Héroïsme

Par Suze

Peu de temps après ce fût de nouveau l’heure de prendre ma tension artérielle et ma température. Je tendis distraitement mon bras droit, puis mon oreille, et fermai enfin les yeux. Cette conversation du petit matin avait suffi à me fatiguer et je n’étais pas fâchée d’avoir maintenant une ou deux heures de libres pour me reposer. De toute façon il n’y avait rien de mieux à faire que d’essayer de dormir, pensai-je, plus par fatigue que par conviction. 

J’avais à peine eu le temps de réajuster mon oreiller lorsque l’infirmière en chef débarqua, les bras chargés de matériel. 

- Good morning! I’m Mary. 

C’était une grande femme robuste et énergique, aux cheveux châtains et bouclés. Elle était bavarde et souriante. Parlant fort, avec un accent irlandais prononcé, elle annonça que mon planning du matin a été avancé parce que je devais passer un IRM avant de partir au bloc. Il y avait eu beaucoup d’urgences ce week-end et ils n’avaient pas pu me trouver de créneau avant, s’excusa-t-elle. 

- On viendra vous chercher pour descendre au service de radiologie avant huit heures. 

Elle déposa son paquet sur la chaise à ma gauche, et commença à m’expliquer en soulevant un par un chacun des objets. 

- Là c’est un bassin pour la toilette. Si vous ne voulez pas aller prendre de douche. Mais sachez qu’on peut vous accompagner pour la douche si vous le souhaitez.

Puis elle agita une chemise de nuit délavée blanche à petit motif bleu. 

- Ça c’est la chemise que vous devez revêtir pour l’opération, elle s’attache par derrière, on pourra vous aider à l’attacher si vous voulez. Oh attendez il manque un cordon au niveau du cou, j’irai vous en chercher une autre tout à l’heure. 

- Voici les bas de contention, il faudra les enfiler sous le bracelet que je vais vous mettre au pied. Le petit trou c’est pour les doigts de pied, le grand trou doit monter jusqu’au niveau des genoux. 

- Voila, attendez, je vais vous attacher le bracelet au pied gauche. Toutes les informations sont correctes? nom, prénom, date de naissance? Vous comprenez il faut qu’on puisse vous identifier au niveau des jambes aussi. 

Je hochais la tête tandis qu’une pensée morbide traversait mon esprit. Mieux valait en savoir le moins possible, du moment que les autres savaient ce qu’ils avaient à faire. 

Mary continua de dérouler ses instructions à vive allure: 

- Donc il faudra enfiler le bas par dessous le bracelet. Il n’y a pas beaucoup de place, je l’ai attaché un peu trop serré, mais je viendrai vous aider, ne vous inquiétez pas. 

- Voilà votre serviette de toilette, et je vous ai amené un savon et une lotion. Vous n’avez pas beaucoup de temps devant vous mais pas de bousculade quand même. 

Je me sentais engourdie, faible et sans énergie. Sortir prendre une douche, traverser le dortoir et l'immense couloir du service, et puis cette salle de bain atroce sans la moindre étagère avec pour tout équipement un pommeau de douche en plastique accroché au plafond et un siège pliant en dessous, non merci. Je n’étais pas sale. J’avais pris une douche juste avant de venir hier après-midi. J’allais me laver vite fait avec ma propre lotion. 

- Comme vous voudrez me dit-elle avant se finalement s’en aller, puis de revenir aussitôt avec une nouvelle robe. 

- Celle-ci a tous ses cordons.

Je saisis la robe et l’approchai de mon visage pour mieux voir le tissu dont les motifs m’intriguaient. C’était presque les mêmes motifs que sur l’autre, seulement le bleu était plus clair. On dirait le drapeau de la Suède, mais sans le jaune, non plutôt celui de l’Islande, mais avec du bleu à la place du rouge. Je consacrai une ou deux minutes à méditer sur la finalité de l’ornementation des robes d’hôpitaux. Puis j’abandonnai ma rêverie et jetai un coup d’oeil sur l’heure. 

