Haute-Savoie Tonight (Chap. 4) : Le fantôme de La Yaute

Par Cyrmot

 

« Franchement, c'est un fou lui monsieur, commença Saïda après un silence.

— Ouais c'est vrai monsieur, il vous fait pas flipper vous ? Continua Michaël à côté d'elle.

— On l'aura encore demain pour la randonnée monsieur ?

Les voix surgirent alors d'un peu partout dans la salle.

— Moi je skie plus avec lui, je veux pas finir ligotée dans une grotte ou je sais pas où.

— Si ça se trouve il a déjà tué des gens. Ça arrive ça dans les petits bleds.

— Ouais comme l'histoire du sadique du quartier de la gare, qu'a mangé sa famille et tout.

— N'importe quoi toi, c'est pas vrai cette histoire.

— Tu paries combien ? Même qu'ils ont retrouvé les vêtements sur les rails, après les trains ils étaient bloqués et …

Un bruit sourd stoppa net tout le monde.

— Bon les enfants, ça suffit !

M. Lardeau venait de taper énergiquement dans ses mains en surgissant depuis le fond de la salle à grands pas. On le vit passer tous étonnés, on l'avait presque oublié. Après quelques mots échangés devant avec la casquette à fourrure, il se retourna.

— Alors...  Finalement ça sera Monsieur Saillard qui vous lira le conte, d'accord ? Alors on reste assis, on refait le silence..  Monsieur Saillard je vous laisse continuer. Et on écoute !

Puis il sortit directement de la pièce sans qu’on sache pourquoi, peut-être partait-il rattraper le vieux, parti tout casser là-haut ou cramer des télécabines.

On attendit les bras croisés, Kontye Dla Yaute A Piouler Dyin Veye c'était inscrit en doré sur la couverture du livre, on voyait une petite tête de vieille qui souriait encadrée en dessous. Saillard s'éclaircit plusieurs fois la gorge, puis posa des yeux vides sur nous.

Erwan leva la main. 

— On aura une interro dessus Monsieur ? 

— Mais non ça se peut pas, on a pas nos cahiers pour noter

— Et alors, la dernière fois on a bien eu un contrôle sur les arbres avec M. Lardeau après la sortie en forêt, souffla une autre voix derrière.

— N'importe quoi c'était pas un contrôle fallait juste imaginer une histoire

— Ouais mais il les a pas rendues, si ça se trouve c'est pour les noter

— Mais non qu'est-ce tu crois il les a jetées

— Ou alors il les a envoyées à nos parents on est même pas au courant

— Oh non moi je me fais tuer en rentrant s'il a fait ça, j'ai dit que mon p ère il se perdait toujours en forêt 

— Monsieur, on peut aller chercher nos cahiers s'il vous plaît ?

— Hein ?

Saillard restait planté devant le bouquin, sous la poudre et sa cape à branches, on aurait dit un petit arbre perdu en pleine neige.

— Pourquoi vous lisez pas monsieur ? On fait plus le conte ?

— Hein ? Si si... Euh...

— Moi je sais, je peux vous la faire l'histoire, tonna finalement Graillet au premier rang. C'est la Dame blanche ce truc, je connais ça par cœur monsieur. Ma grand-mère elle me l'a raconté je sais pas combien de fois.

— Genre tu vas lire dans sa langue de berger le coupa Bruno, pas très enthousiaste.

— Mais non ça sert que pour les formules magiques ce truc.

— Monsieur on n'a qu'à mettre Tron franchement il jette ce film, lança Jamel derrière.

— Mais non Never Ending story, ça ça jette, qu'est-ce tu racontes toi avec ton film de Pac-Man, grogna Antonio à côté de moi.

— Ou on fait un tournoi de Puissance 4 fit Samir à côté, on fait le gagnant reste, je vous prends tous moi.

— Ouais bon en tout cas on fait autre chose monsieur, ça sera mieux que son histoire de dame de trèfle je sais pas quoi.

— Dame du Val de Fier, c'est le coin qui s'appelle comme ça, fit Graillet très sérieusement. Après c'est sûr c'est pas une histoire pour les gamins.

— Pourquoi elle finit à poil ta meuf ?

— Bruno, ça suffit !

— Non, parce que il y en a que ça fait flipper, continua Graillet sans se démonter. Est-ce que t'as déjà entendu parler de sorcières?

Tout le monde se tût quelques instants, les yeux posés sur Graillet, qui paraissait ravi. Il avait prononcé sorcières comme s'il venait de mourir ou qu'il avait avalé une grotte.

— Quoi de sorcière, reprit Bruno, comme dans Blanche-Neige ou Miss Tick avec Picsou?

— Mais y'a pas que ça, s'exclama Saïda, qu'est-ce tu parles du Journal de Mickey toi !

— Y 'a Wanda dans X-men aussi, la sorcière rouge, ajouta Samir, elle est balèze elle, mais bon c'est une folle aussi. En tout cas laisse tomber les pouvoirs.

