- La sœur...ce sera sûrement une autre paire de manches.
Étrangement Yann s'angoisse lorsqu'il apprend par un SMS de Gabriel, qui lui faudra entrer quelques minutes se présenter à sa sœur. Le mec de celle-ci, pas de soucis, il n'a guère pris de gants et ça n'a pas la moindre importance. La sœur, en revanche, cette sorte de mère de substitution, il faudra y aller un peu plus mollo avec les comportements douteux.
- A ton avis elle ressemble à quoi sa sœur ? interroge-t-il Marie tout en la suivant pas à pas. La jeune fille qui cherche ses clefs, prospectant à gauche, à droite, afin de ne rien oublier, ne lui répond pas. Elle prend très au sérieux la première visite touristique de Gabriel, elle aimerait lui donner envie de refaire ça un autre jour.
- Monmon* l'a mis où les clefs d'l'oto* ? Mi trouv' *pas !
Quelques secondes à attendre la réponse de sa mère puis elle reprend la conversation avec son meilleur ami :
- Aucune idée mon bébé, c'est la sœur de Gabriel, elle lui ressemble sans doute.
- La trouv'* les clefs Ma-ie* ? demande la mère de celle-ci.
- Nan monmon mi trouv'* pas !
- Demande où ilé* ! Papa y sé* !
Yann finit par s'assoir sur les marches de l'escalier, ses allers-retours lui donnent le tournis.
Les parents de Marie habitent au dessus de leur boutique, une petite maison de ville à deux étages, peinte en jaune. Une case* typique tout en bois. Ici toutes les pièces communiquent entres elles, aucun couloir outre l'escalier qui monte au chambres.
Pas de varangue* pourtant, le magasin au rez-de-chaussée ayant obligé les propriétaires à modifier quelque peu le devant de la maison donnant sur la rue commerçante. De celle-ci, il ne reste donc que la terrasse du premier étage, décoré des fameux lambrequins joliment ciselés. De même les travaux ont ajouté un étage supplémentaire à la maison. L'intérieur de la case* est conçue de telle façon que d'en haut de l'escalier, on a la possibilité de surveiller presque l'ensemble du logement rien qu'en se penchant.
Le lieu est agréable, ici, ça fleure bon le carry de bœuf et la bonne humeur. Cette maison l'a abrité bien souvent. Les parents de Marie sont persuadés depuis toujours que Yann serait le genre idéal. Les seuls sans doute à avoir détecté ses sentiments pour leur fille et laissé de côté ses manières un peu limites. Ils seront déçus un jour où l'autre.
- Je vais pas savoir comment me comporter, ça me panique chérie !
- Reste toi-même gogoz* !
- Comment donc ?
Marie finit par s'assoir à côté de son ami.
- Je vois pas trop ce qui te tracasse, reste gentil, soit pas mal poli et évite de dire des conneries d'obsédé.
- Donc je dois SURTOUT PAS être moi-même ha haha !
- T'es con.
- Je l'ai joué humour avec le mec de sa sœur, seulement je suis pas certain d'avoir fait bonne impression, tu vois? Je me vois déjà catalogué.
- C'est pas avec la sœur de Gabriel que tu vas sortir ! Montre-lui qu'elle n'a rien à craindre pour son petit frère, soit rassurant et ça suffira. Tu n'as pas besoin de te transformer en quelqu'un d'autre. Je pense que même si tu dis des bêtises, tu n'as pas l'intention de nuire à ton chéri ?
- Evidement.
- Bha c'est de ça dont elle doit être sûre. Montre-lui que tu aimes Gabriel, affirme-t-elle en se relevant. Bon ! En premier lieu, ne pas être en retard ! Ça fait mauvais genre !
Quand la voiture de Marie se gare devant la villa, Laurianne remarque le changement de comportement chez son petit frère. Ses yeux verts se mettent à pétiller, ses joues rosissent et sa bouche s'étire en un timide sourire. Il a toujours été si sensible. Depuis quelques temps, son jeune cadet se détache un peu plus d'elle, pas sur le plant matériel malheureusement, ce qui pourtant aurait été bénéfique pour lui, mais au quotidien et dans sa vie intime. Ils sont tout deux beaucoup moins proches qu'avant. Elle avait fait une croix, ces dernières années, sur la fameuse crise d'adolescence tardant à venir. Elle craint aujourd'hui de réaliser qu'il lui a juste fallu un peu plus de temps pour apparaitre. Comme exemple du souci que cela peut provoquer : Les discussions !
