Le trajet est court. Comme décidé, ils vont manger le pique nique préparé par la sœur de Gabriel, chez (la) fameu(se) Crystal dans un club très... privé. L'endroit ne paye pas de mine, du moins à l'extérieur, le jardin n'est pas ou peu entretenu.
Malgré l'œil suspicieux qui dévisage un Gabriel un peu gêné au travers de la grille d'un judas, la porte s'ouvre bientôt sur un endroit aussi curieux que fantaisiste. Est-ce la fatigue de la journée ? L'odeur entêtante du patchouli ? À peine passé la porte, Gabriel a déjà mal à la tête. Le ton est donné, le lieu est kitschisime au possible. Ce que Gabriel découvre, déboussolé, n'est autre qu'une boite pour initiés travestis, transgenres, homos de tout poil et gays friendly. Le club loin d'être intime, mélange là, tout le clinquant d'une boite de nuit, au style édulcoré de " la maison de Barbie ". Tout y est, des folles aux paillettes, du rose bonbon aux boules à facettes, de la musique de variété désuète et sucrée aux froufrous, presque une caricature.
- Yanniiiiiiiiiiiiiiiiiiick est ce que tu niiiiiiiiiiques ? !
Crystal, ami(e) du couple Marie/Yann, a dans les quarante ans, peut-être moins. Le tenancier(e) coquet(te) sur talons compensés semble déborder de bonne humeur.
Ce transgenre métissé clair, au maquillage outrancier, lèvres piquées au collagène et à la longue tignasse blonde décolorée, leur offre une vision d'une certaine "beauté" désuète.
Ses ongles french, sa paire de faux cils immenses, sa tenue sexy et son déhanché chaloupé ne suffise pourtant pas à confondre son monde. A en croire le son de sa voix, la transformation n'est pas complète. Assez perché, parfois cassé, le timbre varie, hésite encore, comme le reste de son corps, à choisir un camp définit.
- Crystal ! Je t'ai déjà demandé de pas m'appeler Yannick !
- Ha ma poulette commence pas à râler dès que t'arrive ! Dis-moi, dis-moi c'est qui ce beau spécimen que tu nous ramènes là hou hou ! Les filles vont toutes en être folles !
- Elles ont pas besoin de ça pour l'être ha haha ! réplique Yann aussitôt.
Gabriel embarrassé autant par le décore que par les individus s'y trouvant, est resté au bar, proche de l'entrée.
- ROoo comment il est ! Alors c'est quiich ? Hétéro ?
- C'est chasse gardée ! On s'approche pas ! prévient Marie.
L'arrivée de la jeune fille provoque un nouveau sourire au visage fardé de leur hôte(sse).
- Ho ma louloute approche que je te fasse un bibi, je t'avais pas vu ! Ce beau gamin, il est à toi ?
Marie lorgne Yann qui déjà s'éloigne vers le comptoir rejoindre son copain.
- Nnnnan !
Et elle envoie un petit clin d'œil à son interlocuteur.
- Ho sans rire c'est paaas possssssible ! Notre petit Yannick a un gars ? ! Ho j'te crois pas ma belle ! Mais il l'a trouvé où ? Sur internnnet ?
- Non c'est un parisien en vacances, une villa à côté de chez lui !
- Un zoreil en vacances ! Mais comment c'est posssssible çççça ? Yann qui veut jamais en entendre parler ! Y s'approche pas des touristes jamais ! Qu'est-ce qui lui a pris ?
- C'est le petit gars qui l'a chopé dans ses filets et je dois te dire, que je suis drôlement contente !
-Tu n'as pas peur qu'il tombe love notre petit ? Un zoreil en vacance ROoo... Quand même... J'avoue qu'il est CA-nnnnnon ! J'en mangerais bien un comme ça au petit dèj' ! Et il est gay ? Vrai de vrai ?
- Sans l'ombre d'un doute !
- Tu entends ça Amel ? Notre Yann est en couple avec un zoreil, vise le lot.
- Encore un qui va s'barrer, annonce l'interpellé.
Crystal se retourne sur Marie, la mine paniquée.
- Ha bah nnnnan quand même pas ! Me dis pas çççça !