— Je vous parle d'une vraie sorcière moi, répondit Graillet avec agacement, pas de dessins animés, putain vous pigez rien vous !

— Quoi on piges rien, c'est toi qui nous saoule avec ton histoire de balai et de marmite.

— Mais laisse le parler toi aussi ! C'est fatigant au bout d'un moment !

On regarda tous Stéphanie Lemaître avec stupéfaction. On aurait dit une figurine qui se détraquait. Bruno la dévisagea quelques instants, bouche ouverte et sourcils arrondis. Elle le lorgnait sévèrement, les poings serrées posés sur sa jupe en velours, le front plissé sous une frange et un serre-tête impeccables. Ça devait être la mieux sapée de la veillée.

— Oui elle a raison, approuva Saïda, après un long murmure au dessus des crânes. Alors vas-y accouche toi, c'est quoi cette histoire ça date de quand ?

Graillet s'était déjà complètement retourné, un genou plié sur la chaise et les deux mains sur le rebord du dossier.

— En fait ça date du Moyen-âge, en fait avant y'avait la Peste partout en France. Vous savez ce que c'est la Peste ? Eh ben c'est un truc, tout le monde était malade, même les enfants ils tombaient comme des mouches, les gens c'était comme dans le clip Thriller, que des zombies, tout gris et vert avec du sang dans les yeux, et des cloques sur les bras, t'en avais plein dans les campagnes, à la montagne et tout.

— Mon frère il m'a dit que les zombies ça existait qu'aux Etats-Unis, lança Samir. Peut-être en Australie aussi mais c'est pas sûr.

Graillet poursuivit sans l’écouter.

— Et dans un village pas loin d'ici, poursuivit Graillet sans l'écouter, il y avait une femme qui s'était retrouvée toute seule après la mort de sa mère par la Peste. Alors elle s'était réfugiée dans une grotte.

— Moi je me serais caché dans un Leclerc, direct. Enfin un truc comme ça de l'époque. Après t'as à manger et tu peux te cacher, tranquille.

— Moi j'irais au Mammouth d'Epinay, y'a une console Atari tu peux jouer tout le temps.

— Ouais mais en douze cent tu fais quoi, tu joues aux quilles ? Elle est bidon ton idée.

— Quoi elle est bidon, et toi alors avec ton rayon légumes à Leclerc, qu'est-ce tu vas faire

— Chuuuttt !!! Fit Stéphanie Lemaître en se retournant, le doigt sur la bouche.

— Donc elle est restée dans sa grotte, et on l'a plus revue dans le village, même quand la peste s'est arrêtée. Et puis un jour on a raconté un truc étrange. Y'avait plein de gens qui s'étaient fait agresser sur la route du Val de fier, on leur avait pris tout leur argent et tout, et chaque fois par une femme, toute seule. Alors t'as des gens ils se sont mis à plein pour aller la trouver, mais à chaque fois soit ils se faisaient dépouiller et ils revenaient tous tremblants, ou alors on les revoyait plus... C'est là on a commencé à dire qu'elle avait des dons de sorcière, et qu'il fallait faire gaffe sur la route. Il y en a aussi qui disaient qu'ils l'avaient vu sortir d'une grotte pas loin, et que des fois ils avaient vu que ça brillait comme de l'or à l'intérieur.

— Ben voilà comme Picsou avec son coffre-fort ! Moi j'y serais allé à la dynamite direct

— Mais c'est une sorcière on t'a dit, t'écoutes pas ou quoi ?

— En plus y avait pas de dynamite à l'époque qu'est-ce tu crois ?

— Eh ben je sais pas moi, à la catapulte, tu détruis tout, tu ramasses la thune et après hop sur un hamac à Tahiti, tranquille cigare et tout.

— Moi je rachète tous les Auchan, fit tout à coup Samir, après tu fais ce que tu veux quand tu rentres dedans, même les surveillants ils te laissent rentrer à quinze

— Ah ouais ça donne ça, après on peut ramener ce qu'on veut chez nous

— Mais non qu'est-ce tu racontes, c'est Auchan chez toi, tu vis plus à la cité

— Quoi ? Mais j'habite pas dans un sup...

— CHUUTTTTT!!

— Alors un jour y a un groupe de bandits qui est allé la voir pour la buter, reprit Graillet sans se soucier de Stéphanie Lemaître, qui venait de se lever puis de se rasseoir les poings serrés. Mais on n'a jamais su s'ils l'avaient tué ou même s'ils avaient trouvé le trésor, parce qu'on les a jamais revus. Et elle aussi elle avait disparu.

Graillet fit une pause, puis inpira profondément en baissant les yeux. On se regarda quelques secondes avec Erwan.

 

— Oh la la....Mais elle est pourrie ton histoire... Commença Antonio.

— Ou alors tu racontes trop mal je sais pas, ajouta Jamel. Venez Monsieur on a encore le temps pour un film.

On regarda tous Saillard, qui apparemment avait suivi le récit le dos voûté sur son bouquin, le doigt glissant sur les phrases en patois comme sur un chemin embourbé.

