-      Y a des années que j’étais pas venue par ici. C’est vrai que c’est foutrement beau.

-      Tu vois : tout n’est pas complètement pourri, à la campagne.

La baie vitrée coulissa et un serveur barbu vint à notre rencontre. Il nous installa en terrasse, dans un coin un peu à l’écart des autres tables, dans le but sans doute de nous créer une jolie bulle d’intimité aux reflets romantiques. Ce détail fut pour moi comme une nouvelle gifle de la part de mon bon sens : ah bravo, t’as l’air malin ! Dans cinq minutes, il va vous demander si vous voulez manger dans la même assiette…

Fort heureusement, il n’en fit rien, se contenta de nous présenter une ardoise sur laquelle figuraient les divers plats du jour, de s’enquérir de ce que nous souhaitions boire, puis de s’éclipser à l’intérieur avec ce commentaire jovial :

-      Vous allez avoir un magnifique coucher de soleil, ce soir !

C’est ça, range tes violons, ce sera pas utile…

Lumi leva la tête vers les lampions en papier suspendus à la tonnelle d’où pleuvaient des glycines, considéra la salière en laiton en forme d’éléphant, puis baissa les yeux sur les planches sous nos pieds.

-      On voit le vide à travers.

-      Ça t’embête ? T’as le vertige ? m’inquiétai-je.

-      Non, pas du tout, je trouve ça génial ! Je me sens très loin du Village, très loin de tout. C’est parfait, Gazou.

J’eus l’impression qu’elle faisait tout pour éviter la confrontation de nos regards. Le mien profitait de cette dérobade pour s’égarer dans les détails de son visage, la courbe de ses pommettes, les trois petits grains de beauté alignés près de son œil gauche comme autant de points de suspension, son menton fier, sa bouche qui ressemblait à un cœur aplati par les baisers, toutes ces singularités que le temps avait laissées intactes. Le soleil venait s’écraser en fragments dorés sur son profil, et elle rabattit ses lunettes noires sur ses yeux. Je regrettai de n’en avoir pas apportées.

-      Alors, tu as choisi ?

-      Non, je sais pas trop, tout a l’air délicieux… hésita Lumi en parcourant l’ardoise. Pourquoi tu souris comme ça ?

-      Parce que c’est rare de t’entendre employer un lexique mélioratif aussi riche : « parfait », « génial », « démentiel », « foutrement beau », « délicieux » ...

-      Tu as raison, je me laisse aller ! Les brochettes d’écrevisse à la crème de sésame, ça a l’air immonde, je crois que je ne vais pas prendre ça.

Elle me sourit de son sourire de travers, mi-douceur, mi-cynisme, qui lui creusait une virgule d’un côté. La ponctuation qui modelait ses traits en un livre compliqué à déchiffrer me fascinait toujours autant. 

L’intervention du serveur me fit sursauter.

-      Messieurs-dame, qu’est-ce qui vous ferait envie ?

-      Je vais prendre les brochettes d’écrevisse et la tapenade.

-      Et moi le mescladis de lentilles aux courgettes et les fallafels.

-      C’est parti !

Lumi s’empara de son verre de vin blanc comme d’un précieux calice.

Je n’ai jamais connu de fille dont l’intérêt pour les joies illusoires de l’ivresse rivaliserait avec le sien. Et pourtant, je vous prie de croire que chez nous, l’alcoolisme n’est pas considéré comme une maladie...

-      C’est drôle, je pensais que tu ne tiendrais pas ta promesse.

-      Pour le resto ? C’est dire la valeur que tu accordes à ma parole !

Si ce constat lui faisait de la peine, il n’en paraissait rien.

-      Heu… en fait, j’avais surtout peur que tu changes d’avis. Que ça te mette mal à l’aise.

-      Pourquoi je serais mal à l’aise ? s’étonna-t-elle en tirant une cigarette de son sac.

