I. 12 - Syr-Rhân

Notes de l’auteur : Et voilà le dernier chapitre de la première partie ! Bonne lecture ;)

- Attention, ça glisse.

L’avertissement heurta plusieurs fois les murs avant de se perdre plus loin, dans l’obscurité du conduit. Le silence retomba, seulement troublé par le raclement sur le sol des pas de Fahrek et de Nadah.

La jeune femme inspira profondément. Il étaient partis quinze minutes plus tôt, et l’indifférence qu’elle avait ressentie après tout ce que lui avait dit Fahrek la quittait peu à peu et laissait place à une angoisse sourde. Elle même ne comprenait pas vraiment ce qui la poussait à vouloir continuer jusqu’au bout. N’aurait-il pas été plus judicieux de retourner à la Surface ? De retrouver les siens ?

Elle se morigéna intérieurement. C’était impossible, elle le savait très bien. Jamais elle n’aurait pu rentrer chez elle à pied, avec tous les Charognards dans le coin. Descendre était la meilleure solution. Mais pas la moins dangereuse.

Le monde du Dessous n’était peut-être pas tel que les légendes le racontaient, et peut-être également que Fahrek avait raison à propos du Gouvernement. Mais elle se sentait incapable de le croire ne serait-ce que sur ce point. Ses sentiments formaient au fond d’elle un entrelacs invraisemblable, ou se mélangeaient peur et colère. Nadah tenta de le refluer, elle voulait s’interdire de penser à tout ce qui était arrivé.

D’un geste de la main, elle effleura le médaillon de To’r qu’elle portait autour du cou et tenta vainement de sourire. Son ami n’aurait pas voulu qu’elle abandonne, quoiqu’il arrive.

Devant elle, Fahrek s’arrêta.

- Il faut descendre par ici, dit-il en désignant une trappe qui se découpait dans le sol.

Il l’ouvrit et s’y engagea, Nadah sur ses talons.

Pendant près de trois heures, ils descendirent ainsi, de plus en plus profondément. Les puits laissaient place à des conduits, et ceux-ci à de nouveaux puits. C’étaient un réseau de galeries d’une complexité incroyable, mais Fahrek s’y déplaçait avec aisance, comme s’il en connaissait le moindre recoin, indiquant à Nadah la direction à suivre sans la moindre hésitation.

La Pilleuse n’avait aucun moyen de connaître la profondeur exacte à laquelle ils étaient, mais mais commençait à étouffer. La chaleur était de plus en plus forte, elle transpirait et commençait sérieusement à fatiguer. Elle avait mal aux mains à force de descendre des barreaux d’échelles, et mal aux pieds à force de parcourir des galeries. Son corps, fatigué, se rappelait à son bon souvenir.

Elle soupira par pensée lorsque, devant elle, Fahrek, s’arrêta enfin. Ils étaient arrivés devant une porte métallique. Mais, au lieu de l’ouvrir, il pressa un bouton situé à côté, sur la paroi.

- Un élévateur, expliqua-t-il. Ils évoluent dans des conduits parfaitement isolés qui permettent de filtrer la chaleur thermique qui s’élève à fur et à mesure qu’on s’enfonce vers le centre de la Terre.

- Mais à quelle profondeur se situe Syr-Rhân ? ne put s’empêcher de demander Nadah, curieuse.

- Vingt mille huit cents mètres exactement. À cette profondeur, la température est de près de six cent degrés.

- Six cent degrés ? Mais…

- La technologie nous permet de faire varier cette température à volonté grâce à des isolants thermiques redoutablement efficaces, qui convertissent la forte chaleur en énergie électrique qui nous sert à tout alimenter.

Efficaces ? Cela, Nadah voulait bien le croire.

- Mais… pourquoi s’enterrer aussi profondément ? Une caverne comme celle où nous sommes passés n’était donc pas suffisante ?

- Non. Les hommes qui ont aménagé ces cavernes tenaient à se tenir le plus loin possible de la Surface lorsque les Jours de Feu surviendraient. Ces élévateurs datent des Jours Anciens.

Un petit bruit de cloche interrompit ses propos et la porte de l’élévateur coulissa, laissant apparaître une cabine. Ils y entrèrent et la jeune femme poussa un soupir de soulagement. La fraîcheur qui y régnait contrastait avec la chaleur étouffante des conduits extérieurs. Fahrek enclencha une manette sur un des murs, et la porte se referma dans un raclement de métal. Nadah sentit ses pieds s’élever légèrement lorsque l’élévateur entama sa descente.

- L’air, questionna-t-elle, d’où provient-il ? De la Surface ?

- Non, sûrement pas, répondit Fahrek avec un air hilare, comme si c’était la chose la plus drôle au monde. Si c’était le cas, le monde du Dessous serait mort asphyxié lors des Jours de Feu. De puissants générateurs permettent de recycler l’air ambiant et y injectent un oxygène de synthèse.