“Il est presque six heures, si je me prépare maintenant, dans dix minutes j’ai fini et il me reste une bonne heure et demie pour dormir avant qu’on vienne me chercher pour l’IRM.” 

Je me penchai du lit vers mon sac à dos, et parvenant à le tirer vers moi, j’en sortis ma trousse de toilette. Avec empressement, j’arrachai une poignée de coton du sachet et attrapai une bouteille de lotion du bout des doigts. “Le plus important ce doit être l’hygiène de la tête, et du cou” jugeai-je. Et en conséquent, je frottai énergiquement ma figure à l’aide d’un coton imbibé de lotion. J’insistai sur le haut du front, et la racine des cheveux, passai et repassai un coton derrière mon oreille gauche, puis je frottai le cou, descendant aussi loin que le décolletée de mon T-shirt le permettait: les épaules et l’entre-seins, et pour finir, le haut du dos. Puis je sautai du lit et fermai les rideaux de papier bleu qui encerclaient ma baie. J’ôtai mon bas de pyjama et mon T-shirt, et enfilai la chemise de bloc par dessus mes sous-vêtements. Je nouai tant bien que mal les cordons au niveau du cou, puis ceux au milieu du dos, et découvris naïvement que cet accoutrement, qui était une sorte de blouse sans bouton enfilée devant-derrière, laissait mon arrière train complètement exposé. Je m’imaginai avec répugnance déambuler tout à l’heure dans les couloirs du service de radiologie, les fesses à l’air. Je frissonnai et retournai vite me réfugier dans mon lit. J’enfonçai ma tête dans l’oreiller et remontai le drap et la couverture jusqu’au menton. 

Sortant un bras par dessous la couverture, j’attrapai mon téléphone. Les messages commençaient à pleuvoir en provenance d’Inde. C’était la fin de la matinée là-bas et je recevais des photos d’offrandes qui avaient été faites en mon honneur auprès d’un panthéon d’incarnations de Vishnu et de Shiva. On était allé prier dans les temples de quartier, mais aussi à Tirupati ou à Chidambaram, au grand temple du dieu Nataraj.

Il m’avait toujours paru paradoxal qu’on puisse croire en un Dieu tout-puissant et qu’on puisse en même temps lui demander, en toute bonne foi, de déroger aux lois universelles qu’il avait certainement lui-même édictées, simplement pour satisfaire nos affaires. Ces marques spontanées d’attention, dont je ne doutais aucunement de la sincérité, me touchèrent néanmoins. Cet abandon total qu’expérience le croyant lorsqu’il s’en remet à Dieu, j’en faisais en quelque sorte l’expérience mais d’une autre manière. Je m’abandonnais aux mains du Destin. Et peut-être cela me permettait-il d’entrer en communion avec ces âmes ferventes. 

Ces messages venus d’Inde contrastaient particulièrement avec ceux de mes amis d’ici qui sans doute un peu embarrassés par la peur de commettre une maladresse s’étaient bornés depuis le début à communiquer leur solidarité par des messages impersonnels, vantant mon héroïsme, et qui révélaient surtout l'impuissance dans laquelle ils se trouvaient d’appréhender une tragédie qui n’était pas la leur. J’avais cessé de croire en l’héroïsme. Je préférais y voir, à la place, de la fatalité. À ce moment précis j’y vis même du cynisme. S’en remettre au destin s’imposait comme une évidence. La vanité et le contentement de soi en étaient d’autant plus grotesques.

Après avoir reposé le téléphone sur la tablette, j’insérai encore une fois mes bouchons d’oreille et comme il faisait grand jour déjà, j’attrapai mon masque et l’ajustai sur mes yeux. Par bonheur, la fatigue et le manque d’énergie faisait contrepoids à l’excitation et à l’anxiété qui me gagnait au fur et à mesure que l’heure de l’opération se rapprochait. Je fermai les yeux, et m’appliquai à essayer de relâcher mes épaules crispées. Je réalisai tout à coup que je n’avais pas mis les bas de contention. “Tant-pis, je les enfilerai plus tard.” pensai-je paresseusement, puis je tentai encore une fois de dormir. 

