— Mais pourquoi t'as fait ça ?
— Quoi j'ai fait quoi, t'étais plus dans le kems, on allait perdre après.
Le jour commençait à se lever, on faisait des virages dans tous les sens, entourés de bleu et de blanc derrière les carreaux givrés du car.
On avait rapidement déjeuné et descendu toutes les valises une heure plus tôt, M. Lardeau lui était bizarrement sorti en T-Shirt et il répondait à tout le monde agacé que non il avait pas froid, et puis à un moment on avait failli ne plus partir parce que le chauffeur avait reçu une boule de neige et qu'il fallait se dénoncer sinon on resterait là toute notre vie il avait dit, et que lui il s'en foutait il avait tout son temps.
Bruno avait finit par lever la main en lui jurant qu'il avait visé un canard derrière lui qui allait l'attaquer, puis quand Lardeau en T-shirt s'arrêta de l'engueuler on put enfin mettre les valises dans les soutes.
— Mais on s’en fout du kems, en plus on a quand même perdu !
— Bah c'est normal t'as pas suivi la technique de l'équipe nat..
— Mais on s'en fout de ça ! Je te parle de Kristina !
Les deux filles de devant se retournèrent trois secondes puis reprirent leur discussion.
L'ambiance était un peu bizarre, le car était silencieux, tout le monde était ni heureux ni malheureux de partir, personne ne pleurait, personne ne chantait non plus chauffeur si t'es champion, et pas seulement parce que vu sa tête encore en colère on risquerait de finir pulvérisés dans un ravin.
— Eh ben quoi Kristina ?
— Pourquoi elle est partie comme ça quand t’es allée la voir ?
— Parce qu’elle avait autre chose à faire.
Sa réponse me cloua sur place.
Samir m’avait répondu tout aussi tranquillement que la veille il s’était tranquillement mis sur la route de Kristina qui approchait, puis lui avait baragouiné je ne savais trop quoi en nous tournant le dos. Elle avait juste parue surprise, puis avait quitté la salle en me lançant un dernier regard intraduisible.
Et j’avais eu beau tanner Samir toute la soirée après, il était resté muet ou il répondait à côté. En plus de ça on avait eu droit à tout et n'importe quoi dans le chalet une fois tout le monde remonté. La moitié de la classe qui n'arrivait pas à dormir, Saïda qui tapait à toutes les portes parce qu'on lui avait volé ses scoubidous, Lardeau et Saillard qui allaient et venaient dans les couloirs, et puis d'autres, Michaël, Salim et toute la bande qui faisaient un foot dans leur chambre.
Et avec ça le lendemain j’avais juste gagné une Kristina aux abonnées absentes qui évitait mon regard depuis le petit-déjeuner jusqu’à la montée dans le car.
— Bon … Il est où ton poème Merlot? Il me demanda après un silence.
— Hein ? Mon po...
Je fouillai automatiquement dans mes poches puis grimaçai en me creusant la tête. Samir me rendit juste un sourire jusqu'aux oreilles.
Le retour de la boutique, les feutres qu'il m'avait demandés.
Tout me revint d'un seul coup, j'avais juste appris le texte par coeur pour la Boum, ça m'était sorti du crâne.
Il me fit me pencher vers le couloir pour me montrer une place deux ou trois mètres devant près du couloir.
Entre deux mains familières, une feuille avec mon écriture, et tout autour des personnages étranges en dessin, un chevalier en tenue de d’Iron man sur une navette, une fée en collant de Tornade des Avengers avec un pistolet laser, des lutins verts musclés comme Hulk et une tête de gros dragon en haut, qui projetait des rayons bleus.
— Je lui ai filé hier soir, quand je lui ai parlé. T'as rien remarqué hein ? Ah ah, c'est une technique de magie, je t'expliquerai.
Je me redressai en le regardant de long en large. J'essayais de rassembler mes idées.
La veille il avait débarqué au spectacle une demi-heure après nous, il avait dû trouver mon poème comme d’habitude planqué sous l’oreiller, rester dans la chambre pendant un moment à peinturlurer le tout à sa sauce avant de l’embarquer avec lui. Il avait juste eu à en retrouver un autre pour le replier à la place sous l’oreiller, un de la dizaine de copies dans mon chevet écrit dans des encres différentes, même un au stylo violet que Leïla m’avait prêté, et hop ni vu ni connu le tour était joué.
— Et t'as vu, il reprit fièrement, le papier elle le lâche pas depuis ce matin. Un de ces jours faudra qu'on pense à faire une BD toi et moi. Avec tes poésies du roi Arthur et mes dessins, je te parie on en vend un million après tu lui offres une croisière à Tahiti beach.
Je me grattai la tempe quelques instants, puis me penchai à nouveau pour observer.
