L’homme avançait à grands pas dans le couloir désert, ses talons claquant sur la pierre grise. Il arriva à une intersection et bifurqua sans la moindre hésitation sur sa droite, sa cape noire claquant sèchement derrière lui. Il gravit quelques marches, puis s’arrêta devant une porte métallique. Prenant une longue inspiration, il posa sa main droite au centre du battant. Une auréole bleue brilla légèrement autour des marques imprimées sur le métal, puis un claquement sec se fit entendre. La porte s’ouvrit lentement.
« Second Häthyr, autorisation accordée » déclara une voix métallique au même instant.
L’homme franchit le perron et la porte se referma derrière lui. Il balaya du regard la pièce dans laquelle il se trouvait. Elle avait été aménagée, deux bibliothèques imposantes avaient étés adossées contre des pans de mur. Un tapis rouge décoré de nombreux motifs avait été étalé par terre, et deux fauteuils se faisaient face, espacé par un petite table basse. L’un d’eux, face à lui, était occupé par une femme. Qui le dévisageait.
L’homme inclina respectueusement la tête.
- Première Silkya, je vous présente mes respects.
- Prenez place, Second, lui enjoignit celle-ci d’un geste de la main.
Häthyr s’exécuta et s’assit.
- J’espère que vous m’apportez une bonne nouvelle, commença la femme d’une voix froide.
Son interlocuteur déglutit lentement.
- Non, pas vraiment. Nous l’avons perdu.
Silkya cilla à peine.
- Perdu ? dit-elle simplement. Avez-vous conscience de ce qu’il y avait dans la cargaison en question ?
- Oui. Mais tout n’est pas perdu pour autant. Nos… agents en sont déjà informé. Ce n’est qu’une question de temps.
- Vous savez aussi bien que moi que le temps nous est compté. Ne me donnez donc pas l’impression que vous le gâchez.
La visage de la femme semblait indifférent à la conversation, mais le ton de sa voix était sans appel.
- Oui, Première, répondit prudemment Häthyr. Croyez-moi, je vais prendre les choses en main personnellement.
Il inspira posément.
- Nos agents m’ont rapporté une nouvelle, à l’augure bien différente.
Il s’approcha et chuchota quelques mots à l’oreille de son interlocutrice qui hocha lentement la tête.
- Bien. Vous pouvez disposez, Second, dit-elle, le visage imperturbable.
L’homme hocha la tête et sortit de la pièce rapidement. Après son départ, un silence s’installa dans la pièce. Le seul mouvement perceptible fut celui des lèvres de la Première qui s’étirèrent en un mince sourire.
Les choses ne s’annonçaient pas si mal.
* * *
Nadah se réveilla en sursaut, le cœur battant la chamade. Un déflagration avait déchiré le silence de la nuit, l’arrachant brusquement au sommeil. Avant qu’elle ait eu le temps de se demander si, oui ou non, elle avait rêvé, un deuxième coup de feu assourdissant retentit à son tour et la ramena complètement à la réalité.
Tout en enfilant à la va-vite ses vêtements de la veille, la jeune femme tenta de mettre de l’ordre dans ses idées. Qu’est-ce que c’était ? Une attaque ? C’était le plus probable. Mais par qui ? Sûrement les Charognards. Que fallait-il faire ? Rester ici ou sortir ? Elle n’hésita pas une seule seconde sur l’attitude à adopter. Elle n’allait pas attendre alors que ses amis se faisaient peut-être étriper !
Un instant plus tard, la jeune femme émergeait de sa tente, paralyseur à la main. À présent, elle entendait distinctement les bruits de lutte, les détonations et les cris qui résonnaient dans la nuit. Elle se dirigea aussitôt vers la source du bruit. La lune était masquée par d’épais nuages, donc tout au plus distinguait-elle quelques silhouettes sombres dans la pénombre.
Soudain, il y eut une brusque explosion de lumière. Nadah leva les mains pour en diminuer l’éclat et plissa les yeux pour tenter de s’habituer au brusque changement de luminosité. Quelques secondes plus tard, elle put distinguer la scène qui se jouait devant elle.
À quelques mètres à peine du campement, une fusée de détresse avait été dégoupillée et gisait à terre, inondant les alentours d’une lumière rouge éclatante.
Elle vit d’abord Tilham au centre, qui tenait un pistolet d’une main et une énorme hache de l’autre. Il faisait face à trois Charognards, et leur tournait autour, découpant ici une main d’un coup de hache, faisant voltiger là un bras d’un coup de pistolet. Nadah fut à nouveau stupéfaite du contraste entre la masse énorme du guerrier et son agilité.
Agilité qui ne rivalisait néanmoins pas avec celle de Kijk.
Un grand arc entre les mains, la Guerrière décochait des flèches à une vitesse hallucinante. On devinait, aux sons de borborygmes écœurants, que chacune trouvait sa cible. Ses déplacements étaient comme les pas d’une danse mortelle, dont chaque passe se terminait par un coup fatal.
Entre eux deux, Roj, un énorme bazooka entre les mains, abattait des Charognards qui s’écroulaient, le torse, la tête ou le buste déchiquetés par le feu et le métal que crachait son arme.
