I.3 Tobo

« Va chercher, Tobo ! »

Tobie agitait un bâton devant la truffe de son chien. Mais Tobo ne réagit pas. Le museau sur ses pattes antérieures, il restait apathique, distant.

« Pauvre Tobo. Toi aussi, il te manque ? »

Tobie s’assit à ses côtés, et Tobo posa sa tête sur les genoux de son jeune maître. Une semaine. Cela faisait une semaine qu’il n’avait pas revu son maître bien-aimé. Pourquoi était-ce Anna qui lui donnait sa pitance ? Pourquoi était-ce Tobie qui l’emmenait en promenade ? Pourquoi n’y avait-il plus personne dans l’atelier ? Où était Tobith ?

Tobie lui caressa la tête. Le garçon, lui aussi, avait le cœur lourd. Cependant, il savait pourquoi son père avait dû s’en aller. Le roi Sennakérib avait appris que Tobith enterrait en secret les fils d’Israël, et il voulait sa mort. Tobie souhaitait de tout cœur que son père réchappe à la fureur des Assyriens. Mais Tobo, qui ignorait tout de la domination d’Israël par l’Assyrie, ne savait même pas pourquoi son maître les avait quittés.

Soudain, quatre soldats entrèrent dans la cour de la maison.

« Est-ce ici le logis de Tobith, fils de Tobiël ?

- Oui, Seigneur, répondit bravement Anna. Mais il n’est pas ici. Il a fui et nous a laissés, mon fils et moi, seuls pour garder la maison.

- Par ordre de Sa Majesté Sennakérib, nous sommes là pour réquisitionner tous les biens du criminel Tobith, fils de Tobiël. Coopérez, et aucun mal ne vous sera fait. Résistez, et vous serez punis de mort. »

Anna pâlit. Pourtant, elle laissa les hommes entrer dans la maison. Ils chargèrent sur leur charrette les meubles, les vêtements, les bijoux, le vin qui dormait dans la cave et la viande salée qu’ils conservaient dans le garde-manger. En les voyant emporter toutes leurs réserves de nourriture, la femme tressaillit. Qu’allait-il advenir d’eux ?

« S’il vous plaît, laissez-nous au moins de quoi manger pour la semaine prochaine. Sans quoi nous allons mourir de faim.

- Ce n’est pas notre problème. »

En entendant l’homme parler si durement à sa maîtresse, Tobo retroussa les babines et gronda. Mais Tobie le retint par le collier.

« Tobo, non ! Ils sont trop forts pour nous.

- Tu as raison, petit, retiens ton chien. Sans quoi il n’est pas exclu que nous en fassions de la pâtée ! »

Les hommes s’esclaffèrent d’un rire gras et emmenèrent leur butin sans être inquiétés. Aussitôt qu’ils eurent passé le tournant de la rue, Anna s’effondra.

« D’abord ton père, puis tous nos biens… Quand Sennakérib cessera-t-il de s’acharner contre nous ? »

Tobo referma sa mâchoire. Sous ses crocs, le lièvre se débattit encore quelques instants, avant de retomber, inerte. Alors il se jeta sur sa proie et l’avala en quelques bouchées. Puis il se mit en quête d’un pigeon ou d’une perdrix. Il connaissait la règle : les oiseaux pour ses maîtres, les lièvres pour lui. Il ne comprenait pas pourquoi Tobie et Anna refusaient la savoureuse viande de ces animaux. Mais il réussit à dégoter un volatile et le ramena à son jeune maître en remuant la queue.

« Merci Tobo. Tu es un bon chien. »

Tobie ébouriffa les oreilles poilues de son compagnon, qui lui rendit son affection par un grand coup de langue sur le visage. Puis il s’élança en direction de la maison.

Tobo ne trouvait pas la vie si difficile que cela. Certes, la nourriture ne lui tombait plus toute seule dans la gueule ; mais on était au début de l’été, il faisait beau et chaud, les proies abondaient. Le bois où l’emmenait Tobie était un bien meilleur terrain de chasse que les faubourgs miteux où il avait passé ses premiers mois. Lui-même avait bien grandi depuis cette époque, il avait gagné en force et en vitesse, et il était à présent capable de courser les lapins. Tobie et Anna se débrouillaient bien eux aussi, à leur façon, avec des travaux d’humains. Et l’oncle Anaël passait souvent leur apporter un peu de nourriture. Tobo s’estimait très bien loti.

Seule la disparition de son maître lui pesait.