PARTIE II
Les trois voyageurs étaient fin prêts. Tobie avait ses nouvelles chaussures, son manteau, son bâton de marche, et un sac sur le dos avec de la monnaie, du pain et une tunique de rechange. Tobo n’avait pas de sac, mais Anna lui avait préparé une bonne soupe avec de gros morceaux de viande pour le mettre d’aplomb. Et le troisième larron, un dénommé Azarias fils d’Ananias, se tenait à leurs côtés.
Tobie avait trouvé cet homme assis sur un banc dans la rue, qui cherchait du travail. Azarias connaissait bien le chemin jusqu’en Médie, Tobie avait besoin d’un guide pour l’accompagner, alors ils s’étaient arrangés facilement. De plus, Tobith, le père de Tobie, connaissait bien Ananias, et avait donc immédiatement accordé son estime à Azarias.
Cependant, Tobo trouvait quelque chose de louche chez ce guide. Il n’avait pas l’odeur d’un humain ; son fumet ressemblait plutôt à celui d’un poulet. Et alors que la plupart des gens faisaient du bruit en marchant, Azarias, lui, était silencieux comme si ses pieds effleuraient à peine le sol. Mais ces quelques bizarreries ne suffisaient pas à éclipser l’aura de confiance et de sécurité qui émanait du mystérieux voyageur.
Tobith serra Tobie dans ses bras.
« Va, mon enfant, porte-toi bien ! »
Puis Anna s’approcha pour faire de même, mais elle ne réussit pas à embrasser Tobie sans fondre en larmes.
« Est-il vraiment nécessaire que tu partes ? N’es-tu pas le bâton de nos mains, tant que tu demeure avec nous ? Pourquoi vouloir de l’argent, et encore de l’argent ? Cela ne vaut rien en comparaison de notre fils !
- Ne te fais pas de souci, mon cœur, répondit son époux. Tes yeux verront le jour où il te sera rendu bien portant. Contrairement aux miens, soupira-t-il à voix basse.
- Ayez confiance en Dieu, renchérit Azarias fils d’Ananias. Un bon ange veillera sur votre fils tout au long du chemin.
- Et puis, il y aura Tobo, acheva Tobie. N’a-t-il pas toujours veillé sur moi ? »
Le garçon embrassa sa mère et, son guide à ses côtés et le chien sur ses talons, s’engagea dans la rue qui menait hors de la ville. Mais Anna continuait de pleurer en silence.
Ils marchèrent toute la journée. Ils longeaient le fleuve, le Tigre selon Azarias, qui coulait doucement dans la plaine d’Assyrie. Le soleil discret pointait parfois le bout de son nez derrière les nuages, tandis que le vent jouait dans les herbes hautes. Azarias semblait glisser sur le chemin, comme si c’était le vent qui le portait. Tobie marchait plus difficilement, il n’était pas habitué à d’aussi longs trajets. Et Tobo s’amusait à courir après tous les lapins qu’il voyait.
Le soir tombait et il n’y avait aucune habitation en vue.
« Arrêtons-nous, proposa Azarias. Nous avons bien marché aujourd’hui, mais nous n’atteindrons pas la Médie avant demain. »
Tobie soupira de soulagement et se laissa tomber sur le sol. Il ôta ses chaussures, massa ses pieds douloureux et s’approcha du fleuve pour les laver. Mais à peine son orteil avait-il effleuré la surface de l’eau qu’une immense masse noire jaillit des flots. C’était un poisson ; son corps était tout entier recouvert d’écailles noires, des épines hérissaient son dos, et deux énormes yeux globuleux complétaient le tableau. Il avait une bouche énorme, garnie de petites dents pointues qu'il enfonçait profondément dans la chair de Tobie. En effet, le poisson avait avalé le pied de sa proie jusqu’à la cheville ; et à présent, il tirait de toutes ses forces pour ramener le garçon sous l’eau.
Tobie, lui, criait à pleins poumons.
« Attrape le poisson, lui enjoignit Azarias, et maîtrise-le ! »
Mais Tobie luttait déjà de toutes ses forces pour ne pas être englouti. Alors Tobo planta ses propres crocs dans la queue du poisson. Elle était dure, pleine d’écailles, et il devait faire attention à ne pas s’écorcher les gencives, mais la vie de son jeune maître était en jeu.
Finalement, le poisson perdit en forces. Sa traction se faisait moins forte, et Tobie put libérer une de ses mains pour attraper un couteau qu’il enfonça dans l’œil gauche du monstre. La lame pénétra jusqu’au cerveau, et bientôt, le garçon put hisser la sale bête sur la rive. Il lui fallut ensuite libérer sa jambe. Heureusement, les plaies étaient superficielles. Azarias se servit de la tunique de rechange pour bander la cheville de son jeune protégé.
« À présent, éventre le poisson, enlève-lui le fiel, le cœur et le foie, et mets-les à part pour les emporter. Car le fiel, le cœur et le foie sont des remèdes efficaces. Pendant ce temps, je vais chercher de quoi faire du feu. Nous camperons ici, et demain dans l'après-midi, nous arriverons en Médie. »