Genèse Carbone

Au milieu du maelstrom des brumes primordiales, flotte l’Eden Fractal. Ce palais titanesque, bâti en équilibre sur la pointe d’une singularité gravitique, est la demeure des quarante-trois Dieux-Métal.

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Les Dieux-Métal avaient été façonnés par le Démiurge-Hydrogène, entité mystérieuse demeurant immobile sur la plus haute terrasse de l’Eden Fractal, le regard perdu dans les tourbillons quantiques du maelstrom. Les Dieux-Métal étaient nés débordants d’énergie et de pugnacité, mais l’esprit empli de doute. Ils étaient impatients, assoiffés de certitudes. 

Alors, pendant un métacycle entier les Dieux-Métal s'affrontèrent en d’épiques combats. Ils espéraient ainsi attirer l’attention du Démiurge-Hydrogène et obtenir des révélations sur la raison d’être de l’univers. Les couloirs aux murs de cristaux radioactifs résonnaient alors de clameurs guerrières et de râles d’agonie. Dès qu’un Dieu-Métal tombait sous les coups d’un adversaire plus habile, il revenait à la vie dans le grand amphithéâtre et repartait aussitôt au combat.

Mais aucun exploit, aucun tumulte, ne parvint à tirer le Démiurge-Hydrogène de sa transe méditative. Vers quoi sa conscience était-elle tournée ? Aucun Dieu-Métal n’aurait su le dire. Il ne pouvaient que constater l’inutilité de leurs luttes puériles. 

Tout cela était vain. Ainsi les combats cessèrent et la lassitude gagna les Dieux-Métal. Pendant un métacycle entier ils se tinrent immobiles, pareils à des statues, cherchant dans les palpitations quantiques de leurs corps métalliques la réponse à leurs questions existentielles. Cet immobilisme absolu ne fut pas plus fructueux que la frénésie guerrière qui les avait animée auparavant.

Enfin une vitalité nouvelle se répandit dans le corps des Dieux-Métal et ils s’animèrent à nouveau. Les couloirs de d’Eden Fractal résonnèrent longuement du grincement strident de ces corps métalliques réapprennant à se mouvoir. Qu’il était loin le souvenir des divinités guerrières aux prouesses fabuleuses. Les Dieux-Métal se traînaient honteusement, gémissant de douleur, pour converger vers le grand amphithéâtre. Il leur fallut moins d’un métacycle pour y être tous réunis, mais pourtant cette simple marche leur sembla durer une éternité.

Enfin les quarante-trois Dieux-Métal se trouvèrent assemblés dans le grand amphithéâtre et pour la première fois de leur existence ils prirent le temps de regarder le dôme qui les surplombait. Dans ces innombrables facettes, ils contemplèrent l’univers figé dans les glaces quantiques. Ils sentirent les rouages invisibles qui les reliaient à cette immensité et le pouvoir créateur à leur portée. Était-ce un don inné jusqu’alors inconnu ? Était-ce un mécanisme dissimulé au cœur de l’Eden Fractal dont ils découvraient enfin le fonctionnement ? Impossible d’en être sûr.

Chrome-Titane et Cuivre-Étain furent les premiers à comprendre. Ils associèrent leurs volontés et mirent en mouvement les mécaniques ineffables de la création. Et voilà que le reflet d’un monde nouveau apparut dans une facette du dôme. Les Dieux-Métal s’émerveillèrent et décidèrent qu’il leur revenait de donner un sens à l’univers en le remplissant de mondes et d’êtres à leur image.

Un métacycle durant, les Dieux-Métal créèrent des mondes et les peuplèrent de créatures à leur image. Mais l’étincelle de vie qui habitait ces êtres de métal vacillait presque immédiatement. Ils s'effondraient sous le poids de leur propre corps avant même que leur esprit ne développe la moindre pensée cohérente. D’innombrables mondes furent ainsi créés, en tentant une infinité de variations métalliques. Mais jamais rien ne perdurait et peu à peu les Dieux-Métal cédèrent au découragement.

Vient un temps où seuls quatre d’entre eux continuaient leurs efforts. Il y avait Chrome-Titane et Cuivre-Étain qui avaient été les premiers et maîtrisaient au mieux les rouages de la création. Il y avait aussi Or-Cobalt, enthousiaste et positif, qui ne désespérait jamais. Le quatrième était Argent-Plomb aux idées subtiles. Les autres Dieux-Métal, eux, erraient dans le grand amphithéâtre en se lamentant sur leurs échecs.