Un oxygène de synthèse ? La technologie du Dessous devait vraiment être stupéfiante pour parvenir à créer un air respirable. Même dans les légendes, elle n’avait jamais entendu d’une chose pareille.

Nadah n’ajouta rien et croisa les bras et s’appuyant contre la paroi de l’élévateur. Un silence passa, puis Fahrek reprit la parole.

- Écoute moi bien, Nadah. Les élévateurs ne sont pas surveillés, c’est pourquoi je t’accompagne. Mais l’entrée de la ville, si. Parle le moins possible, ton accent serait repéré des kilomètres à la ronde.

Il attendit que la jeune femme acquiesce, puis poursuivit :

-Syr-Rhân est la plus grande cité du Dessous et compte près de cent cinquante mille habitants. Cherche à rejoindre le Temple Impérial, au centre de la ville. C’est là que vit le Grand Prophète, l’homme qui règne sur la cité. Mais je te préviens : il y a peu de chances qu’il acceptes de te recevoir. Il n’est pas trop tard, je peux te ramener à la Surface si tu le désires.

Nadah retint de justesse la remarque acerbe qui lui venait aux lèvres et se contenta de planter un regard de défi dans les yeux verts qui lui faisait face. Il était hors de question qu’elle abandonne, surtout si c’était pour contenter l’homme qu’elle détestait désormais le plus au monde.

- Très bien, murmura Fahrek.

Au même moment, l’élévateur ralentit, puis s’ouvrit dans un léger tintement. Ils sortirent et Nadah promena son regard autour d’elle.

Rien à voir avec les précédents conduits. Ici, le sol et les murs étaient recouverts d’une matière translucide, d’un vert-gris, qui brillait légèrement. La pièce était vide, hormis quelques bancs contre les murs. Face à eux, trois tunnels partaient chacun dans une direction différente.

- Le Hall du Sud. C’est ici que nous nous séparons, déclara Fahrek d’une voix morne. Prends le tunnel du milieu, il te conduira directement à Syr-Rhân.

Un silence gêné s’installa, pendant lequel la porte de l’élévateur se refermait avec un grincement lugubre. N’y tenant plus, Nadah se tourna résolument et se planta en face de Fahrek.

- Donc ce n’étaient que des mensonges ? N’y avait-il une seule chose de vraie ?

L’homme ne répondit rien et se contenta de lui jeter un regard indéchiffrable. Il appuya sur le bouton d’appel de l’élévateur. Nadah prit son silence pour un oui.

- Même ce que tu m’a confié sur ton père ? Cela aussi, c’était un mensonge ?

Le tintement résonna et Fahrek entra lentement dans la cabine. Il se retourna et planta ses deux yeux verts dans ceux de Nadah.

- Non. Ça, c’était vrai.

Il abaissa le levier et la porte métallique coulissa lentement. Avant qu’elle se referme entièrement sur lui, il esquissa un dernier sourire moqueur et sa voix aux sonorités cassantes résonna une dernière fois.

- Au revoir, Nadah.

Les portes métalliques frémirent quand l’élévateur se mit en marche dans un vrombissement, puis le silence retomba, laissant Nadah toute seule dans le Hall du Sud.

Une bouffée de colère l’envahit. Alors c’était comme ça ? Par sa faute toute la délégation avait périe et il s’en allait, comme un voleur ?

Elle eut une brusque envie de rappeler l’élévateur, de lui hurler dessus, de se jeter sur lui, de lui faire payer ce qu’il avait fait, de...

Son poing se crispa dans un geste rageur. Non. C’était mieux ainsi. Cela ne changerait rien. Qu’il aille au diable, elle n’avait sûrement pas besoin de lui.

Nadah s’obligea à respirer plus lentement pour refouler sa colère. Elle ne pouvait pas la laisser prendre le dessus. Pas maintenant. Pas ici.

Elle la sentait au fond d’elle, prête à bondir, comme une bête sauvage. Avec elle s’ajoutaient un lot d’émotions qui ne cessaient de s’accumuler à chaque instant. Angoisse. Peur. Effroi. Terreur.

Parce qu’elle était seule, dans un monde inconnue. Parce que ses amis étaient morts.

Au prix d’un effort surhumain, toutes ses émotions, enflammées par la colère, et qui avaient déferlé dans ses veines comme un feu dévorant, s’estompèrent doucement. Elle poussa un long soupir.

La Pilleuse esquissa un malheureux sourire. Après tout, n’était-ce pas son rêve depuis toute petite, de découvrir le Dessous ?