Ce qui commençait par un combat équitable se transformait peu à peu en un massacre pour les assaillants. Ils tentaient vainement de se défendre, peinant à égratiner les trois Guerriers avec de longues lances.
C’était la première fois que Nadah voyait un vrai combat. Et c’était bien différent de ce qu’elle avait imaginée. Elle ne parvenait pas à détacher son regard des combattants, ne pouvant s’empêcher d’admirer la prouesse et l’agilité des combattants, tout en étant profondément heurtée par la violence de la scène qui se jouait devant elle. Elle se sentait de plus en plus mal.
- Ils sont bêtes, ces Charognards. Ils n’ont aucune chance.
Nadah tourna la tête. To’r était à côté d’elle et regardait tranquillement la scène, comme s’il voyait ça tous les jours. C’est ce moment là qu’elle s’aperçut que toute la délégation était là, en cercle autour des assaillants, hésitant sur la conduite à tenir pour certains, attendant tranquillement la fin du combat pour les autres, ne doutant pas un instant de l’issue. Elle s’apprêtait à répliquer au Chasseur, quand elle remarqua un mouvement vif dans le dos de son ami.
- Attention, To’r ! s’écria-t-elle.
Un Charognard sorti de nul part se précipitait dans son dos, un long couteau au poing. Avant que le jeune homme n’ait pu faire le moindre geste, une détonation éclata.
L’homme s’écroula.
To’r se retourna pour faire face à Fahrek, un pistolet fumant à la main et un petit sourire moqueur sur les lèvres.
- Faites attention, dit-il simplement.
Nadah voulut répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle se contenta de hocher la tête bêtement, puis reporta son attention vers l’affrontement. Celui-ci touchait déjà à sa fin. Tilham se battait contre le dernier Charognard en vie ; il avait abandonné son pistolet au profit de sa hache. Son adversaire avait de plus en plus mal à parer les coups puissants du Guerrier, jusqu’à ce que celui-ci augmente brusquement la cadence de ses coups, poussant le Charognard à l’échec. D’un geste désinvolte, Tilham profita de la brèche pour enfoncer sa hache dans le ventre de son adversaire d’un large geste, avant de remonter la lame dans un claquement sec. Le Charognard mourut sur le coup, les yeux écarquillés de surprise et de frayeur, avant de tomber à terre dans un bruit mat. Nadah eut un brusque haut-le-cœur et détourna le regard.
- Saleté de Charognards, maugréa le chef de la délégation, comme s’il venait simplement d’écraser quelques nuisibles.
C’est à ce moment que la fusée s’éteignit dans un grésillement, plongeant la scène dans l’obscurité. Il y eut un instant de flottement, puis une allumette craqua. L’instant d’après, He’m tenait en main une lanterne qui dégageait une lumière vacillante.
- Tiens, vous êtes là, vous ?
Tilham affichait un air surpris, il venait de remarquer leur présence. Toute la délégation était debout en cercle, autour des trois Guerriers.
- Désolé, on arrivait pas à dormir, bougonna He’m.
- Va savoir pourquoi, surenchérit malicieusement To’r, une mèche blonde lui barrant le front.
Tilham sourit.
- Puisque vous êtes là, vous aller pouvoir nous aider à enterrer tous ces corps.
Sans attendre de réponse, il empoigna la pelle que lui tendait Roj et les deux Guerriers entreprirent de creuse une énorme fosse. Kijk empoignait déjà le premier Charognard quand elle interrompit son geste pour relever la tête. Aucun des autres membres de la délégation ne semblait vouloir suivre le mouvement.
- Allez, tout le monde, on se bouge ! lança-t-elle à la cantonade. Quelques uns pour m’aider, les autres pour creuser.
Nadah regarda autour d’elle. Mis à part les Guerriers, tout le monde tirait une tête à mi-chemin entre le dégoût et l’hésitation. Même To’r, qui faisait le malin quelques minutes plus tôt, était tout pâle et semblait franchement mal à l’aise.
Néanmoins, le groupe finit par sortit de sa torpeur générale et s’attela à la tâche. Les assaillants étaient au nombre d’une douzaine. Ils étaient tous habillés de la même toge noire qui descendait jusqu’aux pieds, ainsi que d’un masque. Tout en traînant un corps par les pieds, Nadah ne pouvait ignorer le visage masqué qui la fixait. Fait en bois, il représentait un visage effroyable, et était orné de nombreuses grandes plumes, de diverses couleurs. Elle prit sur elle pour surmonter son envie de vomir.
À peine une heure plus tard, tous les corps étaient enterrés dans la fosse, et le soleil montrait le bout de son nez. Les Charognards avaient attaqués à la fin de la nuit.
En quelques mouvements supplémentaires, le camp était démonté et les Haris apprêtés. Lorsque les premiers rayons du soleil firent leur apparition, les neufs compagnons traversaient la Rivière Trouble et s’engageaient dans les Marécages de Feu. Presque pas un mot n’avait été échangé depuis le matin. L’attaque et son issue avaient jeté une ambiance morbide dans le groupe.
Nadah tourna le regard devant elle, vers le soleil levant. Dans son dos, à l’emplacement de leur campement, se dressait un petit monticule funéraire.