Nadah frissonna, et resserra les pans de son manteau. La température avait chuté pendant la nuit et le vent n’en était que plus mordant.
Un grognement maussade lui parvint. Elle se pencha et flatta l’encolure de son Hari.
- C’est bien, mon grand. Continue comme ça.
L’énorme animal réitéra son grognement en agitant les plumes de sa queue d’un geste agacé, puis s’ébroua, manquant de désarçonner sa cavalière au passage. Mais Nadah tint bon, cramponnée aux rennes de son Hari.
- Tu devrais faire gaffe, Nadah. Julaff a un sale caractère, et il déteste les caresses. Un jour, il te renversera par terre avant que tu aies eu le temps de dire « raaal ».
Le Hari blatéra, comme pour approuver. Ses petits yeux brillaient dans l’obscurité, et il avançait rapidement sur ses deux pattes, secouant Nadah à chaque enjambée.
Nadah tourna le tête vers le vieil homme qui lui avait adressé la parole. Assis en tailleur sur la bosse de son Hari, il portait une longue barbe grise et ses yeux brillait du même éclat que la lune. De ses deux mains, il tenait fermement les rênes de sa propre monture.
- J’ai hâte de voir ça, He’m ! Le Hari qui aura raison de moi n’est pas encore né, rétorqua-t-elle avec une pointe de défi dans la voix.
Le vieil homme secoua la tête et prit un air découragé.
- C’est bien ça, le problème. Quarante ans je m’occupe de ces bêtes, et à chaque fois que tu en montes une, elle devient insupportable, grommela-t-il.
Nadah rit de bon cœur, et He’m se dérida à son tour.
La jeune femme reporta son attention devant elle. Les premiers rayons du soleil faisaient leur apparition, et illuminaient les ruines immenses de la Ville qui se dressait devant eux. Elle était gigantesque. Il était impossible d’ignorer les marques des Jours de Feu, et celles du temps qui y avait fait son œuvre, implacable. Nadah ferma un instant les yeux. Elle était toujours émue de contempler ces ruines, vestiges de cités qui, jadis, se dressaient fièrement sous le ciel. Elle essaya d’imaginer comment pouvait y être la vie. Des murailles imposantes et des tourelles d’un éclat aussi pur que celui du soleil. Des tours immenses, pointant vers le ciel, et des pavillons claquant sous l’action du vent. La Ville devait grouiller de vie, pleine de couleurs chatoyantes. Du palais impérial, au centre de la cité, où des gardes imposants patrouillaient. Jusqu’au marché, où les gens déambulaient paisiblement parmi les étalages emplis de victuailles. Elle se représenta les myriades de vaisseaux dans le ciel, au dessus de la Ville. Les énormes canons sur les murailles. La technologie, présente dans chacun des aspects de la cité.
Comme dans les légendes de l’Ancien Monde.
Mais des jours étaient venus où tout avait été réduit en cendres.
Les Jours de Feu.
Nadah frémit, et rouvrit les yeux. Tout disparu immédiatement, les murailles, les tourelles et les pavillons. Il ne restait plus que la Ville en ruine. Ils s’en approchaient rapidement.
Nadah se retourna brièvement, et jeta un regard au reste du groupe. En temps habituel, une patrouille comptait trois ou quatre Pilleurs, mais Bahr avait insisté pour qu’ils soient le double.
La situation à laquelle ils étaient confrontés n’avait rien d’habituel.
Un jeune homme derrière elle lui adressa un immense sourire. To’r. Il se tourna vers Tilham, un guerrier à la carrure immense, qui semblait à l’étroit en haut de son Hari.
- J’espère qu’il y aura des Raaals dans le coin, chef, lui dit-il, très sûr de lui. Qu’on s’amuse un peu.
Le Guerrier se tourna vers lui et grogna.
- Moi pas, sinon tu vas encore nous endormir avec tes exploits médiocres. Nous ne sommes pas là pour nous amuser. Et arrête de m’appeler chef, ajouta-t-il d’une voix autoritaire.
- Compris, chef ! répartit To’r, avec un point de moquerie dans la voix. Je me tiendrai à carreau, chef ! Le jeune homme tenta maladroitement de se redresser pour se mettre au garde à vous. Nadah ne put s’empêcher de sourire en voyant sa posture ridicule.
- Arrête un peu de faire le guignol, To’r.
