Trois jours plus tard, ils étaient réunis autour de Liwen, la source de toutes les sources. Au cœur d’une clairière de la forêt des saules bleus. Les arbres multicentenaires, majestueux, formaient un rideau élégant autour de l’assemblée. Hywel les avait convoqués à l’aide de ses émissaires préférés, les grands papillons bleus. Les plus jeunes étaient allongés au milieu des bruyères sauvages. La longue marche à travers la forêt pour atteindre le sommet les avait fatigués. Zéphyr, assis sur un rocher, observait l’eau, d’ordinaire aussi lisse qu’un miroir. Elle commença à vibrer, des ondes concentriques se déployèrent. Ils se relevèrent tous à la hâte. La pause était finie.
Le talisman sur la porte de Griselda illumina toute la pièce d’une belle couleur bleu azur. Elle observa la pierre, jeta un œil au calendrier lunaire accroché au mur, un autre sur la pendule. Ils allaient bientôt rentrer heureusement. Il était temps qu’elle leur parle. Elle aurait déjà dû…
Elle monta au grenier, à la recherche de vieux souvenirs. Les araignées en avaient fait leur royaume. Elle remonta sa grande natte grise en un chignon sur le haut du crâne, pour éviter que celle-ci ne traîne dans la poussière. Ses voisins ne la connaissaient que coiffée ainsi, hors de question de leur dévoiler la longueur réelle de sa chevelure. Les toiles alourdies de poussière tombaient au fur et à mesure qu’elle traversait avec peine la pièce pour ne pas écraser les fuyardes à huit pattes. Elle ouvrit avec une clef le tiroir de la vieille commode en ronce de noyer. Elle en ressortit son ancien grimoire, qu’elle avait remisé là il y a plus de dix-huit ans. Il était temps de le rouvrir et ainsi de raviver de vieilles blessures.
L’eau de la source enchantée jaillit tel un geyser et le corps d’Hywel se matérialisa. Le peuple bleu rassemblé tout autour fit silence devant cette apparition majestueuse.
Le feuillage des saules bleutés bruissa pour l’accueillir, puis un profond silence retomba. Hywel allait parler.
Zéphyr était fasciné par sa longue chevelure chatoyant de mille bleus du plus azuré au plus sombre. Ils ondulaient jusqu’à ses chevilles ceintes de bracelets d’argent. Une fine guirlande de petites nacres enserrait son front. Elle avait la beauté extraordinaire des nymphes. Elle était fine comme ses consœurs, mais possédait des formes féminines plus voluptueuses.
— Mes chers amis les Nergaléens, commença-t-elle de sa voix suave, un nouveau cycle va bientôt commencer. Il vous reste vingt et un jours avant la nouvelle lune, pas un de plus, pour me rapporter un présent en retour de ma protection et de ma bienveillance. J’exige donc que les porteurs du signe du cycle infini viennent à moi et qu’ils m’offrent le chant de leur naissance accompagné d’un bouquet des fleurs de Maël. Que vos esprits soient purs et avisés, mes pensées vous accompagnent. Les grands papillons bleus m’informeront de l’avancée de votre périple.
La nymphe disparut sans plus d’explications. Un brouhaha s’éleva de la foule réunie. Zéphyr fronçait les sourcils, soucieux, caressant machinalement la dernière pierre qu’il avait ramassée. Le Nergaléen possédait un caractère posé et réfléchi. Il avait eu vingt-cinq ans, mais n’avait pas encore rencontré la femme avec laquelle il voudrait fonder une famille. Son peuple lui confiait les missions importantes, il avait été choisi comme guide de sa génération. Cette quête était dans ses prérogatives puisqu’elle le concernait directement, si bien que tous s’étaient déjà tournés vers lui. Sliman arriva vers lui avec force cabrioles et tout en continuant ses facéties, il le questionna.
— Alors, Zéphyr, as-tu une idée ? Que voulait-elle dire ? Qui sont ces porteurs du signe ? Et le cycle infini, ça ressemble à quoi ?