Autrefois il n'y avait aucun problème, ni d'un côté, ni de l'autre, aucune gène. Aujourd'hui Laurianne, qui pourtant n'est pas du genre à envahir la vie intime de son frère, réalise que la moindre de ses remarques est mal prise, si bien que tout deux, finissent par ne plus se parler du tout. Comment peut-on en arriver là ? Qu'a-t-elle pu faire de faux ? Il a bien fallu une erreur pour que son frère se sente si souvent agressé non ?
Quelques questions la taraudent, notamment sur la sexualité de Gabriel. Il a ce côté naturellement naïf, pensant que tout est forcément normal et sans conséquence. Il a ainsi annoncé sans complexe aucun, son attirance pour les garçons et surtout sans aucune crainte de réaction. Quelque-part si Laurianne s'est senti fière, qu'il se confit à elle et également qu'elle ait réussi à le mettre suffisamment en confiance pour que ça ne lui pose aucun problème d'en parler ouvertement, elle s'en fait tout de même. Le monde n'est pas tolérant, son petit frère en a-t-il suffisamment conscience ? Elle n'est pas certaine de lui avoir donné assez de réflexions et d'armes pour se défendre.
Hâ le coming-out ! À cette époque tout ce passait encore très bien entre eux. Gabriel a vieilli depuis, et ses expériences ont dû lui apporter son lot d'écueils. Vit-il sa sexualité vis à vis des autres aussi facilement aujourd'hui qu'il y a deux ans ? Certainement non et elle aimerait être là pour le soutenir. Ce qui, elle se rend à l'évidence, est malheureusement devenue impossible à cause de ce manque de communication. Comment entrer dans le sujet sans mettre les pieds dans le plat, sans paraître indiscrète ? Ce nouveau flirt, faut-il qu'elle l'apprécie afin de plaire à son frère ? Est-ce obigatoire si elle veut espérer regagner cette confiance qu'il a eu en elle ?
S'il se trouve qu'elle l'approuve, cela sera-t-il suffisant ? Et si jamais le ressenti d'Erwan devient aussi le sien ? Devra-t-elle faire semblant ? Tant de questions.
C'est une histoire de vacances, elle ne devrait sans doute pas y accorder autant d'importance. Après tout, Erwan a raison, dans deux mois, on n'en parlera plus. Pourtant, quelque chose la pousse à la considérer autrement. Mais quoi donc, le comportement de Gabriel ? Discerne-t-elle quelque chose de plus influant ? Elle a conscience que cette histoire peut, à elle seule, l'aider à se rapprocher de son frère aussi bien que risquer de créer une rupture supplémentaire entre eux.
Marie entre la première et déjà Gabriel va au devant d'elle. Laurianne reste à les observer de la cuisine, finissant de remplir le sac avec le déjeuner. Erwan salue la jeune réunionnaise quand Laurianne inspecte déjà le jeune garçon qui pénètre au ralenti dans la salle. Effectivement jamais elle ne lui donnerait vingt quatre ans. De suite Gabriel recherche l'approbation de sa sœur tout en attirant son amant à l'intérieur.
Charmant, c'est ce qu'il lui vient à l'esprit en les voyant arriver sur elle, main dans la main tel deux petits enfants. Comment ne pas admettre le bon goût de son frère ? Ce Yann est vraiment très mignon, elle s'étonne cependant, bien qu'Erwan l'ait prévenu, du côté un peu exagérément maniéré du personnage. Elle ne s'attendait pas à ce que le reflet de ce trait de caractère s'affiche aussi clairement sur son physique. D'autant que l'ex de Gabriel représentait absolument tout l'inverse. Coïncidence ou réelle recherche de la part de son petit frère, d'une différence totale ? Lui qui a, elle le sait, beaucoup souffert de la fin de cette première relation. Elle affiche un air satisfait mais hésite un instant à tendre la main, cela apparait soudain tellement "convenu" et il a l'air si jeune.
- Yann j'te présente ma vieille sœur !
Le ton est donné ! De l'humour, tant mieux !
- Enchantée ! Ta vieille sœur va remballer le déjeuner si tu continu ! raille-t-elle aussitôt.
A-t-il répondu ? Erwan est surpris par le comportement du spécimen qu'il pensait connaître. Laurianne égallement, elle a tellement entendu parler de lui autrement. Yann sourit en rougissant, tendant une main molle et ne relevant même pas la phrase de son amant.