La femme qui venait de parler était l’exact opposé de To’r. Grande et maigre, elle affichait une mine austère et dépourvue de la moindre sympathie.
- Rhô la la, ça va. Tu devrais rire un peu, Kijk. Ça te ferait du bien.
Les sourcils de la femme se froncèrent.
- Il n’y a rien de drôle, To’r. Et tais-toi, tu va ameuter tous les Charognards du coin.
Le jeune homme ne répondit pas et se tint coi : il ne préférait pas insister.
Dans le clan de l’Aube, la plupart étaient Pilleurs. C’était l’essence même de l’identité du Clan. Néanmoins, certains étaient appelés à servir autrement : c’était le cas des Chasseurs, réputés pour leur agilité, comme To’r, mais également des Guerriers, dont la bravoure n’avait d’égal que leur endurance : Kijk et Tilham en faisait partie. Nadah réprima un sourire en songeant que les deux castes n’avaient strictement rien en commun. To’r et Kijk en étaient les preuves vivantes. Les chasseurs étaient d’incorrigibles vantards, toujours prêts à saisir une occasion pour démonter leur courage. Les Guerriers, au contraire, étaient l’incarnation de la sobriété et de l’efficacité. Malgré cette rivalité ancestrale, les deux castes se portaient mutuellement beaucoup d’estime.
Nadah se remit une mèche en place. Ils approchaient rapidement de la Ville. À côté d’elle, Tilham fit un signe, et un Pilleur d’une quarantaine d’années approcha son Hari du sien.
- Alors, Dahim ? lui demanda-t-il.
- Pour l’instant, rien à signaler, Tilham. J’espère que les Charognards ne vont pas revenir, répondit l’homme avec une point d’inquiétude dans la voix.
Il déglutit, puis ajouta :
- Je suis pas à l’aise avec cette histoire de signal. Je… je crois pas à ces légendes du Dessous.
L’immense Guerrier émit un grognement mais ne répondit pas.
- Tu penses que c’est un piège, Dahim ? intervint Nadah, une lueur inquiète dans le regard.
L’homme la regarda, interloqué, puis sourit franchement.
- Un piège ? Non. Les Charognards sont trop bêtes pour en monter un.
Il fit une pause, puis rajouta, d’une voix hésitante :
- C’est juste que… avec toutes les histoires qu’on raconte sur le Monde du Dessous…
Nadah ne répondit rien. Belij n’était visiblement pas le seul à être superstitieux.
Devant elle, He’m leva la main et cria d’une voix forte :
- Haaalte !!!
Tous les Haris stoppèrent brusquement leur course dans un nuage de poussière. Nadah s’accrocha de toutes ses forces à ses rennes pour ne pas être éjecté, puis sauta à terre en suffoquant.
La poussière se dissipa, et elle put observer autour d’elle à son aise.
Ils se trouvaient à présent au pied de ce qui restait des remparts, près de la porte nord de la Ville. La Ville, même en ruines, était impressionnante d’ici. Nadah avait beau plisser les yeux, elle ne parvenait pas à en deviner les contours à travers l’épaisse brume qui flottait parmi les décombres.
Tilham se retourna pour donner ses instructions.
- Nous traverserons la Ville à pied. Les rues sont bien trop abîmées pour que les Haris puissent y circuler librement. He’m, tu restes ici et tu t’occupes de bêtes. Kijk reste avec toi.
Le vieil homme et la guerrière acquiescèrent de concert, puis se détournèrent pour s’occuper des bêtes.
- To’r, tu prends l’aiguilleur et tu passes devant. Nadah et Dahim, vous restez devant moi. Je ferme la marche, conclut-il d’une voix bourrue.
Nadah hocha la tête, imitée par le Pilleur et le Chasseur. Ce dernier chercha dans une des sacoches de son Hari et en un sorti un petit appareil de la taille d’une paume, rectangulaire. Un aiguilleur, similaire à celui utilisé par Nadah pour chercher des Traceurs.
To’r en consulta le cadran, puis esquissa un petit sourire satisfait. Relevant la tête, il franchit joyeusement l’entrée de la Ville.
Nadah et Dahim lui emboîtèrent le pas, suivi par Tilham. Ils passèrent sous un portique imposant qui tenait encore debout. Construit comme les murailles, dans un pierre noire sans la moindre aspérité et lisse comme du marbre, il était recouvert de lichen. Nadah balaya du regard les ruines alentour, et un frisson lui parcouru la colonne vertébrale. Même après cent cinquante ans, chaque bâtiment, chaque ruelle, chaque pierre portait les stigmates du désastre qui s’était abattu ici. Il y avait toujours quelque chose de lugubre dans ces immenses Villes.
Comme dans un immense cimetière à ciel ouvert.
Derrière elle, une voix chuchota.
- Fais attention ou tu poses les pieds, Nadah. Le sol est traître.
La Pilleuse se retourna vers Dahim et hocha la tête, la gorge serrée. Le sol était en effet en piteux état. Ils progressaient lentement, dans un silence assourdissant, comme s’ils craignaient de réveiller les pierres. To’r fut le premier à prendre la parole à voix haute. Il s’arrêta un instant, et la petite troupe derrière lui l’imita.
- Chef ? L’aiguilleur me signale un obstacle important à cinq cent mètres, et me propose un itinéraire alternatif. Je le suis ?
Un grognement retentit derrière Nadah.
- Bon, ok. Je prends ça pour un oui.
Le jeune garçon jeta un bref coup d’œil à son appareil, et se remit en route.
Le silence retomba aussitôt.
Plus ils avançaient, et plus Nadah avait de mal à retenir son impatience. Elle repensa à ce que lui avait dit Bahr la veille. Un signal qui viendrait… du Dessous.
Elle secoua la tête, incrédule. Elle qui avait toujours été persuadé de l’existence de ce Monde légendaire, à présent elle en doutait. Elle n’avait aucune idée de ce qu’ils trouveraient là-bas, mais cette attente lui était insupportable.
Et puis, comme lui avait dit Bahr, c’était sûrement seulement un signal parasite. Mais voilà, elle n’arrivait à se défaire de l’idée que c’était peut-être… plus que cela.
Elle accéléra l’allure. Le soleil était à présent complètement levé et l’éblouissait. Nadah leva la main. La brume se levait progressivement. Elle plissa les yeux, To’r avait parlé d’un obstacle.
Elle étouffa un cri.
Un Kkrorhen.
Un animal monstrueux était couché en travers de la rue, mort. Il était gigantesque. Une quinzaine de mètres de hauteur, et peut-être trois fois davantage en longueur. Ses innombrables pattes pendait lamentablement le long de son corps et sa carapace noire commençait sa décomposition. Un nuage noir s’agitait tout autour de lui, Nadah pouvait presque en entendre le vrombissant insupportable.
Des nuisibles.
Des centaines de milliers de mouches et insectes en tout genre, qui s’empressait de dévorer l’animal.
La jeune femme entendit un grognement derrière elle, suivi d’un hoquet de surprise. Tilham et Dahim avaient aussi du l’apercevoir. Devant elle, les épaules de To’r s’affaissèrent légèrement. Ils avancèrent encore de quelques pas, puis le jeune homme désigna une ruelle sur sa droite.
- On va prendre par ici, dit-il, avant de se remettre en route.
Nadah détourna les yeux du Kkrorhen. Une puanteur effroyable venait lui effleurer les narines, lui donnant la nausée. Elle s’engagea hâtivement à la suite de To’r.
- C’est vraiment bizarre…
Dahim, qui la suivait de près, avait chuchoté davantage pour lui-même que pour Nadah. Elle ne put s’empêcher de le questionner.
- Quoi donc ?
Le Pilleur, qui marchait en fixant ses pieds, releva la tête.
- Le Kkrorhen. Ici. Normalement, ces bestioles ne s’aventurent jamais en dehors de la Forêt. Et c’est la première fois que j’en vois un aussi énorme. Je me demande ce qui a bien pu l’attirer jusqu’ici.
Il poussa un long soupir. La jeune femme haussa les épaules et ne répondit rien. Elle n’en avait aucune idée.
Devant elle, To’r prit à gauche.
Ils le suivirent dans une petite ruelle. Elle était encore plus étroite que la précédente et l’état du sol ne s’améliorait pas. De profondes crevasses çà et là obligeaient la petite troupe à faire de grands bonds pour les éviter, ce qui rendait la progression encore plus difficile. Nadah fut rapidement essoufflée. Elle s’impatientait de plus en plus.
De part et d’autre de la rue se dressaient de grands immeubles à la façade délavée. Par terre, en plus des gravats et des ruines, gisaient des portes démises de leur gonds, des machines en piteux état ou encore des objets du quotidien complètement mangés par le temps. Nadah en connaissait la plupart grâce aux histoires de l’Ancien Monde ou son expérience de Pilleuse. Elle regardait chaque élément de la scène d’un œil expert. Rien n’était en assez bon état pour être réutilisé, transformé ou vendu à d’autres Clans.
Parfois, au détour d’une rue, on pouvait voir un bâtiment, ou une enseigne, en meilleur état. Nadah s’arrêta quelques instants devant l’une d’elle. Un néon rongé par la rouille y pendait encore, se balançant imperceptiblement dans un lugubre grincement de métal. Nadah s’approcha de la devanture, sur laquelle figurait une inscription.
« E-L-455 »
Son regard erra quelques instants sur l’enseigne, puis elle se détourna et se remit en marche derrière To’r, songeuse. Voilà de nombreuses années qu’elle parcourait des Villes en quête d’objets à piller, et pourtant elle n’arrivait toujours pas à saisir le mode de fonctionnement de l’Ancien Monde. Peut-être n’y arriverait-elle jamais. Ils vivaient trop différemment. À vrai dire, les Jours de Feu les séparaient.
- Nous y sommes !
Nadah sortit de ses pensées. Devant elle, To’r s’était retourné et brandissait fièrement son aiguilleur.
- Et ceci, grâce à ce petit bijou qui nous a fait emprunter le meilleur itinéraire possible ! fanfaronna-t-il.
Tilham s’avança.
- Où est-ce précisément ?
Le Chasseur désigna un bâtiment derrière lui.
- À l’intérieur de ce hangar, chef.
- Allons-y, alors.
To’r, l’aiguilleur à la main, s’approcha du hangar d’un pas résolu. Il poussa une porte rouillée, privée de ses gonds, qui s’écroula dans un fracas métallique. Le jeune homme passa le seuil, aussitôt imité par le reste du groupe.
Une pénombre régnait à l’intérieur du bâtiment. Nadah cligna des yeux plusieurs fois pour s’habituer à la différence de luminosité. En levant la tête, elle apercevait le ciel par quelques trouées, au bord desquelles pendaient lamentablement des tôles métalliques. Prenant garde où elle posait les pieds, elle suivit To’r qui se dirigeait vers un coin du hangar. Il s’arrêta, et montra du doigt un immense tas de gravats et de pierres avec un petit air satisfait.
- Et voilà ! L’aiguilleur indique que c’est ici que le signal est le plus fort, ajouta-t-il en tapotant l’écran de l’engin, je pense que...
- Il va falloir tout dégager, l’interrompit brusquement Tilham.
To’r s’étrangla.
- Qu… quoi ? Tout ça ? Mais il y en a pour des heures !!!
- Raison de plus pour s’y mettre immédiatement.
Le Guerrier, sans perdre plus de temps, se mit aussitôt à dégager le tas de pierres.
Nadah sourit en voyant l’air penaud de To’r, qui commençait vraiment à regretter d’avoir été désigné pour la patrouille de l’aube. Elle s’approcha de lui.
- Allons, haut les cœurs ! À quatre, ça ira vite. Et puis, si tu veux, à la veillée de ce soir, tu auras le droit de conter tes exploits mémorables, et comment tu as défait un tas de cailloux machiavéliques !
- Ha ha, très drôle.
Le jeune homme affichait un tel air de dépit que Nadah éclata de rire. Il se dérida aussitôt, et
afficha de nouveau son habituel sourire espiègle.
- Bon. Mais alors vous n’interviendrez pas, même si vous jouez un rôle pitoyable dans l’histoire.
- Promis.
- Hé, vous deux ! Si vous comptez nous aidez un jour, ce serait sympa de prévenir !
Dahim, les manches retroussées, avait le souffle court et le visage rougi par l’effort. Il prit une nouvelle pierre qu’il déposa quelques mètres plus loin.
- On a pas toute la journée, alors bougez-vous.
Nadah retroussa ses manches et attrapa le premier bloc qui lui venait sous la main, et jeta un regard à son ami.
To’r avait aussi retroussé ses manches et déplaçait une énorme pierre avec difficulté d’un air résigné. Il avait eu dix-huit ans quelques jours plus tôt, et bouillait d’une ardeur qui le poussait sans cesse à vouloir multiplier les exploits. Il portait la preuve du premier autour du cou, un bout de corne d’un Raaal qu’il avait tué à l’âge de onze ans. Sa plus grande fierté. To’r était un excellent chasseur, doté d’une belle habilité. Grand et svelte, il portait la tenue de sa caste, une tunique brune serrée à la taille, et une fourrure de Raaal sur les épaules. Il affichait un éternel sourire espiègle, souligné par deux yeux bleus aussi clairs que ses cheveux blonds, coiffés avec la plus grande application, étaient blonds.
Tout le contraire de son voisin, Dahim.
Le Pilleur portait un long manteau gris qui lui descendait jusqu’aux mollets, enserrés dans des bottes en cuir d’Oulouk. Sous des longs cheveux noirs comme du jais, il affichait un air inquiet, regardant régulièrement autour de lui, comme s’il craignait de voir surgir des Charognards des coins du hangar. Malgré son éternelle inquiétude, c’était un des meilleurs Pilleurs du clan. Il avait énormément appris à Nadah sur le métier.
La jeune femme reporta son attention sur le dernier homme, Tilham. Comment pouvait-on déplacer des pierres aussi rapidement ? Il était l’incarnation même de la force brute. Nadah était toujours impressionnée de voir cette énorme masse de muscles se mouvoir aussi vite. Il portait un vêtement serré à la ceinture comme les Chasseurs, mais d’un vert sombre. Dans son dos étaient accrochés une dizaine d’armes en tout genre, du simple paralyseur au cimeterre, en passant par un énorme tromblon et un hache de jet. L’attirail était impressionnant. C’était les Pilleurs qui fabriquaient toutes ces armes, aussi bien grâce aux pièces récupérées lors de pillages, que grâce aux carcasses d’animaux ramenés par les Chasseurs, comme la carapace d’Oulouk, réputée pour sa solidité. On fabriquait un nombre fou de choses avec.
Nadah déposa la pierre qu’elle portait et en prit une autre, poursuivant inlassablement son aller-retour.
Elle songea que le Clan n’allait pas tarder à lever le camp. Voilà bientôt plusieurs semaines qu’ils étaient près de cette Ville, il n’y avait plus grand-chose intéressant à piller. Et surtout, des Charognards traînaient dans le coin. Nadah frémit à cette pensée. Ils n’attaquaient jamais des grands clans comme le sien : ils préféraient les petites tribus. Le groupe qui les avaient inquiétés la veille était nombreux et bien armés. Qu’est-ce qui pouvait pouvait bien les pousser à les défier ainsi ? Nadah avait beau chercher, elle ne parvenait pas à trouver de réponses à sa question.
Elle posa une énorme pierre loin du tas et soupira. Le tas diminuait à vue d’œil, mais il en restait encore beaucoup.
- Déjà fatiguée ?
To’r posa le bloc qu’il portait et afficha un sourire goguenard. Nadah le fusilla du regard.
- Ha ha. Très drôle.
Les deux amis échangèrent un sourire entendu et se remirent au travail.
Comme l’avait annoncé To’r, ils mirent plusieurs heures à dégager tout le tas. Quand ils eurent enfin fini, le soleil était haut dans le ciel et quelques rayons perçaient à travers les trous du toit.
Nadah s’assit sur la dernière pierre qu’elle avait déposé et poussa un soupir de soulagement. Elle était épuisée, mais son impatience n’avait nullement diminuée. Dahim et To’r s’étaient également assis, et le premier s’épongeait le front tandis que le second, rouge, reprenait son souffle.
Seul Tilham était debout, à peine fatigué. Le Guerrier regardait fixement le centre de l’endroit où se tenait auparavant l’amoncellement de pierres.
- Regardez, dit-il en pointant le doigt.
Tout le groupe tourna la tête dans la direction indiquée. Au milieu de l’ancien tas, couvert de rouille et de moisissure, un carré brun se découpait dans le sol.
Nadah se leva d’un bond et oublia toute sa fatigue.
- Une trappe ?
Dahim l’imita, une lueur inquiète dans les yeux.
- C’est l’entrée d’un Puits d’évacuation ! C’est la première fois que j’en vois un !
Les mains du Pilleur tremblaient légèrement.
- Un Puits d’évacuation ? répéta To’r, en levant un sourcil d’un air interrogateur.
- Les légendes en parlent comme des ouvertures ayant permis aux hommes de descendre en Dessous, avant les Jours de Feu… Mais… ce ne sont que des légendes…
À son tour, sa voix s’était mise à trembler.
Un silence pesant accueillit cette déclaration, que Tilham finit par rompre.
- Il n’y a qu’une seule façon de le vérifier.
En quelques pas, le Guerrier s’approcha de la trappe, et, d’une seule main, l’arracha dans un raclement de fer broyé. Le morceau de métal suivit la courbe imposé par le bras de Tilham et alla s’écraser à l’autre bout du hangar. Nadah s’avança et pencha la tête au-dessus du gouffre noir. Un courant d’air tiède fit virevolter quelque unes de ses mèches. Son impatience s’était encore accrue après la déclaration de Dahim. Elle avait hâte de descendre.
- Il y a une échelle le long du conduit, remarqua-t-elle.
Elle leva le regard et croisa celui de Tilham qui réfléchissait intensément.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
Les deux yeux du Guerrier étincelèrent, et il reporta son regard vers l’ouverture dans le sol qui semblait les appeler.
- On descend, dit-il simplement.
* * *
Nadah se concentrait sur ses mains, et descendait prudemment, barreau après barreau. Elle baissa le regard et regarda en dessous d’elle. Tilham se situait quelques mètres plus loin et portait un torche à la ceinture, seule source de lumière dans l’obscurité du Puits. La lumière d’en haut n’était plus qu’une petite tâche lumineuse au loin. Combien avait dit Bahr ? Ah oui. Une cinquantaine de mètres.
Au dessus d’elle, To’r failli manquer un barreau. Il s’arrêta un instant et grommela des jurons que Nadah n’entendit pas, puis reprit sa descente.
Tilham avait jugé préférable de laisser Dahim en haut du Puits. Le Pilleur avait commencé à protester, mais un regard du Guerrier l’avait dissuadé de se plaindre davantage. Il devait se ronger les freins, regrettant de n’avoir pu participer à la plus grande découverte de sa vie.
L’excitation de Nadah avait laissé place à une légère inquiétude. Que trouveraient-ils en bas ? Le cas le plus probable était qu’ils trouvent une simple balise, ou un appareil détraqué. Mais, en son for intérieur, Nadah ne put s’empêcher d’espérer mieux. Quelque chose d’anormal, n’importe quoi. Une preuve qui attesterait de la véracité des légendes.
Une preuve que le Monde du Dessous existait.
Un bruit étouffé résonna dans tout le Puits. Tilham était arrivé en bas. Il s’écarta pour permettre à Nadah de sauter à son tour, aussitôt imitée par To’r. Devant eux, le conduit se prolongeait à l’horizontale avec un sombre couloir. Tilham se retourna et fit signe aux deux jeunes gens de le suivre, puis s’engagea dans le couloir, une torche à la main.
Nadah et To’r échangèrent un regard, puis le suivirent le long du conduit. De l’humidité suintait des murs, et de temps à autre, une goutte venait s’écraser sur le sol dans un léger clapotis. Aucun des deux n’osait troubler le silence, trop préoccupés par ce qu’ils allaient découvrir au bout de ce couloir. Tilham leur fournit la réponse.
- Il y a une porte, chuchota-t-il. Fermée de l’extérieur. Par une chaîne.
Nadah leva un sourcil. De l’extérieur ?
- Écartez-vous, je vais l’ouvrir.
La Pilleuse et le Chasseur s’écartèrent de quelques pas. Tilham dégagea une énorme hache de son dos, et la leva lentement, très haut.
Puis il l’abattit. Une seule fois.
La chaîne explosa dans un vacarme qui résonna dans le conduit, et glissa à terre. Un grognement satisfait accompagna la chute.
Tilham tira la porte à lui et la franchit sans l’ombre d’une hésitation. Nadah et To’r s’empressèrent de le suivre. L’un derrière l’autre, ils pénétrèrent dans une vaste salle. Au fond de celle-ci, une ouverture se dessinait dans l’obscurité, ouvrant sur un couloir comme celui qu’ils venaient de traverser. Le plafond était haut, et de grands armoires métalliques se dressaient dans un coin de la pièce.
Mais aucun des trois ne prêta attention au couloir, ni aux armoires, et encore moins au plafond.
