Tobo suivait son maître comme son ombre. Tobith, chargé du corps de son compatriote, marchait difficilement. Heureusement, personne ne leur avait cherché noise. Seuls les voisins murmuraient :
« N’a-t-il donc plus peur ? On l’a déjà recherché pour le tuer à cause de cette manière d’agir, et il a dû s’enfuir. Et voilà qu’il recommence à enterrer les morts ! »
Tobo ne comprenait pas, mais il sentait que les murmures n’étaient pas bienveillants. Alors il retroussa les babines et grogna.
« Tout doux, Tobo. »
Le chien gris se soumit et ravala ses protestations. Mais il n’en pensait pas moins.
Tobith déposa le corps dans la remise, puis se lava et aspergea également Tobo. Après s’être séchés, ils rejoignirent la cour où Anna et Tobie débarrassaient.
« Je suis désolée Tobith, mais comme il se faisait tard et que tu ne revenais pas, nous ne t’avons pas attendu…
- Vous avez bien fait, répondit Tobith. Laisse-moi simplement du pain et la fin du poulet. Triste fête des Semaines que celle-ci…
- Vos fêtes se changeront en deuil, et tous vos chants en lamentation, répondit doucement Anna. Auras-tu besoin d’aide pour enterrer le mort ?
- Je te remercie, ma chère, mais je m’en sortirai. Repose-toi, tu t’es donné beaucoup de mal pour ce repas, et tu es épuisée. »
Il embrassa tendrement son épouse ; Anna essuya les larmes qui coulaient sur ses joues, et Tobie, qui se sentait seul, enlaça Tobo de tout son corps.
La nuit était tombée. Tobith reposa son assiette, jeta un dernier os à Tobo, et empila la vaisselle dans la bassine. On la laverait demain, cela pouvait attendre. En revanche, le corps qui reposait dans la remise, lui, devait être enterré au plus vite.
Sous la surveillance attentive de Tobo, il prit une pelle et l’enfonça dans le sol du jardin. C’était la huitième sépulture qu’il creusait pour les gens de son peuple qui mouraient à Ninive. Une fois que le trou eût atteint une profondeur raisonnable, il se dirigea vers la remise et en ressortit avec une grosse masse enveloppée dans un drap blanc. Tobo savait que c’était le corps. Il sentait l’odeur de la chair qui commençait à se décomposer. Il savait aussi qu’il n’avait pas le droit d’y toucher, que les humains ne devaient pas être mangés, mais qu’il pouvait se régaler avec la fin du poulet.
Après avoir rebouché la tombe, Tobith se lava de nouveau puis se tourna vers son chien.
« Je ne vais pas réveiller Anna, je vais dormir dehors. Tu veilles sur moi, n’est-ce pas, mon brave Tobo ? »
Et il s’étendit sur son manteau, sur le sol, contre le mur de la cour. Tobo se coucha à ses côtés, dressant l’oreille, comme à son habitude, pour repérer les malfrats.
Hélas ! Les malfrats qui attaquèrent Tobith cette nuit-là n’avaient rien du bandit ou du cambrioleur. Il ne s’agissait pas non plus de coyotes ou de serpents, contre lesquels Tobo aurait pu faire quelque chose. Non : son maître fut attaqué par une horde de moineaux atteints de diarrhée. Ils lui déféquèrent dans les yeux, et au matin, lorsque Tobith se réveilla, de grandes taches blanches maculaient son champ de vision.