Tu sais très bien pourquoi.

-      Je sais pas. Tout le monde va nous chambrer. Tu as vu, au bar, tout à l’heure : ils sont plutôt taquins.  

-      Ça m’est égal, qu’ils rigolent. On fait ce qu’on veut.

Les préceptes de Marc Saint-Just avaient apparemment porté leurs fruits.

Elle frottait négligemment sa cigarette contre ses phalanges, comme chaque fois qu’un souvenir remonte en elle. Je m’effrayai de la connaître si bien. 

-      C’est ce qu’on disait de Mirko quand on était mômes.

-      De quoi ?

-      Quand il a essayé de me noyer dans le bain, en maternelle, mon père l’a excusé en disant qu’il était taquin. Ce mot m’a marquée…

-      Il ne voulait sûrement pas te noyer pour de vrai.

-      Non, évidemment. Visionner La Petite Sirène lui avait donné des idées.

Elle recracha un nuage de kérosène. Je toussotai discrètement.

-      En fait, quand Mirko faisait une connerie, on disait qu’il était… « déluré ». Quand il racontait un énorme mytho aux parents, ils ne pouvaient qu’admirer sa « créativité ». S’il manquait de foutre le feu à la maison, c’était parce qu’il était « ingénieux ». S’il répondait à ses profs, ça faisait de lui un ado « impétueux ». Même quand il me piquait mes affaires pour les offrir à ses copines, c’était simplement les excès d’un cœur trop généreux. Et s’il vend de la weed, je suppose que c’est parce qu’il est anticonformiste.

-      Tes parents sont des personnes indulgentes.

-      Ton père dirait qu’ils sont laxistes.

-      C’est très certainement ce qu’il dirait. On pourrait ne pas parler de mon père ?

-      Désolée.

Mirko est l’archétype du fils prodigue. Quoi qu’il fasse, on lui pardonnera toujours tout, et on ne l’en aimera que plus encore. Surtout Lumi. En réalité, je crois qu’elle ne se rendait pas compte qu’elle était intarissable quand il s’agissait de son frère, ni qu’elle était jalouse de devoir le partager avec tout un fan club. C’était à se demander pourquoi elle était partie si loin de lui pendant tout ce temps…

C’est d’ailleurs cette réflexion qui m’échappa.

-      Depuis qu’on est petits, on est un binôme, et il a tendance à prendre toute la place, expliqua-t-elle après avoir avalé une gorgée. J’avais besoin de sentir que j’étais un être humain à part entière, et pas simplement un prolongement de lui.

-      Ça se tient.

Elle fit pensivement tourner son verre dans sa main, comme une œnologue en pleine dégustation, bien que j’aie du mal à croire qu’elle ait un jour été du genre à apprécier un vin pour sa robe ou son cépage.

-      Tu as déjà emmené une fille ici, Gazou ?

-      Non. Je suis venu une fois avec ma mère, pour son anniversaire.

Voilà, maintenant, tu es le mec qui va au resto avec sa maman. Très sexy…

-      Je vois, fit Lumi en souriant légèrement, ce qui était pire que tout. Tu étais bien avec quelqu’un, non ? Y a environ deux ans ?

-      S… Sarah, oui, balbutiai-je, pris au dépourvu. On s’est séparés peu de temps après.

-      Peu de temps après quoi ?

-      Heu… après le mariage. C’est là que tu nous avais vus.

J’exècre le mensonge. Mais il y a des fois où je serais bien avisé de savoir mentir par omission.

-      C’est dommage. Elle avait l’air cool.

-      Tu lui avais parlé ? fis-je avec une note d’angoisse dans la voix.

-      Non. Mais je suppose que pour être avec toi, ça devait être une fille bien.

-      Oh, hé bien oui, elle était formidable.

Mais elle n’était pas toi.

-      Vous étiez tellement… choux, ensemble.

« Choux » ?