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Yannick
Posté le 13/04/2020
Le début était intrigant, là ça devient presque inquiétant ! Le détail de l’identification aux jambes est très imagé, j'aime beaucoup.

Quelques coquilles (certaines déjà relevées) et autres suggestions:

- aux cheveux châtain et bouclés » : châtainS
- « Elle était bavarde et souriante. Elle parlait fort, avec un accent irlandais prononcé. Elle m’annonça que mon planning du matin a été avancé” : les 3 phrases commencent par « elle », je pense que tu devrais trouver une autre tournure pour casser ce rythme.
- « Il y avait eu beaucoup d’urgences ce week-end, et ils n’avaient pas pu me trouver de créneau avant s’excusa-t-elle : je déplacerais la virgule avant « s’excusa-t-elle ».
- mais je viendrai vous aidez --> aideR
-« Je n’étais pas sale. J’avais pris une douche juste avant de venir hier après-midi. J’allais me laver vite fait avec la lotion que j’avais dans mes affaires. » 4 « je » ou « j’ » dans ces 2 phrases.
- « non plus plutôt celui de l’Islande »: enlever le “plus”
- « dans dix minuteS »
- « et parvenant à le tirer » : parvenAIT
- « passais et repassait »: repassaiS
- « une sorte de blouse sans boutons » : sans bouton
- « Cet abandon total qu’expérience le croyant lorsqu’il s’en remet à Dieu, j’en faisais en quelque sorte l’expérience » : 2 fois expérience
- « sans doute un peu embarrassé » : embarasséS
- « Ces messages venus d’Inde contrastaient particulièrement avec ceux de mes amis d’ici qui sans doute un peu embarrassé par la peur de commettre une maladresse s’étaient bornés depuis le début à communiquer leur solidarité par des messages impersonnels, vantant mon héroïsme, et qui révélaient surtout l'impuissance dans laquelle ils se trouvaient d’appréhender une tragédie qui n’était pas la leur. » Cette phrase est un peu dure à suivre, je trouve que tu devrais en faire deux.
Suze
Posté le 13/04/2020
Merci de nouveau, c'est très utile toutes ces corrections. Je pense avoir tout intégré sauf la dernière suggestion pour laquelle je me laisse un temps de réflexion.
J'ai aussi réalisé que j'utilisais beaucoup l'imparfait à la place du passé simple, et j'ai essayé de corriger cela.
Grde Marguerite
Posté le 13/04/2020
Je ne vais pas répéter ce que j'ai écrit précédemment...
Peut-être un peu lent, mais on sent que vous ménagez vos effets.
Ça et là de petites fautes d'orthographe qui gâchent un peu la vue.
"- Puis elle agita une chemise de nuit délavée blanche à petitS motifS bleuS. "(Cela me paraît plus logique de tout mettre au pluriel, il y a plus d'un motif, n'est-ce pas ?)
- "je l’ai attaché un peu trop serré, mais je viendrai vous aidez, ne vous inquiétez pas. " vous aider (pointé par quelqu'un d'autre)
- "descendant aussi loin que le décolletée de mon T-shirt me le permettais: " décolleté - permettait
"Ces messages venus d’Inde contrastaient particulièrement avec ceux de mes amis d’ici qui sans doute un peu embarrasséS"
Suze
Posté le 13/04/2020
Désolée pour les nombres fautes d'orthographe! J'ai essayé de corriger au maximum.
Concernant la lenteur, y a-t-il un passage en particulier qui vous a ennuyé ? C'est interessant pour moi d'avoir ce genre de retour. Merci.
Grde Marguerite
Posté le 13/04/2020
Lenteur ne signifie pas nécessairement ennui. Je constate simplement que vous donnez beaucoup de détails sur tout, que planter le décor et donner libre cours aux impressions de la narratrice est de loin ce qui me paraît le plus important pour vous. En cela je vous suis diamétralement opposée : quand je fais une narration, je privilègie l'ellipse...
Grde Marguerite
Posté le 13/04/2020
Mais chacun/chacune son style :-)
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