- Yann, partir ? C'est pas prévu au programme pour le moment malheureusement, répond la jeune fille.
- Malheureusement ? Ha mais nan, pas malheureusement ! On est bien chez nous ici, quelle idée de tousss partir les jeunes. Et moi je vais me retrouver seule après !
- Tu n'as qu'à partir toi aussi.
- Mais c'est une vrai maladie ça ma parrrrole, que tu crois vraiment que c'est mieux là-bas ? Moi tu sais Paris j'en suis rv'enue !
Gabriel n'est pas très à l'aise, ce genre d'endroit lui déplaît déjà en métropole et ces gens là...
- Ici on est au milieu d'amis, annonce Yann.
- Ha.
- Ça te fout mal d'être au milieu des folles hein ?
- Tu me testes ?
- Tu nous trouves ridicules ? demande le réunionnais.
- Nous ? Un peu, pour être honnête, j'vois pas l'intérêt d'singer les femmes. J'comprends pas les mecs qui sortent avec des folles. S'ils aiment tant les filles pourquoi n'pas sortir avec des vraies ?
- Parce qu'elles n'ont pas de bites mon lapin ! avance Crystal en passant derrière lui. Je vous sert un petit quelque chose les enfants ?
- Non merci Crys, c'est gentil, à moins que tu n'ais du jus de fruits ?
- Tout ce que tu veux mon tout beau, j'ai mêmmme du lait !
- Tu es pourtant avec moi, ajoute Yann s'adressant de nouveau à Gabriel.
- Tu n'es pas aussi maniéré, juge-t-il en haussant les épaules.
- Si.
- Ça fait parti d'un tout chez toi et non tu n'es pas aussi hystérique.
- Ho qu'iiiil est méchant ! Nous sommes des hystériques d'après ce macho !
Crystal parle assez fort pour se faire entendre de toute l'assemblée et l'on ne tarde pas à entendre des ricanements.
- Ch'uis pas macho du tout, juste un mec.
- Attention mesdames nous avons là un MEC ! Houuuuuuuuuuuu laaa ! Ha haha !
Gabriel tourne son nez sans répondre, vexé.
Yann s'installe au bar et commence à déballer les sandwichs tout en parlant.
- Je vais te dire ce que j'en pense. Tu sais, quand tu traines avec des goth, tu en vois des qui sont super maquillés avec pleins de bling bling, des godasses super extravagantes, des colifichets dans tout les sens et puis tu en vois des tel que toi qui sont looké un peu plus simple. Y'a aussi des goths qui sont même pas looké spécial et ça se voit pas qu'ils le sont. Qui peu dire qui est vraiment goth à l'intérieur ? Et qui choisi que certains sont soit disant ridicules avec leur allure, alors qu'on prône tous le droit à la différence ? !
Et tout en mangeant il poursuit son analyse.
- Sous le prétexte que certain ressemblent à des sapins de noël, on balance sur eux !
- J'vois pas trop l'rapport !
- Atteeennnnt ! Mange mon cœur et laisse-moi continuer ! Tu vois, je crois que c'est pas parce qu'on porte pas des vêtements comme tout le monde ou à la dernière mode qu'on est pas goth dans sa tête aussi. C'est pas non plus parce qu'un gars n'a que des vêtements sombres et clichés, qu'il se fait remarquer avec un maquillage corbeau, qu'il n'est pour autant qu'un look et qu'il ne connaitra rien à la musique. Et puis c'est pas forcément ceux qui se retrouvent au milieu, qui sont les meilleurs.
- M'enfin les clichés ont mauvaise réputation hein !
- Tout à fait et tu trouves ça normal ? En réalité je crois que c'est un peu comme défendre une sorte d'identité.
Gabriel veut ajouter un truc, Yann ne lui en laisse pas le temps et se dépêche de poursuivre. Il a visiblement bien réfléchis à la question.
- Quand tu es ado, tu te dois de défendre tes idées, limite de choquer pour te faire accepter, c'est presque un passage obligé. Tu n'es pas très sûr de toi et des fois tu te caches derrière ça, les ados goth se font plus voir que leur aînés ! En tout cas en règle général.