Elle fit volte-face en rajustant le sac sur ses épaules, et s’engagea sans hésiter dans le tunnel du milieu. Il était parfaitement circulaire, et recouvert de la même matière translucide que dans le Hall. Elle s’approcha d’une des parois et l’effleura. C’était tiède, et quand elle appuyait fort, ses doigts s’enfonçaient de quelques millimètres. En s’approchant de plus près, elle s’aperçut que des réseaux de minuscules filaments couraient à la surface de la paroi et ondulaient légèrement. On aurait pu croire qu’il s’agissait là d’un organisme vivant. Elle tenta d’imaginer la roche derrière, à plus de six cents degrés. Elle y renonça aussitôt. Aucun organisme n’aurait pu vivre dans une telle fournaise.

Au bout de quelques minutes de marche, la jeune femme sentit un vent tiède lui balayer le visage. Elle accéléra l’allure, car elle apercevait une lueur, plus loin, là où se terminait le tunnel. Encore quelques pas et la Pilleuse franchissait la sortie du tunnel en clignant des yeux, aveuglée. Elle s’habitua rapidement au changement de luminosité et put observer autour d’elle à son aise.

Elle poussa un cri exclamatif. Elle se trouvait dans une grande salle déserte en demi cercle. À chaque extrémité de la pièce, deux escaliers descendaient l’un vers l’autre et une large passerelle devant la jeune femme permettait de passer au-dessus d’eux.

Mais ce n’était pas cela qui l’avait surprise à ce point, mais plutôt l’immense baie vitrée face à elle, qui s’étalait sur toute la largeur de la pièce, et haute d’une petite dizaine de mètres. Ou plutôt ce qui se dressait derrière.

Fascinée, la Pilleuse traversa la passerelle d’un pas alerte et se colla à la vitre. Ses yeux s’agrandirent encore davantage sous l’effet de la surprise.

Un paysage grandiose s’offrait à ses yeux. La grotte formait un dôme, recouvert du même isolant présent partout ici. Du moins, elle supposait que c’était une grotte. Les dimensions étaient si hallucinantes qu’elle avait cru un instant être remonté à la Surface avant les Jours de Feu. Elle ne voyait que les parois de la grotte, à sa droite et à sa gauche. Le plafond était si élevé qu’elle ne parvenait pas à l’apercevoir, pas plus que le bout de la grotte. Une lumière jaune et éclatante, pareille à celle du soleil, provenait d’un gigantesque globe. Celui-ci lévitait au dessus de la scène en tournant lentement sur lui-même.

Et, à ses pieds, s’étirant dans l’infini de la grotte, reflétant la lumière du globe, une ville se dressait là et occupait tout l’espace disponible. Rien à voir avec les Villes en ruines de l’Ancien Monde. Ici, tout était éclatant de couleurs. Des immeubles s’élançant vers la voûte, aux façades colorées. Des enseignes lumineuses, des néons clignotants. Des maisons à l’architecture compliquée. D’innombrables rues.

Le tout formait un ensemble merveilleux, unique, plein d’agitation, grouillant de vie. Il y avait tant de détails ! Les briques rouges d’un toit. Des personnes qui déambulaient. Des machines étranges au coin de la rue, ou circulant au milieu de la route.

À l’extérieur de la ville, une longue voie ferrée dessinait une longue ligne. Puis disparaissait dans un grand tunnel, creusé dans la roche. Nadah reconnut immédiatement l’engin, qui, immobile, se tenait sur la voie. Une locomotive. Elle avait de nombreuses illustrations datant de l’Ancien Monde.

Au coeur de la ville, trônant au sommet d’une volée de marches, un immense bâtiment dressait ses centaines de colonnades. Sa pierre immaculée était si respendissante qu’on aurait qu’il brillait de lui-même.

Nadah poussa un soupir contemplatif, amoureuse de la cité qui s’étendait devant elle. C’était extraordinaire, et mieux encore que dans ses rêves ! Malgré toute l’appréhension qui la saisit à cet instant, le désir en elle de visiter cette cité magnifique était plus fort que tout. Comme celui de rencontrer les Prophètes. De leur proposer une alliance entre leurs deux peuples.

La Pilleuse tenta un faible sourire. Elle n’allait pas louper une occasion pareille, pas vrai ? Bahr aurait été fier d’elle.

À cette pensée, une larme lui coula le long de la joue. Aussitôt, elle s’efforça de repousser le monstre d’émotions qui lui remontait dans la poitrine.

Pas maintenant. Pas ici. Je dois avancer. Je dois… continuer.

Elle s’arracha à la contemplation de la ville, et se dirigea vers l’un des deux escaliers. Elle entreprit de descendre les marches une à une, tranquillement. Un sourire forcé flottait toujours sur son visage. Il dénotait avec toute l’attitude de Nadah. Avec son visage, son expression, sa posture.

Malgré ça, il était là.

La jeune femme prit une grande inspiration.

 

Syr-Rhân n’attendait qu’elle.

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