Leibju regardait la femme et ne savait pas quoi dire.
— Où est-ce que vous avez trouvé le transmetteur ?
Le ton était las, les années semblaient lui peser tout d’un coup. Leibju glissa un regard à Haido. C’était lui qui était bon pour parler aux gens, pas elle. Mais cette histoire, il ne la connaissait pas, il n’avait pas été là.
— Quand on est arrivés, commença Leibju, on s’est perdus dans la forêt. Là… là, on est tombés sur un village abandonné. Mais…
Elle reprit son inspiration. Elle sentait encore la peur lui parcourir l’épine dorsale en repensant à cette forêt.
— Mais ce n’était pas juste des maisons. Elles… elles étaient vivantes.
En même temps qu’elle le racontait, elle se disait que ça n’avait aucun sens.
— C’est dans l’une d’elles qu’on a trouvé la montre.
— Est-ce qu’il y avait un cadavre ?
Leibju aurait bien voulu un peu d’aide, mais le gamin fuyait son regard.
— Il y avait des ossements, dit-elle. La montre était à un poignet.
La vieille femme hocha la tête, le regard perdu dans le vague. Leibju hésita, puis lui tendit la montre. Une main sèche et usée s’en saisit.
— Merci, murmura leur hôtesse en se levant.
Elle disparut à l’intérieur de la maison et ils échangèrent des regards. Haido hocha la tête sans un mot.
— C’est bizarre comme monde, dit le gamin, peut-être pour rompre le silence. On dirait une histoire de… enfin, quelque chose des livres.
Le temps passait et la femme ne revenait pas. Leibju évitait le regard d’Haido. Elle savait qu’il lui ferait comprendre qu’elle devait aller lui parler.
— On va aller voir la plage de plus près, dit-il enfin.
Le gamin tenta bien de protester, mais Haido l’entraina avec lui. Le chat réfléchit un instant avant de les suivre. Leibju se retrouva seule.
Elle s’approcha des tentures, hésita, frappa deux coups sur une planche. Il n’y avait pas de porte.
Elle vit la femme assise, la tête baissée sur la montre. Il n’y avait pas de larmes, mais Leibju sentait toute sa tristesse.
— Je le savais pourtant, dit-elle sans relever les yeux. Je savais qu’elle s’en était pas sortie.
— Elle ?
La femme regarda enfin Leibju, puis lui fit signe de venir s’assoir.
— On était tombées sur ce monde par hasard, dit-elle. Un peu comme vous. On a emprunté le mauvais vortex. Mais ça faisait partie de l’aventure. Alors, on a pas tout de suite commencé à s’inquiéter.
Elle inspira profondément.
— Vous étiez des exploratrices ?
— Oui. On avait déjà quelques mondes dans les pattes. Alors, un de plus ou de moins… Sali… elle avait toujours été casse-cou. Bien plus que moi. C’était son idée de rentrer dans la forêt. Et moi, je l’ai suivie. J’aurais pourtant pu lui faire changer d’avis.
Leibju frissonna bien malgré elle. Elle se souvenait de la forêt, de l’oppression constante.
— Mais le souci, c’est qu’on était pas préparées pour ce monde.
Son regard revint vers la montre.
— On était pas prêtes parce qu’on avait jamais rien vu de tel. Les cabanes, les esprits, tout ce qu’il y a sur la plage, là. C’est que plus tard que j’ai compris que ce monde était unique dans son genre. Et c’est sans doute pour le mieux.
Leibju était suspendue à ses lèvres.
— Les cabanes ont attaqué, dit la femme rapidement. Elles nous ont entourées et elles ont attaqué. Moi, j’ai réussi à fuir, j’ai couru. Je pensais que Sali avait suivi. C’était pas le cas. J’ai essayé de revenir sur mes pas. Mais j’ai surtout erré sans avoir la moindre idée de comment sortir.
Leibju connaissait bien ce sentiment. La seule raison pour laquelle elle avait tenu le coup, c’était Haido. C’était plus facile de se perdre à deux.
— J’ai fini par sortir de la forêt. Je sais pas trop comment. Et j’ai marché, marché, marché jusqu’à arriver ici.
— Ça fait combien de temps ?
La femme tressaillit, comme si elle s’était perdue trop profondément dans ses souvenirs.
— J’en sais trop rien, dit-elle en remettant une mèche blanche derrière l’oreille. Sûrement un moment. J’avais…
Elle fronça les sourcils.
— J’avais vingt-deux ans qu’on a atterri ici. Sali en avait vingt-cinq.
Elle se releva, marcha jusqu’aux tentures, fixa l’extérieur.
— Vous êtes les premiers explorateurs que je vois.
— Personne est venu ? Pendant toutes ces années ?
— Peut-être que d’autres sont tombés. Mais nos routes se sont jamais croisées.
Elle se tourna vers Leibju.
— Le transmetteur, dit-elle. Il a sonné chaque jour depuis. Toujours à la même heure. On les avait synchronisés avant de partir. Alors, j’avais gardé espoir. Peut-être qu’elle était là, quelque part. Peut-être qu’elle était aussi perdue que moi.
Leibju voyais ses doigts crispés sur la montre. Ses jointures avaient blanchi.
— Je suis désolée, dit-elle.
La vieille femme hocha la tête.
— Je savais au fond de moi qu’elle avait pas survécu. Je le savais. C’est sans doute pour ça que je me suis jamais dirigée vers le signal. Je voulais pas de confirmation. Mais… mais il y a quelques jours, le signal a commencé à bouger, à se rapprocher. Je savais qu’elle était morte et pourtant, je me suis autorisée un espoir.
