Haute-Savoie Tonight (Chap. 7) : Visite

Par Cyrmot

 

Un halo blanc remuait dehors derrière la buée des fenêtres, juste au pied du chalet, près du local à skis. On ne distinguait rien tout autour malgré le sol enneigé, la nuit était complète.

— Ne bougez pas les enfants, intervint M. Saillard en sortant de sous la table de la platine, une rallonge électrique encore à la main.

Le halo virevolta quelques instants, puis flotta vers la porte, avant de reprendre ses mouvements aléatoires. Puis il disparut brusquement dans le sol.
Le silence tomba dans la salle, on n'entendait plus que des bouts de phrases et des murmures. inquiets.

— Non, ce n'est pas possible !... Souffla Kristina en lâchant soudainement mon bras. Puis passant rapidement devant moi elle tourna les mains d’une drôle de façon vers la fenêtre.

La lueur apparut de nouveau, on la vit peu à peu s'agiter dans tous les sens, faire des bonds de plusieurs mètres, avant de bondir vers le toit du local à skis.


— Eh mais ça se trouve c'est la meuf qui nous a dit Graillet là, fit soudainement la voix de Paulo avec enthousiasme.

— Vous restez où vous êtes les enfants, lança M. Saillard qu'on sentit mal assuré, on ne panique pas, je vais aller v...

Mais quasiment toute la classe avait déjà roulé sur sa phrase, en se précipitant vers les fenêtres.

— T'es où Graillet ? Ta miss elle est là enfin !

— Eh mais c'était vrai en fait son baratin

— Vas-y on lui demande de partager le trésor à la meuf

— Arrêtez de courir comme des mongols putain elle va se barrer après

— Il est où Graillet si ça se trouve elle parle chelou comme lui

Un  rugissement terrible, bref et foudroyant, immobilisa toute la pièce.

Le silence se fit d'un seul coup, les crânes reculèrent peu à peu en s'écartant.

Seule Kristina resta clouée sur place. Je ne réagis pas davantage,  malgré le long frisson qui m’avait traversé les épaules, je me sentais comme à l’abri près d’elle, comme si ses deux mains dressées venaient de déployer un bouclier protecteur à la Wonder Woman.

Une dernière plainte enfin, plus longue, plus faible et presque triste, traversa péniblement les murs.

La lumière s'éloigna alors peu à peu.

Tous les yeux restèrent figés sur les vitres assombries. Je remarquai alors une veste à patte de lapin passer furtivement devant moi pour aller se caler près de Kristina. Je soupirai en tournant la tête vers Graillet, d’où il sortait encore celui-là. Kristina à côté n’avait pas eu l’air d’y prêter attention, elle paraissait juste totalement épuisée.
 
— Monsieur pourquoi vous y allez pas, on entendit bientôt au fond de la salle.

— Si ça se trouve c'est un extra-terrestre, il est perdu c'est tout

— Un extra-terrestre le chalet il l'aurait rasé qu'est-ce tu dis toi. Pour faire une base pour les navettes

—En plus les extra-terrestres ils se posent qu'aux Etats-Unis

— Monsieur regardez vers le couloir y'a une autre lumière!

Un autre grognement nous parvint alors, dans un bruit de pas lourd qui descendait. Le petit couloir devant l'escalier venait juste de s'éclairer.

 

— AH LA LA BON GUEU DE BON GUEU... DIS Y PAS QU'C'EST LA RIOULE DES MONCHUS QU'A TOUT ECLLAPÉ !!

Un grincement de porte, un souffle épais, puis autre bruit de porte claquée, et à nouveau la voix qui tonna :

— RALLUME PAS MÉ LE BAZAR ! QUE J'AI PAS A Y RAVOIR !

Le couloir s'éclaira cette fois plus nettement, une grosse main vint tâtonner le mur à l'entrée de la grande pièce. La lumière des plafonniers, éblouissante, jaillit tout cru sur la piste, ça tomba comme une bassine d'eau froide sur les petites tenues de soirées des uns et des autres. Oh non pas lui murmurèrent plusieurs voix derrière moi.

Le vieux moniteur de ski alla tout de suite voir M. Saillard dans un coin de la pièce. Il lui désigna les spots et la platine le visage assombri.

Tout le monde ne sut trop que faire pendant une minute, puis un petit groupe se détacha vers M. Saillard qui discutait encore, l'air visiblement contrarié, avec le vieux moniteur.

