Naissance d’une nation

Par Sebours

Sarvalur, le mythique premier souverain elfe croyait en la méritocratie. Ainsi, pour récompenser les soldats qui s’étaient illustrés sur le champ de bataille, il leur octroyait des titres honorifiques liés à des terres. Malheureusement, sous le règne du roi Kealar, plus aucune terre n’était disponible. Alors, l’accès à la première caste des nobles devint plus exceptionnel. A présent, rares sont les héros de guerre parvenant à accéder à la caste des gens du sang. L’action menée sur le champ de bataille se doit d’être remarquable. De plus, un membre de la noblesse doit accepter de céder une parcelle de ses terres, comme lorsque ceux-ci rétrocèdent un fief à leurs descendants pour leur assurer un titre.

Origines de la première caste elfe

Encyclopedia gnomnica

 

Ugmar ne savait pas comment accueillir le nouveau coup d’éclat de Ome, son ancien protégé. Le tribun de la plèbe rentrait dans les rues dévastées de Sept Chemins en triomphateur à la tête de ses légions humaines et escorté par sa garde prétorienne. Le général Ull suivi de sa cavalerie elfe dépassa le grand cortège sans même leur jeter un regard. La plupart des membres de la cour s’empourpraient de colère devant l’outrecuidance des derniers nés de Nunn. Le jovial roi Roll, du haut de sa bonhommie légendaire, appuyée sur Infinity, la lance magique de Sarvalur, semblait le seul que cette humiliation des proscrits n’atteignait pas. Le fougueux jeune homme se présenta enfin devant la cour et effectua une flamboyante révérence au souverain des elfes sans poser un seul genou à terre.

« Diantre ! C’est un scandale ! » s’esclaffa Otto, le maire du palais.

« Père ! Vous ne pouvez tolérer que le tribun de la plèbe se pavane ainsi ! Depuis quand un dernier né de Nunn aurait-il droit à un tel honneur ? »

Le prince héritier Sirius ne décolérait pas à la vue de son rival triomphant. Le général Ull accompagné de sa cavalerie encadra immédiatement Ome. Sans mettre pied à terre, il proféra un ultimatum rageur.

« De quel droit oses-tu te présenter ainsi devant ton roi ! A genoux, chien de dernier né ! Sinon, je te fais piétiner par ma cavalerie ! » somma le chef de la troisième caste des gens d’armes.

« C’est le conseil de guerre qu’il mérite pour un tel acte ! » renchérit Sirius.

Les légionnaires, massés derrière Ome, serrèrent les rangs dans une attitude de défi. Tous étaient prêts à en découdre.

« C’est à lui seul que nous devons cette écrasante victoire, général ! Nous ne voyons pas en quoi cette manifestation de joie constituerait un quelconque outrage ! Il est simplement grisé par le parfum de ses premières victoires ! Tu comprendras, mon fils lorsque toi aussi tu triompheras sur le champ de bataille ! »

Par ses dires, le roi Roll confirmait la première impression d’Ugmar. Le souverain ne s’offusquait pas de l’attitude de Ome. C’était tout à fait normal venant d’un dirigeant au demeurant conciliant, compréhensif, généreux ; ce qui signifiait pour le baron un être naïf, niais et manipulable. Le chef de la première caste but une rasade de sa fiole de bromure pour contenir un accès de rage qui montait en lui. Encore une fois, le tribun de la plèbe qu’il avait mis en place bousculait l’ordre établi par lui-même. Le grand chambellan devait de toute urgence reprendre la main sur une situation qu’il sentait lui échapper.

« Père ! Seuls les pairs de la nation ne pose pas genoux devant nous ! Comment pouvez-vous accepter cela ? »

« Prince Sirius, je suis tribun de la plèbe, je siège au conseil du roi et grâce à la victoire que je viens de remporter, je devrais obtenir un titre comme le veux la tradition. »

Ainsi, c’était donc cela ! Le petit Ome ne comptait pas se satisfaire de sa condition. Il aspirait à devenir l’égal des elfes. Il voulait un titre ! Le grand baron savait pertinemment que le roi Roll vouait une reconnaissance sans borne à Ome pour avoir sauvé Sirius, son fils unique. S’il voulait un titre, se serait de haute lutte. Et s’il l’obtenait, ce serait sans oublier toutes les responsabilités qui vont avec, mais il regretterait de l’avoir obtenu ! Un plan germait dans son esprit machiavélique.

« Je trouve que tu vas vite en besogne, mon garçon ! » tempéra donc le grand chambellan sur un ton paternaliste. « C’est le roi qui décide si une victoire est méritante et c’est son conseil qui octroie les titres. Encore faut-il qu’un membre de la première caste daigne proposer un fief. »

« Si ces chiens de légionnaires humains ne s’étaient pas mutinés, ce sont des généraux elfes qui se seraient illustrés ces derniers jours ! Tu as tout manigancé, sale dernier né ! » fulmina le général Ull.