- Humm...
- Quand tu muris, tu prends de l'assurance et tu n'as plus rien à prouver, limite tu t'en fous, tu portes ce que tu veux, t'as plus besoin de t'afficher.
- J'crois qu'ton pote a plus d'quarante ans, il s'rait p't'êt' temps qu'il raccroche ses talons hauts, si c'est un parallèle que tu veux faire.
- Là n'est pas le souci, j'utilise ça pour te faire une image, laisse moi terminer ! Parfois tu en perds ton identité. Voir tu ferais tout l'inverse pour pas qu'on dise plus que tu es ceci ou cela car tu ne souhaite plus ressembler à ces jeunes, qui se disent du mouvement alors que toi, tu n'as plus l'impression d'appartenir au même. Peut-être parce que le mouvement à changé. Je te parle au sens général ! Hé bah je crois que pour la communauté homosexuelle c'est la même chose. A l'instar de cet ado goth sur-looké. Dans les endroits où on doit continuer à défendre nos idées et nos inclinaisons sexuelles ou autres, on se doit de parler fort, de choquer, de se montrer et de se cacher parfois derrière une image. Les folles c'est le refus d'être un MEC à la manière dont la société exige de nous l'imposer. On a le droit d'être différent.
- Tu peux être différent sans être un clown !
- Là c'est toi qui juge. Quand la communauté prend enfin ses aises, elle peut de nouveau vivre sans avoir à se défendre, prendre de l'assurance et il ne lui est plus nécessaire de prouver quoi que ce soit. Elle n'a plus besoin de choquer, plus besoin de cette image forte. Tu vis en métropole, c'est différent. Ici, on n'en est pas encore là. Tu vois au final bah les images de folles sont devenues tellement une étiquette dans laquelle vous ne vous reconnaissez plus, que vous finissez par l'aborder, en oubliant qu'elle vous a aidé à une époque à sortir de l'ombre et vous a protégé pendant un moment. Du coup on part dans l'extrême inverse, on n'est surtout pas une tapette !
- Tu parles bien ma cocotttte ! ajoute Crystal au monologue de Yann.
- Moi, affirme à présent Yann, je suis quelqu'un de sensible, et parfois j'ai envie de le hurler, qu'il y en a marre que cette société m'impose un model et que si je ne le suis pas, je dois avoir honte !
- S'cuse moi hein, mais j'vois pas comment tu défends ton identité sexuelle en t'laissant enfermer et cloisonné ! Ok, ici tu t'maquilles, ils portent des robes et vous gueulez fort, bravo ! Et quand tu vas bosser à Saint-Pierre, tu changes de vêtements, tu rentres tes bijoux sous ton teeshirt, tu lâches ma main dans la rue et faut pas que ça s'sache ! Laisses-moi rire hein.
- Haaa ! Vous disputez pas les chouchous, on peut comprendre que ton ami soit mal-à-l'aise ! Yann, tu es un provocateur, emmener ton copain ici, alors que visiblement ce n'est pas sa tasse de thé, non mais vraiment ! Et toi newbase, on te pardonne, on est bonnes et compréhensives, essais d'apprendre à ne pas juger.
Yann et Gabriel se contentent de montrer leurs airs renfrognés et ne répondent plus rien.
*
un peu plus tard dans la soirée, Gabriel observe le plafond de sa chambre, indifférent pourtant au passage du petit gecko curieux qui s'y dandine. Étrangement, il se dit qu'il serait capable d'apprécier les amis de Yann. Ces gens tout aussi carnavalesque qu'ils soient, ne sont pas si bizarres après tout. Qu'est-ce qui est si gênant au premier abord ? Cette façon de se faire remarquer, peut-être, enfin dans ce lieu, quelle importance ? Yann lui a imposé une belle leçon de respect et d'ouverture d'esprit.
Gabriel n'a jamais vraiment eu à se défendre pour se faire accepter, c'est vrai, sans doute grâce à d'autres avant lui. L'idée de Yann, de mêler le besoin de reconnaissance ou du moins d'acceptation de la culture goth en tant qu'argumentation, pourrait éclairer un peu sa lanterne. L'explication imagée de son amant est certes assez claire mais au font tout ceci est vraiment trop loin de lui. Il ne saurait dire s'il est d'accord avec cette vision là. Tout simplement parce qu'il ne comprend pas vraiment ce besoin de s'éloigner de la masculinité. Il se trouve bien tel qu'il est, en tant qu'homme.
D'après Yann, défendre son identité quelle qu'elle soit, doit se faire aussi loin que ça puisse les mener. L'impression de Gabriel dans cette histoire ? Il lui semble que Yann défend plus ce qu'il aurait aimé être, que ce qu'il est véritablement et là, entre eux, il y a divergence d'opinions. Yann se préoccupe de choses dont lui se fout. Sans doute la différence d'âge doit compter aussi. À l'écoute de son "exposé" il est évident que le jeune homme y a longuement réfléchi et que tout cela lui tient vraiment à cœur. Puis Gabriel n'ignore pas que bien sûr leur culture est différente...
- À quoi bon vouloir absolument qu'on le traine au club ? Crystal à raison tu le provoques, tu cherches quoi ? interroge Marie, sur le retour.
- Je suis comme ça. Moi j'aime cet endroit. Je voudrais qu'il comprenne qu'il n'y a pas de jugement à faire. J'espérais que ça ne lui déplairait pas, ou au moins que ça ne lui poserait pas de problèmes.
- Vraiment ? Tu ne cherchais pas à l'éloigner de toi ou à lui faire peur ?
- Pourquoi ferais-je cela ma douce ?
- Pour te rassurer. S'il reste c'est qu'il fournit un effort pour toi. S'il t'accepte c'est qu'il t'aime vraiment. S'il se barre alors pas de regret, c'était pas le bon. Je me trompe ?
Yann, cache son menton et sa bouche entre ses jambes repliées. Marie voit ses yeux pétiller, espiègles.
- T'es forte.
*
Deux ans plus tard.
- Y'a pas, quand Yann joue ça change tout. Et Uzu... c'était passionné cette répèt' tu as remarqué sa façon de monter aux créneaux ? ! lance Steph surexité par la répètition qui vient d'avoir lieu.
- Un truc de fou ! Et Gabriel tu l'as vu transpirer sur sa gratte, j'suis à la traine mais grave ! Quand je pense que Yann part, ça m'fou les boules, avoue Math. J'men doutais que ça se terminerait comme ça, je suis deg' et j'sais pas ce qu'on va faire avec Yo'... T'as vu le cirque t'aleur ? Quel boulet ce mec !
- Il est clair qu'on ne peut pas continuer avec Yo' avec ou sans Yann, Gabriel a raison, ce gars se fout de nous. Ce qui s'est passé tout à l'heure c'était surtout pour défendre une fois de plus Yann mais j'avoue qu'il fallait faire quelque chose.
- Yann... cet emmerdeur de première, il est bon ce p'tit con ! Je croyais pas que je regretterais autant son départ.
- Alors faisons en sorte que ça ne soit pas définitif !
- Il va à l'autre bout du monde j'te rappelle !
- Attend Math, il s'est passé quelque chose aujourd'hui, tu l'as vu comme moi non ? Et si tu veux savoir, c'est la première fois que je crois que le groupe à un avenir. Entre Uzu, Gabriel et Yann y'a une sorte de magie, ils m'ont donné envie ce soir ! ENVIE quoi ! Moi je vais rester en contact avec Yann, quoi qu'il arrive. Et puis un départ ça veut pas dire qu'il ne reviendra jamais... Dans ma famille je trouverais peut-être un moyen de le loger.
- Fout-le dans ton pieu ! se moque Math.
- C'est certain que ma femme serait ok haha !
*
Gabriel a imaginé ça, des heures, des journées, des années durant, et c'est là ce soir.
Alors qu'elle est cette soudaine impression de disparaître derrière ces deux là ?
Yann... il ne sait plus s'il l'aime ou s'il le hait. Est-ce parce qu'ils ont, Uzu et lui, répété tout les deux ensemble seuls ces derniers jours ? Sur plusieurs morceaux, il s'est trouvé incapable de pénétrer leur bulle.