De sa part, c’était une insulte qui s’efforçait d’être un compliment.

-      Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je n’aimais pas trop la tournure que prenait cette conversation. J’invoquai mentalement le serveur.

-      Rien de très insolite. Il y a cet instant affreux où tu te réveilles à côté de la personne qui partage ta vie, et où tu réalises que tu aurais mieux dormi si tu avais été seul. Et à partir de là, c’est la dégringolade.

Lumi éclata de rire, s’étouffant avec la bouffée qu’elle venait d’inhaler. Elle but une bonne gorgée de vin, et répliqua :

-      C’est marrant, mais j’ai beaucoup de mal à croire que toi, tu puisses avoir envie de quitter quelqu’un simplement parce qu’il ronfle !

-      J’ai pas dit ça.

-      Oui, je sais, c’est une façon de parler. La passion qui s’use, le désir qui s’estompe, le vernis de l’amour qui commence à s’écailler…

-      Je n’ai rien à t’apprendre sur le sujet.

-      Effectivement, les ruptures, ça me connait ! Mais je suis étonnée que ça ait pu t’arriver. Si je me souviens bien, tu disais que le temps ne détruisait pas les sentiments quand ils étaient sincères, mais qu’au contraire il les renforçait.

-      C’est qu’ils n’étaient peut-être pas si sincères.

Glissant. Beaucoup trop glissant.

-      C’est moche, la vie.

-      Ça dépend.

-      Désolée pour la fumée.

-      Y a pas de mal. Tu comptes arrêter un jour ?

-      Quand le soleil se lèvera à l’ouest et se couchera à l’est.

-      Est-ce que tu viens de citer une réplique de Game of Thrones ?

-      Je me tiens au courant de l’actualité.

-      Moi aussi : est-ce que tu sais qu’en France, environ soixante-treize-mille personnes meurent du tabac chaque année ?

La virgule de son sourire s’approfondit. Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier en émail bleu et blanc, et je suis presque certain qu’elle fit exprès de me souffler sa dernière taffe en plein visage, ce qui me souleva le cœur.

-      Gazou, de même qu’on n’apprend pas à faire l’amour en matant des pornos, on n’apprend pas à draguer en regardant BFM TV. Vu ?

-      Je… je ne te drague pas.

-      Naturellement. Je plaisante.

-      Les fallafels ! annonça le serveur avec fougue, exauçant mes prières.

L’exaltation dont fait preuve le personnel de la restauration m’a toujours intrigué. On n’imagine pas le même enthousiasme chez un comptable, par exemple : « - Ta-daaa ! Voilà vos bulletins de salaire ! »

-      Pour moi, merci.

-      Et voilà les brochettes !

-      Merci beaucoup.

-      Avec plaisir, messieurs-dame ! Bon appétit !

Lumi ôta ses lunettes pour contempler avec un ravissement presque infantile les assiettes à pois remplies de mets joliment agencés.

-      J’ose même pas goûter tellement c’est beau, approuva-t-elle en me décochant un coup d’œil enchanté.

Ocytocine et dopamine pleuraient d’excitation dans mon cortex cérébral. J’avais envie d’évoquer une farandole de sujets avec elle, mais j’ignorais lequel maintiendrait son ravissement à l’apogée, lequel instillerait dans ses prunelles de cobalt cette éclosion de bonheur que j’aimais tant y apercevoir. Mais, supplantant tous les embryons de conversation qui germaient dans mon esprit, une question m’aveuglait, obsédante, inconvenante, que je ne pouvais lui poser : Lumi, si j’avais fait les choses différemment, si j’avais eu plus de cran, si je t’avais tout avoué il y a des années de ça, m’aurais-tu aimé ? Juste un peu ? Juste assez pour me donner la force et les ressources nécessaires pour te rendre heureuse ?