« Le général Ull a raison, père ! Ome m’a encore volé un triomphe ! Comme lors de la grande chasse à cour ! C’est moi qui aurais dû tuer l’amuruq ! Et c’est moi qui aurais dû rentrer en vainqueur dans la cité des Sept Chemins ! »

« Les légionnaires se sont mutinés parce qu’ils savaient que vous les mèneriez à l’abattoir ! Je n’ai rien volé à personne ! Vous êtes venus vous-même me chercher pour diriger les légions, général ! Quant à l’amuruq, Sirius, je doute que quiconque, elfe ou homme puisse en venir à bout tout seul ! Nous avons juste de la chance d’être tous encore en vie ! Nunn soit louer ! »

L’attaque de Ull était prévisible. Par contre, celle de Sirius compliquait les choses. S’il voulait marier sa fille Victoire au prince, le grand chambellan ne pouvait se permettre de le braquer.

« Sur ce dernier point, Prince Sirius, je ne peux que me ranger à l’avis du tribun de la plèbe. Ome a juste intercédé dans la traque implacable de l’amuruq. Il l’a suffisamment perturbé pour permettre la venue de renforts qui l’on fait fuir. Son intervention providentielle à sauver ma fille Victoire ainsi que vous-même, prince héritier de la couronne d’une mort certaine ! … Par contre, concernant les victoires de ces derniers jours et surtout les velléités de titres de notre bon tribun, je souhaiterais que nous y réfléchissions tous ensemble. Comme je l’ai déjà rappelé, c’est le roi qui décide si une victoire est méritante et c’est son conseil qui octroie les terres accompagnant les titres ! »

« Nous vous savons gré, Grand Chambellan, d’ainsi réaffirmer la loi ! » Alors que le prince Sirius tentait de couper la parole à son père, le souverain pointa sur lui sa lance, Infinity pour l’arrêter. Puis le roi poursuivit. « L’empire doit être reconnaissant envers un sujet qui a été capable à la fois de sauver l’héritier du trône et de préserver un nombre incalculable de vies au cours d’une bataille qui aurait pu être longue et sanglante ! C’est pourquoi nous affirmons que nous, Roll, roi des elfes et empereur de Batumia, reconnaissons les hauts faits réalisés par le tribun de la plèbe Ome lors de la bataille de la passe des montagnes noires comme dignes de prétendre à l’obtention d’un titre noblier ! Tribun de la plèbe, nous vous faisons chevalier ! Chers membres du conseil, nous comptons à présent sur vous pour dénicher un lopin de terre  »

La première étape était franchie conformément aux prévisions de Ugmar. Cet imbécile de roi Roll n’était que par trop prévisible ! S’il avait lui-même été à la place du souverain, jamais il n’aurait permis la moindre perversion de la première caste par du sang impur ! La situation s’avérait d’autant plus dramatique qu’il ne s’agissait pas d’un elfe, mais d’un homme qui venait souiller les gens du sang ! Même Paigaze qui fut le premier cheval ailé à s’illustrer en menant le mythique roi elfe Sarvalur de victoires en triomphes n’avait pas reçu cet honneur. Et à présent, le roi Roll octroyait le titre de chevalier à Ome, le membre de la dixième caste des proscrits, l’assassin que la ligue des ombres surnommait le loup solitaire, le garçonnet que Ugmar lui-même était allé chercher dans les bas-fonds de Panamantra. La soudaine intervention de l’empereur de Batumia laissait l’assistance coite, sans arguments. Le baron ne pouvait pas accepter sans lutter.

« Mon roi ! Attribuer ainsi un titre n’est pas sans conséquence ! Comment Ome pourrait-il rester tribun de la plèbe et représenter les proscrits et les peuples alliés s’il intègre la première caste ? »

« Je ne sais déjà plus à quelle caste j’appartiens, Grand Chambellan. Je suis issu de la dixième caste des proscrits, mon métier de maître fauconnier me rattache à la cinquième caste des fonctionnaires tandis que mon statut de chef de la garde prétorienne, et à présent des légions humaines m’assigne à la troisième caste des militaires. Proscrit, fonctionnaire, militaire ou noble, je resterai un homme avant tout et remplirai ma charge de tribun de la plèbe avec la même droiture ! »

« Nous pensons de la même manière que le tribun de la plèbe, mon cher grand chambellan ! En quoi un titre obscurerait-il son jugement ? A présent, occupez-vous de lui trouver un fief au lieu de palabrer. »

« Mon roi, je ne vois aucun membre de la première caste disposer à céder une parcelle de ses terres ! »

« Cédez-nous donc Sept Chemins et ses forteresses ! Tout est à repeupler et à reconstruire ici ! » proposa effrontément le grand vainqueur du jour.