- Hé! Merde putain ! C'est mon groupe ! Ma musique ! Mon mec !
Comment canaliser cette jalousie mal placée ? Et est-elle vraiment mal placée ? En vérité, il enrage alors que les autres rayonnent. Admettre que ce fut la meilleur répèt' qu'ils aient vécu jusqu'alors ne suffit pas à le calmer. À ça, vient s'ajouter ces peurs, perdre Yann, perdre Uzu, ne pas réussir à remplacer Yo'.
*
Yann n'avait pas la moindre envie de s'arrêter, la voix d'Uzu était enchanteresse, sa présence magique. Il aurait bien continué à jouer pendant des heures. Le monde de Gabriel a envahi toute la pièce, tout ce qu'il a construit jusqu'ici, tous ses rêves...
Il s'imagine son ex aux anges. Lui-même se souvient de la première fois qu'il a écouté les compos et le son de ce génial leader, cette créativité, cette originalité, cet univers si personnel. Ce soir, il doit se sentir récompensé non ? Yann a eu le sentiment de nager dans l'espace au milieu des étoiles. Il a tout donné. C'était à coupé le souffle. Les vibrations de sa basse pesait sur ses jambes, c'est certainement grâce à elles qu'il a réussi à garder les pieds sur terre d'ailleurs. Et puis il s'est senti gonflé d'orgueil après que Gabriel ait exigé que Yo' quitte le studio. Enfin, cet imbécile qui n'y comprend rien, va disparaître du tableau ! Tout aussi doué qu'il est, il lui a toujours manqué le principal, l'implication personnelle, émotionnelle, l'envie et surtout la foi et à présent tout le monde s'en rend compte. Le noyau dur c'est eux trois à présent, à n'en pas douter, Gabriel, Uzu et lui. Uzu, cet un ange tombé du ciel qui prend subitement toute la place et qui au lieu d'écraser les autres, les illumine ! Bien entendu le groupe c'est aussi les deux additifs Math et Steph, présent pour leur donner des ailes. En réalité, tout serait pour le mieux, si ce n'est son départ imminent. Ha, il ne veut plus y penser, impossible, il doit trouver une solution.
Uzu lui a dit en avoir une !
- Restons confiant, pense-t-il.
Il sent ses joues rosir lorsqu'il se repasse de mémoire, le moment ou Uzu et lui interprétèrent cette fameuse chanson en duo, les yeux dans les yeux. La joie palpable du japonais, cette étincelle dans son regard, qui enflamme tout.
- La force avec laquelle il arrive à porter sa propre voix et la mienne. Ce mec est un géni !
Et puis sa présence transporte Gabriel dans d'autres sphères, Yann s'avoue qu'il ne l'avait jamais vu se dépasser autant. Lui qui se repose tellement sur ses acquis d'habitude. D'où lui vient cette nouvelle rage ? Il serre les points d'un air triomphant.
- Ha ! Que c'était bon !
*
Bien qu'il soit : Satisfait de sa prestation, après tout il a énormément bossé ces deux derniers jours. Impressionné par celle de Yann, qui lui aussi est allé au bout de ses capacités en donnant le meilleur de lui-même. Et content de se sentir si facilement accepté par les autres. Le comportement de Gabriel inquiète beaucoup Uzu et le départ inopportun de leur batteur aussi. Il n'y connait pas grand-chose à la musique en général, pour autant, il a l'impression de comprendre celle du groupe. Cependant cette colère, cette rigueur, se tourment dans la manière de jouer de son amant, le laisse perplexe. Et puis pourquoi une telle agressivité de la part de Yo', cet agacement dès que Yann ouvre la bouche ? Le problème doit être profond et encré dans leur histoire. Il n'en connait pas tout les rouages et surement qu'il ne saura jamais le fin mot de l'histoire. Sans doute cela vaut-il mieux. Il s'interroge sur l'utilité d'avoir quelqu'un pour s'occuper de gérer ce genre de tensions et pas que ça.
