Guérilla

Par Sebours

Le prince Hector dominera la mer annulaire ainsi que toutes les terres, jusqu’aux extrémités du bouclier-monde. Devant lui, les habitants des plaines et des montagnes, des vallées, des forêts et des marais, des côtes et des sous-sols fléchiront le genou !

Extrait du discours de la princesse Epiphone

pour l’élection au poste de Grand Timonier

 

Epiphone ne se remettait pas du décès de sa bonne suivante, Iphigénie. D’ailleurs, toute la confrérie des élémentaires accusait le coup. La discrète dryade laissait un vide immense. Le prince Hector avait perdu sa préceptrice aux conseils si sages. Les marlins avaient perdu leur cheffe aux directives éclairées. La déesse avait perdu sa plus fervente vierge croyante.

En l’honneur de son amie, la Grande Timonière venait de créer une unité spéciale à portant son nom, la section Iphigénie. Ce groupe se constituait de toutes les créatures désabusées et dégoûtées du sens que prenait le bouclier-monde. Diodore, fou de chagrin, de rage et de vengeance depuis la mort de la martyre, commandait la phalange. Satyres, dryades, fées, gnomes, ifrits, sylvains et ondines formaient une troupe hétéroclite destinée à réaliser perpétuellement des opérations de guérilla. Ces acharnés ne vivaient plus à présent que pour se venger des elfes, des nains et des orcs, les trois peuples dominants qui ne savaient rien faire d’autre que semer que massacre et désolation.

Un matin Hector vint sortir sa mère de son lit. Son ami dernier né de Nunn, Ome le contactait avec la boucle d’oreille télépathique qu’il lui avait laissée. Le conflit armé venait de reprendre entre les orcs et les elfes au carrefour des Sept Chemins, dans la passe des montagnes noires. L’allié infiltré sollicitait l’autorisation d’utiliser les trois rokhs qu’on lui avait confié. La princesse d’Anulune la meurtrie ne l’entendait pas de cette oreille et saisit l’artefact.

« C’est hors de question, Ome ! Les peuples périphériques vous ont confié les derniers rokhs vivants pour sauver cette espèce de l’extinction ! Il est hors de question que vous meniez ces oiseaux légendaires à la guerre ! »

« Princesse Epiphone je vous contactais principalement pour vous informer de la reprise des hostilités ! Je sollicitais votre autorisation en qualité de Grande Timonière de la république dryade pour la forme ! Flèche, Voile et Caresse sont mes oiseaux ! Je les ai élevés seul ! Je suis l’unique parent qu’ils aient jamais eut ! Certes, ils ne m’appartiennent pas, mais ils ne sont pas plus votre propriété ! Et ils désirent m’aider. J’ai déjà essayé de leur rendre leur liberté. Ils préfèrent rester avec moi ! Je vous préviens juste que je vais révéler l’existence des rokhs au monde ! Au revoir, princesse ! Saluez Hector pour moi. »

Le rustre avait osé mettre brutalement fin à la conversation en refusant ses injonctions. Epiphone n’en revenait pas. Il l’avait ignoré, elle, la Grande Timonière des sept royaumes dryades !

« Que pouvait-on attendre de plus d’un traître à sa bannière ? Hector, il faut récupérer la boucle d’oreille de Cess-Khal, libérer les rokhs et couper les ponts avec ce dernier né de Nunn ! On ne peut pas lui faire confiance ! »

« Non mère ! Ome est un allié fidèle ! La preuve, il nous prévient de la reprise des hostilités ! Notre seule erreur a été de lui confier les rokhs ! Et encore ! Sans lui, l’espèce aurait disparu ! »

« Tu le défends parce qu’il est devenu ton ami ! Tes sentiments t’aveuglent mon fils ! »

« Non, mère ! Ce sont vos sentiments qui vous aveuglent ! Vous vous focalisez sur les rokhs ! Ome nous averti de la reprise des combats et nous en indique le lieu ! Nous devons utiliser ces informations à bon escient et nous engager également dans ce conflit ! Il faut mener la guerre en terre elfique ! »

« Pardon Hector ! Tu as raison ! Nous allons pouvoir enfin venger Iphigénie et ton père ! Il faut convoquer les shardanes, les marlins et la section Iphigénie ! Envoie également Actéos prévenir nos alliés nains. Tordur doit se trouver sur le nouveau chantier d’Iphigénia ! »

La fierté gonflait le cœur d’Epiphone. Son fils assumait pleinement son statut de Généralissime Elementaria. Il cherchait à mener la guerre pour obtenir la paix, comme elle lui avait enseigné. Jamais il n’oubliait quelle était sa destinée à lui, fils de la rage et du malheur. Sans lui, la princesse meurtrie d’Anulune aurait certainement déjà abandonné son ambitieuse politique belliciste à première vue contradictoire avec les préceptes de la déesse.

Une ferveur communicative transpirait de chacune de des directives et chacun de des actes de Hector. En deux jours les premières troupes étaient déployées au plus près du conflit. Tels des prédateurs silencieux, tapis dans l’ombre, les soldats guettaient à la lisière des forêts, à l’affût du moindre mouvement inconsidéré. L’issue de la bataille leur importait peu. Ils n’avaient pour unique objectif que de tuer les malheureux qui se perdraient dans les bois. Qu’ils soient de la bannière d’Abath-Khal, le dieu de la guerre ou de Batum-Khal, celui de la sagesse et des sciences ne changerait pas leur sort.

