Hostile, P7-25

Par Anna

Transporter un passager n’était pas une mince affaire pour Hona et Aluke. Se concentrer sur leur Lumière et sur celle du Nubien demandait une concentration extraordinaire. Aussi, ils abrégèrent leur voyage et se contentèrent de viser la planète la plus proche, P7-25. Ils entrèrent en connexion avec la Lumière de l’arbre de la planète, et y dirigèrent la leur. C’était un processus fastidieux, car ils devaient également tirer leur Matière comme un boulet en plus de leur passager.

Une fois arrivés, ils furent soulagés de constater que le poulpe s’était évanoui. Aluke traina le mollusque loin de l’arbre et de ses racines immenses. Hona s’écroula sur place. Entre ce voyage et ses manipulations de Matière précédentes, elle sentait qu’elle ne pourrait plus rien Manipuler pendant un long moment. Profitant de cette pause forcée, la rouquine huma l'air environnant avec toute la puissance de son odorat. Une odeur puissante de terre, d’humidité et de sève emplit ses narines. Ils avaient atterri droit dans une jungle.

D’immense fougères cachaient un ciel verdâtre, des plantes multicolores bruissaient, secouées par d’immenses insectes menaçants. On pouvait sans mal imaginer le danger qui planait sur cette planète, car qui disait jungle disait créatures monstrueuses, scolopendres, serpents et autres arachnides. Loin de se sentir intimidée, la jeune fille ressentait l’excitation croitre en son cœur. Sa queue remuait à l’idée de grimper dans ces arbres noueux aux racines apparentes, de se laisser aller de liane en liane, de cueillir ces fruits gorgés de vie … Elle sentait un appel de sa nature profonde, un souvenir de ses origines animales. Car si Aluke avait connu la vie normale d’un Mürr pendant quelques années, Hona avait été enlevée bien trop jeune pour en avoir le moindre souvenir précis. Il ne restait plus que cette impression de manque, cette envie de retourner à la nature qui l’avait vue naître. En un sens, elle n’était pas bien différente de ces Mürrs esclaves qu’elle avait vu sur Yorden. Elevée par une humaine, loin de ses racines, ne connaissant de sa famille que ce que son frère lui en racontait. Repensant à cela, Hona passa ses doigts sur le bracelet tressé, orange et noir, que son mentor lui avait donné avant leur départ.

Elle fut sortie de ses pensées par Aluke, l’appelant. Elle se leva sans attendre, échangea son borsalino avec le tricorne du Nubien et le rejoignit près d’un arbre. Contre le tronc et retenu par des lianes, leur otage reprenait lentement ses esprits.

« Qu’est-ce … qui … vous …

-Tout d’abord, fit Aluke en avançant sa lame courbe vers les tentacules qui servaient de barbe au poulpe, vous allez calmement nous déclinez votre identité. Si vous coopérez, nous vous laisseront gentiment partir. »

Le Nubien resta silencieux quelques instants, regardant autour de lui. Son air perdu se transforma en panique, puis en colère.

« Me laissez partir ? Ici ?! Vous êtes complétement tarés ! Je ne tiendrais pas une journée avait de me faire bouffer par je ne sais pas quoi ! Et comment je suis arrivé là, d’abord ?!

-Oh, le stoppa Hona en prenant une pose de corsaire avec son tricorne, pas la peine de faire le désespéré. Vous avez de la chance qu’on ne vous ait pas amené sur une planète volcanique. Et vous êtes un Nubien, il est bien possible qu’aucun animal n’ait envie de vous manger, vu l’odeur de poisson pourri que vous dégagez.

Il plissa ses yeux vides avant de se fendre d’un ‘’sourire’’ méprisant.

« La ferme, le chaton. Retourne te trémousser pour tes clients au lieu de- »

Le poulpe fut coupé par Aluke, qui venait de planter son sabre à un centimètre de sa tête. Le jeune homme baissa le foulard rouge usé qui camouflait son nez de Mürr et ôta la capuche qui cachait ses oreilles.

« A ta place, murmura-t-il d’une voix glacée, je ne la ramènerais pas trop. Deux Mürrs en pleine possession de leurs pouvoirs contre un Nubien affaibli et attaché, je te laisse faire le calcul. »

Hona ne broncha pas, mais elle savait qu’Aluke en rajoutait. Ils n’étaient pas du tout en état de Manipuler quoi que ce soit. Heureusement qu’ils n’avaient pas besoin de ça pour se battre.

« Ok, Ok, enlève ce truc, je vais parler ! Gémit le mollusque dans un concert de bulle. »

Aluke retira sa lame mais ne la rangea pas. Le Nubien émit plusieurs bruits de ventouse paniqués avant de se calmer

« Bon, euh … bah je m’appelle Kroomst. Je suis missilier sur le Vogon Jetz. Et … je vois pas du tout ce que vous me voulez, en fait.