Ugmar perçut une flamme dans le regard orgueilleux du jeune tribun de la plèbe. Il termina sa fiole de bromure pour ne pas se ruer sur lui et lui montrer qui était le maître du jeu. Il parvint à se calmer et à analyser froidement la situation. En tant que grand chambellan, le baron possédait les territoires des marches de l’empire dont la passe des montagnes noires faisaient partie. Il pouvait bien se permettre de céder cette cité dévastée ressemblant plus à un champ de ruines qu’à une ville. S’il conservait les tours de péage, Ugmar pouvait même potentiellement s’enrichir grâce au dynamisme que les hommes risquaient d’insuffler aux Sept Chemins.

« Je veux bien consentir à te rétrocéder la cité des Sept Chemins, mon garçon. Comme tu l’as dit, tout est à reconstruire. Par contre, je conserve toute la ceinture de forteresses. Elles sont toujours debout, solides et en bon, en pierre de taille ! »

« Non, Sir Ugmar ! Je veux la cité et les forteresses ! Les hommes ont besoin d’infrastructures militaires pour protéger la ville, ne serait-ce que pour le temps de la reconstruction ! »

« Il en est hors de question ! » tempêta le grand chambellan sous le coup d’un nouvel accès de colère. « La terre appartient aux elfes de la première caste ! Tu prends ce qu’on te donne, Ome ! »

« Dans ce cas, vous ne pourrez pas occuper à nouveau vos forteresses ! Elles sont perdues ! Les hommes sont les seules à connaître l’antidote à utiliser pour rendre les puits à nouveau potables ! »

« Trahison ! Cette fois c’est le conseil de guerre ! » rugit le général Ull.

Ugmar perçut que le prince Sirius jubilait à l’idée de voir Ome exécuté. A vrai dire, il n’était pas loin de penser la même chose. Cependant, en animal politique calculateur, il présentait que la cour martiale ne constituait pas la bonne solution. Condamner et tuer un tribun de la plèbe à l’instant où il devenait un héros pour le peuple, cela risquait d’embraser la vindicte populaire et générer une révolte, voir pire, une révolution ! Pourtant le baron brûlait de planter lui-même un poignard dans le cœur de l’impudent dernier né de Nunn. Sans lui, ce maudit garçon continuerait à se rouler dans la fange crasseuse des quartiers des proscrits ! Ome n’avait donc aucune reconnaissance, aucun respect pour son bienfaiteur ? Comme Octavia, le tribun de la plèbe se retournait cotre la main qui l’avait nourri.

Ugmar contint une nouvelle bouffée de rage. L’émancipation n’était qu’un grain de sable insignifiant bien qu’irritant dans sa botte. Le grand chambellan ne devait pas perdre de vue qu’après des siècles de manigances et de jeux d’influences, il touchait bientôt au but. Il se trouvait au pied du trône. Son plan était parfait. Il avait passé des siècles à l’élaborer. A présent que sa toile était tissée, il ne devait pas laisser sa rancœur le détourner de son objectif.

« Bien ! Vous ne me laissez pas le choix, tribun ! Je suis prêt à vous céder l’entièreté de la passe des montagnes noires, mais j’y pose mes conditions. Sept Chemins doit être une zone franche. Il est hors de question que vous taxiez l’approvisionnement de la baie d’Anulune ! De plus, la défense du corridor sera entièrement à votre charge ! Le général Ull et sa troisième caste n’apporteront aucun soutien militaire ou logistique en cas d’attaque de l’Orcania ! »

« Grand chambellan,Ugmar, vous pouvez demander à votre secrétaire Louvois de rédiger l’acte de cession de votre fief ! » déclara Ome avec un sourire carnassier sous le murmure de désapprobation de la cour du roi.

Comme d’habitude, le grand baron s’adaptait aux circonstances. La passe des montagnes noires se trouvait au point de jonction entre l’empire elfe, le croissant orc, les peuples élémentaires et une des sept entrées principales de l’inframonde. La difficulté à tenir ce territoire dépassait l’entendement. La tâche s’avérait coûteuse tant en soldats qu’en or. Les hommes voulaient ce territoire, eh bien il leur cédait avec toutes les contraintes afférentes. La défense de la cité des Sept Chemins jugulerait un peu la croissance démographique galopante des derniers nés de Nunn. Quant à Ome, il en ferait son affaire. Il savait déjà comment se venger de l’outrecuidant garçon. Lorsque le conseil du roi fut clos, Ugmar se précipita se mettre à l’écart et envoya un message avec l’un de ses pigeons secrets.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez