I, 13 - Les histoires

Par Seja

Haido avait pris le second tour de garde. Il avait regardé le feu s’éteindre, les soleils se lever. D’abord le premier, minuscule. Puis, le deuxième, plus gros. Il avait regardé la plaine multicolore se réveiller.

Et, trop absorbé par le paysage, il ne vit pas la silhouette approcher. Quand elle tira un coup de feu en l’air, il était déjà trop tard pour fuir.

— Ouste ! grogna-t-elle d’une voix rauque. Du balai !

Haido fut si saisi par cette apparition qu’il ne réagit pas de suite. Leibju fut plus rapide. Elle se remit debout, leva les mains, les paumes ouvertes.

— On est pas armés, dit-elle.

— Grand bien vous en fasse. Ouste !

Haido rejoignit Leibju, vit du coin de l’œil Teo s’agripper au chat qui n’était clairement pas content.

— Qui êtes-vous ? demanda Haido.

— Ca parle trop, gronda la silhouette. Allez, retour dans la forêt !

Elle rechargea son fusil et le dirigea vers eux. Leibju recula, lui aussi.

— Nous sommes perdus, tenta-t-il. Nous sommes tombés par un vortex. Un portail dans le ciel.

La silhouette hésita, tira un peu sur le foulard qui lui cachait le visage.

— Un vortex ?

— Il y a trois jours, dit Leibju. On cherche juste à repartir. Vous pouvez nous aider ?

— Pas de vortex ici. Pas de retour.

Et elle s’en retourna. Haido et Leibju échangèrent un regard avant de lui emboiter le pas. Teo trottina à leur suite.

— C’est qui ? demanda-t-il.

— Silence, grogna Leibju.

Haido garda les lèvres serrées, il ne savait pas quoi dire.

— Et si elle décide de nous manger ? couina Teo.

— Elle ? demanda Leibju.

— Bah oui, elle. Là, devant, avec le fusil.

La silhouette nageait dans des vêtements trop grands et son visage était caché. Mais le petit avait raison, c’était bien une femme.

— Elle ne nous mangera pas, dit Haido.

Et il espérait que ça serait vrai. Il y avait bien des mondes où le cannibalisme était apparu. Peut-être que celui-ci en faisait partie.

Elle les conduisit par des chemins, des champs, des bosquets. Maintenant, ils n’avaient plus aucune chance de s’y retrouver. Et finalement, ils escaladèrent une petite colline et s’arrêtèrent, bouche bée.

De l’autre côté, c’était la mer, mais une mer comme Haido n’en avait jamais vu. Ses vagues semblaient faites de satin, son écume de diamants. Des oiseaux étranges piquaient vers l’eau, un cygne se laissait porter par le courant. Un peu sur le côté, un écureuil éclatait des noix et les coquilles d’or volaient pour finir dans un tas. Au loin, un bateau voguait sur l’eau et une île apparaissait dans la brume. Haido avait même l’impression d’y distinguer un fort.

Mais plus étonnante encore était la maisonnée construite sur la colline. Elle n’était faite que de planches et de tentures qui dansaient dans le vent. On l’avait décorée de coquillages, de pierres, d’or et d’émeraude. Et le tout formait un mélange surprenant.

La femme repoussa une tenture, se débarrassa de son foulard et les fixa tour à tour. Sa peau était sèche et fripée, sa bouche sévère. Mais ses yeux étaient vivants et ils lançaient des éclairs.

— Vous êtes qui ? demanda Teo.

Haido n’était pas sûr qu’une approche aussi directe était la meilleure des solutions. Elle avait toujours son fusil.

— C’est moi qui pose les questions. Comment vous êtes ici ?

— Un vortex, soupira Leibju. On est arrivés ici par accident.

— Pas d’accidents, bougonna la vieillarde. Pas de voyageurs.

— Est-ce que c’est un monde indépendant ? se risqua Haido.

La femme sembla perdue tout d’un coup. Comme si ça faisait trop d’informations et qu’elle ne savait plus comment communiquer. Haido se demande depuis combien de temps elle était là. Est-ce que c’était aussi une voyageuse qui s’était perdue ? Est-ce qu’il n’y avait vraiment aucun moyen de repartir ?

— C’est un monde habité, dit Leibju face à son silence. Regarde la mer.

— Illusion, bougonna la femme. Tout ça, juste une illusion.

Elle poussa un soupir et se laissa choir sur le perron de sa maison, face à la mer. Leibju, Haido et Teo hésitèrent avant de la rejoindre.

— C’est la même histoire, dit-elle. Elle se répète encore et encore. Le cygne se fait attaquer par un rapace, une flèche le tue. Un royaume se construit, les gens affluent. Pour voir le cygne qui fait des miracles, pour voir l’écureuil qui éclate les noix d’or, pour voir les guerriers sortir de la mer. Et puis, ça se répète. Ça se répète toujours. Je sais même pas combien de fois j’ai vu tout ça.

Haido fronça les sourcils. Tout ça semblait familier, mais il ne savait pas pourquoi.

— Et si on leur parle ? demanda Leibju. Dans la forêt, on a vu des… des choses qui nous voyaient.

— Non, soupira la femme. Non, pas le même genre. Là, ils vivent leurs histoires.

Haido attrapa le regard de Leibju. Elle semblait avoir du mal à croire à tout ça.

— Vous êtes là depuis quand ? demanda Teo.

L’inconnue détacha son regard de l’horizon et le fixa sur le petit. Un long moment.

— Les deux, là, dit-elle, ils sont équipés pour voyager. Mais toi, non. Et puis, t’as pas l’âge. Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je me suis perdu, marmonna Teo en se tordant les mains.

Haido vit soudain les traits de la femme se relâcher un peu.

— Oui, dit-elle. C’est comme ça qu’on arrive sur ce monde. On se perd.

— On peut pas repartir ? insista Teo.

Haido sentait la panique dans sa voix. Mais lui, il était un peu plus rassuré. La femme n’allait pas les attaquer et c’était une bonne chose d’avoir quelqu’un qui s’y connaissait un peu.

— Repartir ? On…

Un son strident l’interrompit.

Leibju se précipita vers son sac, vers la montre, essaya de la faire taire. Mais il n’y avait rien à faire, elle continuait de hurler. Et elle n’était pas la seule.

Haido regarda le visage de la femme perdre de ses couleurs. Elle ferma les yeux, inspira.

Puis, elle tira une montre semblable de sa poche, appuya sur un bouton.

Le silence retomba entre eux. Il n’y avait plus que le bruit des vagues et le cri des oiseaux pour le briser.