-Ceci, dit Aluke en montrant le pendentif étrange qui était accroché au cou de l’otage, dis-nous tout ce que tu en sais.

-Ah, mais c’est pas à moi ça, répondit le Nubien, visiblement soulagé. Je l’ai volé au capitaine de notre vaisseau. Je l’ai vu entrer à pleins d’endroits gratos grâce à ce truc. Je voulais justement en profiter quand vous m’avez choppé. »

Les Mürrs se regardèrent, interdits. Leur otage n’avait apparemment pas la moindre idée qu’il avait en sa possession de symbole des Dieux.

« Si vous mentez, menaça Hona, je vous fais rendre votre estomac !

-J’en ai trois, alors bonne chance, répliqua le Nubien, insolent malgré sa situation désespérée. ‘Fin bon, non j’ai aucune idée de ce que c’est que ce machin, et si je le savais, bah pourquoi je vous le dirais pas ? C’est si important que ça, ce truc ?

-ça, ça nous regarde, répondit Aluke en lui arrachant le symbole sans ménagement. Si vous ne savez rien, vous n’avez pas besoin d’en apprendre d’avantage.

-N’importe quoi, dit le Nubien en agitant furieusement ses tentacules capillaires, c’est juste pour me cuisiner sur un truc que j’ignore totalement que vous m’avez … comment vous m’avez emmené ici au fait ?

-Les Mürrs possèdent des pouvoirs largement au-dessus des autres peuples, vous savez. » Dit fièrement Hona. Bien sûr, la téléportation dépassait de loin les pouvoirs de leur peuple, mais elle le prétendit tout de même. Ils n’étaient en réalité que quatre … ou plutôt trois, dans l’univers entier, à avoir cette capacité.

« Faut pas vous étonnez qu’on vous mette en cage, marmonna Kroomst. Vous êtes des dangers pour tout le monde. C’est pas normal que vous soyez le seul peuple Evolué à avoir une telle maîtrise.

-Ne nous faites pas reconsidérer l’idée de vous libérer, souffla Aluke. Mesurez vos paroles … Votre larcin nous a fait déjà perdre un temps précieux. Ce vaisseau Vogon, avec ce capitaine que vous avez volé, est-ce qu’il a déjà appareillé ?

-Il doit partir demain matin … mais on est peut-être déjà le matin ? Je sais pas, merde. S’ils sont partis sans moi, je suis dans la panade. »

Aluke vérifia sur sa tablette l’heure sur Yorden. La soirée touchait à sa fin. Mais ils ne pourraient faire de voyage avant un long moment. Il décida de passer ce détail sous silence et de mentir éhontement.

« Midi passé. Je crois que vous êtes bel et bien dans le pétrin. Où se dirigeait-il exactement ?

- Rah, bordel ! jura le Nubien. Il allait vers Huufk. Sombre, marécageuse, hostile, … Une authentique planète Vogon. P-»

Aluke et Hona perçurent alors un infime bourdonnement. Ils se retournèrent violement vers l’origine du bruit. Une sorte de frelon gigantesque projeta sur eux un énorme dard suintant. Les Mürrs l’esquivèrent et le regrettèrent aussitôt : le dard avait fini son chemin en plein dans la tête du missilier Vogon, qui n’eut même pas le temps de pousser un cri avant de mourir. Le frelon géant n’avait pas l’intention de s’arrêter là, et un autre dard commença à émerger de son abdomen remuant. Aluke fit signe à Hona qu’il vallait mieux attaquer que fuir et profita d’avoir ses armes en main : il se mit à couvert des plantes et avança rapidement jusque vers la bestiole en décrivant un arc de cercle. Hona allait opter pour une approche moins subtile, lorsqu’elle entendit un sifflement. Tournant rapidement le regard, elle vit un cobra haut de plusieurs fois sa taille qui la toisait entre les fougères, les crocs parés à l’attaque. Imprévisible et leste, il plongea sur Hona de toute sa hauteur. Celle-ci esquiva de justesse par une roulade de côté.

La rouquine ferma les yeux un instant. Fit le vide dans son esprit, ne laissant flotter que cette phrase qui avait guidé tout son entrainement « Ne pense pas, ressens ».

