II.3 Tobo

Notes de l’auteur : On s'éloigne légèrement du récit biblique. Dans l'original, Azarias (le guide) informe Tobie qu'il avait une cousine chez Ragouël et qu'il était supposé l'épouser, Tobie tombe amoureux de Sara avant même l'avoir rencontrée, et ils se marient dès le premier soir. J'ai trouvé que ça faisait un peu rapide et j'ai trouvé un prétexte pour que Tobie reste plus longtemps chez Ragouël avant d'épouser Sara.

Ragouël reçut chaleureusement Tobie et ses compagnons. Pendant que les servantes préparaient un bain pour décrotter les voyageurs, Tobo se régalait des effluves qui provenaient de la cuisine. De toute évidence, on avait tué un bélier, et le repas s’annonçait des plus ragoûtants. Toutefois, lorsque Tobie se pencha pour enlever ses guêtres, il poussa un cri de douleur.

Après une journée de marche, les blessures infligées par le poisson s’étaient rouvertes. Le sang avait coagulé contre le tissu ; et Tobo ne put que constater la souffrance de son maître lorsqu’il dût arracher les lainages qu’il avait autour des chevilles.

Il se lava tant bien que mal, puis s’habilla avec les vêtements propres offerts par leur hôte, en prenant bien soin de ne pas effleurer la zone sensible. Ce fut alors que Tobo réalisa l’ampleur des dégâts. De larges lambeaux de peau avaient été arrachés, et le sang continuait de perler par endroits. Ce n’était vraiment pas beau à voir.

« Il faut aller chercher la jeune maîtresse, dit l’une des servantes. Elle saura quoi faire.

- Vas-y toi-même ! répliqua l’autre ; moi, je m’occupe du chien. »

Et elle plongea Tobo dans l’eau qui avait servi au bain d’Azarias.

 

Tobo était en train de se faire savonner quand une jeune fille entra dans la pièce. Elle était fort belle, selon les standards humains, quoiqu’un peu trop mince et trop pâle, comme si elle sortait d’une longue maladie. Pourtant, aussi malade qu’elle fût ou eût été, elle savait s’y prendre pour soigner les autres. En effet, à peine eut-elle aperçu la jambe de Tobie qu’elle l’allongea sur un divan.

« Ne bouge pas, mon frère, pendant que je vais chercher de quoi te soigner. »

Elle se hissa sur la pointe de ses pieds pour attraper des pots sur une étagère. Elle ouvrit l’un d’eux, cueillit du bout des doigts une noisette de crème et l’appliqua délicatement sur la plaie. Tobie étouffa un gémissement de douleur.

« Je suis désolée si je t’ai fait mal. C’est pour éviter l’infection. »

Puis elle prit une bande de linge propre et l’enroula autour de la cheville. Ses gestes étaient habiles et précis. Mais Tobo ne put pas en voir plus, car à ce moment précis, la servante lui versa sur la tête un seau d’eau claire pour le débarrasser de la crasse et du savon. Après quoi, elle l’enveloppa dans un drap et le frictionna pour le sécher. Il se dégagea dès qu’il put et s’ébroua comme le font les chiens dignes de ce nom.

« Mraww ! »

Un feulement indigné retentit, révélant un petit animal au poil roux tapi dans un coin de la pièce. Tobo ne l’avait pas vu et l’avait visiblement éclaboussé d’une giclée de gouttelettes d’eau.

« Oh, Azraël ! s’écria l’humaine qui venait de soigner Tobie. Viens là, mon beau. C’est Azraël, mon chat, continua-t-elle en le prenant dans ses bras. Et je n’ai même pas pris la peine de me présenter ! Puisses-tu pardonner cette incivilité ; je suis Sara, la fille de Ragouël, et ta plus proche cousine. »

Azraël s’était calmé dans les bras de sa maîtresse, mais il continuait à regarder Tobo d’un drôle d’air. Tobo, de son côté, ne voyait pas ce que la dénommée Sara trouvait à cette ridicule et arrogante boule de poils. Enfin bon, il allait essayer de bien se tenir. Il était un chien civilisé, et il voulait faire honneur à son maître.

 

Il réussit à se conduire convenablement pendant le repas. Les humains étaient réunis autour de la table, Ragouël au centre, sa femme Edna et sa fille Sara d’un côté, Tobie et Azarias de l’autre. Tobo, aux pieds de Tobie, se vit offrir une superbe gamelle remplie de déchets de bélier dont il se régala. Azraël, lui aussi sous la table, le regardait d’un air jaloux. Il avait pourtant lui aussi eu droit à de la viande, en moindre quantité, certes, mais il n’était qu’une petite bête. Et il n’avait pas marché toute la journée. En tout cas, bonnes manières ou pas, il était hors de question que Tobo laisse un chat chiper dans son assiette. Mais le félin, probablement conscient qu’il ne faisait pas le poids, ne tenta aucun larcin, et se contenta de se draper dans sa dignité poilue.

Il n’y eut pas non plus d’accrochages pendant la soirée. En bon chien de garde, Tobo se coucha sur le paillasson, tandis qu’Azraël se vautrait dans le confort de la chambre de sa maîtresse. Quel pourri gâté !

Mais au milieu de la nuit, alors que Tobo profitait de la quiétude d’une ville sûre et sans danger, il fut brutalement réveillé par une masse qui lui tomba sur le dos. Azraël !

« Miaou ! » cria le chat, ce qui signifiait à peu près : qu’est-ce c’est que ce truc en plein milieu de mon chemin ? Et alors que Tobo, encore à moitié assoupi, se relevait pour essayer de comprendre la situation, cette petite saleté s’accrocha de toutes ses griffes à l’échine du chien.

Cette fois-ci, il avait dépassé les bornes. Tobo l’éjecta d’un coup de reins, se dressa sur toute sa hauteur et poussa un grondement terrifiant. Azraël glapit et décampa à toutes pattes. Bon débarras !

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