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Fannie
Posté le 15/04/2020
La femme au fusil a-t-elle perdu l’habitude de parler ou la langue de nos voyageurs est-elle une langue étrangère qu’elle a apprise ? Où a-t-elle trouvé un fusil ? Si elle est venue avec, où trouve-t-elle les munitions ? Si elle est là depuis des années, qu’elle a un fusil et une maison — aussi rudimentaire soit-elle —, c’est qu’elle trouve à manger quelque part ; probablement autre chose que les rares voyageurs qui se perdent dans ce monde.
C'est curieux, ce spectacle qui se joue, apparemment pour les visiteurs. Ce n'est pourtant pas très touristique par ici.
Coquilles et remarques :
— Il y a le verbe « demanda » dans six incises. Propositions :
Qui êtes-vous ? lança Haido. / « Elle ? souligna, releva, répéta Leibju. » / Et si on leur parle ? proposa Leibju. / Vous êtes là depuis quand ? s’enquit Teo. /
— Ca parle trop, gronda la silhouette [Ça]
— Nous sommes perdus, tenta-t-il. [Le verbe « tenta-t-il » n’a pas de lien syntaxique avec les paroles citées. D’ailleurs, que tente-t-il de faire ? De la calmer, de l’amadouer, quelque chose comme ça ? Je te propose de supprimer l’incise pour mettre une phrase introductive avant la réplique de Haido : « Elle rechargea son fusil et le dirigea vers eux. Leibju recula, lui aussi. Haido tenta d’amadouer l’inconnue. » Ce n’est qu’un exemple ; « expliqua-t-il » serait plus simple.]
— Bah oui, elle. [Ben oui ; différence entre « bah » et « ben » déjà expliquée précédemment]
— un écureuil éclatait des noix et les coquilles d’or volaient / pour voir l’écureuil qui éclate les noix d’or [« éclater » est un verbe intransitif ; je propose : faire éclater, casser, fracasser, briser]
— Mais plus étonnante encore était la maisonnée construite sur la colline [« maisonnée » se dit plus pour les habitants de la maison que pour la maison elle-même ; je propose : maison, maisonnette, cabane, cassine]
— Est-ce que c’est un monde indépendant ? se risqua Haido. [Le lien syntaxique entre le verbe et les paroles citées est indirect : il se risque à poser la question ; je propose « hasarda ».]
— Haido se demande depuis combien de temps elle était là [se demanda ou se demandait (s’il réfléchit plus longtemps)]
— Et puis, ça se répète. [Pas de virgule après « Et puis » dans ce contexte.]
P.S. « une mer comme Haido n’en avait jamais vu » [Pas d’accord avec Rimeko ; il faut laisser « vu » parce qu’il y a « en ».]
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Toujours moi !

Coquillettes et suggestions :
"une mer comme Haido n’en avait jamais vu(e)"
"Comment vous êtes (arrivés ?) ici ?"

Ah, c'est cool, j'ai l'impression que l'histoire est arrivée à une nouvelle étape ! En plus ça commençait à devenir un peu désespérant de les voir errer dans la nature sans espoir de sortie...
Et donc, la femme. J'ai l'impression que c'est une voyageuse perdue, comme eux, mais arrivée il y a bien plus longtemps... ? Et la montre, soit elle l'a trouvée comme Leibju, soit elle connaissait le propriétaire des os... Dans ce cas-là, j'espère qu'elle croira pas que ce sont eux qui l'ont tué o.O Et cette histoire d'illusion m'intrigue beaucoup aussi !!
Seja Administratrice
Posté le 29/03/2020
Bah si on les avait laissés errer, ils auraient crevé de faim et de chaud. L'histoire aurait été bien vite finie :p
Héhé, que de questions et si peu de réponses :p
Jupsy
Posté le 22/07/2018
Je ne ferais aucun commentaire sur ta fin. AUCUN.
Par contre, les choses semblent avancer. Pendant quelques secondes je me suis demandée si la vieille femme n'était pas Leibju plus âgé... et si finalement l'histoire se répétait comme l'illusion. Après comment expliquer qu'elle ne reconnaisse pas Théo ? Peut-être qu'il était pas là les fois précédentes ? Ou alors elle a perdu la boule avec les années dans ce monde charmant. 
Ou alors l'histoire se répète mais avec d'autres personnages, des gens qui se perdent... Différents. Mais peut-être que Teo c'est différent, c'est peut-être l'élu... Ou je suis très fatiguée et je pars dans des hypothèses illusoires...
Mais pour le savoir, je n'ai qu'un seul moyen. Lire la suite que tu devrais peut-être aller écrire car tu en meurs d'envie... n'est ce pas ? 
Seja Administratrice
Posté le 22/07/2018
C'est bien, ça, AUCUN commentaire ♥
Haha, tout est plus fun avec le voyage dans le temps :P Mais oui, t'as tout compris, Teo c'est l'élu. Normal pour un pseudo orphelin, en même temps.
La suite ? Nah, ça me dit rien ♥ 
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