Elle poussa un profond soupir, balaya ses paroles d’un geste de la main.
— Mais c’était que nous, murmura Leibju.
Elle n’obtint aucune réponse.
— Depuis tout ce temps, insista-t-elle, vous avez pas pu repartir ?
— Je pouvais pas.
Ces paroles, la jeune fille les redoutait. Elle observa la femme à la dérobée. Est-ce qu’elle allait finir comme elle ? Est-ce qu’elle allait aussi passer sa vie sur ce monde étrange ?
— Je pouvais pas partir alors que Sali était peut-être là, quelque part.
Ces mots eurent du mal à trouver un sens. Mais quand ils le firent, Leibju bondit sur ses pieds.
— Il y a moyen de repartir d’ici ?
Elle s’entendit presque crier. La femme haussa un sourcil.
— Bien évidemment, dit-elle.
— Comment ?
— Comme vous êtes venus. Par un vortex.
Triste histoire que celle de Sali et de sa partenaire qui reste là depuis des années, voire des décennies pour être sûre de ne pas l’abandonner dans ce monde bizarre. Maintenant, elle pourra essayer de partir avec les jeunes.
Coquilles et remarques :
— Leibju évitait le regard d’Haido [de Haido (?)]
— puis lui fit signe de venir s’assoir. [Tu as choisi la graphie rectifiée ? Pour « asseoir », je n’arrive pas à m’y faire.]
— Leibju voyais ses doigts crispés [voyait]
— je me suis autorisée un espoir [autorisé ; « me » est COI, donc il n’y a pas d’accord]
Donc oui, mes suppositions ont été confirmées : il s'agit bien d'une autre exploratrice perdue, et elle connaissait le cadavre... Pauvre Sali d'ailleurs, c'est pas une jolie mort ça, dévorée par une cabane. Heureusement que les autres sont sortis de la forêt à peu près sain et sauf !
Et du coup, en quoi il est unique ce monde, si ce n'est pas parce qu'il n'y a aucun vortex ? Ah, ça m'intrigue tout ça !
Argh... mais y a pas la fin ! C'est que je veux savoir, moi ! Qu'est-ce qui arrive à Teo ?
Comme tu l'as vu, je ne t'ai pas fait de commentaires par chapitre parce que j'ai lu tous les derniers hier soir dans mon lit.
J'ai continué à bien m'amuser, même si l'ambiance change un peu à partir du moment où ils sortent de la forêt : c'est un peu plus mélancolique et il y a un peu moins de surprise.
J'ai trouvé une ou deux fois que tes fins de chapitres faisaient un petit peu "tadaaa" par rapport à ce qui ce passe après, mais comme ça fait partie du ton général, ça passe si on le prend au second degré.
J'ai aussi vu passer quelques coquillettes (je pourrais les retrouver si tu veux).
Mon impression est très positive en tout cas : est-ce vraiment nécessaire de le dire, puisque, comme pour Des Cafards et des âmes, je n'ai pas pu m'empêcher de tout dévorer. Encore une fois, le fait que ton écriture et l'intrigue soient limpides est très agréable. Je prends une leçon d'ailleurs : la complexité n'est pas indispensable à la conception d'une bonne histoire !
Merci pour cette lecture ;)
Haha, pour les fins de chapitres, J'AVOUE, j'ai cédé au cliff x) Je verrai ce que j'en fais à la récriture (qui arrivera un jour (lointain)).
Merci à toi d'avoir avalé tout ça ! Même si mon remerciement vient avec un an de retard. JE N'AI PAS D'EXCUSE.
Pauvre Sali. Pourquoi Sej ? Pourquoi tant de cruauté ?
Bon d'accord à la fin, on apprend qu'il est sans doute possible de repartir, mais zut... POURQUOI ?
Je ne connaissais pas Sali mais je suis triste pour elle... Je vois l'opportunité d'une belle histoire d'amour s'envoler. Je crois qu'un garçon m'aurait fait moins de peine parce que les histoires d'amour entre homme et femme, ben c'est plus souvent présent. Après elles s'aimaient peut-être pas d'amour...
C'était peut-être juste une grande amitié. Une très grande amitié. Une belle amitié. Qui finit tragiquement avec ce message...
La curiosité est un vilain défaut. Restez chez vous, ne suivez pas les vortex, les mares de sang, les traces de pas, restez confinés sous votre couette à commander des sushis et à écrire de sombres histoires mal rémunérées. Pensez à prendre des chats aussi... Pour la solitude...
Et sinon c'est quand la suite ? :P
Bah écoute, les histoires d'amour, parfois, ça finit mal. Genre ton compagnon qui se fait bouffer par une cabane à pattes de poulet. C'est la vie.
Merci d'être toujours là xD C'est rassurant de voir qu'au moins une lectrice n'est pas encore partie en hurlant :P
♥
Mais d'abord on doit comprendre ce que le chat mijote. Une soupe de rats? Ou une soupe de Téo, ce n'est pas impossible non plus. Ou alors c'est l'examinateur de Leibju et Haido qui s'est déguisé (je vois bien Haido gratter innocemment son examinateur entre les oreilles XD)!
Bon, j'ai hate de savoir!
Haha, ça serait très drôle si c'était l'examinateur :') Qui sait, qui sait... P'têt qu'il aime la gratouille des oreilles, l'examinateur...
♥