- Et où allez-vous emmener ce frère ingrat ?
- La pointe du diable ! annonce Marie.
Le malaise commence à s'installer, Yann ne pipe mot, baisse la tête, les mains dans les poches tandis que Gabriel s'attendait visiblement à ce que lui ou sa sœur se mettent à causer.
Après tout c'est elle qui a demandé à le rencontrer et puis Yann si bavard d'ordinaire était au courant de ça. D'où leur vient une telle attitude ?
- Marie n'est qu'un alibi, sort-il. Yann a prévu de m'enlever !
Un clin d'œil à sa sœur afin de détendre l'atmosphère et il donne un coup de coude à cet amant muet espérant enfin une réaction normale.
- Bon débarra ! ricane-t-elle.
Yann, gesticulant et minaudant comme à son habitude, ne peut s'empêcher de réagir enfin comme il se doit.
- Ma chère si vous me laisser carte blanche, je ne promets pas d'être raisonnable, annonce-t-il en tirant une petite langue.
Pourtant il a ce côté timide que Laurianne trouve adorable. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'Erwan ait une si mauvaise opinion de lui ? Il parait évident que son concubin confond l'humour et la provocation. Ou bien ce Yann essaie-t-il de faire bonne impression ? Quoi qu'il en soit, il lui plaît. Du moins pour le moment, elle ne trouve rien à redire.
Erwan n'attend pas que la voiture des trois, soit partie, que déjà il rejoint Laurianne à la cuisine pour critiquer et lui faire remarquer que le garçon fait certainement tout pour qu'elle l'accepte.
- Vraiment, je l'impressionne suffisamment pour qu'il fasse des efforts afin de me mettre dans sa poche, tu crois ? C'est une bonne chose non ?
- Si tu le dis. Moi, il m'énerve ce gars. J'y peux rien, c'est un manipulateur et tu es en train de te faire avoir !
- Envieux ?
- De quoi donc ?
- Tu n'as pas réussi à te faire respecter haha !
- Je ne trouve pas ça drôle. Ce mec se fait passer pour un ange, il profite qu'il à l'air d'un gamin, je trouve ça inquiétant. Et j'aurais pensé que tu étais capable de faire la part des choses.
- Tu vois le mal, là où il n'y en a pas. j'ai assez de considération et de confiance en mon frère, il a suffisamment de jugeote pour ne pas s'enticher d'une personne malsaine.
- C'est vrai, moi je suis trop con pour me rendre compte que je confonds c'est ça ? L'imbécile borné qui ignore la différence qu'il peut y avoir entre un gentil gamin à l'humour dévergondé et un être pervers nuisible, c'est moi.
- Ce que tu peux être pompeux, tu t'es écouté ? Ce sont deux adolescents amoureux ! Fiche leur la paix ! Franchement, je n'te comprends pas, tu es toujours à prendre la défense de Gabriel et là tout-à-coup...
Il lui coupe la parole.
- C'est-ce que tu n'as pas pigé justement, ce ne sont plus des adolescents ! Ton frère est un jeune homme naïf et ce mec là et un gars de six ans son aîné, aux mœurs plus que légères, certainement pas mal dépravé et qui risque de le débaucher ! Moi je suis étonné que tu ne te sois pas au moins renseigné de savoir si ton jeune frère se protégeait durant ses rapports !
Il l'agace, la discussion prend une importance qu'elle n'imaginait pas, étrange.
- Erwan, Gabriel a dix neuf ans, il a déjà eu des relations. Je me vois mal me mêler de ça. De plus pour ton information, il y a des préservatifs dans sa trousse de toilette.
- Tu as fouillé ses affaires ?
- Non, c'est simplement moi qui m'occupe du ménage de sa chambre, ricane-t-elle doucement.
- Ok, maligne.
La discutions est clause, pourtant même si elle a eut le dernier mot, quelque chose la tracasse maintenant.
*
La voici, la pointe du diable, ses vagues, son spot attirant chaque jour davantage de surfeurs malgré les dangers. Sa couleur noire, sa prostitution, ses décharges de pneus et de canettes de bière mais aussi sa houle quasi incessante et son paysage lunaire. L'ancienne chaussée bitumée qui ne va plus nulle part, résultat de l'érosion de ses falaises et des grottes sombres creusées par les hommes. Ses attaques de requins dont la pêche, véritable barbarie humaine, se réalise à l'aide d'appas, constitués d'infortunés animaux de compagnie (chiens, chats) vivants. Elle porte bien son nom cette baie.