— Je n’ai pas l’ombre d’une piste pour l’instant, Sliman, avoua Zéphyr, mais le temps presse. Nous irons dès demain consulter les grimoires de la grande bibliothèque et les Anciens que nous pourrons trouver.
Zéphyr se tourna vers les jeunes rassemblés autour de lui et s’adressa à eux.
— Si quelques volontaires, possédant des dons utiles à notre mission, veulent bien se proposer.
Sliman s’élança dans une pirouette grotesque et se planta devant lui.
— Je veux faire partie de l’équipe ! lança le jeune Nergaléen.
Les boucles brunes de ses longs cheveux étaient en bataille, il souriait. Il ne semblait pas prendre conscience de l’importance de cette mission. Il vivait chez son oncle et sa tante depuis sa plus tendre enfance en toute insouciance. Il avait appris à leur contact l’art du spectacle. Le seul souvenir de ses parents était son tatouage discret sur le front. Une demi-lune inversée. Il scrutait Zéphyr de ses yeux noisette.
— Hors de question, Sliman ! protesta Zéphyr. Ton impertinence et tes facéties risqueraient de fâcher les Anciens, on ne peut se passer de leurs conseils. Il est impératif que nous menions à bien cette mission, sinon tu connais la sentence. Hywel nous abandonnera et ne protégera que les anciennes générations ! Nous devrons partir et trouver un ou une autre protectrice, et tout abandonner. J’aime trop notre forêt pour risquer de la quitter.
Erin, fendit la foule à grands pas et s’immobilisa devant Zéphyr, droite et fière, les mains sur les hanches.
— Moi, je veux t’accompagner, se proposa-t-elle. Ma connaissance des végétaux et de leurs vertus te sera utile. Et comme tu le sais, je suis guérisseuse et je pratique aussi la magie depuis mon enfance.
La jeune femme aux longs cheveux bruns était déterminée à faire partie de l’équipe, non seulement pour servir sa génération, mais aussi pour visiter les terres extérieures et découvrir de nouvelles plantes. Zéphyr l’observa un instant, elle était fine elle aussi, mais bien assez musclée pour combattre à mains nues s’il le fallait, bien qu’elle maniât l’arc à la perfection. Il la connaissait si bien…
— Oui mon amie, Erin, fille de Loaden, tu seras la bienvenue, approuva-t-il en souriant.
Un jeune homme fit s’élever quelques rochers alentour en soulevant sa propre main puis s’adressa à Zéphyr.
— Puis-je être des vôtres ? lança Tewenn, je connais le langage des pierres et les contrôle, cela pourra vous servir lors de la traversée.
Ses yeux gris pâle rayonnaient, il remit en place une mèche de cheveux brun-bleu de sa main libre, attendant la réponse de Zéphyr.
— J’allais te le demander, ta proposition m’honore, Tewenn, fils du grand Thudon ! acquiesça-t-il avec un grand sérieux.
Aussitôt, le jeune homme rabaissa sa main, faisant se reposer avec délicatesse les lourds rochers en suspension. La plupart des jeunes filles présentes se pâmèrent en le dévorant des yeux. Mais il n’en avait cure, ou ne s’en rendait peut-être même pas compte.
D’un pas plutôt léger, malgré son apparence impressionnante, un nouveau candidat s’avança.
— Je n’ai pas de dons particuliers, mais ma force colossale pourrait vous être utile, se proposa Ergad tout en soulevant avec nonchalance la grande table de pierre installée près de la source Liwen.
Le personnage aux cheveux blancs imposait le respect par sa carrure, dépassant de deux têtes ses congénères à la peau bleue. Zéphyr accueillit avec entrain Ergad, ce grand gaillard leur serait fort utile. Il souhaita enfin la bienvenue à Margod, ses rêves et ses visions les guideraient dans le choix des meilleurs chemins. Puis il mit fin aux candidatures. Ils étaient au complet pour cette quête, rien ne servirait de trop se faire remarquer en étant plus nombreux. Leurs dons combinés feraient leur force. Ils seraient cinq à parcourir les terres extérieures pour le bien de leurs frères et sœurs.