Lorsque leur dernière création commune, sûrement la plus complexe et audacieuse, se fut désagrégée à son tour, dans un déferlement de particules entropiques, les quatre Dieux-Métal connurent à leur tour le découragement. Mais ils ne voulaient pas abandonner. Ils se serrèrent les uns contre les autres, réunissant leurs espoirs meurtris en une étincelle commune, mais chancelante. C’est alors qu’Argent-Plomb s’exprima avec une timidité qui ne lui était pas coutumière. Il exposa à ses compagnons une idée incongrue, qui impliquait de peupler un monde de créatures fabriquées à partir de l’élément carbone.

Chrome-Titane se récria ! Comment espérer bâtir quoique ce soit de durable à partir d’un élément sans une once de conscience, sans une particule de pouvoir ? Mais malgré ses protestations, Chrome-Titane était troublé par cette idée.

Cuivre-Étain ne dit rien, mais tout dans son attitude trahissait l’angoisse. Cette proposition était-elle signe qu’Argent-Plomb sombrait dans la folie ? Et pourtant… pourtant cet assemblage de concepts absurdes lui semblait recéler un espoir. 

Alors que Chrome-Titane dissertait nerveusement sur la fragilité évidente de créatures en base carbone et qu’Argent-Plomb vacillait de malaise, Or-Cobalt leva la main, le visage rayonnant d’un sourire décidé et communicatif. Son attitude mit fin à la logorrhée de Chrome-Titane et régénéra la confiance d’Argent-Plomb. Cette idée était digne d’être essayée, il le savait.

Ainsi les quatre Dieux-Métal s’attelèrent à cette tâche improbable : créer un monde et des êtres en base carbone. À chaque étape du processus, il leur semblait que leur création allait s’effondrer sous leurs yeux. 

Et pourtant dans cet écosystème naissant, chaque composant, aussi fragile soit-il, semblait renforcer les autres. C’était comme si, d’une suraccumulation de faiblesses pouvait naître une force inespérée. Quelques Dieux-Métal désoeuvrés virent le monde carbone prendre forme et s’étonnèrent. Comme fascinés par la certitude d’une catastrophe à venir, ils s'approchèrent du quatuor pour les regarder s’affairer. 

Mais la catastrophe ne venait pas. Bien au contraire, des entités carbones prirent forme et survécurent aux premiers battements de leurs cœurs mous. Elles périrent cependant après un moment, d’une manière irrémédiable, mais entre-temps elles avaient trouvé un moyen étrange et fascinant de se reproduire. De plus en plus de Dieux-Métal s’arrachaient à leur désespoir et levaient les yeux vers le dôme, et le temps que passent dix générations d’êtres carbones, tous les Dieux-Métal s’étaient assemblés et regardaient cette vie anormale se développer. 

Une masse critique fut atteinte et le monde carbone foisonna de vie et d’activité en un rien de temps. Les quatre créateurs firent un pas en arrière. Leurs visages rayonnaient d’émerveillement. Ils n’avaient plus rien à faire, la vie carbone avait trouvé cet improbable point d’équilibre qui lui permettait de prospérer malgré son inhérente fragilité.

Un frisson d’intense émotion traversa les rangs des Dieux-Métal. Tous s’assemblèrent autour d’Argent-Plomb, d’Or-Cobalt, de Chrome-Titane et de Cuivre-Étain pour les féliciter. Ce fut un long instant de communion sincère, chargée de joie.

Puis un Dieu-Métal poussa un cri de surprise et montra le dôme. Pendant le court cycle qu'avaient duré leurs réjouissances, les êtres carbones avaient évolué. Ils disposaient maintenant d’outils, ils bâtissaient, ils réfléchissaient, ils s’organisaient. Un frisson d’émerveillement traversa l’assemblée des Dieux-Métal, car ce monde aux fondations improbables dépassait tous leurs espoirs.

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À ce jour les Dieux-Métal sont toujours assemblés dans le grand amphithéâtre, à contempler l’existence du monde carbone. Et leur fascination face à ce spectacle miraculeux est telle, qu’aucun d’eux n'a vu le sourire apparu sur le visage serein du Démiurge-Hydrogène.