Elle se mit en position de combat, écartant légèrement les jambes, sautillant sur place avec souplesse, ses mains ouvertes mais fermes levées devant elle. Elle commença à tourner autour de la bête. Prête à réagir au moindre signe, à la moindre ondulation, au moindre éclat dans les pupilles voraces de la créature. Un mouvement, une impulsion, aussi infime soit elle …

*PAF*

D’un geste foudroyant, Hona avait frappé le serpent qui venait de lancer l’offensive. Un coup, plusieurs ? Ses mouvements étaient si rapides et maîtrisés qu’il aurait fallu voir la scène au ralenti pour voir qu’à chaque impact, elle ne donnait pas un mais trois coups. Elle profita de son avantage pour enchaîner, ne laissant pas de répit au reptile. Frappant encore, encore, droite, gauche, du pied, du genou, accompagnant chacun de ses coups d’un cri pour canaliser son énergie. Elle le fit ramper au sol. Quand il fut assez hors de lui pour tenter une attaque puissante et prévisible, Hona s’écarta au dernier moment. Les crocs du cobra vinrent se ficher profondément dans l’écorce d’un arbre. D’un coup sec du coude, elle estourbit l’animal, pour aussitôt se tourner vers son frère.

Aluke avait tranché le frelon en deux, mais d’autres insectes l’avaient repéré. Il esquivait et déviait les projectiles avec aisance, mais leur nombre l’empêchait de passer à l’offensive. Hona le rejoignit, et en l’espace d’une minute, les assaillants furent à terre.

« Je suis définitivement plus douée que toi, s’exclama-t-elle en reprenant son souffle.

-Hé, se défendit le jeune homme, essoufflé lui aussi. Tu es seulement meilleure à mains nues … Avec de bonnes armes … Je t’égale.

-Bref … » Soufflant une dernière fois, Hona regarda le triste cadavre du poulpe.

« Au moins, on sait où aller précisément. C’est vraiment triste que ça ait couté la vie à ce Nubien presque innocent.

-Hm, fit Aluke en retirant le dard du corps de Kroomst avant de l’étendre sur le sol mousseux. Son cadavre va attirer d’autres bestioles, on ferait mieux de ne pas trainer ici. Grimpons à la cime des arbres et construisons-nous un abri. On va avoir besoin de sérieusement récupérer avant de pouvoir repartir. »

Il commençait à monter à la branche la plus proche quand Hona le stoppa.

« Grand-frère, tu es blessé. »

Elle avait parlé sur un ton très calme, pourtant la plaie, sur la côte d’Aluke, était béante.

« Ça ira, répondit ce dernier en reprenant son ascension. Tu t’occuperas de ça quand on pourra à nouveau Manipuler. D’ici là, je vais sûrement guérir tout seul.

-J’ai seulement peur que cela te fasse trop mal pour grimper. On peut attendre un p-

-C’est bon, j’ai dit. On monte. »

La Mürr contempla son frère qui disparaissait dans les feuillages. Depuis quelques temps, il se montrait vraiment froid avec elle dès qu’elle faisait mine de se soucier de lui. Où était ce frère qui ne la lâchait pas d’une semelle, lui prenant la main pour s’endormir ? Leur départ avait tout changé … Peut-être était-ce le fait de savoir que ce n’était pas l’amour fraternel qui les liait, mais une force extérieure et pesante, qui avait précipité cet éloignement. Elle continua à songer à cela en grimpant. Son envie de batifoler dans les  branches s’était déjà éteinte avec la mort du poulpe, ajouter à cela de sombres pensées n’arrangeait rien.

Il avait beau dire, la blessure d’Aluke sembla le gêner gravement pendant qu’ils rassemblaient de quoi faire une cabane de fortune au sommet du tronc d’un arbre géant. Sa sœur se contenta de le fixer sans dire un mot. S’il faisait sa forte tête, c’était son problème, après tout !

Quand le soleil géant de P7-25 toucha la ligne d’horizon, leur abri fut fini. Ils avaient construit une plateforme entre les branches de l’arbre, et avaient regroupé les feuilles au-dessus de leur tête en cas d’averse : en attendant de pouvoir Manipuler, il fallait agir comme de simples voyageurs en contrée hostile. Aluke s’allongea en grognant, tenant sa côte blessée. Sous ses doigts, on pouvait apercevoir une lumière faible. Hona s’assit et discernant cette lumière, se sentie rassurée. Comme toujours, sa présence les soignait, même si ce n’était qu’un peu. Plus la blessure était grave, plus ils guérissaient vite. Et bien sûr, rien ne pouvait vraiment les mettre en danger de mort.

« Les maisons Mürr, dit Hona pour briser le silence, elles étaient aussi bâties dans les arbres comme ça, pas vrai ?

