I. 10 - Les Charognards

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

- Kijk, sur ta droite ! Attention !

L’interpellée pivota souplement et abattit le Charognard qui voulait l’attaquer par derrière.

- Ils sont trop nombreux, Tilham ! lui cria-t-elle.

Le Guerrier poussa un grognement approbateur et effectua un large mouvement de hache, fauchant trois assaillants au passage.

Nombreux était un faible mot. Des dizaines et des dizaines de corps les entouraient. Pourtant des Charognards continuaient à affluer. Ils les encerclaient et s’avançaient vers eux, lentement et sans un bruit, désintégrateur à la main.

Tilham poussa un grognement de douleur quand un rayon l’atteignit à l’épaule, et rétorqua aussitôt en arrachant deux têtes d’un coup de hache. Il était blessé à plusieurs endroits, mais cela le gênait plus qu’autre chose.

Dos à lui, Kijk se mouvait si vite qu’il n’entrevoyait d’elle que des gestes flous. Un long sabre clair à la main et un désintégrateur dans l’autre, elle dansait entre les Charognards, arrachant ici un bras, ici une jambe, dans une valse de mort.

Leurs ennemis étaient toujours plus nombreux, et il tenta d’accélérer le rythme. Il savait pertinemment que ce n’était qu’une question de temps, ils finiraient par avoir leur peau.

Ses pensées se tournèrent vers Nadah et Dahim. Il espérait qu’ils avaient réussi à atteindre la Surface. Une fois là-haut, ils seraient bien plus en sécurité qu’ici. Roj saurait prendre les choses en main et les protéger.

Le Guerrier esquiva un coup d’épée et continua à distribuer des coups. Les Charognards avaient cessé d’utiliser leurs désintégrateurs, craignant de tirer dans un des leurs au milieu de la mêlée. Tilham songea que cela leur donnait un léger avantage, mais insuffisant vu la situation. Ce combat serait un échec, tout comme la délégation était un échec complet. Fahrek les avait de toute évidence abandonnés à leur sort. Peut-être même était-il à l’origine de cette attaque ! Il eut une bouffée de rage et se jura de trouver et de faire payer à cet homme ce qu’il avait fait à Val. Encore fallait-il qu’il sorte vivant de ce combat.

Soudain, au moment ou il formulait cette pensée, Kijk poussa un cri de douleur. Un Charognard avait réussi à la prendre par surprise en lui plantant une longue lance au travers du ventre. Elle tituba, et avant que Tilham n’ait pu esquisser le moindre geste, plusieurs autres lances vinrent l’achever. Elle s’écroula de tout son long, un filet de sang le long des lèvres, ses yeux étincelant une ultime fois en direction de son chef.

Le Guerrier poussa un hurlement de colère et se jeta sur ses ennemis. Avec une force décuplée par la douleur. Les Charognards reculèrent un instant, tant la vision de cet homme immense et enragé était terrifiante. Tilham profita de ce répit et attrapa deux hommes qu’ils envoya voltiger à un dizaine de mètres. Un bruit écœurant accueilli leur chute. Il raffermit sa prise sur sa hache. Celle-ci reprit aussitôt son œuvre de mort.

Les corps des Charognards ne cessaient de s’entasser autour de lui, au point que les nouveaux attaquants devaient escalader les cadavres de leurs camarades pour réussir à l’atteindre.

Il n’avait plus conscience de rien. Ni de ses innombrables blessures. Ni de la douleur horrible qui traversait tout son corps. Ni du nombre toujours croissant des Charognards qui l’encerclaient. Seuls comptaient sa hache et les corps qu’elle rencontrait.

Ôtant la vie à chaque coup.

Le Guerrier était de moins en moins alerte et sentait que son corps faiblissait, qu’il lui répondait de moins en moins. Malgré tous ses efforts, il sombrait peu à peu dans l’inconscience. Ses blessures étaient trop graves et trop nombreuses pour qu’il puisse continuer ainsi indéfiniment, et son corps le lui rappelait, menaçant de lâcher à chaque instant.

