Tobo était très concentré sur la piste de son maître. Anna et Tobie lui avaient donné pour mission de le retrouver. Tobith, en effet, n’avait pas mis longtemps à se rendre compte que le tort était de son côté ; il avait balbutié des excuses à son épouse et s’était enfui. Anna, en colère, avait d’abord décidé de le livrer à son propre sort ; mais Tobie était arrivé, il avait réconforté sa mère, et ils étaient tombés d’accord sur le fait qu’on ne pouvait pas laisser l’aveugle vagabonder dans les rues de Ninive au risque qu’il ne retrouve jamais son chemin. Ainsi Tobo était-il parti à sa recherche.
« Eh regardez, c’est le chien de l’aveugle ! »
Un homme du quartier, appuyé sur son râteau, le pointait du doigt.
« De nos jours, ce ne sont plus les hommes qui cherchent leurs chiens, ce sont les chiens qui cherchent leurs hommes, ricana son voisin. M’est d’avis que Tobith a dû boire un coup de trop. Vous vous souvenez comme il marchait de travers, comme il s’arrêtait souvent pour pleurer, comme il disait des choses qui n’ont aucun sens ? J’ai presque été tenté de le prendre en pitié.
- Tu n’aurais tout de même pas ramené un pouilleux à la maison ! s’écria la femme à ses côtés. Sans parler qu’il a été dans le collimateur de la justice. Moi, je ne veux pas d’ennuis avec les Assyriens. »
Tobo, qui ne comprenait pas leurs méchantes paroles, continuait à suivre la piste. Et quelques croisements, ruelles et voisins médisants plus tard, il découvrit son maître, prostré au pied d’un mur, roulé en boule et le visage baigné de larmes.
« Oh, Tobo ! Mon bon chien. Rentre à la maison. Anna et Tobie auront besoin de toi, bien plus que de moi. Je suis un incapable, c’est ma femme qui fait tourner la maison, et en plus, je lui fais des reproches et je me mets en colère contre elle de façon injustifiée. Mais vois-tu, Tobo, je n’aurais jamais pensé que je serais celui à qui on fait l’aumône. J’ai honte, Tobo, et j’ai honte d’avoir honte, car il n’est pas humiliant d’être dans la nécessité. Mais comment faire autrement alors que tous les voisins, tous les gens de la ville se moquent de moi ? »
Tobo effleura de sa truffe la joue de son maître. Il ne comprenait pas l’hébreu, mais il savait reconnaître un humain triste. Tobith flatta la tête de l’animal, puis leva les mains vers le ciel.
« Tu es juste, Seigneur, toutes tes œuvres sont justes, tous tes chemins, miséricorde et vérité ; c’est toi qui juges le monde. Et maintenant, Seigneur, souviens-toi de moi et regarde : ne me punis pas pour mes péchés, mes égarements, ni pour ceux de mes pères, qui ont péché devant toi et refusé d’entendre tes commandements. Tu nous as livrés au pillage, à la déportation et à la mort, pour être la fable, la risée, le sarcasme de toutes les nations où tu nous as disséminés. Et maintenant encore, ils sont vrais les nombreux jugements que tu portes contre moi, pour mes péchés et ceux de mes pères, car nous n’avons pas pratiqué tes commandements ni marché dans la vérité devant toi. Et maintenant, agis avec moi comme il te plaira, ordonne que mon souffle me soit repris, pour que je disparaisse de la face de la terre et devienne, moi-même, terre. Pour moi, mieux vaut mourir que vivre, car j’ai entendu des insultes mensongères, et je suis accablé de tristesse. Seigneur, ordonne que je sois délivré de cette adversité, laisse-moi partir au séjour éternel, et ne détourne pas de moi ta face, Seigneur. Car, pour moi, mieux vaut mourir que connaître tant d’adversité à longueur de vie. Ainsi, je n’aurai plus à entendre de telles insultes. »
Puis il se redressa et caressa de nouveau son chien.
« Allez viens Tobo, rentrons à la maison. Je dois mettre mes affaires en ordre pour ne pas laisser cette chère Anna et mon jeune Tobie dans la détresse. Je vais envoyer Tobie récupérer l’argent que j’avais mis en dépôt chez Gabaël, à Raguès de Médie. Tu l’accompagneras, mon fidèle chien, pendant que j’assisterai Anna. Et une fois que vous serez rentrés, je pourrai mourir en paix. »
FIN DE LA PARTIE I