-Non, déclara Aluke d’un ton éteint. On les faisait à même le tronc des arbres, tout en le gardant en vie. Je n’ai pu voir ça qu’une fois. Tout le clan s’était réuni … On priait la créatrice … Tu étais encore accroché à … maman. Il faisait nuit, et on a tous ensemble … gravé dans l’écorce les mots « maison » et « bonheur » … On a tous Manipulé le bois, même les enfants … J’étais fier … »

 

La voix d’Aluke ne fut bientôt plus qu’un soupir. Il mit le foulard rouge devant ses lèvres, rituel habituel, avant de sombrer. Hona vint à ses côtés, posant doucement ses mains sur la blessure, Manipulant avec ses dernières forces pour faciliter sa guérison. Exténuée, elle ne tarda pas à rejoindre son frère au pays des rêves, profitant qu’il dorme déjà pour blottir sa tête confortablement contre le torse d’Aluke, écoutant les battements réguliers et apaisants …

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sidmizar
Posté le 20/05/2017
Ah, bah, apparemment, ils se sont trompés de cibles nos deux Mürrs... Le pauvre poulpe leur a au moins transmis une information intéressante avant de mourir.
On en avait déjà eu un aperçu lors de sa confrontation avec le serveur, mais Hona nous montre à nouveau à quel point c'est une combattante féroce, rapide et efficace.  
La blessure d'Aluke ne semble pas poser de problème, mais nous fait nous questionner sur ce mystérieus pouvoir de Matérialiser : on dirait qu'il n'y a aucune limite à ce qu'ils peuvent faire...
 
Anna
Posté le 20/05/2017
Coucou ! je répond à tes commentaires précédents ici :
- Chap Yorden : c'est vrai qu'il faut un temps pour passer d'un univers à l'autre, mais j'ai dans l'idée que les deux histoires se contre-balance l'une-l'autre. J'aimerais que le lecteur découvre tout à la fois le monde fermé de Gaia et l'ouverture du vrai monde autour, en opposition aux idées étriquées présentes sur Gaia. 
- J'ai tenu à ce que les femmes soient au pouvoir. Le fait qu'elles le soit car elles donnent la vie n'est pas moins absurde que le fait que dans notre monde, elles ne sont souvent pas au pouvoir justement car elles donnent la vie, et que ça les rend "vulnérables". Je voulais faire un tacle à cette société patriarcale dans laquelle on continu de vivre. 
J'ai aussi essayé de faire en sorte que Lou soit vraiment soufflée par la pyromancie; mais ce n'est pas la première chose étrange qu'elle voit, le voyage au travers l'arbre est déjà pas mal dans son genre. Quant à Joy, elle est Joy. J'en ai un peu marre aussi de devoir absoluement faire des personnages normaux. Ne peut-on pas avoir des personnages qui ont des réactions annormales (quand sa rentre dans le personage) ? Joy est loin d'être normale, donc bon u_u
-Je suis très fière de ma Hona. Je l'ai toujours voulu forte, vraiment forte, pas juste badass mais faible en réalité, comme le sont tant de perso féminins.
Effectivement, on dirait qu'ils n'ont aucune limite, c'est bien ce que leur repproche le poulpe n'est-ce pas ? Que les Murr soient si puissant ... est annormal.
Mais ne t'en fait pas, pour l'interêt du récit, ils auront des épreuves au niveau de leur pouvoir. Et ils ont des limites, juste ... pas celles que l'on pense. 
 
Rimeko
Posté le 25/07/2016
La suite des détails :
"Profitant de cette pose (pause) forcée, la rouquine ôta son camouflage"<br /> "Une odeur puissante de terre, d’humidité et de nature empli(t) ses narines. Ils avaient atterris (pas de -s)"<br /> "Cette envie de retourner à la nature qui l’avait vu(e) naître"<br /> "« Ok, Ok, enlèves (enlève) ce truc, je vais parler !"<br /> "qu’il aurait fallu voir la scène au ralentit (ralenti) pour voir qu’à chaque impact, elle ne donnait pas un mais trois coup(s)"<br /> "accompagnant chacun de ses coup(s) d’un cri"<br /> "Quand le soleil géant de P7-25 toucha la ligne d’horizon, leur abri fut finit"
 
J'aime toujours autant les chapitres de Hona et d'Aluke, même si je ne suis plus sûre de pouvoir dire catégoriquement que je les préfère à ceux de Joy et de Lou maintenant  ^^
Ha, c'est bête ça quand même, pour le Nubien ! Mais du coup, on comprend un peu mieux ce qu'ils cherchent à faire... Retrouver les Dieux, rien que ça. Ils sont des sortes d'Elus, eux aussi, ou quoi ? C'est marrant parce qu'en lisant ce chapitre j'avais l'impression que ça se précisait autour d'eux mais en y réfélchissant ce n'est pas vraiment le cas xD Bon, on sait qu'ils ont des pouvoirs plus puissants que la majorité des gens, qu'ils ont une sorte de mission, et que... Hum... Très intriguant tout ça ! (Ah, et on ne sait pas non plus ce qui est arrivé aux Mürrs. Si c'était une race évoluée, comme les Humains, pourquoi seraient-ils rejetés de Gaea où ils doivent donc avoir un continent "à eux" ?? - on alors j'ai pas pigé quelque chose)
J'ai hâte d'en savoir plus !
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