Ils s’étaient figés dans un même mouvement.
Ils fixaient le centre de la pièce, trop sidérés pour pouvoir esquisser le moindre geste, dire la moindre parole.
Ils fixaient une ombre, étendue à même le sol.
Une silhouette.
La silhouette d’un homme.
Me revoilà enfin, et c'est avec grand plaisir que je me suis replongée dans ton monde "post-Jour de Feu".
Cette expédition en Ville état vraiment palpitante et on retient son souffle autant que les Pilleurs à chaque détour de phrase. J'ai vraiment beaucoup aimé la progression à la fois lente et discrète de la bande à travers les débris d'un autre monde. On ressent le danger caché dans la brume, et l'apparition du cadavre de la créature (Krorhen ?) m'a fait peur sur le coup, j'ai cru qu'ils allaient devoir fuir. XD
Tu manies bien le suspens et la description de ton monde, et je m'attache déjà à T'or avec son côté malicieux. En faite, je me sens investie dans toute ta petite troupe, et j'aime beaucoup la manière dont ils se complètent au niveau des caractères et de leurs capacités respectives. C'est agréable de voir un groupe de personnes compétentes bien communiquer ensemble pour réaliser une mission.
Bref, je n'ai que des compliments pour ton chapitre, qui m'a fait voyager à travers ton univers riche, créatif (et un peu angoissant) et j'ai hâte de pouvoir continuer à te lire.
Si j'aurai une remarque à faire, ça serait de surveiller la longueur de tes chapitres. Sur Plume d'Argent, je crois qu'il est préférable de ne pas poster des chapitres trop long (comme on se trouve sur un support numérique, l'attention des lecteurs est facilement réduite). Un chapitre de taille classique en publication traditionnel peut sembler un peu long sur ordi (c'est triste mais c'est ainsi).
Pour résoudre ça, il y a deux solutions: soit tu calibres tes chapitres pour une taille adapté (assez frustrant, mais efficace), soit tu les sépares en deux ou trois parties (ça se fait beaucoup sur PA ;)
J'espère t'avoir apporté un conseil utile, et je te souhaite beaucoup de courage force et tout le tintouin pour la continuation de ton écriture !!
Au plaisir de te lire à nouveau et de découvrir qui est cet homme mystérieux dans cette mystérieuse salle souterraine !
Emmy
Bon je rigole :D mais ça me fait vraiment super plaisir que tu prennes le temps de continuer mon livre ! (Ça me fait penser que je n'ai pas commenté tes derniers chapitres, sapristi).
Franchement je trouve assez extraordinaire la vision dont ont les différents lecteurs sur le récit. Merci pour tes compliments, ils me touchent vraiment !
Bon, pour cette histoire de longueur, tu as entièrement raison. Je fais attention maintenant t'imagines même pas, j'avais des chapitres de plus de 7000 mots...
Est-ce que tu penses que je redécoupe ce chapitre pour en ajouter juste après ?
Oui, T'or est vraiment sympathique... Je t'avoue que j'y attache beaucoup, c'est devenu mon perso secondaire préfèré (hors Nadah, parce que évident c'est l'héroïne).
Encore merci pour ce beau commentaire que j'ai pris plaisir à lire !
A très bientôt ! (Sur mon histoire ou la tienne ;)
Pétrichor.
Mais bon, oui, pour des chapitres "trop longs" pour le format de Plume d'Argent, n'hésite pas à les découper (de manière logique, cela s'entend ;) et à ajouter l'annotation "partie 1". Lorsqu'on arrive pas à calibrer parce qu'il y a trop de passages essentiels, c'est une solution bien pratique (je l'ai d'ailleurs utilisée pour mon chapitre 27).
A bientôt =^v^=
Emmy
Il est vraiment top!! Déjà, très bien écrit, vraiment! Il y a une vraie finesse dans ton écriture, c'est génial!
Ensuite, j'aime beaucoup la complicité entre les différents membres, la manière dont ils répondent du tac au tac, ça donne une vraie dynamique de groupe!
Enfin, la manière dont tu amène le suspens sur ce qu'il vont découvrir en dessous est très chouette! Et surtout la chute final où ils découvrent la silhouette d'un homme! Mystère, mystère...
Bref, que du positif!
Bravo!
Blanche
Hé oui, le mystère s'épaissit... Mais qui est cet homme ? :D