Il n’avait qu’une vague idée des endroits où pouvaient vivre les Anciens, mais il espérait trouver des indices à la grande bibliothèque d’Hector, en même temps que des pistes pour résoudre cette énigme. Ils auraient besoin d’une bonne journée et demie de marche pour s’y rendre.
— Souris un peu, Zéphyr ! On dirait que tu pleures un mort là ! lança Sliman hilare.
— Tu me fatigues Sliman à ne jamais rien prendre au sérieux, répondit sèchement Zéphyr. C’est une mission importante, il en va de notre avenir à tous, tu n’as pas l’air de bien saisir. Sans la protection de notre nymphe, nous risquons de multiples dangers. Les histoires que nous racontaient nos parents enfants ne sont pas juste des contes, mais l’histoire de notre peuple ! Ton oncle et ta tante ne t’ont jamais mis en garde et informé ?
— Oh si…, soupira-t-il, des centaines de fois sûrement, mais ce ne sont que de vieilles histoires pour faire peur aux enfants. Je n’en crois rien, ajouta-t-il en sautillant tout autour de Zéphyr.
— Rentre donc chez toi et laisse-moi réfléchir en silence.
Sliman abandonna Zéphyr à ses pensées et partit plus loin en riant.
La réunion terminée, chacun redescendait au village, en groupe ou seul, pour reprendre ses occupations. Ergad, le colosse, marchait d’un pas décidé, fier d’avoir été sélectionné pour la mission d’Hywel. Il pressait le pas, motivé. Il voulait préparer son paquetage rapidement, heureux de partager cette future aventure avec Tewenn. Celui-ci avait préféré rester un moment dans la clairière pour s’imprégner de la force des pierres.
Quelques gouttes d’eau lui tombèrent sur le front, il s’essuya machinalement. La pluie arrivait plus vite qu’il ne l’aurait pensé. Il accéléra. Il arriva à la hauteur de Sliman et s’écarta un peu, on ne sait jamais. Le trublion était toujours prêt à faire des plaisanteries, pas toujours du goût du géant. Pas manqué !
— Aïe ! s’exclama Ergad.
Il venait de rencontrer une branche bien trop basse et horizontale pour être naturelle. Il l’avait prise en plein bas-ventre. Sliman se bidonnait, il avait trouvé drôle de tendre un bras muni d’une branche aussi longue que lui, sans prévenir. Ergad baissa des yeux menaçants sur le farceur, écroulé de rire au sol.
— Toi ! tonna-t-il. Si je t’attrape, tu vas prendre cher !
Sliman se releva d’un bond et se mit à courir comme un fou entre les saules bleus, riant encore plus. Il se savait plus rapide que son adversaire. Ergad se mit à la poursuite de ce petit importun. Il suait à grosses gouttes, il n’était pas fait pour la course, encore moins en terrain accidenté, mais il était décidé à faire passer un mauvais quart d’heure à cet enquiquineur de Sliman. Celui-ci continuait de détaler comme un lapin, ses boucles brunes s’envolant dans tous les sens. Il traversa une clairière et tomba sur le champ de fleurs d’Erin. Champ qu’elle entretenait avec amour. Il fila tout droit, écrasant quelques plants au passage. Erin serait furieuse, tant pis. Ergad arriva lui aussi au champ, mais il stoppa net sa course. Il respectait le travail de son amie. Hors de question de le franchir à toute allure et sans précautions. Sliman avait fait assez de dégâts. Tant pis… Le géant contourna l’obstacle, abandonnant pour un temps l’idée de corriger ce freluquet insupportable. Il se mit à pleuvoir pour de bon, Ergad rabattit sa capuche et pressa le pas tout en contournant les fleurs.