J’aurais dû te le dire, ce jour-là, en cette fin d’après-midi d’été où l’orage nous a surpris, tous les deux, comme seuls au beau milieu du Village désert. Nous nous sommes croisés, alors que je revenais de l’épicerie où ma mère m’avait envoyé faire une course. Toi, je ne sais pas où tu allais, tu avais l’air un peu perdue, comme souvent. Tu avais quinze ans, de l’eau qui ruisselait sur les jambes et tu portais un chemisier rouge orné de marguerites, que l’humidité semblait avoir flétries, et je pouvais distinguer le relief de ton soutien-gorge par transparence. L’orage grondait, féroce, et tout était devenu gris, à l’exception de ton chemisier, bouée de sauvetage dans la tempête. Je t’ai pris par la main, par réflexe, et nous avons couru nous mettre à l’abri. Le rideau de pluie nous giflait, glacé, brutal, et martelait le sol, les toits, les voitures, dans un fracas assourdissant, tandis que tu riais et criais tour à tour. On n’y voyait presque rien, ça sentait le goudron brûlant, le fer rouillé et la merde de brebis. Ta main glissait sous mes doigts, déterminés à la garder. Nous avons fini par enjamber le mur des Levézin et nous avons trébuché dans la boue jusqu’à la remise au fond du champ. Là, on s’est affalés, haletants, trempés et chiffonnés comme sortis du lave-linge. Tu m’as souri, la bouche pleine de perles d’eau translucides qui s’écrasaient dans ton décolleté. Tu as sorti une cigarette humide, tu l’as séchée doucement à la flamme de ton briquet, puis tu t’es mise à la fumer en regardant la pluie tomber, cependant que mon regard effarouché glissait de ton profil à ta poitrine esquissée sous le tissu rouge, puis à tes mollets dorés, ta chevillière scintillante, jusqu’à tes sandales maculées de boue.

-      J’aime bien la pluie, ai-je dit avec toute la banalité de la stratosphère, les neurones paralysés par une onde d’amour irrépressible.

-      La pluie, Gazou, c’est les dieux qui nous pissent dessus.

-      Techniquement, les hydrométéores viennent du sol, et non du ciel. C’est l’évaporation de l’eau déjà présente sur Terre qui se mélange à la masse d’air. Tu sais qu’aucune goutte ne peut mesurer plus de trois millimètres ? Sinon, elle se pulvérise.

-      Tu balaies mes certitudes. Mais moi aussi, j’adore la pluie, surtout pendant l’orage. Théophraste pensait que c’était le choc des nuages contre les montagnes qui la produisait. Est-ce qu’il pleut, ailleurs, dans l’Univers ?

-      Sur Vénus, il pleut de l’acide sulfurique.

-      Oh, dans ce cas, on devrait éviter d’y aller.

-      On pourrait aller sur Neptune, on y a observé des pluies de diamant.

Nous sommes restés là un long moment, enfin je crois, peut être une heure, peut être seulement dix minutes, à disserter sur la science, la mythologie et les croyances populaires, comme les derniers survivants après l’Apocalypse. Je n’ai pas osé te toucher, c’est à peine si j’ai su te regarder dans les yeux. La peur et l’excitation vibraient dans ma gorge, écrasaient mon plexus solaire, chacune cherchant à prendre le dessus sur l’autre.

Enfin, l’orage a continué sa route, laissant derrière lui son odeur capiteuse, plongeant le Village dans un calme sépulcral. Les oiseaux ont recommencé timidement à chanter, la terre gorgée d’eau semblait enfin rassasiée, et le premier rayon de soleil nous a rendu nos couleurs. Le champ des Levézin, tapissé de cheveux d’ange ébouriffés par la pluie, a retrouvé son scintillement discret, et la vie a repris son cours. L’instant décisif s’était évaporé. Peut être que, si j’avais su…

-      Tu manges pas tes fallafels ?

-      Quoi ?

-      Tes fallafels.