— Ah oui et je t'ai pas dit. Moi hier soir direct, technique d’inspecteur, j'ai entendu ce qu'il lui racontait le moniteur.
— Ah bon ?
— Ben tu sais c'était quoi en fait les lumières ?
— Les lumières dehors ? Je sais pas je comprends plus rien à cette histoire.
Il aurait tout autant bien pu me raconter que c’était un bonhomme de neige de l’espace ou un chamois-laser égaré, ça ne m’aurait peut-être fait ni chaud ni froid. Kristina devant lisait mon poème, enfin plutôt mon Marvel Presents : Super-troubadour, j’étais déjà ailleurs, la nuque étirée toutes les dix secondes. Samir se tourna vers moi, les yeux scintillants.
— Eh ben en fait c’était un orage de montagne! Le vieux il a expliqué que ça arrivait souvent, avec que des éclairs, mais attention des éclairs à la Thor hein, super violents ! Ça fait même des coups dans les murs des maisons, c’est pour ça M. Lardeau il a dû flipper dehors, t’imagines si ça se trouve il a cru c’était la guerre !
— Mais alors c’est juste ça quand ça a coupé le courant ?
— Ouais peut-être, mais aussi c'est le tourne-disques de Saillard qu'était tout naze, ça a peut-être tout fait sauter. Et en fait ça l'a énervé le vieux, mais c’est tout…. Tu vois je me disais bien, les fantômes ça existe pas en France ! Il sourit en me tapant contre l’épaule. Et voilà, encore une affaire rondement menée par Inspecteur Samir, eh eh !...
Il fit mine de souffler sur ses ongles les yeux mi-clos. Devant Kristina venait de reposer la feuille en regardant par la fenêtre.
— Pourquoi tu lui racontes ça à Melvil, c’est même pas vrai cette histoire d’orage en plus.
— Hein ? Mais qu’est-ce que tu fais là toi ? D’où tu nous as écoutés ?
La tête de Graillet venait de se faufiler entre les deux sièges entre nous.
— J’étais derrière vous j’entendais plus mon walkman avec tes histoires d’inspecteur là... Mais toi t’as pas compris que le moniteur il lui a dit que des conneries à Kristina ?
— Quoi, mais t’es pas bien, pourquoi il aurait fait ça d’abord ? N’importe quoi.
— Ah ouais ? Et Lardeau alors, et le couple de vieux qui font des malaises? Et les coups à la porte ?
Graillet venait de se redresser, casque à mousses orange autour du cou, il s’accoudait maintenant au siège au-dessus.
— Il l’a expliqué tout ça, c’était juste les écl..
— C’était la Dame Blanche, depuis le début je vous le dis !
— Mais non t’as rêvé Graillet.
— J’ai rien rêvé du tout ! Le moniteur il chante ses contes pour les gens en vacances, personne y comprend rien déjà, et en plus il va pas dire que c’est vrai que la montagne est hantée après il aurait plus personne au ski. En plus c’est pas moi, c’est Kristina, elle m’a tout raconté, quand elle l’a croisée dans le couloir des chambres, qu’elle lui a parlé, et même que la Dame Blanche elle a bien vu que Kristina elle avait des pouvoirs et qu’elle se laisserait pas faire. Et c’est là que..
— Mais attends, attends… Elle a des pouvoirs de quoi Kristina ?...
— C’est … C’est des pouvoirs, voilà.
— Non mais genre elle peut s’envoler ou disparaître ?! Elle a un lasso magique un truc comme ça?
J’enfonçai le pouce et l’index dans mes paupières en soupirant.
— Mais non...Vas-y laisse tomber. C’est juste… Elle peut voir des choses… Parler aux esprits, voilà.
— Ah c’est juste ça… ouais. … Mais c’est tout ?
— Quoi c’est tout ?
— Non rien, je pensais à un truc… Ouais, parce qu’à la télé ça rendrait rien… Une fille qui voit des choses et parle toute seule c’est nul. Parce qu’à Incroyable mais vrai ils en avaient invité une elle avait les oreilles qui parlaient. Mais au bout de deux minutes ils avaient arrêté c’était plus trop marrant.
— Bref, et c’est là dans le couloir que la Dame Blanche elle lui a dit que de toute façon elle s’attaquait pas aux enfants ça l’intéressait pas, alors Kristina elle a été rassurée. Et donc le soir à la Boum elle a pas compris pourquoi la Dame Blanche revenait, vu qu’à part M. Saillard il y avait que des enfants. Et en plus Saillard, c’est sûr elle l’avait déjà possédé le premier jour, il avait été malade.
— Alors pourquoi elle serait venue alors ?
— Ben justement là Kristina elle lui a crié dessus en pensée et finalement elle a fini par arrêter. Et en partant elle a dû traverser le corps de M. Lardeau.
— … Mais pourquoi ils nous ont rien dit alors Lardeau et Saillard ?