Trempée comme une soupe, Erin franchit le seuil de sa maison. Elle déposa sa besace, son arc et son carquois près du poêle à tourbe. Elle fila dans sa chambre se dévêtir. Son père n’était pas encore rentré. La jeune femme attrapa un linge sec pour se sécher le corps et éponger ses cheveux qu’elle avait dénoués. Une fois qu’elle eut enfilé une tunique propre et un pantalon large, elle se dirigea pieds nus jusqu’au fauteuil installé près du feu. Elle aimait l’odeur forte que la tourbe dégageait en brûlant. Elle se revit toute petite essayant d’en transporter une briquette à travers la pièce pour aider son père. Et se remémora la chute qui lui avait valu une belle cicatrice à la cuisse. Son père ne l’avait pas grondée, il considérait qu’elle venait d’acquérir une nouvelle connaissance par l’expérience. Il avait appliqué un cataplasme sur la plaie après avoir recousu à l’aide de quelques points. Elle l’avait observé curieuse, ne ressentant aucune douleur grâce au sirop qu’il lui avait fait avaler juste avant. Chaque expérience, bonne ou mauvaise, était l’occasion d’apprendre et de grandir. Sa première cicatrice… Elle la caressa du bout des doigts. Située sur l’intérieur de la cuisse, à la naissance du genou, on ne la voyait presque pas. Le son grinçant de la porte qui s’ouvre la sortit de ses pensées.
Loaden, les bras chargés de deux paniers tressés, et trempé lui aussi, salua sa fille.
— Bonsoir, ma fille ! Quel temps de grenouilles ! grommela-t-il.
— Attends, papa, je vais te débarrasser !
Joignant le geste à la parole, elle lui prit un panier qu’elle alla déposer au fond de la cuisine, puis revint chercher le deuxième pour le déposer directement vers le poêle.
— Merci, Erin, je vais aller me changer. J’ai l’impression d’être un saule après deux jours de pluie ! s’esclaffa-t-il.
Il se dirigea vers sa chambre, après avoir ôté ses chaussures. Quand il ressortit habillé de propre, Erin avait fini de sécher et démêler ses cheveux. Elle arborait de nouveau une belle tresse à six brins, sur le côté.
Ils préparèrent le repas en discutant de la mission dont Erin allait faire partie. Ils mirent le couvert sur la table près du feu, et commencèrent à déguster une bonne soupe de pissenlits à l’oseille, dans laquelle baignaient des noix d’Oli bien rouges et bien juteuses. Loaden raconta à sa fille quelques péripéties de la mission à laquelle il avait lui-même participé dans sa jeunesse. Leur repas terminé, ils rejoignirent chacun leur chambre pour la nuit, après avoir soufflé les bougies du chandelier posé sur la table en grès.
J'ai pris le temps de lire ce premier chapitre et je suis loin d'être déçue. Il annonce de belles aventures et très certainement un grand nombre de haut et de bas qui feront vibrer le petit groupe d'amis.
Les facéties de Sliman m'ont bien sourire et j'espère qu'il sera d'une manière ou d'une autre de la partie pour permettre la note d'humour dont les autres auront bien besoin!
En tout cas c'est un très bon chapitre et j'ai vraiment apprécié les notes de douceur et de poésie que tu y a glissé!
(spoiler alert : oui il n'a pas fini d'en faire ^^)
merci beaucoup pour ce nouveau commentaire et ta lecture :) ça motive :))
Je viens de voir que tu as posté un nouveau chapitre, j'y file de ce pas!
je sais qu'il y a un perso qui s'appelle Peeves qui a été coupé au montage si j'ai bien suivi les docs sur les films mais comme je n'ai lu que le début du tome 1 et un peu du tome 2, je ne sais pas ce que fait Peeves mouarf !
mais du coup je vais devoir me renseigner ^^ le pire c'est que j'ai créé ce perso de Sliman il y a 10 ans quand je n'avais encore jamais vu les films de HP ^^ et que le chanteur Sliman n'était pas encore passé à the voice ^^ mais tant pis je n'ai pas voulu changer son nom.
En tout cas merci pour cette remarque, j'irai voir s'il y a bcp de ressemblance ou pas :)