Azraël se morfondait sur son coussin. Son humaine était partie. Six jours plus tôt, un homme était venu chercher Sara et elle n’était pas revenue. Ce n’était pas drôle. Ragouël, le père de Sara, passait ses journées à travailler ; Edna, sa mère, l’évitait comme la peste, et la servante le traitait brusquement. Azraël voulait Sara.
Soudain, la porte de la maison s’ouvrit violemment. Un humain d’âge mûr entra d’un pas vif, tirant par le bras une Sara blême comme la mort.
« Ragouël ! J’exige des explications. »
Ragouël releva la tête de ses comptes et rendit son regard au nouveau venu.
« Je te salue, Nathan, que la paix soit sur toi.
- Tu peux la garder, ta paix ! C’est la mort qui a frappé ma maison. J’ai, comme convenu, pris ta fille comme épouse pour mon fils aîné Joas. Mais à peine étaient-ils couchés que nous avons entendu un grand cri et des bruits de suffocation. Nous nous sommes précipités dans la chambre et nous avons trouvé notre fils mort dans les bras de ta fille en larmes. »
Ragouël ouvrit la bouche pour parler, mais Nathan le coupa :
« Ce n’est pas fini. Car conformément à la loi de Moïse, Joas étant mort sans laisser d’enfants à Sara, je l’ai donnée à Adrien, mon fils cadet. Et encore une fois, à peine se sont-ils couchés ensemble qu’Adrien a perdu la vie lui aussi ! »
Ragouël baissa la tête, l’air sincèrement peiné.
« Nathan, mon frère. Tu sais que ma parole est droite et que mon cœur est toujours fidèle à l’Éternel, le Dieu d’Israël. Ma fille Sara est frappée d’une malédiction, et chaque fois qu’elle se marie, la mort vient prendre son époux. Joas, le fiancé de Sara, le savait. Il pensait qu’en la prenant pour femme dans une autre maison que celle-ci, la malédiction ne ferait pas effet. Il était conscient des risques, et il semblait véritablement amoureux de ma fille ; alors je l’ai laissé faire. Je n’ai pas pensé une seule seconde que dans le cas où Joas mourrait, tu donnerais Sara à ton deuxième fils. J’en suis navré. »
Azraël s’étira. Ces conversations l’ennuyaient. Il décida, plutôt que d’écouter les humains, de remettre de l’ordre dans son pelage. Il se lécha le poitrail, consciencieusement, jusqu’à ce que pas un seul poil ne dépasse. À côté de lui, Nathan insultait copieusement Ragouël. Sara en prenait pour son grade, elle aussi. Azraël grommela et s’attaqua à la toilette de sa queue. Fichus humains qui ne savaient pas se tenir.