Cet instant arriva. Soudain, ce fut le voile noir. Ses jambes se dérobèrent sous lui, et il s’écroula, tandis que les Charognards se jetaient sur lui.

Il perdit connaissance.

 

*      *      *

 

Dahim poussa un long soupir. Ils étaient arrivés à une intersection.

- Droite où gauche ? demanda-t-il.

Nadah hésita. C’était la sixième intersection qu’ils rencontraient, et le réseau de galerie se complexifiait à chacune d’elle. Fahrek avait raison, c’était un véritable labyrinthe.

Devant l’absence de réponse, le Pilleur poussa un soupir, et prit à droite. La jeune femme le suivit d’un pas mécanique. Ils étaient évidemment perdus, mais elle était trop épuisée pour s’en inquiéter. Ses pensées se tournèrent vers Fahrek. Où était-il ? Elle n’arrivait pas à se dire qu’il ait pu les abandonner. Il devait être mort.

Devant elle, Dahim stoppa soudainement.

- Nadah ? Tu as entendu ? chuchota-t-il avec un air inquiet.

La jeune secoua la tête négativement. Non, elle n’avait rien entendu. Elle voulut repartir, mais elle suspendit brutalement son geste.

Des bruits de pas. Étouffés et lointains, mais des bruits de pas tout de même.

Qui venaient vers eux.

L’inquiétude sur le visage de Dahim vira à la panique. Tout le calme qu’il avait réussi à rassembler après la dernière attaque se volatilisa volatilisé.

Les bruits de pas se rapprochaient, ils résonnaient de plus en plus fort dans le tunnel.

- Demi-tour, ordonna le Pilleur, la voix tremblante.

Ils firent aussitôt volte face et s’éloignèrent le plus vite possible. Après une dizaine de minutes d’une course effrénée dans les couloirs, Nadah s’appuya contre la paroi du conduit, le souffle court.

- Je crois… qu’on... les a semés.

Dahim se tourna vers elle, le visage rouge.

- Je pense... aussi.

Ils n’avaient pas la moindre idée d’où ils pouvaient bien être. La course leur avait fait perdre le peu de sens d’orientation qu’ils leur restait. Ils récupérèrent de leur course durant quelques minutes, puis se redressèrent. Les deux Pilleurs échangèrent un regard. Chacun espérait trouver dans celui de l’autre l’espoir qu’il avait perdu. En vain.

Devant eux, le conduit virait à droite. Ils se remirent en marche et le suivirent quelques mètres. Et stoppèrent brusquement.

À la lumière de la lanterne, Nadah entrevit distinctement trois silhouettes, debout, qui leur faisait face.

Elles portaient des masques à plumes.

 

*      *      *

 

Le caillou décrivit une splendide parabole, avant de plonger dans les eaux du lac dans une gerbe d’eau écarlate. Une deuxième le suivit. Puis un troisième.

Le jeune garçon abandonna l’idée d’en lancer un autre et s’assit, découragé.

Il soupira et passa une main dans ses cheveux rebelles. Voilà toute une après-midi que les autres étaient partis, et il s’ennuyait déjà terriblement ! Roj avait passé ses journées à astiquer ses armes, et He’m à bichonner ses Haris. C’est à peine s’ils lui avaient adressé trois mots.

- Super, maugréa-t-il. Super, super, super !

To’r fixa la surface du Lac Rouge d’un air maussade. Après tous les efforts qu’ils s’était donné, il devait se rendre à l’évidence : le monstre du lac n’était qu’une légende. Pourtant, le dessus de l’eau bouillonnait parfois, mais He’m lui avait expliqué que ce n’était que de simples remontées de gaz.

Le Chasseur soupira et consulta sa montre. Le dîner n’allait pas se préparer tout seul, il fallait qu’il retourne au campement.

Il se fourra les mains dans les poches de sa tunique et s’éloigna nonchalamment du lac. Où étaient-ils, à présent ? Ils devaient déjà être arrivés en Dessous, et accueillis comme des rois ! Comme il les enviait !

Il suspendit sa marche un instant et se morigéna intérieurement. À quoi servait-il d’avoir pareilles pensées ? Il les chassa d’un revers de main et se força à sourire en se remettant en marche vers le campement.

