Tobo se prélassait, couché parmi les fleurs printanières. Les bonnes odeurs et les sons mélodieux avaient de quoi porter au septième ciel n’importe qui, aveugle comme voyant. D’ailleurs, Tobith était tout guilleret lui aussi.
« Et voilà ! Réparée, poncée et dépoussiérée. Il ne restera plus que la peinture à Anna et Tobie ! »
En effet, après avoir dû abandonner sa confection… d’objets étranges et délicats dont Tobo ne saisissait toujours pas l’utilité, Tobith s’était attelé à une tâche un peu plus facile pour son handicap : rénover des meubles. Il restait plus lent et moins efficace que les menuisiers valides, mais il trouvait quelques clients tout de même ; et puis, il s’occupait de sa propre maison, réparant des objets qui menaçaient de se casser. C’était loin de suffire, et ils restaient dépendants de l’aide du cousin Ahikar, mais au moins, il se sentait utile.
« Viens Tobo, on va faire les courses. »
Le chien bondit sur ses pattes et s’approcha de son maître afin qu’il puisse lui empoigner le harnais. Il connaissait désormais très bien le chemin du marché, et il savait reconnaître les dangers dont il fallait s’écarter sur la route. Remuant la queue, il mena Tobith dans les rues de Ninive, du marchand de légumes au boulanger en passant par la crémière.
Soudain, un homme l’interpella.
« Hélà ! Fils de Tobiël ! »
Tobith s’arrêta.
« Bonjour à toi, Zacharie le facteur.
- J’ai une lettre pour toi. »
Tobith prit la lettre et la rangea dans sa poche. Il la ferait lire à Anna en revenant.
Tobo et son maître terminèrent la tournée des magasins par le cordonnier. Ils récupérèrent les nouvelles chaussures de Tobie, payèrent et s’en retournèrent à la maison.
Comme Anna était encore en train de travailler, ce furent Tobith et Tobie qui préparèrent le dîner : une grande marmite de légumes, de viande et de céréales mélangées. Un repas facile à préparer pour Tobie, pas encore très à l’aise en cuisine, et Tobith qui n’était plus aussi bon que lorsqu’il voyait. Puis Tobie décida de se lancer dans la confection d’un dessert, des petits gâteaux tout simples, avec de la farine, du lait et du miel. Tobo se désintéressa des opérations et partit ronger son os à moelle dans le jardin. Ah, que le retour des beaux jours était bon ! Et que les rayons du soleil qui lui caressaient le pelage étaient agréables !
Un pigeon commit l’imprudence de se poser sur le gazon, et Tobo lui bondit dessus. La règle n’avait pas changé : les lapins pour lui, les oiseaux pour les maîtres. Alors il apporta fièrement sa proie à Anna, qui venait de sortir de son atelier.
« Belle prise, Tobo ! Oh, il bouge encore ? Laisse-le-moi, je vais le soigner, le nourrir, et je le sacrifierai pour mes prochaines règles. Ça nous fera des économies en tourterelles. »
Tobo, qui ne connaissait pas les lois mosaïques, fut assez étonné de voir sa maîtresse coucher le pigeon dans une vieille boîte à chaussures et lui panser l’aile. Enfin bon, c’étaient les maîtres qui décidaient.
Anna lui caressa la tête, puis se dirigea vers la cuisine. Tobo lui emboîta le pas. Il savait que quand les maîtres mangeaient, il avait droit à des petits morceaux de nourriture. Et puis, on lui donnait les restes. Tobie finissait de mettre la table, et Tobith surveillait, en se basant sur son odorat, la cuisson des gâteaux.
« Tout est déjà prêt ? Magnifique ! »
Elle apporta la bassine pour se laver les mains et les pieds, puis ils entamèrent le repas.
« Alors Tobith, quelles sont les nouvelles du marché ?
- J’ai failli oublier ! Nous avons reçu une lettre. Tiens. »
Il sortit la missive de son habit et la tendit à sa femme. Celle-ci déplia le papier, l’approcha de ses yeux et déchiffra les caractères.
« Oh non !
- Que se passe-t-il ?
- Ton neveu Ahikar. Il est muté en Élymaïde. »
Ses yeux s’emplirent de larmes.
« Comment allons-nous faire ? Comment allons-nous vivre sans l’argent qu’il nous donnait ? »