— Parce qu’il se rappelaient de rien. Ma grand-mère elle me l’avait expliqué ça, la Dame Blanche elle envoûte les gens pour savoir où est son trésor, n’importe qui au hasard. Mais c’est super rapide. Et si t’es pas du coin, elle s’en rend compte, et elle repart de toi direct. Et plus c’est rapide, moins t’es malade et tu te rappelle de rien après, tu peux juste faire un ou deux trucs bizarre mais c’est tout.
— Eh mais alors… Attends attends. Saillard...
— Saillard, le monsieur super timide normalement, qui fait le fou dés le premier jour de ski, qui drague les dames de service, qui danse le break-dance hier…
— Ok ok, mais Lardeau alors ?
Sylvain désigna le maître du bout du menton à l’avant du bus, toujours en T-shirt, il portait même une casquette maintenant.
— Et le couple de vieux qui sortaient tout le temps, la femme je l’ai vue passer sa journée à faire des mots croisés depuis avant-hier.
— … Bon ben il restait qui alors comme adultes ?... Les dames de service, le patron du chalet…
— Ça compte pas eux, ils habitent là, elle les a déjà visités il y a longtemps c’est sûr.
— Eh ben c’est tout alors !
— Non. Il en restait un. Et elle devait le chercher avant qu’on parte.
— Mais de qui tu…
— Réfléchis. Il est dans le car avec nous.
— … Le chauffeur !!!
Le visage de Sylvain Graillet rayonna d’un large sourire. Samir écarquilla les yeux.
— Mais on va avoir un accident si elle est rentrée dans sa tête, déjà c’est un fou lui et…
— Mais non je t’ai dit les gens sont encore normaux après, ils changent juste un peu.
Les yeux de Samir tournèrent lentement sur eux-même, avant de se poser sur moi.
Puis ils revinrent sur Graillet. Samir le sonda quelques secondes, sans un mot.
Un gloussement nerveux brisa finalement le silence.
— Ah ah ah… Ah la la, pfiouuu Graillet mais t’es vraiment la star niveau histoires, t’as failli m’avoir ah ah ah …. Eh mais tu sais que tu pourrais passer à Temps X, sûr ils te laissent le micro, tu fais un carton ah ah...
Sylvain le détailla de bas en haut sans desserrer les lèvres. Il secoua la tête péniblement, remit son casque sur les oreilles, puis disparut derrière le siège.
*
— Bon j’en étais où moi avant son histoire de fantôme des montagnes, je te parlais de quoi.
— T’en étais à inspecteur Samir… Mais c’est tout t’avais fini.
— Ah oui voilà ! Eh ben non, je t'ai pas raconté à la fin ! Il a parlé de toi le vieux…
— Hein ?
— Je te jure, avec Kristina.
— Mais quoi il a dit quoi
— Que t'avais l'air bien bobet à la regarder tout le temps. Après il a mis des y de partout j'ai pas tout compris. Mais le plus marrant c'était Kristina.
— Pourquoi ?
Une tête de Graillet apparut de au-dessus de nous, une main tendue entre les sièges.
— Tu me prêtes ta K7 Samir ?
— Quoi quelle K7, ma K7 de Funk ?
— Ouais n'importe, vas-y ste plait.
— Mais c’est pas du Hard hein, ça va pas te plaire.
— Mais si vas-y ça me changera j’en ai marre d’AC/DC, mon frère il m’a rien filé d’autre !
J’attendis patiemment que Samir se rasseye, puis lui reposai la même question. Devant Kristina venait de replier le papier et ne bougeait plus.
— Ah bah je crois que depuis le début...Elle avait rien pigé, enfin pigé que tu la regardais quoi.
— Ah…
Graillet venait de passer devant nous, il s’enfonça entre les rangées jusqu’à l’avant du car.
Je le vis ensuite causer entre Lardeau et le chauffeur, puis revenir les mains dans les poches, la mine ragaillardie.
— Ouais mais c'est fini maintenant y'a plus d’histoire de fantôme ou je sais pas quoi. T'es la star….
— La star de rien du tout, c’était juste un bout de papier, voilà elle l’a lu et puis c’est tout.
— Ah bon ?
Samir me poussa l'épaule une bonne fois, à bout de bras, et garda la pose, quasiment affalé sur moi.
A quelques rangées de sièges, sous des cheveux blonds tombant sur les épaules, un bonnet crème tourné au milieu des bonnets.
Des yeux brillants et immobiles, une bouche qui remuait à peine. Et comme une lumière qui s’épanouissait sur un visage muet.
Je ne bougeai plus d'un cil.
Kristina me souriait.
Au même moment, dans le bourdonnement du moteur et le jour naissant, et comme un léger murmure au-dessus de nos têtes, les premières notes de Human Nature de Michael Jackson résonnèrent peu à peu.