Pendant cinq jours, Epiphone, à la tête des shardanes, Hector au commandement des malins et Diodore à la direction de la section Iphigénie nettoyèrent la sylve des rescapées de la cité des Sept Chemins. Sans aucune pitié ils passèrent les elfes fuyards par le fil de leurs katanas. On présenta ensuite les membres des peuples alliés fais prisonniers à Epiphone et Hector. La Grande Timonière leur offrit deux options, mourir ou rallier la bannière de la déesse de la mer, Génoas-Khal. Tous choisirent la deuxième option. Les derniers nés de Nunn notamment accueillirent cette proposition avec ferveur. Lorsque les langues se délièrent, Epiphone apprit que son fils était hautement considéré par les proscrits de Zulla. Tous connaissaient Hector, le prince héritier des peuples dryades et satyres car il était le compagnon de route de Ome, le nouveau tribun de la plèbe. D’ailleurs, depuis son avènement, celui-ci avait donné son nom aux derniers nés de Nunn. A présent, on les désignait sous le nom d’« homme » pour les mâles et de « femme » pour les femelles. Le terme d’« humain » était également utilisé pour caractériser l’espèce. Ainsi, ces humains considéraient les royaumes des peuples élémentaires comme une terre promise où régnait la démocratie, la liberté et le bonheur commun. Grossir les troupes avec ces nouveaux arrivants représentaient une opportunité certaine. Cependant, la Grande Timonière s’interrogeait sur leur fidélité comme sur celle de leur « héros ». Comment se comporteraient-ils sur le champ de bataille. Pour l’instant, en concertation avec son fils et Diodore, ils déportèrent toutes ces créatures fraîchement ralliées dans l’arrière-pays, dans les marais des fées papillons.

Le cinquième jour, les trois rokhs embrasèrent le ciel de leurs souffles enflammés. Leur majestueux vol émerveilla Epiphone. Elle s’était maintes fois imaginé l’apparence de ces oiseaux légendaires à partir des descriptions d’Hector. La beauté des rapaces dépassait en toutes ses espérances. En contemplant leurs attaques coordonnées contre la place tenue par les orcs, la princesse d’Anulune la meurtrie révisa son opinion sur Ome. Le garçon avait raison de mener les rokhs au combat. Ils vengeaient leur espèce en ravageant tout sur leur passage tels des anges de la mort. Après des millénaires à subir les outrages et la pollution des bannières dominantes, mère nature se relevait et inversait enfin les rôles. Les oppresseurs devenaient opprimés.

Après avoir assisté au saccage de la cité des Sept Chemins par les armées de l’Orcania, Epiphone savourait la meurtrière contre-offensive menée par l’empire elfe. Les trois rapaces carbonisaient tous les escadrons harpies ou amphiptères tentant de s’élever dans les airs. Ils orientaient par leurs souffles enflammés les assiégés vers une souricière. Malgré une exécution tactique irréprochable, des proies parvinrent à se glisser entre les mailles du filet. Quelques centaines d’orcs fuirent jusqu’aux bois pour se mettre à couvert. Les troupes des élémentaires les attendaient de pied ferme. Les marlins commandés par Hector transformèrent les gouttes de rosées en fléchettes et transpercèrent les jambes des fuyards. Les shardanes, dirigés par Epiphone constituèrent ensuite des cages avec les flaques formées par les projectiles. La section Iphigénie approcha alors sabre en main et les chiens de guerre de Diodore plantèrent froidement les corps de ces victimes expiatoires, à chaque fois droit au cœur. En retrait, les gnomes de Bivot et les fées de Flamèche et Persuic savourait la revanche des bannières des peuples périphériques depuis trop longtemps opprimées.

Le sang impur des ennemis de la déesse coulait à flot. Chaque monstre exécuté vengeait un peu plus Iphigénie, et Nicéphore et Anulune. Pourtant, Epiphone sentait que cela ne suffisait pas à assouvir sa soif de vendetta. Sa haine ne connaîtrait jamais la satiété. Il lui fallait plus de morts. Il lui en faudrait toujours plus ! Même en obtenant une paix durable, la Grande Timonière continuerait à faire exécuter dès qu’elle en aurait l’occasion ces abjects elfes et ces infâmes orcs.

La princesse révisait cependant pour l’instant quelque peu son jugement sur les répugnants nains. Ils se montraient des alliés intéressants avec lesquels les dryades gagnaient des nouveaux territoires. Actéos, son fidèle messager revenait enfin pour signaler l’arrivée du clan des Marteaux d’Airain à la porte de l’inframonde. Epiphone alla chercher la confrérie des élémentaires. La délégation se porta à la rencontre de Nomrad « la bienfaitrice » pour évoquer la stratégie commune à adopter à présent que la trêve séculaire avait pris fin. L’élaboration du plan de bataille dura toute la nuit. Il n’y eut aucune tractation d’ordre pécuniaire, seul comptait l’affaiblissement des elfes et des orcs.

Bivot et Flamèche mirent deux jours à mener gnomes et fées au Nord-Ouest de la passe des montagnes noires, comme pour couper la retraite des elfes. Comment ces êtres chétifs pouvaient-ils résister à la bannière de Batum-Khal ? Ils formèrent une ligne et se prirent tous par la main. Derrières eux, les fées voletaient, sortes d’anges protecteurs scrutant sur l’horizon les potentielles menaces extérieures. Dans le même temps, satyres et dryades quadrillaient les forêts léchant les pentes abruptes montant vers les villages orcs. La Grande Timonière s’inquiéta de la stratégie décidée par son fils, le prince Hector. « Mon fils, que se passera-t-il si les pégases emmènent des elfes par-delà notre blocus ? » « Cela n’arrivera pas, mère ! Les pégases, les licorne et même une partie des centaures nous sont acquis ! » Epiphone mena alors ses shardanes à l’entrée de l’inframonde, au pied du monolithe fendu, à la rencontre de Nomrad. Tout était en place pour passer à l’action.

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