Cela fera bientôt une heure qu'ils admirent le paysage. Le vent, présent depuis leur arrivée et l'air marin les ont harassés. Ils ont visité le coin de long en large. Ont crié à la recherche de l'écho au milieu du canyon taillé dans le tuf et ramassé les fibres échappées des capsules de cotonniers. À la pointe de la coulée de lave, après avoir couru sur les galets gris et écorché leurs pieds sur les coquillages, ils ont finalement grimpé jusqu'à l'oratoire pour y voir les restes de l'ancien chemin de fer stoppé par la mer.
Assis à présent au milieu des cactus, Gabriel écoute Marie lui conter les histoires de membres arrachés par les requins et de sorciers qui brulent des enfants pour trouver des trésors. Il est dix sept heures, ils n'ont pas déjeuné et visiblement ils ne pique-niqueront pas ici, puisqu'il est interdit de stagner là, à cause du racolage. L'endroit est sauvage et violent, aussi impitoyable que les vagues enragées qui percutent sans cesse cette falaise. Cette côte dont le recul inexorable se crée en ébranlant des blocs de roche noire mesurant parfois plusieurs mètres. L'ambiance du lieu est dérangeante, elle tangue entre horreur et désespoir, beauté sombre tumultueuse et grandeur de la création, envahissement décadent de l'humain et reprise de ses droits par la nature.
Une chose est sûre, on ne peut rester insensible à l'endroit.
Marie parle beaucoup, son débit joyeux tranche nettement avec l'atmosphère et le décore du lieu mais également avec Yann qui lui, reste silencieusement tourné vers la mer. Le soleil se couche. Une sorte de vapeur blanche étrange est apparue, douceur envahissante sous un magnifique et puissant coucher de soleil. Elle glisse sur la surface des flaques prisent dans les anfractuosités de cette langue de basalte. La lumière explose orange et jaune sous les nuages anthracite qui pèsent, sombres, au milieu de ce ciel de fin de journée. La mer noire faisant mousser le haut de ses vagues, pare ainsi ses flots de paillettes dorées. Le moment est magique. Il est pourtant temps de quitter l'endroit.
Dans la voiture Yann est de plus en plus silencieux. Gabriel que le bon air, le bruit des vagues et le vent ont épuisé somnole. La peau de ses lèvres pique, sa tête bourdonne et son estomac crie famine. Marie cherche une station de radio tout en conduisant, elle est la seule à parler, désire-t-elle a ce point comblé un vide ?
- Ce qui serait sympa c'est que mes vieux investissent dans un lecteur CD. Vous êtes drôlement calme tout les deux. Yann t'es sûr que tu veux aller au club ? Ça va nous achever !
- Si Crys apprend qu'on est venu ici sans lui passer le bonjour, elle va nous refaire son cirque ! J'entame bientôt mon stage cocktail, je lui dois bien ça ! Grâce à elle je vais me former et en plus y'a de grandes chances pour que je sois embauché plus facilement par la suite.
- J'men tape moi, c'est toi que ça concerne !
- Merci pour ta solidarité chérie, ça me touche !
- Et honnêtement je suis pas certaine que ce genre d'endroits soit indispensable à ajouter sur ton CV.
- On va où là ? J'ai un peu faim, lâche Gabriel d'une voix lasse.
Yann se retourne, laissant apparaître un sourire fripon.
- On va dans un lieu de perdition mon ami !
- T'inquièt', tente de le rassurer Marie. On va juste y manger ! Ce club c'est un peu la deuxième maison de notre cher gogoz*. Le milieu est extrême mais tu t'habitueras. Moi, à force de trainer avec lui, plus grand choses ne m'étonne.
Les deux jeunes hommes s'observent un moment. Gabriel passe sa main sur le genou replié de son petit ami, il ressent le besoin d'un contact. Le sourire de Yann ne s'efface pas, au contraire, mâchouillant une phalange de son index, il l'accompagne d'un regard brillant un brin coquin.
Les gestes s'enchainent, il se penche et pose tranquille, sa tête sur l'épaule de Gabriel. Leurs doigts s'entremêlent puis ils ferment les yeux. Marie observe la scène sans rien dire.