— Monsieur c'était quoi alors dehors, on peut pas aller voir

— Monsieur on peut remettre la musique et les spots

— Ouais Monsieur c'est tout nul sinon

— Là !!... Regardez ! Y' a quelqu'un !! S'écria soudainement Graillet en désignant la porte près des fenêtres.

La poignée se secouait brutalement, on entendit plusieurs coups violents. La pose ridicule de Graillet, abaissé d'un coup sur une jambe arrière fléchie, les doigts tendus vers le sol, me fit oublier momentanément le vieux qui trotta d'un pas tranquille vers l'entrée.

— QUI C'EST DON LE NIOLU QUI VIENT SACCOGNER COMME ÇA BON GUEU !

 

*

 

Bottes et anorak, lampe électrique à la main, l'air ahuri sous son bonnet rouge Haute-Savoie, on ne comprit pas très bien ce que M. Lardeau faisait là à la porte, surtout qu'on ne l'avait pas vu depuis le début de la soirée, ni ce qu’il baragouina ensuite au vieux.
Deux minutes plus tard l'incident était déjà oublié, j'aperçus Samir et Erwan qui me faisaient signe pour les rejoindre à la table aux bonbons, la moitié de la classe s’appliquait apparemment un pillage en règle des assiettes.

— Moi je te dis il a bu Lardeau commença Antonio en le désignant du menton sous une poignée de Dragibus.

— C'est pour ça qu’il est allé dehors ? Demanda Erwan sans vraiment comprendre.

— C'est pour ça qu'il sait plus ce qu’il fait c'est tout. On dirait mon voisin je te jure, quand il tourne en bas vers les boites aux lettres et qu'il parle tout seul. Mon père il m'a dit c'est la boisson qui fait ça, ou quand on travaille pas comme Sue Ellen dans Dallas.

— Je suis sûr il a cherché partout pour le trésor, ajouta Samir. Vu que demain on part il va fouiller la montagne toute la nuit.

Kristina s’était machinalement approchée du vieux au fond de la salle, il était en train de tourner et retourner la lampe torche entre ses doigts tout en grognant, alors que Lardeau juste à côté s’était laissé tomber sur une chaise, tête penchée vers le sol, le visage sidéré. Elle commença à lui causer, sans plus faire attention à Graillet encore tapie derrière elle. Le vieux de son côté continuait de grogner, mais en levant de temps à autres un sourcil bourru sur un œil intrigué.

— Les enfants !…

On se retourna tous sur Saillard qui venait d’avaler trois verres de Banga coup sur coup,  et de se planter au milieu de la piste désertée. Il frappa des mains, puis poursuivit d’une voix mal assurée :

— Bon les enfants, euh... Alors. On va changer le programme, on a un petit problème de matériel comme vous avez pu voir…. Donc ... Donc on va remettre les tables en place et... Il retapa des mains. Et c'est soirée-jeux de société !…

Son entrain ne parut pas gagner grand monde, des yeux arrondis tournèrent un moment sur place.

— Oh putain.. on va pas encore faire des jeux

— Eh mais j'ai pas mis les Stan Smith pour faire un cochon qui rit moi

— Et si ça se trouve il va rester le vieux en plus

— Oh non avec ses contes du chat perché là

— Samir tu veux pas descendre ton magnéto vas-y

— Ouais vas-y Samir les maîtres ils te voient pas

— Mais qu'est-ce qu'on va faire avec son magnéto, on est pas dans votre salle de bain là

— Sinon on s'enregistre sur K7 vierge on invente une histoire

— Oh la la mais n'importe quoi toi

— Quoi n'importe quoi t'as jamais fait de veillée tu connais rien

— Venez on va voir dehors les extra-terrestres

— Mais c'était M. Lardeau l'extra-terrestre t'as rien suivi toi

Une petite partie de la classe, plus effacée et presque ragaillardie de ne plus avoir à danser, avait déjà tout remis en ordre autour des palabres, on sentait presque un soulagement pour certains, les équipes de kems et les parties de Bonne Paye s'organisaient déjà.

Au milieu des allers-retours précipités vers les chambres pour descendre les boîtes de jeux, j'entrevis Graillet qui zigzaguait dans la salle, l'air désorienté, les doigts posés sur sa patte de lapin. Samir alla le trouver un verre de sirop de fraise à la main.
On le rejoignit avec Erwan et Antonio au bout d'un moment, Graillet avait pas l'air tranquille. Enfin du Graillet habituel quoi.

