I. Requiem des glaces

Par joamika

Tout d'abord, son regard s'accrocha à ses lèvres. Frémissantes, dessinées maladroitement en un sourire absent, elles donnaient à son visage carré des allures d'enfant timide – impression directement cassée par les commissures, crispées, de ces dernières. Il reporta alors son attention sur son nez, s'attardant sur son aspect allongé, lequel relevait la pâleur morbide de son teint. Plus haut, des yeux aux couleurs éparses ; étrange mélange hétérogène d'ocre jaune, d'azur solitaire et de brun terreux. Relevées par de descendants sourcils, ses prunelles chaotiques semblaient indiquer que leur détenteur était maussade, trébuchant sur les rails de la vie. Ses tempes, qu'il sentait palpitantes et prêtes à imploser, étaient quelque peu couvertes par de denses cheveux aile-de-corbeau, d'une noirceur atroce.

Caleb termina son inspection matinale avec la terrible impression de se révulser plus que la veille, et bien moins que le lendemain. Sa main blanche et trop anguleuse caressa douloureusement le miroir, qu'il n'aurait jamais le plaisir de briser. Avec un cynisme qui l'aurait fait frémir autrefois, Caleb réalisa à quel point il était attaché à son portrait, trop laid, qu'il avait pris l'habitude de détailler du regard chaque matin. L'indécence de cette nouvelle lui arracha un haut-le-cœur – il aurait voulu se vomir s'il en avait eu la possibilité.

D'une démarche ferme qui faisait cruellement gémir le parquet usé recouvrant le sol, il se dirigea vers la Chambre Bleue et s'arrêta devant la pièce, soudain pensif. La mine grave, il examina chaque pot de peinture qui jonchait le lambris noir tapissé d'un film plastique – modeste protection du bois qui était sujette à d'imprévus jets de couleur.

Effacer un reflet ne se faisait vraisemblablement pas avec n'importe quel coloris. Le bleu outremer, énergique, était trop saturé pour convenir au dégoût qu'il éprouvait face à ce miroir – et plus que cela, face à lui-même. Il étudia de nombreuses teintes, trop insipides ou trop vives, et s'adossa au mur de désespoir. Rien de tel qu'une couleur aussi froide que le bleu, qu'il aimait tant, pour gommer violemment son reflet cabossé. Couleur aussi fuyante que son sourire, Bleu n'en était pas moins l'empereur des couleurs – dominant le noir, s'amusant du blanc, séduisant la tristesse, flirtant avec le silence.

Caleb se releva sans effort car la colère qui l'avait envahie était d'un bleu indescriptible et enflammé qui n'existait que dans son esprit. Fou de rage de ne pas trouver la couleur parfaite qui lui brûlait les paupières, il empoigna au hasard le premier bac venu – celui, abîmé, qui s'effaçait devant les autres. Armé d'un large pinceau, il se rua dans la salle de bain, aveuglé par la blafarde lumière qui l'éclairait. Retirant le couvercle du pot avec une animosité plus que bestiale, il plongea son outil dans la masse sombre et liquide.

D'un geste vif, il donna un grand coup de peinture sur le miroir qui lui renvoyait  le portrait qu'il détestait. Au diable syndrome éponyme et heures passées sans pouvoir se détacher de l'image dans la glace – son reflet était désormais couvert de... bleu.

Un bleu extraordinaire, puisque magnifique, avait désormais voilé le miroir. Glissant sur les ténèbres de l'encre, cet éclat vespéral était d'une dure profondeur. Caleb fut soudain interdit devant la nuance de saphir : il n'en connaissait pas le nom.

Il se pencha, tremblant, vers l'étiquette élimée, collée sur le revêtement clair du pot. Cobalt. Désireux de s'approprier cette nuance nouvelle et oubliée, Caleb enfouis timidement sa main dans la couleur qui décrivait tant son univers. Cosmopolite, Cobalt résumait ses peines, murmurait ses espoirs, devinait la haine et le terrible mal-être qui l'habitaient.

Un instant, Caleb ne se trouva plus laid, avec du bleu cobalt sur les doigts. Ruisselant sur le sol carrelé de la salle d'eau, il donnait à sa peau blanche un éclat de ciel pour lequel il éprouvait un sentiment étrange.

Caleb se trouvait beau.

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Fy_
Posté le 15/12/2020
Whaouh, ce début d'histoire est très bien écrit !
J'aime beaucoup, c'est reposant à lire et pourtant très imagé. Le rapport à la couleur me plaît particulièrement (comme tu as pu le voir dans ma nouvelle "Jaune") et le bleu est une couleur que j'affectionne beaucoup ^^

Caleb semble avoir accepté le fait d'être "laid" (je pense que la laideur est relative à chaque personne, cela dépend des goûts de chacun, qui sait peut être ne l'est-il pas pour moi ? :) mais j'ai été surprise quand il a peint le miroir de cobalt parce que tout simplement je ne m'y attendais pas x)

Je suis curieuse de la suite en tout cas, j'y vais de suite ;)
Au plaisir de te lire,
Fy
joamika
Posté le 13/01/2021
Merci ♥
Louré
Posté le 14/10/2020
Salut Joamika,

Tu as une belle écriture, très élégante et poétique dans certains passages.
Cela m'a cependant surpris que tu restes sur un point de vue extérieur, car en ayant lu le résumé je m'attendais à quelque chose de très introspectif et torturé avec les pensées obsédantes de quelqu'un qui est mal dans sa peau.
Après coup, je me suis dit que ça ferait un très beau contraste de mêler à ton style poétique avec quelque chose de beaucoup plus direct et familier voire pourquoi pas vulgaire, pour retranscrire les pensées et les sentiments que ce pauvre Caleb semble éprouver.

Après ce n'est qu'une idée que j'ai eu en te lisant et ce n'est certainement pas du tout ce que tu recherches, mais je voulais la partager avec toi. Cela n'enlève rien à la qualité de ton travail et je lirai la suite avec plaisir !
joamika
Posté le 24/10/2020
Hey Louré, merci pour tes compliments mais aussi tes idées ingénieuses, j'y réfléchirais si je décide de réécrire cette nouvelle, merci à toi <3
GabrielleAsNa
Posté le 04/10/2020
Pour une première impression, je trouve ton texte très beau, fait de beaux mots. Ça fait assez littérature soutenue, mais pour une nouvelle, je ne trouve pas ça si lourd à lire.
Je me lance dans la suite avec plaisir :)
joamika
Posté le 04/10/2020
Hello Gabrielle,
merci infiniment pour ton compliment, ça me touche beaucoup!!
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