— ... Euh, eh bien il doit commencer à être tard non, marmonna-t-il sans lever la tête.

— Ben oui c'est normal qu'il soit tard, le coupa Bruno, ça a prit trois heures pour une histoire de chourave dans une caverne.

— Monsieur, quand même on aura le droit de jouer un peu dans les chambres ?

— Hmmmm

— T'as ton Touché-Coulé Merlot, s'enquit Samir en se penchant vers moi. Faut qu'on fasse une partie. J'ai une nouvelle technique, tu pourras rien faire.

— On pourrait faire des mimes sinon Monsieur, intervint Latifah au milieu des premiers bruits de chaises, ça peut être marrant

— Vas-y mais le truc de maison de retraite, n'importe quoi. On va faire du rotin aussi ?

— Mais ferme ta bouche toi avec tes Mickey-parade

— Monsieur vous avez vu comment elle me parle ?

— Je te parle comme j'ai envie, t'y connais rien aux veillées

— Et toi t'y connais quoi avec tes idées de grand-mère

— Bon Monsieur on fait quoi ?

— Mais arrêtez, mais j'ai pas fini !!!

On se tourna tous interloqués vers Graillet.

— Quoi t'as pas fini ? Elle est dead ta meuf c'est bon on a compris.

Oui mais justement. C'est là que ça commence.

— Ah ben voilà ! S'exclama Saillard tout à coup en se redressant. Je me disais bien, ça me paraissait plus long.

— Oh non... Soupira Erwan à côté, alors que d'ici je voyais le dos de Stéphanie Lemaître se recaler gaiement.

— Bon c'est quoi alors accouche, grogna Bruno sans conviction.

— Eh ben c'est à partir de ce moment...Alors que la peste était finie... C'est à partir de ce moment qu'on a commencé à parler de choses... bizarres ... dans la région.

Il avait repris sa voix de brontosaure pour continuer.

— La grotte on l'avait découverte, mais elle était vide, alors on l'a bouchée. Et puis le village s’est mis a grandir aussi, on a même construit des maisons tout autour et même une bergerie juste au-dessus de la grotte. Et puis après on a commencé à parler d'une silhouette blanche... Une silhouette qui errait sur le bord de la route... Ou qu'on voyait sauter sur des rochers en poussant des cris... Des cris horribles....Et les rochers s'écroulaient chaque fois...

Graillet prenait son temps, il n'y avait plus un bruit dans la salle.

— ... C'était le soir qu'elle apparaissait surtout... Et tous ceux qu'ils l'avaient croisée disaient la même chose, enfin quand ils arrivaient à parler... Parce qu'il y en avait aussi qui pouvaient rester muets pendant des jours, et qui ne dormaient plus, avant de raconter eux aussi ce qu'ils avaient vu : le fantôme d'une femme qui les avait regardé longtemps sans bouger, avec des yeux tous noirs, puis qui disparaissait en criant.

Il marqua une pause.

— Alors... Alors certains disaient qu'elle attendait les bandits pour se venger et récupérer son or, reprit-il toujours absorbé. D'autres disaient qu'elle cherchait à retourner dans sa grotte sans la retrouver. D'autres enfin disaient que comme c'était une sorcière, alors elle cherchait juste un nouveau corps .... un nouveau corps à habiter.

Il se tût à nouveau.

— Bon et c'était pour quoi alors, demanda Bruno.

— Pourquoi quoi ?

— Ben pourquoi y'avait un fantôme qui traînait sur les routes. Elle cherchait quoi la miss.

— On l'a jamais vraiment su. Et aujourd'hui encore on sait toujours pas ce qu'elle cherche.

— Quoi?... Mais il existe toujours ton fantôme là ?

— Ben oui, c'est un fantôme la Dame Blanche. Un fantôme ça meurt pas.

— Bah alors pourquoi personne n'en parle, à la télé ou je sais pas aux infos à la radio

— Ouais c'est vrai, reprit Samir, la dernière fois j'ai vu une émission spéciale-fantômes à la télé, y'en avait même un à Dallas il avait menacé d'avaler la Terre si on lui donnait pas cent millions de dollars, mais ils ont pas parlé de ta dame blanche là.

— Moi j'aimerais bien voir la bergerie quand même, ajouta Jamel. Ça doit faire flipper, comme dans Amityville.

— Monsieur on pourrait pas visiter la bergerie demain, plutôt que de faire du ski de fond ?

Je me rappelai à ce moment le couple de vieux devant la carte que leur avait montré le responsable du Chalet. Si ça se trouve il leur avait indiqué l'endroit, ils avaient trop de la chance, alors que nous on allait encore se taper des bosses et des sapins.

— C'est pas la peine d'aller la visiter, toutes façons c'est plus une bergerie.

— Ah bon, ben c'est quoi alors, une fromagerie pour changer ?

— Non c'est un chalet aujourd'hui.

— Un chalet ?

— Oui, un grand chalet. Et on est dedans.

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