— ... Mais je t'ai dit M. Lardeau là-haut il était avec le moniteur et une vieille dame, je crois qu’elle est là avec son mari. Enfin bref, ils...…

— Mais il y avait la lumière là-haut ? Y’avait plus le courant, comment t'as fait pour les voir ?

Samir buvait des gorgées en le fixant droit dans les yeux, Graillet s'impatientait.

— Putain mais tu comprends rien, je t'ai dit je suis passé avant pour chercher ma veste ! Y'avait encore l'électricité !

— Ok ok, mais alors ils faisaient quoi tous les trois là-haut ?

—Je sais pas trop, la vieille dame elle avait l’air de causer de son mari qu’était malade dans sa chambre je sais plus, ils m'ont même pas vu quand j’ai pris les escaliers.

— Ok, et après quand t'es revenu ?

— Quoi quand je suis revenu, j'étais là à la Boum c'est tout, et puis après ça s'est éteint. Et là M. Lardeau vient de raconter qu'il est sorti parce qu’il a vu des lumières dehors, mais le moniteur il était déjà descendu remettre le courant.

— Ok, ok... Samir avait replié un doigt contre la bouche, genre il avait une moustache pour réfléchir.

— Mais alors c'était quoi les lumières, c'était pas lui ? Fit Erwan avec surprise.

— Non sa torche marchait pas, trancha Graillet, catégorique. Il nous a juste dit qu’après les lumières il a vu une ombre qui s'en allait vers la montagne.

— Je vous avais bien dit qu'il avait bu, marmonna Antonio à côté de moi.

On se regarda tous en silence.

— Eh mais si ça se trouve Lardeau il a trouvé le trésor ils étaient en train de fêter tout ça là-haut ! S’exclama Samir.

— Mais non, si c’est ça il le dira pas, il ira s’acheter une voiture et des sapes en rentrant, assura Antonio.

Je lorgnai vers le fond de la salle, puis me retournai sur Graillet.

— Et pourquoi t’es plus avec Kristina ?

— Ben elle a commencé à parler de la dame blanche au vieux, il l’a regardé bizarrement, et puis au bout d’un moment il m’a dit d’aller faire un tour je sais pas pourquoi.

— Ouais bon en fait la lumière c'est un mec qui s'est paumé dans la nuit fit Antonio. Et puis il a entendu gueuler le vieux derrière la porte il a flippé, il s'est barré.

Je scrutais Kristina au loin, elle avait l'air d'écouter le vieux, il avait une tête toute calme maintenant. De sa part ça paraissait presque impossible.

— Ouais c'est comme moi une fois avec mon père, reprit Samir en finissant son sirop, on avait voulu visiter un château abandonné vers la gare, et on a entendu une fête du Roi derrière on a pas osé rentrer.

Antonio leva les yeux au ciel.

— Mais y a plus de rois qu'est-ce tu racontes encore.

— Qu'est-ce t'en sais, y'en a ils se sont enfermés peut-être depuis super longtemps et ils font la fête pour attendre. En plus c'était une musique de roi j'ai même vu un ours qui jonglait par la fenêtre.

Au fond le vieux souriait à Kristina, c'était de plus en plus bizarre.

Puis Samir nous dit qu'il allait demander à M. Lardeau s'il voulait pas faire un Monopoly avec nous, si ça se trouve il sortirait des vrais billets du trésor sans faire exprès tellement il en aurait.

On l’observa tracer vers le petit groupe, Lardeau semblait émerger peu à peu sur sa chaise. A quelques mètres le vieux s’était progressivement animé, il faisait des petits gestes avec ses grosses mains, sous une tête amusée.

A la fin il désigna notre table ; je tournai la rapidement la nuque en faisant semblant d'arranger les chaises.

— Bon vas-y on fait un kems plutôt les gars, fit Samir en revenant au bout d’un moment, M. Lardeau il est fatigué et c’est chiant le Monopoly, tu te mets avec moi Melvil ? J’ai un nouveau signe, ils vont rien voir. C'est une technique de l'équipe nationale de kems, mon cousin il l'y était avant, il m'a appris.

Le vieux se releva enfin, puis il fit un geste curieux à Kristina, genre un chuut avec son doigt devant la bouche. Peu après je le sentis passer derrière nous rapidement, sans un mot.

Et je ne rêvais pas, en me retournant je le surpris à me lorgner du coin de l'œil le sourire aux lèvres. 

— Melvil tu joues ?

Trois autres regards décidés étaient braqués sur moi. 

— Oui oui !

Et je ne rêvais toujours pas, c'était maintenant Kristina qui marchait droit vers notre table.

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