Yo' parti, tous c'étaient lâchés, tous sauf Gabriel. Pour quelles raisons ? Le départ de celui-ci y est-il pour quelque chose ? Gabriel avait pourtant déjà touché deux mots concernant son désir de remplacer le batteur, ça n'aurait pas dû le perturber. La place de leader n'est pas aisée dans ce genre de situation, mais est-ce la seule raison ? Uzu espère cette explication bien que le doute commence à s'immiscer en lui.
En dehors de ces inquiétudes purement relationnelles, d'autres plus mercantiles font également leurs apparitions dans son esprit perfectionniste. Il va devoir prendre de son temps pour réécrire les textes des chansons en japonais. Traduire ne suffira pas, il faudra que ça colle, que ça rime, compter le nombre de pieds, changer des arrangements. Cela leur semble simple à tous, " Suffit que Uzu mette le texte en japonais ! " Il se doute lui, que rien ne sera facile. S'il est susceptible de les aider pour la langue et leur " prêter " sa voix pour le chant, en revanche il ne se sent pas du tout l'âme d'un écrivain et encore moins d'un compositeur.
*
Gabriel finit de rentrer le matériel dans la voiture avec Uzu. Math et Steph sortent à l'instant du studio quand Yann arrive en trombe en criant :
- JE SAIS !
Tous se retournent sur lui.
- J'ai trouvé ! J'ai trouvé le nom du groupe ! Je suis sûr Gab chéri ça va te plaire !
Tous font volte-face, cette fois vers Gabriel qui, l'air sombre fronce les sourcils.
- C'est Yann le problème, constate alors Uzu contrarié par cette découverte.
- Heu, tirez pas ces têtes là, c'est seulement une idée, avance l'andro.
Devant la morne mine de son ex, il perd en un instant son assurance. Gabriel se force à se détendre et lui offre malgré tout un semblant d'intérêt.
- Dis toujours, ça fait des années qu'je cherche, j'ai vraiment pas d'idée, j'ai beau m'creuser... Y parait qu'c'est quand on cherche qu'on trouve pas. T'as l'air "inspiré" c'soir.
Les trois derniers mots sonnent étrangement aux oreilles de tout le monde et Uzu soucieux, en grince des dents. Toutefois Yann prend la parole et déballe avec gaieté sa révélation.
- Ten'shi !
Tous le fixent.
- Ça veut dire... tente d'expliquer Uzu qui s'étonne du choix, sans pouvoir finir sa phrase, en se tournant vers un Gabriel dépité qui le coupe.
- Ch'ais c'que ça veut dire.
- Vous pouvez nous éclairer ? interroge Steph qui comme Math ne comprend rien à la langue du pays du soleil levant.
- Bien trouvé l'idée que ce soit en jap déjà, non ? déclare Math pas très sûr de lui.
- C'est : Ange ! Ange en japonais, leur apprend Yann, faisant aussitôt de grands gestes en se dandinant pour s'expliquer. Ça peut être gaie, ça peut être sombre, c'est en japonais, ça ressemble à Uzu. Notre lead' s'appel Gabriel, le prénom d'un archange, ça s'est imposé à moi !
Gabriel baisse la tête, croise les bras, regarde ses pieds, tous sont pendus à ses lèvres.
Il relève calmement la tête, armé d'un véritable sourire cette fois.
- Yann, t'as constamment une longueur d'avance sur moi, comment c'est possible ?
- Quoi ?
- Y'a rien à faire, d'où tiens-tu s'don ? Chaque fois tu gagnes.
Étrange lueur que celle que Uzu perçoit dans les yeux de son amant.
- Haaaa putain j'te hais, ajoute Gabriel. Haha ! Comment j'ai pas trouvé ça tout seul ? C'est clair, c'est concis, ça dit tout !
Il donne un petit coup de poing sur la carrosserie de la voiture.
- Pourquoi c'pas moi qui l'ai trouvéééééééé ? T'es trop bon !
Ils se détendent, si le leader est content, tout va bien !
L'orage est passé, la jalousie est présente, voir pire à présent et pourtant, la complicité a repris le dessus. Drôle de mélange entre compétition, affrontement et alliance, pour le meilleur et pour le pire, l'émulation...
Se trouve là, sur ce parking le vrai début de l'aventure, portée par une ambition commune.