Neuf ans plus tard, Lumi mordait dans sa tartine de tapenade en me jetant un regard interrogateur, et pas l’ombre d’un cyclone à l’horizon.

Mon pauvre Gazou, la vie n’a rien d’un roman de Pagnol. Lâche tes souvenirs une bonne fois pour toutes.

-      T’es en train de te demander s’ils valent la peine que tu les prennes en photo pour les balancer sur Instagram ? ironisa-t-elle. Histoire de montrer ton repas à des gens qui n’en ont strictement rien à foutre ?

-      Haha, j’étais certain que tu dédaignerais ce genre de tendance !

-      Il y a de quoi !

-      L’exhibitionnisme culinaire, encore une exquise cruauté enfantée par le vingt-et-unième siècle. Alors que les deux-tiers de la planète ne mangent pas à leur faim…

-      Nous y voilà ! A la Grande Ville, on adore évoquer la famine mondiale au resto. Ça nous culpabilise cinq minutes, on en parle pour se rafraîchir la conscience, on essaye d’avoir l’air concerné, et ça nous permet d’attaquer plus sereinement notre entrecôte-frites.

-      Je reconnais que c’est un peu indécent.

-      Pleurer sur ses privilèges, ça ne manque pas de panache. Beigbeder fabrique des best-sellers comme ça depuis des années.

-      Et la culpabilité envers la créature innocente qui saigne dans votre assiette, vous en faites quoi ?

-      Ah, ça c’est plus laborieux ! Une fois que tu l’as commandée, ta bavette, tu évites de visualiser les vivisections infligées à la bête dans les abattoirs. Cela dit, tu devrais venir avec moi là-bas, j’ai plein de copains vegan.

J’adorerais venir avec toi. Je te suivrais jusqu’au Buffalo Grill.

-      Quand on fait des bouffes, ça part souvent au clash, mais toujours dans une ambiance bonne enfant, façon prosélytisme du haricot vert contre l’indifférence carnivore.

-      Ça ferait un super titre de documentaire.

-      J’en toucherai un mot à Michael Moore. 

-      Tu me fais rire ! m’esclaffai-je en toute franchise.

Elle déguisa la tristesse de son sourire en dérision, mais je ne connaissais que trop bien cet artifice pour ne pas le percer à jour.

-      C’est déjà ça. J’aurai pas tout raté, dans la vie.

Je pourrais continuer longtemps à retranscrire le déroulement de cette soirée avec Lumi, comme un interlude un peu sirupeux à l’étrange et terrible canicule que nous avons connue, mais vous n’êtes sans doute pas ici pour ça. Dans le fond, il n’y a qu’une chose à en retenir : s’il est question d’amour dans cette histoire, nous n’y sommes pour rien.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Keina
Posté le 17/03/2019
J'ai lu ce chapitre en pointillé, un peu vendredi, un peu samedi, et fin aujourd'hui, mais ça ne m'a pas empêché d'être un peu amoureuse de Gazou. C'est le seul jeune à peu près "normal" de ce village (avec Lumi), même si son trip bouddhiste est peut-être un poil poussé.
En tout cas, il fait pitié, à être amoureux comme ça, sans espoir... On n'apprend pas plus de choses sur l'enquête, mais c'est pas très grave.
Et je me demande si tu ne sèmes pas des indices : par exemple, le flash-back de Gazou rencontrant Lumi sous la pluie... je me demande d'où venait Lumi, et si, par exemple (mais là j'extrapole complétement), elle n'aurait pas été elle-même victime d'un viol ? Ce qui pourrait expliquer ses difficultés relationnelles... Bref, vivement que j'en sache plus !
Loulou
Posté le 17/03/2019
C'est vrai que Gazou est un gentleman, je le malmène un peu et je culpabilise ^^
Je n'infirmerai ni ne confirmerai tes hypothèses, chère Keina, mais je vais poster la suite!
Merci encore de ta fidélité à cette fiction! 
Vous lisez