En s’approchant de la clairière où ils s’étaient installés, le jeune garçon s’étonna de n’entendre aucun bruit. Quand il était parti, l’endroit résonnait des crissements métalliques de Roj qui affûtait ses armes et des piaffements des Haris. Il passa sous les frondaisons qui marquaient la limite de la clairière, et se figea aussitôt.

Le campement était dévasté.

Leurs trois tentes, éventrées, avaient étés mises à sac et leurs affaires étaient éparpillées un peu partout. Une multitude de corps étaient étendus à même le sol. To’r eut un sursaut de dégoût quand il reconnut deux d’entre.

Roj et He’m.

Sans réfléchir, il se précipita et s’agenouilla près d’eux. Ils portaient des blessures sur tout le corps, et leurs visages étaient méconnaissables. Un grand nombre de Charognards morts les entouraient. Ils s’étaient battus jusqu’au dernier souffle.

Le jeune homme, horrifié, sentit ses yeux se remplir de larmes. Morts ! Ils étaient tous morts ! Il s’écroula sur le corps du vieil homme et sanglota sans pouvoir s’arrêter.

Il n’entendit pas l’ombre qui s’approchait lentement dans son dos, s’approchant jusqu’à être tout près de lui.

Il y eut un geste rapide. To’r s’effondra sans bruit.

 

*      *      *

 

- Nadah, attention !

La jeune femme plongea à terre pour éviter le rayon mortel d’un désintégrateur. D’un geste souple, elle décrocha son paralyseur qu’elle portait à la ceinture et visa un Charognard, le manquant de peu.

Dahim, un long sabre à la main, s’était jeté sur leurs assaillants, mais il ne faisait aucun doute qu’il n’avait pas la moindre chance. Il se battait avec l’énergie du désespoir et avait déjà réussi à abattre un des hommes.

- Dahim !!! hurla Nadah soudainement.

L’un des Charognards s’était écarté de quelques pas pour mieux faire feu sans craindre d’être inquiété. Le Pilleur se figea brusquement, le torse percé d’un rayon.

Son corps s’écroula aux pieds de Nadah avec un bruit mat.

Celle-ci le contempla stupidement d’un air hébété pendant quelques secondes, incapable de comprendre. Puis l’information se fraya un chemin dans son cerveau et elle sentit une haine incontrôlable la saisir toute entière.

- Vous l’avez tué ! Assassins ! hurla-t-elle d’un voix rauque.

Sans réfléchir, elle attrapa le sabre des mains de Dahim et se jeta sur le premier des Charognards. Elle frappait de toute ses forces en poussant un cri enragé à chaque coup. Tout ce qu’elle avait accumulé cette journée s’était transformé en une colère terrible qui avait saisi fébrilement chacun de ses membres.

En face d’elle, l’homme ne savait pas comment contenir la furie qui s’était jetée sur lui, et contrait avec de grandes difficultés ses coups. L’autre Charognard hésitait à tirer, de peur de blesser son camarade.

Nadah accéléra ses coups et réussit à créer une brèche dans la défense de son ennemi. Aussitôt, elle lui planta son sabre dans le ventre de toute sa longueur dans un glissement métallique. L’homme hoqueta, et s’affaissa lentement. Il s’écroula à terre.

L’autre Charognard n’hésita pas plus longtemps. Il leva son désintégrateur vers le visage de Nadah.

Le bruit d’une détonation explosa dans le conduit. Le désintégrateur tomba brutalement des mains de l’homme et vint s’écraser au sol. Le Charognard ne tarda pas à l’y rejoindre, le front percé d’une balle.

La Pilleuse vit volte face pour faire face à celui qui avait tiré, et raffermit sa prise sur son sabre tâché de sang, tremblante de tout son corps de colère et de peur. Comme un animal traqué.

Des bruits de pas s’approchèrent, et un homme sortit de l’ombre. À la lumière tamisée de la lanterne, ses yeux lancèrent deux éclairs verts.

- Fahrek ? balbutia la jeune femme.

L’homme esquissa un sourire moqueur.

- C’est moi.

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